• Aucun résultat trouvé

Intégration de la société civile et participation citoyenne

5 Résultats de l'analyse

5.5 La gouvernance environnementale : système de prise de décision et politiques

5.5.3 Intégration de la société civile et participation citoyenne

Les législations fédérales, étatiques et municipales s’appliquant à la métropole de São Paulo prévoient un bon nombre de mécanismes d’intégration de la société civile aux prises de décision. Effectivement, le caractère paritaire des conseils de gestion environnementale et hydrique fut confirmé par les répondants à l’enquête. Le Comité de bassin hydrographique Alto Tietê, tripartite, revint souvent en exemple, car il donne un pouvoir égalitaire entre les représentants de l’État et des municipalités concernées et les organisations de la société civile. Les Conseils de l’environnement, existant aux échelles nationale (Conseil national de l’environnement – CONAMA114), étatique (Conseil de l’environnement de l’État de São Paulo – CONSEMA115) et municipale (Conseil municipal de l’environnement et du développement durable de São Paulo – CADES116) sont d’autres exemples. Ces trois espaces sont délibératifs et consultatifs et sont en partie composés de représentants de la société civile. Par exemple, le Conseil de l’environnement de l’État de São Paulo comprend 36 membres, 18 étant issus des instances gouvernementales et 18 de la société civile. De ces 18 derniers conseillers, six représentent des organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine de l’environnement. Les secteurs universitaire, industriel, entrepreneurial, syndical et autres sont aussi représentés (SMA, s.d.). D’autre part, les Conseils de gestion des Unités de conservation et le Comité municipal sur les changements climatiques et l’économie verte (CMMCE) sont d’autres exemples ayant été cités lors des entretiens comme des institutions intégrant la société civile dans les processus de prise de décision.

La puissance et la notoriété de certaines organisations non gouvernementales furent aussi confirmées par quatre répondants. En plus de l’Alliance pour l’eau et du Collectif de lutte pour l’eau, l’organisation dénommée Fundação SOS Mata Atlantica fut citée en exemple par quelques acteurs. Créée en 1986 pour protéger la forêt atlantique, cette entité nationale est également très active pour la protection de l’environnement urbain. Elle a d’ailleurs initié la

114 Conselho Nacional do Meio Ambiente (CONAMA). 115 Conselho Estadual do Meio Ambiente (CONSEMA).

campagne de dépollution de la rivière Pinheiros et mis sur pied diverses actions, en partenariat avec l’Alliance pour l’eau, afin d’affronter la crise hydrique de 2014 à 2016 (Fundaçao SOS Mata Atlantica, 2016). Selon Normando Almeida, outre la participation de ces ONG dans les canaux de consultation prévus par le pouvoir public et le lobbying, ces associations civiles permettent aussi d’informer la population et de la mobiliser envers d’importants enjeux. L’utilisation des canaux médiatiques est l’un des moyens employés par les ONG permettant de placer certains sujets à l’ordre du jour et de faire en sorte que le peuple se sente concerné. La pression sur le secteur politique en résulte plus grande et efficiente. Cependant, lorsque les répondants à l’enquête furent interrogés sur l’efficacité des mécanismes d’encadrement de la participation de la société civile et des citoyens dans les domaines de la gestion environnementale et hydrique, non moins de neuf personnes sur dix affirmèrent qu’il y avait divergence entre les dispositifs prévus par la loi et ce qui fonctionnait dans les faits. Six répondants sont aussi d’accord sur la faiblesse de l’influence des revendications citoyennes dans les prises de décision relative à l’environnement. Les facteurs présentés ci-bas furent soulevés par les acteurs interrogés afin d’expliquer ces divergences et lacunes.

Premièrement, Priscila Silveira, Alberto Pereira et Joana Costinho indiquent qu’il y a un problème au sein même de la représentation de la société civile, alors que le poids attribué aux acteurs économiques et industriels, par exemple, est disproportionnel par rapport au poids accordé aux organisations non gouvernementales ou aux regroupements citoyens. La diversité de la société civile n’est nullement représentée. Alberto Pereira donne l’exemple de la Fédération des industries de l’État de São Paulo (FIESP)117 qui participe de manière beaucoup plus importante et qui détient une influence plus grande que les organisations responsables de l’habitation ou de la défense de l’environnement lors de concertations du Comité de bassin hydrographique Alto Tietê. Priscila Silveira parle plutôt du secteur immobilier qui détient une force capable de faire plier le pouvoir public au sein des processus de prise de décision liés à l’aménagement territorial.

