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Si, comme nous venons de le voir, le trafic de drogue favorise des phénomènes comme la corruption, la violence et le crime organisé, ces derniers sont eux-mêmes à l’origine d’autres problèmes plus profonds portant atteinte à la stabilité politique des Etats. Durant les années 90 par exemple, les conflits directement liés au trafic des drogues ont touché plus d’une trentaine de pays et certains de ces conflits ne sont pas encore réglés aujourd’hui. Les exemples sont nombreux (Kosovo, Thaïlande, Afghanistan, Colombie, etc.) puisque le trafic de drogue est un frein à la bonne gouvernance d’une part, et qu’il entrave d’autre part les efforts de reconstruction des institutions publiques. Là encore, la Colombie est un exemple frappant puisque les programmes d’aide et de développement menés par les autorités nationales et la communauté internationale dans le Plan Colombie ont été largement affaiblis par les FARC. Source d’instabilité géopolitique, le narcotrafic entretient des liens étroits avec les guérillas et les réseaux de terrorisme qui sont alimentés par l’argent issu de ces marchés illégaux (Dupont & Voth, 1995).

N.B. : Notons également un élément qui occupe une place de plus en plus importante dans un siècle où l’écologie est au centre des préoccupations mondiales. Les cultures de production de drogues ainsi que la lutte contre le trafic ont des conséquences écologiques non négligeables. Ces problèmes sont liés à la monoculture d’une part et aux déforestations sauvages à répétition. Il faut d’autre part prendre en compte les conséquences gravissimes engendrées par les programmes de fumigation comme ceux qui ont lieu notamment en Colombie. Dans ce pays, depuis la fin 2000, les populations équatoriennes qui vivent à la frontière de la Colombie ont subi les aspersions massives d'herbicides contre les champs de coca. Ce procédé, décidé par le gouvernement

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colombien et les Etats-Unis, a entraîné une série de catastrophes sanitaires contaminant les cultures licites, les cours d’eau et les habitations alentour et il a contraint à l'exode une partie de la population.

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Malgré une volonté internationale illustrée notamment par l’action de l’ONU, les législations et les moyens de répression ne sont pas homogènes dans tous les pays. Toutes les politiques mises en œuvre visent à améliorer l’état de santé, la condition sociale et les conditions économiques de leurs citoyens en prévenant l’usage de drogues nocives et en réduisant leurs effets néfastes. Elles tentent ainsi de réduire la morbidité liée directement ou indirectement à la consommation de ces substances. Toutefois, il ne faut pas négliger les importants enjeux économiques et politiques qui sous-tendent un commerce aussi lucratif que celui des drogues et qui influencent grandement la mise en œuvre des plans de lutte (Reuter, 2009).

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L’usage des drogues n’est pas un phénomène nouveau apparu avec nos civilisations modernes. En réalité, il semblerait que leur utilisation remonte aux premiers pas de l’Homme dans la connaissance de son environnement végétal (Schultes & Hofmann, 1990). Les recherches effectuées révèlent en effet que, depuis toujours, l’Homme a recherché des moyens de transformer son état de conscience. Ainsi, depuis les origines, selon chaque pays et chaque groupe social, les substances varient et chacun des produits utilisés est entouré d’un ensemble de codes et de rituels lui conférant une signification et une fonction propre (Hulsma & Van Ransbeek, 1983).

Les attitudes des gouvernements face aux drogues et aux consommateurs sont le résultat d’une longue évolution historique. Si une des caractéristiques principales du marché de la drogue est la répression dont il fait l'objet à l'échelle mondiale, cela n’a pas

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toujours été le cas. Jusqu’en 1920, les drogues ont été très peu criminalisées dans des pays comme la France ou les Pays-Bas qui tiraient des bénéfices du commerce des drogues dans leurs colonies. A l’inverse, aux Etats-Unis, la prohibition est mise en vigueur plus tôt et répond à un principe d'interdiction sur la production, le commerce et l'usage de psychotropes. Elle se révèle être rapidement un véritable échec source de corruption, de contrebande et de crime organisé (Hulsman & Van Ransbeek, 1983). Comme nous le verrons par ailleurs, cet épisode prohibitionniste aux Etats-Unis a joué un rôle majeur dans l’histoire de la criminalisation des drogues (Richard, Senon, & Valleur, 2004). C’est précisément en 1912, qu’à La Haye a été mise en place la première convention internationale définissant un système de contrôle des drogues et instaurant des mécanismes de régulation de la production, du commerce et de la consommation de certains produits. A partir de cette date, une séparation a été introduite entre les drogues dites licites, désignées par le terme de médicaments, et les drogues illicites, désignées par le terme de stupéfiants. La décolonisation a également engendré un changement important puisque les pays coloniaux ne profitent plus des revenus liés aux drogues produites par les pays en voie de développement de l’hémisphère Sud. En l’absence de ses intérêts financiers, ils rejoignent alors la position des États-Unis visant à imposer une prohibition de ces substances (Labrousse, 2004).

Le rythme des conférences internationales sur les stupéfiants s’est rapidement intensifié après la première guerre mondiale produisant des normes chaque fois plus répressives. Ces conventions sont ratifiées par de nombreux pays et permettent à chaque Etat de faire évoluer ses législations nationales afin de les adapter au mieux à ses propres besoins. L’apparition de l’épidémie de VIH dans les années 90 marque un véritable tournant dans les politiques publiques qui consacrent alors une part bien plus importante de leurs efforts à la prévention et aux soins (Faugeron & Kokoreff, 2002). Lors de la Commission des Nations Unies sur les stupéfiants en 2010, l’ensemble des Etats présents a réaffirmé l’appui à la lutte contre les stupéfiants malgré un bilan peu convaincant. On assiste en effet à une augmentation incessante du nombre de consommateurs ainsi qu’un accroissement des violences et des décès autour du monde de la drogue (AFSSAPS, Département stupéfiants et psychotropes, 2010).

