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Conclusion: délimitation entre la loi du trust et la lex rei sitae De cette comparaison esquissée à grands traits, il ressort que,

en particulier les réserves successorales

A. Position de l’acquéreur d’un (droit sur un) bien du trusttrust

4. Conclusion: délimitation entre la loi du trust et la lex rei sitae De cette comparaison esquissée à grands traits, il ressort que,

contraire-ment aux apparences, le droit suisse donne des solutions largecontraire-ment sembla-bles à l’equity dans le régime des aliénations faites par un propriétaire dont le pouvoir de disposer est limité.

La principale différence tient au traitement de l’acquéreur qui, en dépit de sa bonne foi, n’est pas protégé dans son acquisition335. Les principes de l’equitable tracing l’obligent à restituer la chose elle-même, les revenus perçus et le produit de réalisation ou les remplois (pour autant que ces

va-331Eagle Trust v. SBC Securities, [1992] 4 All ER 488 (p. 509 j); Re Montagu’s Settlement Trust, [1987] 1 Ch 264, [1992] 4 All ER 308 (pp. 324 ss, not. 330c).

332Art. 940 CC: “1 Le possesseur de mauvaise foi doit restituer la chose et indemniser l’ayant droit de tout le dommage résultant de l’indue détention, ainsi que des fruits qu’il a perçus ou négligé de percevoir. 2 Il n’a de créance en raison de ses impenses que si l’ayant droit eût été dans la nécessité de les faire lui-même. 3 Il ne répond que du dommage causé par sa faute, aussi longtemps qu’il ignore à qui la chose doit être restituée.”

333ATF 120 II 191 c. 4c.

334La jurisprudence tend à appliquer l’art. 940 CC à l’aliénation du possesseur de mau-vaise foi, cf. ATF 84 II 253; ATF 121 III 71 c. 3b, JdT 1995 I 576, 578; Handelsgericht SG, RSJ 1985 167. Comme l’art. 938 (supra VIII.A.2 et note 323), l’art. 940 CC concerne le dommage causé par l’indue détention, mais non par un acte de disposition. Là aussi, il convient de préférer les règles générales (art. 62 ss et 423 CO), qui aboutissent cependant à un résultat similaire.

335En droit suisse comme en droit des trusts, il s’agit presque toujours d’un acquéreur à titre gratuit, cf. supra VIII.A.1.

leurs n’aient pas été dissipées dans l’ignorance non fautive de l’obligation de restituer). Le droit suisse fait de même, sauf pour les revenus perçus de bonne foi, même s’ils n’ont pas été consommés336.

La différence paraît mince et ne paraît toucher aucun principe essentiel de notre ordre juridique. Est-ce à dire que, au-delà de la “revendication” du bien lui-même, visée par le texte de l’article 11 al. 3 lit. d de la Conven-tion337, il serait opportun que le juge suisse mette en œuvre les règles sur le tracing de la loi applicable au trust pour déterminer l’étendue de cette res-titution quant aux fruits, aux profits, aux remplois? On doit sérieusement en douter. À la différence de nos quelques dispositions du Code civil et du Code des obligations, certes parfois un peu schématiques, les règles sur le tracing sont d’une extraordinaire complexité. Il suffit de lire les chapitres que leur consacrent les bons traités pour s’en convaincre. Pour un juriste qui n’a pas été formé dans les arcanes de l’equity, le défi serait redoutable et compromettrait une application efficace et prévisible de ces règles par nos tribunaux.

Il faut aussi relever que la jurisprudence suisse relative à la mauvaise foi du possesseur sans droit ne coïncide pas nécessairement avec la casuis-tique anglaise ou américaine, abondante, complexe et parfois contradic-toire, que l’on a brièvement évoquée plus haut. À nouveau, l’application par un juge suisse des critères dégagés par des arrêts nombreux et comple-xes ne serait pas de nature à garantir une issue rapide et prévisible aux litiges.

Ainsi, dans la recherche de la ligne de partage entre le domaine d’ap-plication de la loi du trust et celui de la loi applicable aux droits réels et à la possession, il convient d’interpréter la Convention dans le souci d’assurer une solution rationnelle et raisonnablement prévisible des litiges. Le cons-tat déjà énoncé que les principes du droit suisse en la matière et ceux de l’equity sont remarquablement proches garantit que les solutions ne paraî-tront choquantes ni aux uns ni aux autres. Cette ligne de partage me paraît devoir être ainsi tracée:

336Art. 938 al. 1 CC, cité supra note 320.

337Selon son texte, l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention implique de permettre “la revendication des biens du trust” (en anglais: “that the trust assets may be recovered”) lorsque la loi applicable au trust le permet, mais ne se prononce pas sur les revenus de ces biens, leur produit de réalisation, leurs remplois, etc. La Convention est ici lacunaire et ouvre aux États contractants la marge de manœuvre que l’on discute ici.