Renaldo Vasquez et Normando Almeida avancent aussi que le poids du gouvernement est encore largement dominant dans les mécanismes de prise de décision, de même que dans les forums environnementaux et les espaces de participation. Lors de l’entrevue, Vasquez affirme : « nous devons augmenter le niveau d’influence des acteurs non gouvernementaux sur les actions gouvernementales »118. D’autre part, Joana Costinho stipule que malgré la présence de mécanismes de participation et de conseils paritaires, la pression politique des représentants de l’État au Congrès ou lors du processus final de prise de décision à l’Assemblée législative surpasse l’influence des démarches participatives prises antérieurement. La considération des revendications du secteur civil n’y est nullement garantie. D’ailleurs, sur ce fait, Luciana Correia indique qu’il arrive que le gouvernement entreprenne des projets fortement contestés par la société civile. Elle donne l’exemple de la construction du grand barrage hydroélectrique Belo Monte débuté en 2012 dans l’État de Pará, projet fédéral auquel la société civile et les défenseurs de l’environnement se sont opposés ardemment. L’ignorance de l’opinion de la population par le pouvoir gouvernemental engendre un coût politique très élevé, en particulier sur la confiance que le peuple attribue aux instances publiques.

Ensuite, une certaine manipulation politique par le pouvoir public peut être adoptée comme stratégie pour réduire les possibilités de participation de la société civile. Effectivement, Eloir Souza, fonctionnaire de l’Assemblée législative de l’État de São Paulo, donne l’exemple du projet de loi 16.337 instituant le Plan des ressources hydriques de l’État119 qui fut soumis à l’Assemblée législative au mois d’avril 2016 en tant que « Régime d’urgence ». Cela signifie que le projet de loi doit être voté en 40 jours maximum. Cette courte échéance ne permit pas la tenue de consultations avec les Comités de bassin hydrographique et d’audiences publiques avec la société civile. Ainsi, selon les propos de Souza, « le Régime d’urgence est une manière d’écraser et d’empêcher le débat ».120

De surcroit, Silveira affirme que l’influence des revendications de la société civile est variable en fonction du canal de participation utilisé. Selon elle, les grands mouvements

118 « Temos de aumentar o nível de influência dos atores não governamentais sobre as ações governamentais»

(Renaldo Vasques, 4 mars 2016).

119 Plano Estadual de Recursos Hídricos.

sociaux adoptant des méthodes de pression à déploiement massif, telles des manifestations sur les artères principales de la ville, auront largement plus d’influence sur les décisions politiques que les petits regroupements citoyens émettant leurs revendications lors de la tenue d’un conseil ou de consultations publiques.

Un autre problème soulevé par Priscila Silveira se situe dans la formation et la qualification des représentants de la société civile dans les divers conseils, comités ou consultations citoyennes. En exemple, Fernando Penha, de la FAHBAT affirme que dans le cas du Comité de bassin hydrographique Alto Tietê, les acteurs représentant la société civile perçoivent peu l’importance des problèmes socioéconomiques, environnementaux et hydriques à résoudre sur le territoire du bassin et le coût et la durée associés à leur résolution. Selon lui, une conscientisation de ces acteurs par la divulgation d’information sur les problématiques du territoire et les solutions possibles serait nécessaire.

De plus, selon Eloir Souza, les organisations non gouvernementales et les associations civiles, tels que le Collectif de lutte pour l’eau et le Front national pour l’assainissement environnemental (FNSA), doivent lutter continuellement pour la reconnaissance de leurs institutions et de leurs activités. Ils font face à un manque de confiance de la part du gouvernement qui, historiquement, ne reconnait que les postulats des spécialistes et experts en question environnementale et hydrique.

D’autre part, la crise de l’eau de 2014 à 2016 fut, selon Fernando Penha, une opportunité de participation ratée par la société civile qui aurait dû tenter d’élaborer des propositions structurantes pour les instances responsables de la gestion de l’eau et de l’assainissement. Aux dires de Penha, le fait que la crise hydrique coïncidait avec une période d’élection des gouverneurs d’État et de la présidence du pays a contribué à donner à la participation civile un caractère partisan, inadéquat. De façon générale, le répondant, appuyé dans cette idée par Paulo Jacome, croit que plusieurs institutions issues de la société civile sont compromises par une dépendance financière envers des entreprises ou des groupes et partis politiques. Les liens directs ou indirects avec la sphère politique peuvent affecter la légitimité des actions

entreprises par ces organisations civiles. Penha dit également : « Notre démocratie ne sait pas encore travailler avec la société civile organisée »121.

