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Une institution familiale et citoyenne

Partie 2- Exploration du contexte, premières analyses

A- Les MFR, mouvement, institution et organisation, impacts sur une construction collective

2- Une institution familiale et citoyenne

Au-delà du mouvement fondateur, auquel se réfèrent, encore aujourd’hui, les MFR, nous observons qu’une forme d’institution se met en place quasiment dès la création. « Nous entendons … par ce mot aussi bien les usages et les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques et les organisations juridiques essentielles ; […] Il existe deux grands ordres de phénomènes sociaux : les faits de structure sociale, c'est-à-dire les formes du groupe, la manière dont les éléments y sont disposés ; et les représentations collectives dans lesquelles sont données les institutions » (Mauss & Fauconnier, 1994). La prise en compte de la logique institutionnelle des MFR repose sur la nécessité de « les regarder du point de vue de leur mission d’intérêt général, de leur vocation, des valeurs qui les orientent ou qu’elles mettent en œuvre et de la mémoire sociale qu’elles conservent,… » (Juan, 2006).

En effet, le mouvement se développe avec de nombreuses créations selon la « formule de Lauzun ». Pour maintenir les fondements, les responsables cernent rapidement la nécessité d’une forme d’organisation commune et d’institutionnalisation. La création d’une Union Nationale, en 1941, vise à « jeter les bases des divers organismes dont l’existence devient pour nous indispensable (et préciser) les diverses données de notre action qui doit s’appuyer partout sur les mêmes principes. »18

En structurant le mouvement, les responsables ont ainsi entamé la création d’une logique institutionnelle commune : les principes et les conventions sur lesquels se base l’unité des MFR. Nous appelons convention

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« un ensemble d’éléments qui, à tout instant, pour les participants à la convention, vont ensemble et sur lesquels, par conséquent, ils partagent un commun accord… Une convention est un système d’attentes réciproques sur les compétences et les comportements, conçus comme allant de soi et pour aller de soi. C’est par là même qu’une convention est efficace. Les comportements attendus n’ont pas besoin d’être conçus à l’avance, écrits, puis ordonnés pour être obtenus »(Salais, 1989).

Parmi les choix fondamentaux des responsables de l’institution, deux éléments participent à la construction de conventions spécifiques aux MFR. Tout d’abord des choix qui affirment une indépendance vis-à-vis des syndicats professionnels (choix du statut associatif) et vis-à-vis de l’état et du clergé19 qui placent l’institution naissante dans une situation où elle revendique les valeurs fondatrices du mouvement familial d’éducation populaire pour tous les individus qui le souhaiteraient, dans une dimension civique de son action. Nous pouvons, en prenant appui sur les travaux de Boltanski et Thévenot (Amblard et al., 2005), préciser que cette dimension civique des MFR se justifie en référence à l’action mise en place dans une volonté d’intérêt général pour tous selon un principe de solidarité. En ce sens, la logique institutionnelle qui affirme une ; « volonté d'agir dans un territoire pour un développement humain, économique et culturel harmonieux dans une perspective de promotion individuelle et collective des individus selon l'éthique de l'économie sociale »20 repose sur une visée appartenant à l’économie sociale et solidaire. Pour préciser ce que nous entendons par ce terme, nous pouvons dire que cette volonté d’agir pour le développement se situe dans une finalité de service d’intérêt général où la personne prime sur le profit. Elle comprend « l’ensemble des activités contribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements citoyens »(Laville, 2000). Le processus de décision y est démocratique et la représentation équitable21.

Le second élément significatif des logiques institutionnelles des MFR est particulièrement perceptible dans le fonctionnement choisi. En effet, l’Union ne s’est pas substituée à chaque association mais a, au contraire, organisé les formes afin que chacune demeure autonome et adhère à l’union nationale (et plus tard aux autres instances fédératives). En garantissant ainsi une place essentielle à l’association locale en termes de gouvernance, les responsables ont agi en cohérence avec la dimension familiale du mouvement. Cette dimension repose sur une logique domestique dans le sens où, selon les travaux de Boltanski et Thévenot (Amblard et al., 2005), elle prend appui sur la famille et le milieu, où les relations personnelles sont essentielles pour la mise en œuvre de l’action.

Au-delà de ces deux choix fondamentaux, différents éléments réglementaires et culturels ont contribué à l’institutionnalisation des MFR. A ce titre, nous pouvons noter la création de statuts type des MFR, d’une convention collective en 1956, de l’imprimerie nationale et ses parutions, de la formation pédagogique commune et devenue obligatoire pour les enseignants, appelés des moniteurs. Au-delà de ce qu’elles apportent en termes d’organisation (nous y reviendrons), ces créations constituent autant d’outils d’une institutionnalisation du mouvement dans le sens où ils permettent de généraliser les principes fondamentaux et de les diffuser. Ils composent une culture commune, une identité et contribuent donc à une forme de socialisation des acteurs de MFR.

19 « Dans notre mouvement, il a fallu résister à deux tentations : d’une part nous avions besoin de l’état, et d’autre part nous ne devions pas devenir un mouvement étatique.

Les maisons familiales ne doivent pas être sous le contrôle absolu de l’état, être simplement un rouage administratif. … Par ailleurs, comme le mouvement est d’essence familiale, et bien que la plupart des familles soient actuellement catholiques, il est clair que le mouvement ne doit pas devenir un mouvement sous contrôle de l’église. » Discours de Gustave Thibon lors de l’assemblée Générale de l’Union Nationale des MFR en avril 1945 (Berkovicius, 2007)

20 Préambule de la Convention collective des MFR signée le 24 janvier 2007 21 Une personne possède une voix

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En ce sens, nous pouvons définir les MFR comme une institution. En tant qu’associations familiales, elles visent la représentation et la défense des intérêts des familles dans la formation et le développement des territoires. Cependant, en se dotant de règles communes, de conventions, de formation, de publications institutionnelles elles ont également organisé le cadre d’une cohésion, d’une socialisation des valeurs fondatrices à destination des militants comme des salariés pour la mise en œuvre de leur projet commun. La logique institutionnelle sur laquelle repose les MFR pourrait donc, en lien avec ses fondements, être qualifiée de domestique et civique dans le sens où les mondes et les valeurs auxquels elles se réfèrent prennent à la fois appui sur les mondes domestiques et civiques tels qu’ils ont été définis par Boltanski et Thévenot (Amblard et al., 2005). Les MFR s’appuient sur une logique familiale/domestique par le choix de maintenir la structure de proximité avec les relations personnelles, la culture propre, le milieu d’origine, mais s’inscrivent également dans une visée civique avec un attachement à l’engagement, l’adhésion, la forme collective et solidaire.

Ces deux mondes coexistent donc au sein de l’institution et peuvent parfois éclairer les conflits internes entre les intérêts propres liés aux particularités de chaque association (justification sur un registre de logique domestique) et les visées collectives des instances fédératives (justification sur un registre de logique civique). Cette double logique institutionnelle offre un éclairage qu’il nous faudra prendre en compte. Nous verrons dans la partie suivante que ces logiques institutionnelles et les choix effectués par les responsables ont un impact sur la forme d’organisation.