• Aucun résultat trouvé

Processus de localisation de la déformation

III. PROCESSUS DE LOCALISATION DE LA DEFORMATION

6. Influence d’un régime compressif ou extensif sur le processus de localisation

6.3. Influence sur l’organisation spatiale

La décroissance de la longueur caractéristique avec le temps ne permet pas de caractériser l’organisation spatiale de la déformation. Pour cela, la déformation moyenne <I> et la moyenne des déformations au carré <I2> ont été calculées selon la méthode dite concentrique pour différentes échelles de résolution. Les exposants α1 et α2 mesurés sur les lois de puissance caractérisant l’évolution de la déformation et de la déformation au carré avec l’échelle de résolution permettent de définir la dimension de corrélation Dc.

Pour le régime décrochant (expérience 9), α1 moyen vaut 0.07 +/- 0.03 et α2 moyen 0.25 +/- 0.15, ce qui donne une dimension de corrélation moyenne après localisation de 1.89 +/-0.05. Pour le régime extensif (expérience 11), les valeurs des exposants ne permettent pas de définir de régime pré- et post- localisation : α1 vaut 0.08 +/- 0.02 et deux valeurs de α2 peuvent être définies. Avant 16 % de raccourcissement, α2 vaut 0.14 +/- 0.02 ; après 16%, la valeur de α2 augmente de façon continue et à 30% de raccourcissement, α2 vaut 0.2 +/- 0.05. La dimension de corrélation moyenne obtenue est de 2.01 avant 16% de raccourcissement puis 1.96 après. La déformation apparaît globalement moins localisée dans le régime extensif que dans le régime décrochant.

Figure 108 : Evolution de la dimension de corrélation Dc en fonction de raccourcissement (A) et du temps (B). Deux régimes sont présentés : le régime extensif (Ar = 2.06) et le régime

L’analyse de l’évolution de la dimension de corrélation au cours du raccourcissement permet de caractériser plus finement l’organisation spatiale de la déformation. La Figure 108 présente l’évolution de la dimension de corrélation Dc en fonction du raccourcissement (A) et du temps (B) pour l’expérience 9 (régime décrochant) et l’expérience 11 ( régime extensif). Dans le cas du régime décrochant, la dimension de corrélation est de 2 au départ puis subit une chute entre 3 et 7% de raccourcissement ou entre 700s et 7080s (correspondant à la fin de la décroissance de la longueur caractéristique L*). Entre 7 et 13% de raccourcissement, la valeur de Dc se stabilise autour de 1.95. Entre 15 et 20% de raccourcissement, la dimension de corrélation se remet à chuter pour atteindre la valeur de 1.86. Cette deuxième chute a lieu alors que la longueur caractéristique est stabilisée (cf. Figure 106) ; elle est probablement liée à la localisation de la déformation le long des deux bandes de décrochement centrales au détriment des failles situées dans les triangles extrudés (cf. paragraphe 2.5). L’évolution de Dc est radicalement différente pour le régime extensif. La dimension de corrélation reste autour d’une valeur de 2.01 jusque vers 5% de raccourcissement ; puis sa valeur commence à décroître. La décroissance est faible jusque vers 15% de raccourcissement (ou 24300s : 6h45) puis s’accentue par la suite pour atteindre une valeur de 1.92 à 30% de raccourcissement. La déformation reste donc répartie de façon homogène à la surface jusqu’à 15% de raccourcissement puis commence à se localiser par la suite, bien que la décroissance de Dc corresponde dans ce cas à une augmentation de la valeur de la longueur caractéristique L*.

Dans le régime extensif, les forces gravitaires qui agissent de manière homogène dans le système, ne s’opposent pas à la création de failles et donc à la localisation de la déformation, mais ont tendance à répartir de façon homogène les structures à la surface de l’expérience. Le réseau de failles décrochantes obtenu correspondrait donc à celui d’une expérience ayant un paramètre de localisation beaucoup plus faible (de moitié). La baisse de Dc observée au-delà de 15% de raccourcissement peut être attribuée à la fin de l’étalement de l’expérience. L’expérience étant amincie, le nombre d’Argand apparent est abaissé et les forces gravitaires via les couches ductiles ne jouent plus leur rôle de répartition de la déformation.

En ce qui concerne le régime compressif, la répartition des décrochements et des chevauchements laisse présager d’une dimension de corrélation Dc plus faible que celle du régime extensif et même celle du régime décrochant et ce dès la fin de la phase de localisation.

Les effets de contraintes internes sur la fracturation d’un milieu hétérogène ont été étudiés sur des modèles de réseaux de fusibles (Schmittbuhl et Roux, 1994). Les contraintes internes sont produites par des générateurs de courant dans chaque lien, dont les intensités is sont réparties de façon aléatoire et homogène dans le système. Pour des faibles valeurs de contraintes internes, le comportement global est élastique et fragile (pas de plasticité) et conduit à la rupture macroscopique localisée du réseau (cf. Figure 109-a). Pour des valeurs plus importantes de contraintes internes, le comportement mécanique a un caractère plastique. Cela conduit à une fracturation diffuse (cf. Figure 109-b). Le développement de ces deux mécanismes peut être expliqué à partir de l’hypothèse qui consiste à dire que les contraintes internes ne sont pas affectées par la redistribution des contraintes due à la formation des fractures. Les « fractures » qui se forment relaxent le système localement, mais celui-ci reste globalement contraint. Dans ce cas, les contraintes internes définissent des seuils de contraintes effectives distribuées aléatoirement. Les contraintes internes jouent alors un rôle stabilisant dans la

localisation de l’endommagement et entraîne un retard dans le phénomène de localisation. Lorsque les contraintes internes sont faibles ou inexistantes, la redistribution des contraintes liée à la fracturation conduit à localiser fortement les déformations et relaxer tout le système.