Ensuite, par rapport à la fréquence des sessions de consultation citoyenne dans les processus de planification urbaine, environnementale et hydrique, les répondants à l’enquête sont partagés. Correia, Vasquez et Penha affirment qu’elles sont fréquentes, tandis que Costinho et Souza répondent qu’elles sont rares. Ce dernier croit que les consultations et audiences publiques sont réalisées non pas pour assurer le respect de l’opinion du peuple, mais plutôt dans le but de répondre à des formalités légales. Il indique aussi que lors de la tenue de telles séances publiques, la société civile est désavantagée au sein du débat par la méconnaissance des projets et des politiques proposées contrairement aux fonctionnaires du gouvernement. Il y a, selon lui, une trop grande asymétrie de connaissances. Quatre des cinq répondants à cette question soulèvent aussi la variabilité de l’attractivité de ces consultations publiques chez les citoyens. Vasquez, de la Fondation forestière, et Penha, de la FABHAT, observent que le niveau de participation varie en fonction du nombre de gens affectés par les impacts des actuels ou éventuels projets gouvernementaux.

Joana Costinho explique, pour sa part, que la population ne perçoit pas toujours l’importance de son implication dans la discussion sur l’aménagement du territoire, contrairement aux acteurs immobiliers, industriels et économiques, dont la mobilisation est irréfutable. Ces derniers utilisent les espaces de participation pour la défense de leurs intérêts propres. Il existe actuellement une loi fédérale obligeant les instances municipales à définir les plans directeurs de manière participative, tout projet d’aménagement ou de construction proposé devant être soumis aux audiences publiques et ensuite approuvé dans les chambres municipales. Dans cette optique, Costinho avance que le processus d’élaboration du Plan directeur de la municipalité de São Paulo, ayant fait une place importante à la participation civile, à la gestion urbaine démocratique et à la délibération, devrait être un modèle pour les autres municipalités de l’État. La relative efficacité des instruments de participation de la municipalité de São Paulo semble faire exception, alors que Souza indique que rares sont les instances municipales et même étatiques qui utilisent efficacement les instruments de

participation citoyenne, tels que des budgets participatifs ou de grandes audiences publiques permettant de débattre les projets de façon ample, par exemple.

En outre, RenaldoVasquez stipule qu’il devrait y avoir une meilleure construction de la culture associée à la participation civile. Le citoyen de la métropole de São Paulo devrait pouvoir mieux connaitre les espaces de participation accessibles et croire réellement au pouvoir citoyen. De ce fait, Normando Almeida explique qu’il n’est pas suffisant de seulement créer des espaces de participation sans chercher à mobiliser la population. La compréhension et la participation du peuple à la protection de l’environnement sont encore trop faibles. Selon Jacinta Cortés, activiste de l’Alliance pour l’eau, « Le Brésil doit gagner en maturité sur la question de la participation. Il doit y avoir apprentissage du comment participer »122. Une meilleure organisation et préparation de la société civile serait avantageuse, selon elle.

Finalement, il est possible d’observer que le groupe de population étant considéré par tous les répondants comme étant le plus affecté par les problèmes environnementaux, soit la population à bas revenu, habitant la ville informelle, les zones périphériques ou les zones à risques, est très peu considéré dans les espaces de participation et les processus de prise de décision du gouvernement. Normando Almeida explique d’ailleurs que la crise hydrique de 2014 à 2016 n’a été documentée dans les médias qu’une fois les quartiers plus aisés affectés, alors que la population pauvre et vulnérable habitant les favélas connaissait déjà les conséquences de la pénurie d’eau depuis un bon moment. Leurs conditions difficiles mettant à risque la vie de nombreux individus étaient donc peu considérées par les instances au pouvoir. En outre, Souza croit que la faible mobilisation de ce groupe de population est aussi un problème. Comme la précarité les affecte dans plusieurs domaines, tels la santé, l’habitation, l’environnement et l’accès à l’eau, les individus démunis sont davantage portés à lutter pour leur survie et celle de leur famille qu’à s’impliquer dans la société civile. Souza déplore aussi que le potentiel de mobilisation de la population acquis lors de la crise de l’eau de 2014 à 2016 diminue, alors que la société se tourne déjà vers d’autres luttes.

122 « O Brasil precisa amadurecer na questão da participação, deve haver aprendizagem de como participar »