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en particulier les réserves successorales

B. Insertion systématique et champ d’application

Une législation sur la fiducie doit-elle figurer dans un code ou dans une loi spéciale? Cette question est liée à une autre: quel doit être le champ d’ap-plication de cette législation? Comme tout autre contrat du Code des obli-gations, cette fiducie renforcée est-elle accessible à tous les cocontractants qui ont l’exercice des droits civils? Ou doit-elle être limitée à certaines catégories de fiduciaires, comme par exemple certains intermédiaires fi-nanciers?

Cette deuxième option a été fréquemment choisie dans les pays de droit civil où la fiducie a été créée par une loi: c’est notamment le cas du Luxembourg, où la législation de 1983 permet aux seules banques d’inter-venir comme fiduciaires493, et du Liban, où la loi de 1996 limite les

opéra-492GUILLAUME (2000) pp. 34-35; THÉVENOZ & DUNAND (1998) p. 509.

493Règlement grand-ducal du 19 juillet 1983 cité supra note 468. Sans prohiber une fiducie qui échappe à son champ d’application ratione personae, la législation en voie de préparation qui est destinée à remplacer et à consolider le règlement grand-ducal ne pré-voit pas une extension de ce champ d’application.

tions fiduciaires aux banques, institutions financières et autres institutions homologuées par la Banque du Liban494. En Suisse, la même idée a été proposée par le professeur Giovanoli495.

Cependant, restreindre le champ d’application d’une codification de la fiducie aux seuls intermédiaires financiers (ou à certains d’entre eux) pose-rait plus de problèmes qu’il n’en résoudpose-rait.

D’une part, en raison de son histoire, la fiducie suisse est une réalité qui dépasse de beaucoup les opérations financières, même si celles-ci re-présentent une part prépondérante en fréquence et en valeur. La détention fiduciaire d’avoirs de clients est inhérente à certaines activités (avocats, notaires, agents d’affaires, gérances immobilières, etc.) sans faire nécessai-rement de ceux-ci des intermédiaires financiers. Des particuliers, des com-merçants ou des entrepreneurs entretiennent entre eux des rapports fidu-ciaires occasionnels. À supposer qu’une loi sur la fiducie limite son champ d’application, les relations fiduciaires qui lui échappent créeraient de nou-velles incertitudes jurisprudentielles. Quel serait le régime juridique des rapports fiduciaires hors du champ d’application de cette loi? Seraient-ils encore licites? Dans le cas contraire, seraient-ils purement et simplement nuls ou susceptibles d’être convertis en une autre qualification juridique ressortissant au droit commun?

Limiter le champ d’application d’une codification de la fiducie ac-tuelle créerait en fait, dans les rapports purement domestiques, des problè-mes tout à fait semblables à ceux que le Tribunal fédéral a mis en évidence et tenté de résoudre dans son arrêt Harrison496. Ce n’est pas une option praticable dans un système juridique où la fiducie existe déjà comme une institution jurisprudentielle dans le cadre des codes existants et où tout un chacun peut détenir des biens ou des droits à titre de fiduciaire. L’approche adoptée par le Luxembourg ou le Liban est possible dans un ordre juridique où la loi crée la fiducie; elle ne l’est pas dans un pays où la fiducie existe d’ores et déjà. Si l’une des motivations d’une codification suisse de la fiducie est de remédier au morcellement de la fiducie (régime commun, fonds de

494Loi n° 520 relative au développement du marché financier et des contrats fiduciaires du 6 juin 1996.

495GIOVANOLI (1994) pp. 214, 215 & 224.

496ATF 96 II 79, JdT 1971 I 329, cf. supra note 2.

placement, fiducie bancaire), cette codification doit être d’application gé-nérale, sous peine de créer un quatrième type de fiducie.

À l’évidence, suivant la nature et l’objet de l’opération, certains pres-tataires qui offrent leurs services à titre professionnel, et notamment cer-tains intermédiaires financiers, présentent des garanties accrues: solvabi-lité, audits, surveillance administrative, etc. Dans chaque catégorie d’ailleurs, la qualité et le sérieux de tous les prestataires de services ne sont pas iden-tiques et le client doit choisir. Dans la situation actuelle, où la qualité de fiduciaire n’est pas limitée à certaines professions, c’est une réalité du mar-ché qui ne semble pas poser de problème particulier. Il n’y a pas là de dysfonctionnement ou d’abus que le législateur devrait corriger autrement que par l’application des régimes administratifs gouvernant déjà certaines professions (banques, négociants, intermédiaires financiers soumis à la ré-glementation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent497, avocats, notaires, etc.)

On relèvera d’ailleurs que le fait de proposer à titre professionnel cer-tains services fiduciaires peut d’ores et déjà provoquer l’assujettissement à un régime d’autorisation et de surveillance. Celui qui “fait le commerce”

de services fiduciaires en matière de valeurs mobilières est un négociant au sens de la législation sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières:

il doit obtenir une autorisation, pour laquelle il doit satisfaire à des exigen-ces très onéreuses d’organisation, de fonds propres et de compétenexigen-ces498. Même lorsqu’elle porte sur d’autres “valeurs patrimoniales”, la prestation de services fiduciaires “à titre professionnel” entraîne l’assujettissement à la législation sur le blanchiment d’argent499.

En fait, grâce à la qualité des régimes de surveillance qui s’imposent au plus grand nombre de ceux qui pratiquent, aujourd’hui déjà, la fiducie à titre professionnel, il est inutile, et il serait onéreux et contre-productif, de créer une nouvelle catégorie de prestataires de services fiduciaires. Il n’y a pas de raison de priver la fiducie occasionnelle du bénéfice des

améliora-497Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent dans le secteur finan-cier du 10 octobre 1997 (RS 955.0).

498Circulaire 98/2 de la Commission fédérale des banques du 1er juillet 1998 (cf.

www.ebk.admin.ch), aux ch. 50 & 51; cf. J.B. ZUFFEREY, A. BIZZOZERO & L. PIAGET, Qui est négociant en valeurs mobilières?, Lausanne (AMC) 1997, pp. 44-45.

499Cf. supra note 497.

tions qu’il convient d’apporter au régime jurisprudentielle qui lui est aujourd’hui applicable. La prévention des abus par la réglementation des intermédiaires financiers, des autres professionnels dont l’activité exige la détention d’avoirs de clients et notre législation sur le blanchiment d’ar-gent est d’ores et déjà en place et offre les garanties qu’une codification sur la fiducie, qui ressortit au droit privé, ne peut pas réaliser.