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CHAPITRE 2 DÉVELOPPEMENT DE L’HABILETÉ D’INTERCEPTION

3- Inhibition et développement

Diamond (1991 in Houdé, 1994), argumente le défaut spécifique d’inhibition au niveau de la programmation motrice. L’erreur serait due non plus à l’irrationalité mais à l'inefficacité de l'inhibition : L’enfant est considéré comme un " inhibiteur inefficient ". Cette défectuosité est due au développement insuffisant du cortex préfontal qui aboutirait à un défaut d’inhibition d’une tendance motrice dominante (ici le geste appris vers A) (Diamond, 1991 in Houdé, 1994). Les données de Bell et Fox (1992 in Houdé, 1994) confirment l’existence de ce lien entre l’erreur " A non-B " et le système frontal. De plus, ces auteurs considèrent que la réussite de la situation " AA→B " nécessite l’inhibition du premier geste programmé, coordonnée avec une capacité de mémorisation et de résistance à la distraction durant le délai de réponse. Les savoirs relatifs au statut de contenant de l’objet et à la non ubiquité des objets familiers seraient intégrés dans les structures de mémorisation d’expériences passées. Ces savoirs non inhibés en mémoire de travail, court-circuiteraient le traitement pertinent des informations spatio-temporelles (chez les enfants de huit-douze mois). L’erreur " A non-B " se voit expliquée par un défaut d’inhibition motrice causée par un défaut d’inhibition " conceptuelle ", sans que la permanence de l’objet soit remise en cause (Houdé, 1994).

a- Mise en évidence de l'inhibition

Les perturbations frontales sont révélées par une défaillance à inhiber les réponses et des troubles du comportement. L'utilisation excessive des caractéristiques environnementales, une tendance à être impulsif et un désintérêt pour la performance incorrecte reflètent également les disfonctionnement du cortex frontal (Passler, Isaac & Hynd, 1985). Le cortex préfrontal assure la mise en relation des informations dans l'espace et dans le temps et inhibe les tendances dominantes à l'action. Sa fonction est d'assurer la construction de projets comportementaux dans les situations inhabituelles ou " pièges " (Houdé, 1994) et de sélectionner des schèmes appropriés tout en déterminant et en tenant compte des erreurs susceptibles d'intervenir dans la réalisation du projet. La mise en évidence de l’importance du cortex frontal dans les processus d'inhibition du comportement est basée en partie sur les tâches d'appariement retardé, telles que le paradigme Go/No-Go. Dans ce type de tâche une réponse est associée à un stimulus. Par exemple il est, tout d'abord, indiqué au sujet (avec un voyant spécial) la couleur ou le motif qui apparaîtra sur la bonne cible au moment de la réponse. Cet " échantillon " contient la seule information utile puisque la position finale est aléatoirement variée, d'essai en essai. Ces règles permettent de concevoir une épreuve purement temporelle en demandant sujet de répondre rapidement ou lentement, en fonction de l'indice précoce (Lecas, 1992). Il y a présentation du stimulus puis celui-ci est masqué pendant un temps déterminé, la réponse n'est donnée qu'après cette période. Les sujets répondent d'autant plus systématiquement à tous les signaux présentés qu'ils sont jeunes. Avec l'âge, le délai d'attente avant de répondre n'interfère plus avec la réponse correspondant au signal présenté (réponse ou non-réponse) et le sujet répond de manière appropriée.

Luria (1966 in Passler et coll., 1985) a montré que de la lésion du cortex frontal résultait la persévération et un manque d'inhibition. La mise en évidence de la persévération de comportements et du manque d'inhibition est réalisée par la passation de tests spécifiques tels que le tri de cartes dans le Wisconsin Card Sorting Test (Heaton, Chelune, Talley, Kay & Curtin, 1993) ou le Trail Making Test de Reitan (1958). Ces deux tests nécessitent l'inhibition de comportements de routine par l'introduction de liaisons qui changent les routines acquises. Le Wisconsin Card Sorting Test est constitué de 4 cartes stimulus et 128 cartes réponses (2 x 64 cartes) qui dépeignent des figures de formes variables (triangle, étoiles, croix ou cercles), couleurs variables (rouge, verte, jaune ou bleue) et de nombre de figures variables (1, 2, 3 ou 4). Les 4 cartes stimulus avec les caractéristiques suivantes sont placées devant le sujet de gauche à droite : 1 triangle rouge, 2 étoiles vertes, 3 croix jaunes et 4 cercles bleus. Chaque carte réponse peut-être associée à une carte stimulus et une seule ou une combinaison des

trois paramètres stimulus (Couleur, Forme ou Nombre). Le sujet, avec le jeu de 64 cartes réponses, est invité à associer chaque carte consécutive avec l’une des 4 cartes stimulus à laquelle il pense qu’elle est bien assortie. Il est dit au sujet seulement si la réponse est bonne ou non, mais le principe correct d’association n’est jamais révélé. Une fois que le sujet a réalisé un nombre spécifié (10) d’associations correctes, le principe est changé (Forme ou Nombre) sans avertissement, poussant le sujet à inhiber la tendance à persévérer avec " l'ancien " principe et à utiliser les feed-back de l’examinateur (" Oui " ou " Non ") pour déterminer le nouveau principe correct sortant. L'enfant persévère dans un principe d'association d'autant plus longtemps qu'il est jeune. Dans le Trail Making Test, il s'agit de tracer un trait continu sur une feuille de papier entre une suite numérique allant de 1 à 8 et une suite alphabétique allant de A à D, soit " 1-A-2-B-3-C-4-D ". Cette tâche nécessite l'inhibition des suites habituelles de la suite numérique et de l'alphabet. Dans la situation contrôle (renforcement de la suite logique numérique), les sujets doivent relier les huit chiffres distribués aléatoirement sur la feuille, 1 et 8 étant respectivement notés " début " et " fin ". La variable mesurée est le temps d’exécution. Le sujet met davantage de temps pour relier, de manière alternative la suite de chiffre et la suite de lettre, que pour relier la suite numérique. Il met d'autant plus de temps qu'il est jeune.