En France, la politique actuelle de lutte contre la drogue a été pour l’essentiel, fixée par la loi du 31 décembre 1970 du Code pénal et du Code de la Santé Publique.

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Cette loi punit aussi bien l’usage que le trafic de toute substance classée comme stupéfiant. La liste des produits stupéfiants visés par cette loi est établie par arrêté du Ministre de la Santé, sur proposition du Directeur Général de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé conformément à la réglementation internationale (Roques, 1998).

Pour résumer, au niveau international, sont décrites principalement deux positions de réglementation : la première interdisant toute drogue au sens large et punissant non seulement les dealers mais également les consommateurs et la seconde plus permissive laissant plus de liberté en ce qui concerne les drogues et décriminalisant les consommateurs ainsi que les dealers (Weinacht, 1999). Pourtant, c’est sans aucun doute l’inefficacité de ces solutions préconisées pour endiguer le phénomène de la drogue qui a contribué au moins en partie, à multiplier les prises de positions politiques face à ce problème (Slama, 2006). Après avoir défini brièvement les quatre concepts utilisés classiquement dans le cadre de la législation des drogues, nous verrons les cinq politiques possibles que Goode a recensées : les conservateurs culturels, les libéralistes du libre échange, les légalisationnistes progressistes, les prohibitionnistes progressistes et les constructionnistes radicaux (1998).

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Prohibition

A l’origine, le mot prohibition renvoie à une période de l’histoire des Etats-Unis qui s’étend de 1919 à 1933. Durant cet intervalle de temps, la vente, la fabrication ainsi que la consommation d’alcool ont été interdites dans le pays. Aujourd’hui, ce terme correspond à un principe d’interdiction ou de réglementation stricte qui peut être appliqué à tous types de produits. Concernant la drogue, cette politique de prohibition s’est mise en place via les diverses conventions internationales de l’ONU évoquées plus haut. Plusieurs organes internationaux tels que l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime ou l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants sont par ailleurs chargés de faire respecter l’application de ces textes (MacCoun, 1993).

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Aujourd’hui, à une application ferme et déterminée de la loi, s’ajoute une politique globale de prévention, de soins et de réduction des risques.

Dépénalisation

L’exemple le plus connu de dépénalisation en Europe est celui du cannabis aux Pays-Bas. Dans cet Etat, la réglementation a en effet décriminalisé l’usage simple et la possession de produit, tout en sanctionnant sa vente et sa production. Longtemps critiquée, car supposée aboutir à une augmentation significative de la consommation du produit dépénalisé (suite à sa banalisation), son application aux Pays-Bas depuis 1976 ne semble pas montré de hausse de la consommation hors de celle générée par le narcotourisme provenant des pays limitrophes. Pourtant, bien qu’elle respecte les conventions internationales de l’ONU, cette solution ne résout pas, selon ses opposants, les problèmes liés à la drogue. Il n’existe en effet aucun lien certain et fiable entre la fin de la prohibition et la fin des trafics. Pour preuve, le trafic de cigarettes est devenu au cours des dernières années une ressource financière majeure pour certaines organisations criminelles, alors que le tabac a un statut légal dans le monde entier (Berridge & Mars, 2004).

Légalisation

Cette solution n’est actuellement appliquée dans aucun pays. La légalisation viserait à autoriser la consommation et la vente via un contrôle par l’État de la production ainsi que de la distribution du produit. Les partisans de la légalisation avancent qu’elle permettrait la mise en place de taxes, de normes de qualité et d’une réglementation du produit en termes de limitation d’âge comme c’est par exemple le cas, en France, pour l’alcool et le tabac (Grossman, Chaloupka & Shim, 2002 ; Cheung, 2000). Toutefois, la légalisation est susceptible de se heurter à des stratégies d’adaptation des organisations criminelles qui pourraient favoriser malgré tout une reprise des trafics. Là encore, beaucoup soulignent le fait que les conséquences d’un abandon de la prohibition des drogues resteraient extrêmement incertaines et

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potentiellement néfastes pour la santé publique (Kilmer, Caulkins, Pacula, MacCoun & Reuter, 2010).

Libéralisation

La libéralisation est l’approche la plus libérale qui puisse être envisagée puisqu’elle consisterait à supprimer toutes les contraintes légales sur les produits en vertu des droits fondamentaux des individus. Plus qu’une simple décriminalisation, il s’agit de mettre fin à toute réglementation relative aux drogues et d’appliquer la politique du laissez-faire. Cette position en contradiction avec les conventions internationales de l’ONU n’est actuellement appliquée dans aucun pays et pour aucune substance.

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Les options politiques face aux drogues ont évolué avec le temps et sont encore aujourd’hui très différentes d’un Etat à un autre. Goode (1998) a tenté de faire un inventaire précis de ces diverses politiques en basant son analyse sur les origines philosophiques et idéologiques de chacune de ces positions. Selon Goode, « les principaux profils politiques relatifs à la légalisation des drogues peuvent être décrits comme suit : les conservateurs culturels, les libéralistes du libre échange, les légalisationnistes progressistes, les prohibitionnistes progressistes et les constructionnistes radicaux » (p.19). Nous allons décrire ici ces cinq positions qui correspondent aux possibilités politiques face aux drogues qui sont ou qui ont été appliquées dans le monde.