• Aucun résultat trouvé

Il ressort des sections précédentes que la détermination de la contrainte seuil reste aujourd’hui le point fondamental pour parvenir à prédire le transport par charriage d’un sédiment homogène. Or, l’état du lit peut influer sur la valeur de la contrainte seuil.

Charru et al. [2004] ont étudié ce phénomène en mesurant expérimentalement le nombre de particules transportées au cours du temps, pour des conditions d’écoulement fixées. Ces expériences ont été réalisées dans un dispositif fermé en anneau, dans le- quel un écoulement laminaire (0 < Re∗ ≤ 0.3) cisaille un lit de particules sphériques

(voir figure 2.11a). La figure 2.11b présente le résultat de leurs expériences en ce qui concerne l’épaisseur h de la couche de sédiment normalisée par la taille des grains, soit un indicateur du degré de compaction de la couche. On constate qu’elle décroît, de façon non-affine, avec le temps adimensionné, pour tendre vers une valeur constante.

14. Dans ce cas de figure, la longueur de saturation est alors donnée par la distance caractéristique d’accélération des particules.

a) b) c) h D t* n* t*

Figure 2.11 – a) Schéma du dispositif expérimental utilisé par Charru et al. [2004], vu en coupe transverse (en haut) et longitudinale (en bas). b) Évolution de l’épaisseur de la couche de sédiment, normalisée par le diamètre des particules, en fonction du temps adimensionné t∗. c) Évolution du nombre de particules en mouvement adimensionné en fonction du temps adimensionné pour différentes valeurs du nombre de Shields : (◦) τ∗ = 0.12, (×) 0.18, (+) 0.15 et () 0.24.

La figure 2.11c présente le nombre de particules en mouvement en fonction du temps adimensionné. On constate que pour quatre nombres de Shields différents, le nombre de grains en mouvement décroit pour atteindre un palier après un temps donné, soit une valeur de saturation15. Plus la contrainte cisaillante est faible, plus ce nombre de grains en mouvement saturé est faible. Enfin, en dessous d’une certaine valeur critique du nombre de Shields, le nombre de grains mis en mouvement saturé tombe à zéro.

Cette expérience démontre qu’il n’existe pas une valeur de transport pour une contrainte d’écoulement donnée, mais bien une gamme de valeurs, qui correspondent chacune à un état différent d’arrangement du lit. Les auteurs proposent pour expliquer ce phénomène un modèle simple d’évolution de la surface du lit, en posant que celui-ci est composé d’un nombre pré-établi de « creux » de la taille d’une particule. En sup- posant qu’une particule tombée dans un de ces creux ne peut en ressortir, les auteurs

15. Notez que le terme de saturation revêt ici une signification tout à fait différente de celle utilisée dans la partie 2.3.

a) b)

z = 0

Figure 2.12 – Vue schématique en 2 dimensions des configurations extrêmes de la position d’une particule sur un lit unimodal. a) « Perchée » et b) « rangée », soit à la position minimale de son barycentre z = 0. Les pointillés noirs indiquent la protrusion du grains dans l’écoulement, les pointillés rouges l’angle de contact entre la particule considérée et celle qui la côtoie.

proposent alors un modèle probabiliste pour expliquer le comportement observé de n∗ au cours du temps et du nombre de Shields.

Considérons à présent ces résultats d’un point de vue de la géométrie en surface. Dans une représentation simple en 2 dimensions, on peut borner le problème par les deux configurations extrêmes : une particule donnée à la surface du lit peut à l’instant t se trouver soit dans une configuration « perchée », soit dans une configuration « rangée » (voir figure 2.12). L’état « rangé » implicant une probabilité beaucoup plus faible d’être érodé puis transporté, et ainsi de contribuer à la valeur de n∗. Aussi, si l’on considère - comme le suggèrent les observations de Charru et al. [2004] et les raisonnements qu’ils développent - que la fréquence sur le lit de l’état « perché » s’amenuise dans le temps au profit de celle de l’état « rangé », alors, n∗ décroit mécaniquement avec le temps. On peut alors imaginer qu’il existe deux contraintes seuils sur le lit expliquant la phy- sique du transport : la contrainte seuil permettant d’éroder les particules perchées sur d’autres, et celle, plus élevée, permettant d’éroder les particule dans leur état énergé- tique le plus faible, c’est-à-dire à leur position minimale z = 0 (voir figure 2.12).

La réalité est probablement qu’il existe un continuum de positions et ainsi d’organi- sations géométriques entre les grains et de degrés d’exposition des grains à l’écoulement. Les mesures de contraintes seuils récemment acquises sous écoulement laminaire par Agudo and Wierschem [2012] illustrent tout à fait ce propos. Leur dispositif permettant de régler de façon très précise l’écartement entre les grains formant le lit de sédiment, il a permis de relier précisément la mesure de τc∗ à la géométrie de la surface du lit et à sa densité (c’est-à-dire l’espace inter-grains en surface). La figure 2.13b présente la variation de τc∗ en fonction de l’organisation géométrique à la surface du lit. Il est

b) tanα/E

τ*c

a)

c)

Figure 2.13 – a) Schéma du dispositif expérimental utilisé par Agudo and Wierschem [2012]. b) Mesures de la contrainte seuil adimensionnée pour différents degrés d’enfouis- sement tan α/E, avec E le paramètre d’exposition du grain dans le fluide, et α l’angle de contact entre les grains. Les différents symboles représentent les contraintes seuils mesurées pour des sphères de différents matériaux. c) Différentes lois de transport d’un sédiment homogène issues de la littérature, tracées en fonction du nombre de Shields normalisé par le nombre de Shields critique (figure tirée de la thèse de L. Malverti).

tout à fait remarquable, que pour un fluide et une taille de grains fixés, on observe des variations de la contrainte seuil qui sont représentatives de la dispersion observée dans les données de la littérature, soit de l’ordre de 0.05 (cf la dispersion des points sur la figure 2.5).

Ainsi, avant de considérer le cas du transport pour un sédiment à N tailles de particules, il est important de réaliser qu’il existe d’ores et déjà une gamme de valeurs possibles de la contrainte seuil pour un lit de sédiment de composition homogène. Cette dispersion des données de τc∗pour une valeur donnée de Re∗est probablement une source

de la dispersion des modèles proposés ces dernières décennies. En effet, tout écart de valeur de contrainte seuil peut entrainer un différence notable quant à l’amplitude de la prédiction de la loi de transport (voir figure 2.13c).

a)

Fraction volumique solide

Dp/Dg

C (%)

b) c)

Figure 2.14 – a) Évolution de la fraction volumique solide avec le pourcentage mas- sique C de grosses particules dans le mélange. Les différents symboles représentent des résultats expérimentaux obtenus pour différentes valeurs de rapport des diamètres de particule [Cumberland , 1987]. b) et c) représentation schématique des configuration extrêmes, soit, b) quelques petits dans un assemblage de gros, i.e C ∼ 100%, et c) quelques gros dans un assemblage de petits, C ∼ 0%. Figures tirées du livre Les milieux Granulaires, de Andreotti et al. [2011].

2.5

Transport par charriage d’un lit composé de plusieurs