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faut considérer le facteur exponentiel qu’est le partage et surmonter la peur de l’inconnu» ajoute- t-il (LPE b, 2019. Annexe 2). La mutualisation des données, pratiquée par le secteur de la santé depuis de nombreuses années, peine à être mise en place dans le secteur industriel. Les entre- prises, bercées par une culture de la privatisation et habituées à courir après des brevets pour privatiser l’information par la propriété intellectuelle, se sentent désemparées face à la question du partage d’informations. Frileuses par crainte de se faire déposséder ou par sentiment d’insé- curité, les entreprises tardent à se lancer. Une prise de conscience sur l’ampleur du manque à ga- gner serait nécessaire. En effet, l’open data et par ricochet l’open innovation (innovation ouverte), démultiplient les sources de connaissance (figure II.10, p. 55). L’usine considérée fait appel à des acteurs externes à cette dernière d’une part pour accéder à d’avantage de données et d’autre part pour partager connaissances et expériences. Cette démarche est bien évidemment réci- proque au sens où les acteurs externes mobilisés gagnent eux aussi en connaissance. «En s’ou- vrant à des acteurs d’horizons divers, l’entreprise recherche l’interdisciplinarité, facteur essentiel de la découverte fortuite, ce qu’on appelle aujourd’hui la sérendipité» (Mathis Bruno, 2016). La démarche impose néanmoins un peu de patience et l’acceptation de ne pas savoir où un projet va mener. Le processus peut d’ailleurs autant servir le marché cible qu’un marché voisin ou la création d’un nouveau marché (figure II.10, p. 55). «Levier de l’innovation ouverte, le partage des données est destiné à mobiliser l’intelligence et surtout la créativité collective» (Allard Sylvain). Toutefois, si ce partage de données est effectivement porteur de valeur ajoutée, il vul- nérabilise l’usine en ce sens qu’il la connecte avec le monde et l’expose à d’éventuelles cyber-at- taques. Plus les systèmes de productions se complexifient, plus ils abritent de failles à explorer pour les hackers. Une attaque peut avoir des conséquences physiques, environnementales et/ou financières désastreuses. Il est donc essentiel de mettre en place un système de cyber-sécurité et de le faire évoluer à chaque étape de la transformation de l’usine.

L’usine réseau, entre mythe et réalité

Outre le cadre de la dynamique d’innovation, la logique d’entreprise-réseau tend également à être intégrée au processus même de production. L’entreprise aspire à optimiser les relations dans et à l’extérieur de l’usine. En interne, la bascule vers le management transversal couplée à l’adoption d’outils numériques tels que le MES* (Manufacturing Execution System) ou l’ERP** (Entreprise Ressource Planning) initient une démarche collaborative. Tandis que l’ERP gère les données liées aux achats, ventes, finances, ... de l’usine, le MES traite celles liées au bon déroulement du pro- cessus de production (figure II.11, p. 56). «Complémentaires dans l’échange, l’exploitation et la consolidation des données de production de l’entreprise» (Astree-software, 2018), le MES et l’ERP contribuent à une vision globale de cette dernière et facilitent la collaboration interne entre les différents services.

*MES (Manufacturing Execution system) : système d’exécution, de gestion et de suivi de production permettant la collecte en temps réel des données de produc- tion ainsi que la réalisation d’un certain nombre d’analyses. Le MES gère des données de l’ordre de la miliseconde ou seconde.

**ERP (Entreprise Ressource Planning) : système d’information permettant de gérer l’entreprise dans sa globalité (achats, ventes, finances, stocks, planification de la production). Il s’agit d’un outil organisationnel.

Achats Ventes Finances, contrôle de gestion Ressources humaines

ERP

Production temps réel Arrêts et pannes TRS / TRG Qualité, SPC Traçabilité Support démarches amélioration continue OF, Références Quatitiés, matières Planning Stock et flux Instructions de travail Maintenance Qualité

