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L’intégration des facteurs humains : dernière crise de contrôle de la sécurité ferroviaire ?

Chapitre 1. D’une gestion commune à l’autonomisation de la sûreté

1. Successions de « crises de contrôle » en sécurité (XIX-XX e ) :

1.3. L’intégration des facteurs humains : dernière crise de contrôle de la sécurité ferroviaire ?

Une étude menée à la SNCF par des ergonomes, s’appuyant sur des entretiens avec des cadres dirigeants ainsi que sur l’analyse de documents internes, définit ainsi la philosophie dominante de la sécurité, à la fin du XXe siècle et au début du XXe : « la sécurité est garantie par un système technique performant, de bonnes prescriptions opérationnelles et une application stricte de ces prescriptions ». Les ergonomes soulignent que dans cette optique, les ajustements pratiques des opérateurs de terrain sont « nécessairement synonymes de moindre sécurité et deviennent par-là même intolérables » (Noizet, Pariès et Bieder, 2003, p. 308). La sécurité est donc avant tout définie comme un problème de conformité aux règles. Cette obéissance concerne non seulement les hommes, mais également la technique qui est censée fonctionner comme prévu. De ces deux éléments, les écarts des hommes sont considérés comme les plus problématiques, car plus fréquents que ceux des techniques. Plus spécifiquement, la sécurité ferroviaire est donc problématisée comme un enjeu de comportement. Comportement de l’opérateur, qu’il convient donc de maîtriser au maximum, que ce soit par une réglementation précise et stricte et des automatismes techniques afin de réduire ses marges de manœuvre et de limiter ses interventions.

Cette conception dominante n’est cependant pas partagée par tous. Les ergonomes pointent que si certains cadres dirigeants affichent une adhésion à cette conception de la sécurité, d’autres font part de leurs doutes en pointant son manque de réalisme. Ils se montrent ainsi proches de la position des représentants des agents qui dénoncent l’inapplicabilité de l’ensemble des prescriptions et affirment l’impératif de déroger à certaines règles afin de faire fonctionner la production ferroviaire. D’ailleurs, « l’application à la lettre des règlements constituera une arme souvent affichée – mais rarement appliquée – du syndicalisme cheminot : les quelques grèves du zèle que connaîtront les compagnies

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ou la SNCF seront en général efficaces et payantes, paralysant inévitablement tout ou partie du trafic, en limitant de surcroît les stratégies possibles de répression » (Ribeill, 1984, p. 25). Cette culture de la conformité à la règle écrite fut progressivement remise en question, notamment par le recours aux sciences sociales – principalement l’ergonomie, mais aussi la sociologie – qui favorisa la prise en compte du facteur humain et organisationnel dans la production de la sécurité. Ce recours aux sciences sociales fut lui- même motivé par une série d’accidents graves au cours des années 1980. On peut donc émettre l’hypothèse que cette série d’accidents et les fortes remises en cause qu’elle suscita sur la conception de la sécurité constituent une crise de contrôle dont la résolution est toujours en cours. Nous verrons dans un premier temps comment différentes études internes et externes ont favorisé cette remise en question, pour ensuite aborder les difficultés liées à sa mise en pratique.