– L’article 11 al. 3 lit. d, 1ère phrase, de la Convention statue que la re-vendication des biens du trust dont le trustee a disposé en violation de ses obligations sera reconnue dans la mesure où la loi applicable au trust le requiert. C’est donc la loi du trust qui détermine si le trustee qui agit in breach of trust transfère au tiers un bien (ou un droit sur ce bien, e.g. un gage) libre du trust qui grevait ce bien. En particulier, la loi applicable au trust règle:

la protection du bona fide purchaser for value without notice; dans l’appréciation des circonstances qui peuvent faire conclure à une igno-rance fautive (constructive notice), il convient de prendre en considé-ration la perspective de l’acquéreur qui, dans un pays de tradition civiliste, n’est pas forcément familier du trust et des restrictions qui limitent le pouvoir de disposer d’un trustee;

– l’existence d’un droit de suite sur le bien lui-même, c’est-à-dire le droit d’exiger du premier acquéreur ou de tout acquéreur subséquent la res-titution de ce bien, la qualité pour exercer ce droit ainsi que les condi-tions auxquelles le prix de son acquisition doit être restitué à l’acqué-reur tenu à restitution;

– l’extinction du droit de suite par l’effet de l’écoulement du temps ou par le consentement des bénéficiaires (statute of limitation, laches, estoppel)338 ou par l’effet du comportement du défendeur (change of position, dissipation). Les règles sur la prescription acquisitive du droit suisse339 sont cependant des dispositions auxquelles il ne peut être dé-rogé par une manifestation de volonté et qui concernent le transfert de la propriété et la protection des tiers de bonne foi. Conformément à l’article 15 al. 1 lit. d & f de la Convention, elles l’emportent sur les règles moins favorables de la loi applicable au trust en matière de pres-cription.

– Les conditions et l’étendue de la restitution en ce qui concerne les revenus du bien en question, son produit de réalisation, les biens ac-quis en remploi, le remboursement des impenses faites par le posses-seur et son éventuelle responsabilité pour les dommages causés au bien ne sont visés ni par la première ni par la seconde phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention. L’application de la loi qui régit l’acte de disposition (transfert de la propriété d’une chose, création d’un droit réel limité, transfert ou création d’un autre droit) à ces questions ga-rantit que, de bonne ou de mauvaise foi, l’acquéreur d’un bien du trust

338Cf. BOGERT (1987) §§ 169-170.

339Art. 661 ss (immeubles) et 728 CC (choses mobilières).

est soumis au régime applicable à toute acquisition irrégulière. Lors-que, comme c’est souvent le cas, la lex rei sitae est celle du for, son application garantit en outre un traitement judiciaire plus efficace et prévisible. Ainsi, lorsque le droit suisse est applicable à titre de lex rei sitae340, l’étendue de la restitution due par l’acquéreur non protégé et son éventuelle responsabilité envers les bénéficiaires devrait relever des règles applicables au possesseur sans droit, et non de la loi applica-ble au trust.

Parce qu’elle repose sur une interprétation du texte de la Convention con-forme aux intentions de ses rédacteurs, la ligne de démarcation que l’on vient de tracer peut être mise en œuvre par les tribunaux suisses sans inter-vention du législateur. Il faut cependant reconnaître que le raisonnement est ici particulièrement complexe parce que, dans le cadre d’une démarche de droit international privé, il confronte le droit des biens de deux systèmes juridiques et de deux grandes familles (ordres juridiques d’origine romano-germanique et common law) qui reposent sur des principes complètement opposés. Il pourrait donc être opportun de faciliter la tâche de la jurispru-dence en adoptant une disposition qui précise les règles de rattachement sur un point où la Convention est lacunaire. Cette disposition pourrait avoir la teneur suivante:

1 Dans les cas visés par l’article 11, al. 3, lit. d de la convention, le droit désigné par le chapitre II de la convention détermine les conditions aux-quelles l’acquéreur est tenu de restituer un bien du trust ou de renoncer au droit constitué sur un tel bien par le trustee en violation des obliga-tions résultant du trust. Ce droit règle en outre le remboursement d’une éventuelle contre-prestation fournie par l’acquéreur.

2 Le droit désigné par [la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987] détermine l’objet et l’étendue de la restitution en tant qu’elle porte sur les fruits et revenus de la chose, son produit de réalisation, ses remplois ou sa valeur. Ce droit régit également les in-demnités relatives à l’usage et à la jouissance ainsi que le rembourse-ment des impenses.

340Art. 99 à 107 LDIP.