b- Différents types d'inhibition

Luria (1966 in Passler et coll., 1985) a identifié plusieurs formes d'inhibition : la capacité à arrêter un comportement répétitif en cours, l'incapacité à commencer un nouveau patron de comportement qui est inconsistant avec une réponse stéréotypée sur-apprise et l'inhabileté à planifier, diriger et conduire un traitement cognitif. Luria a aussi identifié une inhibition attentionnelle. Elle propose que l'inhibition soit une construction générale qui affecte beaucoup d'aspects du comportement. Dans une revue de questions, Dempster (1995) a proposé trois types d'inhibition : motrice, perceptive et linguistique. Harnishfeger (1995), quant à lui, définit l'inhibition comme une suppression cognitive de base qui contribue à la réalisation des tâches en empêchant les informations des tâches non-pertinentes d'entrer ou d'être maintenues dans la mémoire de travail. L'efficience du traitement est conceptualisée comme la vitesse d'activation alors que l'inhibition peut-être conceptualisée comme un processus qui bloque la propagation de l'activation, en gardant l'attention vivement focalisée sur la tâche actuelle (sous la main). Elle est considérée comme, la capacité à inhiber une réponse immédiate (c’est-à-dire l’impulsivité), la capacité à attendre un objet désiré ou un but, à inhiber un mouvement en réponse aux demandes de la tâche (Visser, Das-Smaal &

Kwakman, 1996). Harnishfeger et Bjorklund, (1993 in Harnishfeger, 1995), à partir d'une variété de paradigmes expérimentaux, ont démontré que l'efficience inhibitoire se développe avec l'âge et qu'elle affecte le comportement. Par exemple, le contrôle inhibitoire est impliqué dans la permanence de l'objet chez les enfants, dans le contrôle verbal du comportement chez les tout petits enfants, dans le contrôle moteur et dans la mémoire ainsi que dans le traitement attentionnel des enfants. L'inhibition comportementale implique le contrôle intentionnel du comportement ouvert, non déguisé, par exemple, résister à une tentation ou accepter un délai à la gratification (Mischel, Shoda & Rodrigez, 1989), l'inhibition motrice et le contrôle impulsif (Luria, 1961 in Passler et coll., 1985). L'utilisation de l'inhibition cognitive, par les enfants, permet une meilleure inhibition motrice et facilite l'inhibition comportementale (Maccoby et coll., 1965). Si l'inhibition est un processus de suppression des schèmes non pertinents pour la tâche en cours, elle pourrait jouer un rôle dans le niveau de coordination dans une tâche motrice. L'amélioration du niveau de coordination dans une habileté motrice pourrait résulter de l'inhibition des organisations motrices antérieures ou des organisations motrices non pertinentes au moment de la réalisation de la tâche.

Les situations motrices complexes sont rarement étudiées. La tendance à contrôler l’impulsivité ou non lors de la réalisation d'une tâche de renvoi de balle avec raquette a une influence sur la performance (Keller & Ripoll, 2001, 2004). Suite à un travail prospectif, Keller et Rosey (2000) ont trouvé un lien entre cette tendance à contrôler ou non l'impulsivité et le processus d'activation-inhibition dans l'évolution du niveau de coordination dans les habiletés motrices telles le cloche-pied, l'équilibre et le lancer à bras cassé. L'évolution de ce travail a été de s'orienter vers les fonctions exécutives d'activation-inhibition qui pourraient être un des facteurs à l'origine de l'apparition de structures motrices.

Dans la perspective dynamique de la coordination, l'émergence d'un comportement n'est pas due à une inhibition cognitive de schèmes non pertinents mais à l'intégration dynamique des composants multiples des systèmes qui peuvent soit coopérer, soit être en compétition (Thelen, 1986, 1995, 2000). Cette intégration est conçue en termes de génération et " annihilation " par Newell, Kugler, Van Emmerik et McDonald (1989). La persévération d'un comportement, comme celui observé dans le cas de l'erreur " A non-B ", est alors expliquée par le fait que ce comportement persévérant devient un comportement robuste, un mouvement d'atteinte, en même temps que celui-ci devient plus régulier, direct et fiable, en fait, habile (Thelen, 2000).

Le mouvement émerge, donc, à partir d'une influence de processus et de contraintes dans l'organisme et l'environnement (Thelen, 1995). Le comportement qui survient à un

certain moment est le résultat des relations des systèmes dynamiques. Les composants de ces systèmes peuvent être en compétition, inhiber ou faciliter un autre composant avec des implications pour la performance motrice. Une tâche peut être réalisée par une multitude de comportements qui dépendent du contexte (tâche à réaliser, contraintes physiques et support de l'environnement) et de l'état de maturation du système (Thelen, 1986).