1.3.1. La (re)découverte de l’homme comme source de fiabilité

Les années 1980 furent particulièrement marquées par de graves accidents ferroviaires, notamment dans la deuxième moitié de la décennie. Pour mémoire, l’été 1985 fut particulièrement noir avec trois accidents qui provoquèrent la mort de 88 personnes et en blessèrent plus de 200. L’accident de Saint-Pierre du Vauvray le 8 juillet 1985 a lieu à un passage à niveau : un camion entre en collision avec un train Corail Le Havre-Paris (10 morts). L’accident de Flaujac, le 3 août 1985 est un nez à nez entre deux trains circulant sur la voie unique entre Brive-la-Gaillarde et Toulouse-Matabiau (35 morts). Le plus meurtrier fut celui d’Argenton-sur-Creuse (43 morts) le 31 août 1985 : un train Corail déraille suite à un freinage d’urgence provoqué par un excès de vitesse – la vitesse était réduite pour cause de travaux, mais une superposition de signaux dans la zone en rend la compréhension difficile pour le mécanicien. Le train arrivant en sens inverse percute alors les deux voitures qui s’étaient reportées sur sa voie. Le 27 juin 1988, l’accident de la Gare de Lyon connaît lui aussi un grand retentissement. Un train arrivant en gare à 60km/h – son système de freinage est inopérant – vient percuter de front un train à quai. 56 morts. Tous ces accidents renvoient à des risques bien connus de l’exploitation ferroviaire : la collision, le nez à nez et le déraillement. À l’heure où l’on pense que la généralisation des automatismes confère une fiabilité très élevée au système ferroviaire, cette série d’accidents provoqua à la SNCF une réflexion intense sur la sécurité. En 1988, une Commission d’experts chargée d’un audit sur les systèmes de sécurité de la SNCF est nommée. Cette commission est relativement « ouverte » : la moitié de ses membres sont extérieurs à la SNCF et on note la présence d’un anthropologue130. Elle publie un rapport en 1989 (dit « Rapport Monnet »,

130 Elle est composée de 6 membres de la SNCF (le Directeur Général Adjoint Honoraire, l’Adjoint au

Directeur du Personne, le Chef du Département de la Construction à la Direction du matériel, le Chef du Département Traction et Circulation à la Direction Transport, le Directeur Adjoint de l’Équipement) et de 6 membres extérieurs, dont deux chercheurs (un spécialiste des transports de l’INRETS et un professeur d’anthropologie de l’Université Paris V) et quatre représentants d’industries (route, aérien, électricité et nucléaire).

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du nom du président de la commission), qui constitue une remise en cause important de la sécurité ferroviaire telle qu’elle est pratiquée à la SNCF. Elle reprend la distinction évoquée plus haut entre deux conceptions opposées de la sécurité : une conception que l’on pourrait qualifier de déterministe et qui considère qu’ « une application sans faille [du règlement] suffit à assurer la sécurité », et une seconde, plus pragmatique, qui intègre le « fait que l’inobservation du règlement est possible, et qu’elle est même affectée d’une certaine probabilité ». Penchant pour la seconde, les experts considèrent qu’il faut « rendre le système "tolérant" (ou résistant) à l’erreur » (Rapport Monnet, 1989, p. 12). Le rapport insiste sur les forces de l’homme : sa capacité à s’adapter, à récupérer des situations non prévues, à concevoir. Sa faiblesse est qu’il peut se tromper. Les experts estiment qu’il faut à la fois prendre en compte les qualités et les défauts des hommes. Le point fort du diagnostic est le suivant :

La première nécessité pour traiter du problème de la sécurité, C’EST DE MIEUX PRENDRE EN COMPTE LE FACTEUR HUMAIN. Et avant tout, IL FAUT RECONNAITRE QUE L’HOMME EST FAILLIBLE.

(Rapport Monnet, 1989, p. 14, en majuscule dans le texte)

Pour les experts, il convient de tirer parti de cette reconnaissance et non pas la dramatiser. La préconisation la plus forte est certainement celle qui invite à « rompre le cercle : erreur humaine = faute = sanction »131. C’est surtout le caractère systématique de la sanction qui est remis en cause. La sanction ne règle rien en soi, il faut chercher à identifier les causes des manques de vigilance et de connaissance qui provoquent les incidents. Le rapport préconise donc de passer de la faute à l’erreur tout en déculpabilisant cette dernière. L’analyse des experts les conduit à formuler trois grandes évolutions.

Premièrement, « mieux connaître l’homme, son travail ». Le rapport propose de recourir aux sciences humaines et sociales (développement du service ergonomie créé en 1986 et ouverture à la sociologie du travail) afin de mieux connaître la réalité des situations de travail pour comprendre les écarts aux règles. Ces derniers s’expliquent souvent par les « équilibres de fait » en vue, justement, d’assurer la sécurité. Cela permet également d’avoir une autre vision des « résistances au changement », qui plutôt qu’une défense corporatiste sont une défense de ces équilibres.

