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CHAPITRE 3 –EXPÉRIMENTATIONS

II- EXPÉRIENCE 1 : ÉTUDE TRANSVERSALE, DE L’EFFET D'INTERFÉRENCE

A- Introduction

Les enfants, au cours de leur développement, montrent des périodes où il peut y avoir la disparition d'une habileté, précédemment réalisée, pour la voir réapparaître dans un autre contexte ou plus tard. Ce phénomène peut refléter les réaménagements et les modifications d'habiletés anciennement acquises ou la compétition/interaction entre les anciennes habiletés et les nouvelles qui sont en cours de développement. L'enfant dispose de plusieurs programmes activés en même temps, pour un même geste qui interférent les uns avec les autres. Une tâche est considérée comme perturbante (ou facilitante) lorsqu'elle fait émerger (ou non) les schèmes qui interfèrent avec la tâche à réaliser (Pascual-Leone, 2000). L'interférence réfère à la cause directe de la dégradation, à savoir, le matériel interpolé (tâche non-pertinente). L'interférence c'est la compétition cognitive locale entre les multiples schèmes, laquelle peut empêcher l'accès aux arrangements de schèmes moins fortement activés (Harnishfeger, 1995). Les études de Kagan et coll. (1964), sur la résolution de problèmes, ont amené ces auteurs à définir le mode de traitement de l'information en deux types d'attitude : l'impulsif et le réfléchi. Ces auteurs y incluent la capacité à inhiber une réponse immédiate à réaliser un but ou à respecter une demande. Les sujets réfléchis ont la capacité d'inhiber leur première réponse, de la réévaluer puis de recommencer cette procédure avant de répondre. Maccoby et coll. (1965) incluent, dans ces deux attitudes, la capacité à inhiber les mouvements moteurs en réponse aux demandes de la situation : L'inhibition est spécifique aussi bien à la durée qu'à la situation. L'inhibition est définie comme une suppression cognitive de base, qui contribue à la réalisation des tâches en empêchant les informations des tâches non pertinentes d'entrer ou d'être maintenues dans la mémoire de travail. L'inhibition peut-être conceptualisée comme un processus qui bloque la propagation de l'activation, en gardant l'attention vivement focalisée sur la tâche actuelle. Avec la notion d'inhibition, l'erreur ne serait plus due à un défaut du programme mais à une incapacité à inhiber des structures concurrentes c'est-à-dire à un défaut d'inhibition. Les recherches de ces auteurs ont été, pour nous, le point de départ d’un travail prospectif sur l'établissement d'une relation, en premier lieu, entre le style cognitif impulsif-réfléchi et le niveau d’inhibition, puis de l'établissement d'une correspondance entre le développement des niveaux de coordination et la relation précédente, ceci chez les enfants de 3 à 5 ans. Il est ressorti de ce travail tout d'abord, que le processus d’activation-inhibition semble participer au style cognitif impulsif-

réfléchi et qu'il est le plus signifiant dans le niveau des habiletés motrices (Keller & Rosey, 2000). Ce lien entre le style cognitif des enfants et le niveau de réponse motrice a été confirmé dans une expérience de Keller et Ripoll (2001) de renvoi balle avec une raquette de mini-tennis chez des enfants de 5, 7 et 9 ans. Les enfants, déterminés réfléchis au Matching Familiar Figures Test de Kagan, sont les meilleurs dans la tâche motrice de renvoi de balle avec raquette. Ces résultats nous ont amené à déterminer si les fonctions exécutives d'activation-inhibition pouvaient être un des facteurs à l'origine de l'apparition de structures motrices. Le développement des habiletés motrices serait considéré comme la conséquence de l'inhibition de schèmes non pertinents. L'inhibition est utilisée pour référer à la dégradation observée dans la rétention d'un matériel original. L'interférence dégrade la performance par la mise en place de stimuli distrayant (Dempster, 1995). De plus, au niveau développemental, la réalisation de rotation dans le renvoi de balle avec raquette est le reflet d'un niveau de coordination supérieur à une frappe réalisée sans rotation. C'est pourquoi, afin de tester notre hypothèse que l'apparition des comportements habiles serait la conséquence de l'inhibition de schèmes non pertinents, nous avons étudié le niveau de coordination, pour cinq catégories d'âges (6, 7, 8, 9 et 10 ans) à travers la mise en place d'une tâche d'interférence de renvois de balle avec une raquette de mini-tennis. Le niveau de rotation des enfants lors des renvois de balle après la passation de la tâche d'interférence devrait être inférieur à celui lors de la situation pré-test. De plus, les processus inhibiteurs devenant plus efficients avec l'âge (Bjorklund & Harnishfeger, 1990) cette régression devrait être d'autant plus importante que l'enfant est jeune.