Figure 109 : Rôle des contraintes internes sur la fracturation d’un réseau de fusibles : (a) faible amplitude de la contrainte interne, (b) forte amplitude de la contrainte interne. Les traits épais

7. Bilan

L’analyse du processus de localisation dans des milieux fragiles/ductiles a été tout d’abord réalisée sur des expériences en mode principalement décrochant (Ar ~ 1).

Dans ces systèmes, la localisation de la déformation se traduit par une augmentation de la déformation moyenne au cours du temps. Elle s’accompagne d’une augmentation de la dilatation de l’expérience, qui atteint son maximum au moment où le réseau de failles commence à se développer (en fin de localisation). Après la phase de localisation, la déformation moyenne se stabilise (sauf pour l’expérience à la limite entre non-localisation et localisation) et les variations de surface diminuent.

La déformation moyenne a été reliée à une longueur caractéristique L*, représentant en quelques sortes la longueur réelle déformée nécessaire pour absorber le déplacement imposé aux limites. L* est utilisée pour comparer les expériences entre elles.

L’analyse de l’évolution temporelle de la décroissance de L* montre que l’ensemble des expériences (ayant des valeurs du paramètre fragile/ductile Γ différentes) présente la même évolution en fonction du temps « réel ». La décroissance de L* avec le temps s’exprime de plus comme une loi de puissance d’exposant –0.3. La valeur de cet exposant est indépendante de la vitesse de compression et du paramètre fragile/ductile. En revanche, elle peut être reliée à l’état des contraintes internes du milieu et donc aux forces gravitaires représentées par le nombre d’Argand.

L’analyse de l’organisation spatiale des déformations montre que celles-ci suivent des lois d’échelles : décroissance de la déformation moyenne et de la moyenne des carrés des déformations avec l’échelle selon des lois de puissance. L’évolution de la moyenne des déformations au carré est classiquement utilisée pour décrire les fluctuations de l’intensité des déformations dans l’espace. Cette étude montre cependant que la déformation moyenne enregistre également ces fluctuations et dépend donc de l’échelle de résolution. Toutes ces lois de puissance obtenues correspondent à des corrélations de grande portée entre les déformations et peuvent être reliées à celles observées sur les réseaux de failles (Bonnet, 2001) ou calculées à partir d’assemblages numériques de fusibles ou de ressorts (Hermann et Roux, 1990 ; Charmet et al., 1990). Dans les expériences présentées ici, les lois de puissance semblent définies sur toute la gamme des échelles de résolution observables. L’estimation des longueurs de corrélation (égales à la demi-largeur des expériences ou plus) indiquent que celles-ci sont liées à la taille de l’expérience et qu’il n’existe a priori pas de longueur de coupure à des échelles inférieures.

Le calcul de la dimension de corrélation Dc, à partir des lois de puissance définies précédemment, permet de suivre l’organisation des fluctuations de l’intensité des déformations dans le système. La phase de localisation est caractérisée par une chute de Dc. Cette évolution est comparable aux fluctuations observées lors de l’enregistrement d’émissions acoustiques sur des échantillons de roche ou de glace déformés sous presse. Une phase d’endommagement, où la déformation n’est pas corrélée dans l’espace, précède la localisation de la déformation (Hirata et al. 1987 ; Lockner et al., 1992 ; Lockner, 1993, 1995 ; Shah et Labuz, 1995). La chute de Dc est contemporaine de la diminution de L*. Après localisation, la valeur de Dc se stabilise plus ou moins à un niveau dépendant de Γ. Plus la valeur de Γ est importante, plus Dc est faible. Une valeur de Dc plus faible traduit une concentration

de la déformation sur une portion de surface de l’expérience plus faible (induisant des fluctuations de l’intensité des déformations plus importantes).

Deux critères peuvent alors être définis pour caractériser la localisation de la déformation : d’une part, la diminution de la longueur caractéristique en loi de puissance (associée à l’augmentation de la déformation moyenne) suivie d’une phase de stabilisation, et d’autre part (si Γ le permet) la diminution de la dimension de corrélation (entre 2 et une valeur dépendante de Γ). L’évolution de L* avec le temps apparaît indépendante de la rhéologie et donc de Γ (pour des expériences présentant un même nombre d’Argand). L’organisation spatiale est quant à elle dépendante de la rhéologie du milieu. Elle dépend en particulier de la rhéologie de la couche de silicone qui tend à répartir la déformation et densifier le réseau de failles.

La modification des contraintes internes des systèmes (modifications des forces gravitaires) entraîne des modifications importantes dans le processus de localisation. Bien que la « localisation » se fasse sur la même période de temps, l’exposant de la loi de puissance liant la longueur caractéristique au temps est beaucoup plus faible dans un régime extensif. De même, la dimension de corrélation reste élevée (très faibles fluctuations de l’intensité des déformations qui sont réparties de façon plus ou moins homogène dans le système). Cette dimension de corrélation élevée est liée à l’apparition, en plus du réseau de failles décrochantes, de nombreuses structures extensives qui ont tendance à se répartir de façon homogène dans le système. Il serait intéressant de pouvoir quantifier de la même façon le processus de localisation en régime compressif par la réalisation de nouvelles expériences.

CHAPITRE IV