Deuxièmement, il faut « améliorer la fiabilité du système homme-machine ». Pour cela, l’établissement d’une équipe Facteur Humain (à placer au niveau national) est conseillé. Son rôle serait d’animer une démarche FH, non seulement dans les retours d’expérience (REX), mais également dans le développement de projets techniques. En outre, la réglementation devrait être repensée : il faut clairement distinguer les documents visant à

131 Bien qu’il n’y soit pas fait référence, ces réflexions font écho aux travaux du sociologue Charles Perrow,

notamment son ouvrage sur les « accidents normaux » dans les industries à haut risque, publié en 1984. Partant du constat que les accidents ne relèvent jamais d’une causalité linéaire, Perrow explique que la complexité croissante des organisations favorise la production d’accident (Perrow, 1984). « La très haute complexité de certaines installations industrielles accroît l’occurrence de l’inattendu de sorte que les prévisions apparaissent comme des réductions simplificatrices des phénomènes. Charles Perrow en déduit que "la représentation d’interactions inattendues nous devient toujours plus familière. Cette représentation caractérise notre monde politique et sociétal comme celui de la technique et de l’industrie". À mesure que la taille et le nombre de fonctions que les systèmes doivent remplir s’accroissent, que leurs environnements deviennent hostiles, les interactions entre les systèmes deviennent plus imprévisibles et inattendues et les incidents plus fréquents. Les accidents systémiques deviennent "normaux" » (Bouter, 2014, p. 34).

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faire comprendre les principes (mobilisés lors des formations) et ceux destinés aux applications et qui doivent viser l’efficacité. Ainsi, « les ingénieurs, les concepteurs de la réglementation ne sont pas les mieux placés pour élaborer les documents d’application » ; il faut plutôt faire appel à des spécialistes de la documentation (Rapport Monnet, 1989, p. 28). Enfin, les REX doivent être systématisés et menés dans une perspective non culpabilisante afin de recueillir les informations pertinentes et tirer de vrais enseignements. De plus, le rapport conseille de pratiquer tous les deux ans un « rapport sur l’état de la sécurité », une sorte d’audit « externe » (non pas extérieur à l’entreprise, mais un contrôle non hiérarchique de la sécurité).

Troisièmement, il faut « réduire les conséquences des défaillances lorsqu’elles se produisent ». Dans cet axe, les experts invitent à poursuivre et approfondir des pratiques déjà en œuvre telle que la « sécurité passive » (prise en compte de la sécurité dès la conception du matériel roulant), l’utilisation des redondances des signaux, des boucles de rattrapage, des alarmes et des automatismes. À propos de ces derniers, la commission reconnaît qu’ils constituent un saut de qualité vis-à-vis de la défaillance humaine. Cependant, elle s’interroge sur leur généralisation et se montre sceptique sur le remplacement total de l’homme pour certaines tâches.

Le rapport se conclut en recommandant que la conduite du changement s’effectue dans une démarche participative : « il faut susciter l’adhésion, obtenir la participation du plus grand nombre ». Les experts préconisent ainsi la prise en compte de l’expérience et des connaissances pratiques des agents. Affirmant que « la sécurité n’est pas un état stable », la commission défend une conception de la sécurité en rupture avec le déterministe ingénieur qui caractérise jusqu’alors l’entreprise (Rapport Monnet, 1989, p. 47‑49).

Le Centre d’Études de Sécurité de la SNCF (CES) créé à la suite du rapport Monnet, sera chargé de suivre et de mettre en œuvre ce changement de perspective. Il défend ainsi le passage de la faute à l’erreur et encourage la multicausalité – dont le facteur humain – dans les analyses d’incident. En 1994, il fait des recommandations quant à la façon de mener les REX, qui doivent se dérouler en trois temps : analyse de l’événement, analyse ergonomique de la situation de travail, entretiens d’explicitations non dirigés avec les agents, afin non seulement de connaître leur opinion, mais également de mobiliser leurs savoirs (Beauquier, 2004, p. 33‑34). Pourtant les changements ne sont pas immédiats et ne font pas l’unanimité. En 1995, un rapport interne intitulé La philosophie de la sécurité du transport ferroviaire en France stipule que « malgré le développement des automatismes de sécurité, l’intervention de l’homme reste le problème principal ». Il faut donc encadrer les interventions de l’homme par des procédures très précises et par des automatismes se substituant – partiellement ou totalement – à lui (cité par Beauquier, 2004, p. 34).