B- Méthode 1- Participants

145 enfants d’une école élémentaire de la région parisienne ont participé à l'expérimentation. L'expérience a eu lieu sous le préau de l'école des enfants. Il y avait un groupe de 29 enfants de 6 ans (16 garçons, M = 5,10 ans ± 8 mois et 13 filles, M = 5,9 ans, ± 7 mois), un groupe 36 enfants de 7 ans (16 garçons, M = 7 ans, ± 3 mois et 20 filles, M = 7 ans, ± 3 mois), un groupe 24 enfants de 8 ans (10 garçons, M = 8,2 ans, ± 5 mois et 14 filles, M = 8 ans, ± 3 mois), un groupe de 25 enfants de 9 ans (12 garçons, M = 9,3 ans, ± 2 mois et 13 filles, M = 9,2 ans, ± 4 mois) et un groupe 31 enfants de 10 ans (20 garçons, M = 10,3 ans, ± 5 mois et 11 filles, M = 10,6 ans, ± 2 mois).

Les enfants qui pratiquaient le tennis ou tennis de table plus deux fois par semaine et depuis plus de deux ans n'ont pas été retenus pour les analyses.

2- Matériel expérimental

Un ballon de basket (taille 5) a été lancé, à 1 m, sur la droite et sur la gauche de l'enfant. L'expérimentateur se trouvait à 5 m en face de l’enfant. La trajectoire du ballon n'a pas été cachée, permettant à l’enfant de lire la trajectoire (figure 15).

Une balle de tennis a été lancée à la droite du sujet, à 1 m, pour que l'enfant réalise un coup droit après le rebond de la balle. L'expérimentateur est placé de la même manière que dans la situation avec le ballon (figure 15).

Trajectoire Balles

Figure 15. Vue de dessus du dispositif expérimental dans la tâche avec le ballon de basket et dans la tâche avec la raquette.

3- Procédure

La tâche expérimentale se déroule en 3 étapes (toutes les étapes sont filmées, seules les étapes 2 et 3 seront utilisées).

a- 1ère étape

Il s’agit pour l'enfant de rattraper un ballon de basket (taille 5) à deux mains après un rebond. L’examinateur lance le ballon sur la droite (x 10) et sur la gauche (x 10) de l’enfant, afin de déterminer si l’enfant possède le schème moteur de se tourner pour récupérer le ballon qui vient sur sa droite ou sa gauche. Si l'enfant manifeste le schème moteur de rotation alors il effectuera la deuxième étape.

b- 2ème étape

L'enfant doit renvoyer une balle de tennis, en direction de l'examinateur, avec une raquette de mini-tennis. L'examinateur lance une balle de tennis sur la droite (x 10) de l'enfant. Cette étape permet de déterminer si l'enfant montre toujours le schème moteur de rotation lors de renvois de balle avec la raquette de mini-tennis.

c- 3ème étape –tâche d'interférence

Si l'enfant montre toujours le schème moteur de rotation pour renvoyer la balle alors l'examinateur " active " le renvoi de balle de face (amorçage négatif) avec dix lancers de balle droit sur l’enfant qui doit renvoyer sans rebond (de volée) ou avec un rebond.

Les lancers de face se sont déroulés comme suit : Sans rebond (x 2), avec rebond, sans rebond, avec rebond (x 2), sans rebond, avec rebond, sans rebond (x 2). Puis tout de suite après cette série de 10 renvois, l'enfant doit de nouveau renvoyer la balle, après le rebond, qui lui vient sur son côté droit (x 3). On observe alors si l’enfant effectue de nouveau une frappe avec rotation. Les enfants ne réalisaient que trois frappes, après la tâche d'interférence (frappe de face), car lors de la pré-expérimentation, nous avons observé qu'à partir de la quatrième frappe en coup droit, les enfants avaient des niveaux de rotation similaires à ceux obtenus dans la deuxième étape.

La série de renvois de face est le distracteur, car on introduit un schème " dangereux ", frappe sans rotation, qui dans les renvois de face par rapport aux renvois de balle sur le côté, devient un schème pertinent, la balle arrivant directement sur l'enfant. La deuxième série de renvois de balle après rebond, sur le côté droit, permet d'estimer si la tâche d'interférence a une influence sur le niveau de rotation de l'enfant.