MES

57 MÉTAMORPHOSE DES SYSTÈMES PRODUCTIFS

Plus largement l’entreprise s’étend hors de ses murs. Pour gagner en agilité elle travaille en ré- seau avec ses fournisseurs et ses clients. Gestion des stocks, des flux matières et des achats, tout est modernisé et digitalisé de sorte à optimiser l’approvisionnement et la distribution (figure II.12, p. 57). Par ailleurs, « l’accélération des cycles de production et la complexification des processus obligent les acteurs à assurer toujours plus de fonctions et donc à initier plus d’ex- ternalisation et de collaborations » soulignent Romain Albert et Baptiste Baurens (LPE a, 2019. Annexe 1). Relevant «d’une rationalisation de production, plus que d’une logique de partenariat» révèle Anaïs Voy-Gillis (LPE a, 2019. Annexe 1), l’intégration horizontale porte néanmoins l’espoir d’une collaboration inter-entreprises. Michaël Valentin y croit dur comme fer : «Les notions de frugalité, d’agilité et de création de valeur collaborative deviennent très présentes, ainsi que les relations avec l’écosystème» (LPE d, 2019. Annexe 4). Il identifie la «crossintegration» comme l’un des sept grands principes du Teslisme. Cela consiste pour une entreprise à «condenser la chaine de valeur, décloisonner les métiers et mieux se connecter avec l’écosystème» (Valentin Michaël, 2018). A l’image de Daimler et BMW, deux constructeurs automobiles fraîchement engagés dans un partenariat pour le développement de plateformes pour véhicules électriques, Michaël Valen- tin imagine un futur dans lequel les entreprises s’affranchiraient de leur rivalité concurrentielle ou économique pour mettre à l’œuvre de bonne pratiques telles que la mutualisation d’espace, d’équipement, de main d’œuvre... Dans cette même idée, Airbus qui pourtant «a longtemps été un acheteur dur en affaires avec ses sous-traitants», a appris «à accompagner son environnement industriel, en incitant les PME au regroupement lorsqu’elles étaient trop petites, ou en introdui- sant de nouvelles méthodes de travail coopératives» (Charlet Vincent, Dehnert Stefan, Germain Thierry. (dir.), 2017). Associé à Dassault Aviation, EADS, Safran et Thales, Airbus à créé en 2011

figure II.12 : Horizontal Integration, Industry 4.0, Architecture, Structure, DIagram. [https://www.kisspng.com/png-horizontal-integra- tion-industry-4-0-architecture-v-5850882/preview.html]

la coentreprise BoostAeroSpace, facilitant «la connexion des fournisseurs et des sous-traitants à leurs clients» par la mise à disposition «d’un portail unique» explique Laurent Martin-Rohmer, responsable d’AirSupply chez SupplyOn (Protais Marine, 2016). Cette plateforme collaborative de l’industrie aéronautique réunit des centaines de fournisseurs et simplifie considérablement les échanges. Toutefois «Les fournisseurs - partenaires qui peuvent modifier leur solution chez leurs commanditaires et qui font partie de l’ « entreprise élargie », relèvent encore de l’exception. Pour l’heure, l’intégration est très faible et se restreint aux grandes filières comme l’aéronautique ou l’automobile» rappelle Mathieu Cura (LPE a, 2019. Annexe 1). En effet, le tissu PME pour sa majeure partie reste sceptique quant à la nécessité et les profits de ce type de relations collabo- ratives. Moins engageants, mais tout de même encourageants et propices à l’amélioration des relations au sein de l’écosystème industriel, des groupes de bonnes pratiques formels comme informels se créent pour permettre aux petites et moyennes entreprises qui n’ont pas les moyens de se payer des cabinets de conseils, d’échanger connaissances et expériences. Mathieu Cura relate son expérience vécue en Picardie lorsqu’il faisait partie de l’ARIA, Association Régionale In- ter-Assistant(e)s : «On organisait des échanges très réguliers sur des points très techniques entre dirigeants et ingénieurs pour mettre en commun des connaissances et des pratiques. Cela nous permettait également de nous assurer que la formation était en adéquation avec les besoins» (LPE a, 2019. Annexe 1). Des démarches communes permettent à ces activités industrielles de plus petite taille de s’offrir l’intervention d’un consultant et rendent accessible les pratiques et ou- tils essentiels à leur compétitivité. Mais pour cela encore faut-il que les dirigeants soient ouverts à ces pratiques. « Bien souvent les ouvriers de la maintenance se connaissent, s’entraident et peuvent même s’échanger du matériel en dépannage. Mais les dirigeants n’osent pas initier de vrais liens» indiquent Anaïs Voy - Gillis et Mathieu Cura (LPE a, 2019. Annexe 1). Sans avoir l’aval de leurs supérieurs, des opérateurs échangent des problèmes rencontrés sur le terrain avec leurs homologues concurrents. Ces initiatives rarement tolérées par les dirigeants trop conservateurs dans leur manière de penser, révèlent malgré tout une forme de solidarité très intéressante et efficace.

Dans l’optique de faciliter et encourager les dynamiques collaboratives, des initiatives mêlant acteurs privés et publics voient le jour. C’est le cas par exemple de La Ruche Industrielle, une association lyonnaise qui entend enclencher une collaboration durable entre les entreprises du territoire en leur offrant un terrain de jeu dédié à l’innovation ouverte. Ces actions locales sont essentielles au développement de nouvelles formes de productions industrielles. Par ailleurs le territoire joue un rôle capital en ce sens qu’il dispose d’importants leviers d’actions agissant sur les conditions nécessaires à ce développement.