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1.3.2. L’intégration progressive de la démarche Facteur Humain

Si la création, en 1994, du poste de « Responsable du recrutement, de la formation, des effectifs, de la sécurité et des Facteurs Humains » à la Direction des Ressources Humaines illustre l’importance prise par cette thématique, sa légitimité est encore fragile et sa pérennité dépend fortement de la sensibilité de la direction de l’entreprise.

Gallois il a eu un discours sur les facteurs humains qui nous a séduit quand il est arrivé [en juillet 1996]. Parce que Le Floch Prigent [nommé en décembre 1995] avait lui décidé qu’on était en sureffectif et qu’il fallait nous trouver très vite une autre place que celle qu’on avait »

(Ancien Responsable du recrutement, de la formation, des effectifs, de la sécurité et des Facteurs Humains, DRH)

L’ouverture de l’entreprise à l’ergonomie, notamment par les travaux de Humbert et Amalberti, va toutefois consolider les approches préconisées par le rapport Monnet et l’introduction des démarches FH. Afin de dépasser les concepts de faute et d’infraction, l’ergonome Humbert préconise de considérer l’erreur comme « constitutive du processus de travail » et de la voir comme le pendant de l’expérience. Elle suit Amalberti qu’elle cite : « la suppression de toutes les erreurs humaines ne peut avoir pour solution que la suppression de l’homme » (cité par Beauquier, 2004, p. 35). Or, les études des ergonomes montrent que l’homme récupère la plupart de ses erreurs à temps. « Considérant que la fiabilité dépend à la fois des dispositifs techniques et des actions humaines [Humbert] suggère de parler de fiabilité sociotechnique au sein duquel vont être étudiées les coopérations homme- machine » (Beauquier, 2004, p. 35, en gras dans le texte). Enfin, Humbert insiste sur le rôle de « surfiabilité » de l’homme dans la sécurité. Il s’agit de la capacité de l’homme à rattraper les dysfonctionnements techniques avant qu’il n’y ait un incident grave.

Pour rendre compte de cette capacité, il faut sortir, selon Humbert, du paradigme de l’écart à la règle (très forte à la SNCF) et prendre en compte les actes locaux, non prescrits dans les procédures, mais qui jouent un rôle extrêmement important dans la sécurité. Pour Humbert, cette dimension est totalement exclue dans les procédures de REX qui tendent à se focaliser, de manière presque exclusive, sur les écarts négatifs aux procédures. « L’auteur note ainsi qu’à l’Exploitation, le recensement de l’erreur est devenu une fin en soi, indépendamment des conséquences que l’erreur a occasionnées, c’est-à-dire même dans les cas où il n’y a pas eu de conséquences négatives en termes de sécurité » (Beauquier, 2004, p. 35). Un document interne de 1997, La contribution positive de l’homme à la fiabilité du système ferroviaire, va pourtant dans ce sens en mettant l’accent sur les écarts à la règle qui ont eu un impact positif sur la situation. Il propose une symétrie dans l’analyse des échecs et des succès des interventions non prévues (qui font appel à l’expérience des opérateurs) afin d’améliorer la procédure. De manière pratique, ce document conseille l’utilisation de « fiches » où chacun (agent, dirigeant de proximité, formateur, concepteur, décideur) pourra décrire ses qualités et pratiques qui ont contribué positivement à la fiabilité du système dans des situations non prévues.

La création du poste de « Directeur Délégué Facteurs Humains » à la Direction des Ressources Humaines en 1999 concrétise la montée en puissance de cette thématique au

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sein de l’entreprise. La mission de cette direction est de systématiser l’approche. Cependant, l’intégration de la démarche FH se fait relativement lentement, étant donnée la remise en cause profonde qu’elle implique en matière de sécurité, domaine qui touche le cœur de métier des cheminots. Comme l’explique le Directeur Délégué Facteurs Humains de l’époque :

Au début les FH, on a fait une grosse erreur à la SNCF, c’est qu’on est parti avec le rapport Monnet en main comme d’autres ont eu leur petit livre rouge, en disant "vous allez avoir le suppositoire que vous le vouliez ou pas". Parce que le rapport Monnet quand on le lit avec un œil technicien, c’est une remise en cause complète de l’approche technique d’une entreprise qui est la SNCF : « vous êtes très fort en technique, mais pour ce qui est de la mise en œuvre, zéro ». Ca les dirigeants ils l’ont pas compris. Pour eux, si l’homme était faillible c’était pas leur faute quoi […] Les cheminots sont assez hermétiques aux sciences sociales. Il a fallu dépaler [sic] pendant pas mal de temps pour trouver les termes appropriés

(Ancien Directeur Délégué Facteurs Humains, DRH).