4- Recueil des données

Les enfants ont été filmés avec un caméscope placé face à l'enfant à hauteur de l'expérimentateur (à 5 m face à l'enfant). Les enfants étaient dans leur tenue du moment, il leur a été demandé de retirer leur manteau. Il n'a pas été posé de pastilles.

Le renvoi de balle avec raquette est composé de deux phases, une de déplacement vers la balle et une d'ajustement de la frappe. Seule, la phase d'ajustement au moment de la frappe a été évaluée. Le niveau de coordination a été défini par une note pour le niveau de rotation lors de l'approche de la balle.

Les films visionnés ont été analysés avec une grille de niveau de rotation contenant 5 niveaux (figure 16). Les séquences développementales utilisées, ont été déterminées par rapport aux configurations motrices de saisie de balle et des niveaux de coordination de l'habileté de frappe de balle type tennis proposés par Keller (1992 et 1995). Dans cette grille d'analyse, deux niveaux ont été ajoutés par rapport à la grille d'Haywood (1986 in Keller 1995) qui en contient 3 : la rotation du tronc sans déplacement du pied (étape 3) puis la rotation du tronc avec déplacement des membres inférieurs (étape 5). Ce mouvement est

d'abord réalisé par un mouvement de la jambe ipsilatérale au côté de l'arrivée de la balle, puis par un retrait de cette jambe suivit par un mouvement (jaillissement) de la jambe controlatérale (Keller, 1995).

1- Pas de

rotation

Pieds et tronc de face, déplacement seul du bras avec un mouvement de haut en bas (ou des bras, attraper du ballon).

2- Pas de

rotation

Pieds et tronc de face, déplacement du bras à l'horizontale.

3- Rotation

du tronc

Pieds de face, rotation seule du tronc.

4- Rotation

du corps

Rotation du corps avec déplacement de la jambe arrière en biais.

5- Rotation du corps

Rotation du corps avec déplacement de la jambe arrière puis de la jambe avant, avec rotation différenciée (rotation pelvienne puis spinale).

Figure 16. Séquences développementales utilisées dans l'évaluation des niveaux de rotation dans les renvois de balle de tennis avec une raquette de mini-tennis. (D'après Keller, 1995).

Les valeurs des niveaux de rotation ont été obtenues de la manière suivante. Les dix frappes en coup droit ont été évaluées en fonction de cette grille. A chacune des dix frappes, de chacune des conditions expérimentales (avant le passage de la tâche d'interférence, puis après) une valeur numérique correspondant au niveau de rotation a été attribuée, ceci pour chaque enfant.

Les deux observateurs des films ont eu des résultats qui se sont corroborés entre 85 et 90%. Pour les 10% non corroborés, les deux observateurs re-visualisaient le film simultanément et non plus séparément, et évaluaient le niveau de rotation en commun.

5- Les variables étudiées

Dans cette expérimentation les variables dépendantes étudiées étaient :

- Le niveau de rotation dans la condition contrôle (RC) qui correspond à la moyenne des niveaux sur les dix frappes de coup droit réalisées avant le passage de la tâche d'interférence.

- Le niveau de rotation après le passage de la tâche d'interférence (RI) qui correspond à la moyenne des niveaux sur les trois frappes de coup droit réalisées après le passage de la tâche d'interférence (les dix renvois de face). La tâche post-test est réalisée pour évaluer l'effet de la tâche d'interférence sur le niveau de rotation dans les frappes de coup droit.

6- Analyses statistiques

Le traitement statistique des données a été réalisé au moyen du logiciel Statistica 6.0 sur un PC.

Une analyse de variance à trois facteurs : Age à 5 niveaux (6, 7, 8, 9, et 10 ans), Genre à 2 niveaux (garçons-filles) et Tâche d'interférence facteur répété à 2 niveaux (avant-après le passage de la tâche) a été appliquée pour mettre en évidence les effets des contraintes de la tâche sur la variable dépendante (niveau de rotation). Une analyse à posteriori " post-hoc ", des variables prises deux à deux par le test de comparaison planifiée, est réalisée dans le but de mettre en évidence la signification des variations par paire.

Le seuil de significativité est fixé à une valeur de probabilité d’hypothèse nulle p< .05. Dans les tableaux, les valeurs de cette probabilité sont indiquées par un astérisque (*).