L’acculturation des agents de l’entreprise aux FH passe essentiellement par des modules de formations (obligatoires pour les métiers liés à la sécurité) et par l’introduction de cette dimension dans les enquêtes et analyses d’incident, ainsi que les REX. Les enquêtes FH ont mis du temps à être acceptées parmi les agents SNCF. Alors que l’on pouvait penser que la rupture du cercle « erreur = faute = sanction », en amendant grandement le « principe du lampiste » hérité du XIXe siècle, serait plutôt bien accueilli par les cheminots, certains se montrent au début réticents.

Quand on a commencé à faire les premières enquêtes FH, quand on allait voir un conducteur qui avait franchi un carré et qu’on essayait de comprendre pourquoi il l’avait franchi, le gars il revenait le lendemain avec les syndicats : « vous lui foutez sa punition et on en parle plus. On veut pas savoir pourquoi ni rien du tout »

(Ancien Directeur Délégué Facteurs Humains, DRH)

L’automaticité et la prévisibilité de la sanction – puisque définies par le règlement – semblaient pouvoir apporter une certaine tranquillité aux agents. En revanche, l’enquête FH, de par l’attention qu’elle porte à la situation personnelle des personnes, pouvait déboucher sur une remise en cause plus profonde de leur engagement dans le travail132. La question de l’outil pour mener ces enquêtes fut également débattue. Jusqu’à présent les enquêtes postincidents servaient à déterminer la part de responsabilité de chacun. L’enquête FH se place dans une démarche compréhensive des incidents et non pas répressive. La stratégie de la Direction Délégué FH fut au début de ne pas proposer d’outil spécifique afin d’éviter que la forme ne l’emporte sur le fond, et plus précisément que l’investissement dans la forme ne se passe au détriment de la démarche compréhensive :

Quand vous faites un tableau de REX, c’est les pages qui défilent sur l’ordinateur qui sont importantes : "où est-ce que je mets la croix ? cette rubrique je dois la remplir ou pas ?" Mais savoir ce qu’il faut y mettre fondamentalement, et savoir ce que ça va vous produire au bout du compte, ça n’intéresse pas. Une fois qu’ils auront fait leur page, hop, terminé, on passe à la suivante. […] On a formé les gens à la réglementation ou à des règles : ils cherchent la règle à chaque fois que vous leur donnez une idée. Les

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facteurs humains pour eux, ça devait se résoudre en termes de règle. Des choses à appliquer, soit des documents à remplir, soit des choses à faire. Or, c’est des démarches, un état d’esprit

(Ancien Directeur Délégué Facteurs Humains, DRH)

On voit ici combien l’ancrage de la définition de la sécurité en termes de règle à respecter rend difficile l’adoption d’une nouvelle définition, du moins un amendement à cette définition.

Complémentairement à cette sensibilisation aux facteurs humains, les porteurs de la démarche Facteur Humains de la SNCF se sont également intéressés à la sociologie des organisations133. « Dans cette approche, […] l’organisation est comprise comme la troisième composante d’un système dont les deux autres sont la technique et les hommes » (Beauquier, 2004, p. 36). La thèse de Sylvain Duriez en Génie des systèmes industriels et réalisée à la SNCF, montre que les facteurs organisationnels ont un impact non négligeable sur les performances de sécurité. Il part du constat que les adaptations des industries à risque à une concurrence de plus en plus forte (européanisation, mondialisation) passent souvent par des réorganisations de structure qui ne sont pas sans conséquence sur les performances de sécurité. Basé plus spécifiquement sur l’étude de la maintenance de