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Influence des acteurs sociétaux et des groupes d’intérêt 47

Chapitre 2. La guerre du Golfe 29

2.2. Les variables intermédiaires 33

2.2.5 Influence des acteurs sociétaux et des groupes d’intérêt 47

Il a précédemment été souligné que les forces pacifistes ont été l’un des deux éléments structurant l’opinion publique de la population canadienne durant la crise du Golfe. Il est par ailleurs intéressant de souligner que les groupes pacifistes n’ont pas condamné immédiatement l’invasion irakienne. Étrangement, « aucun de leurs membres ne va manifester devant les missions diplomatiques irakiennes » (Coulon 1992, 105). Ce n’est en effet qu’au moment où les États-Unis choisissent d’entrer en action qu’ils commencent à s’intéresser à la question. Ceci eut pour effet de former des coalitions ayant pour mandat de coordonner l’action des pacifistes, pour ainsi influencer plus efficacement les débats parlementaires. L’Alliance canadienne pour la paix dirige le mouvement pacifiste pancanadien, alors que la coalition Échec à la guerre fait le même travail au Québec (Coulon 1992, 105).

Le mouvement pacifiste était composé de groupes d’intérêt et d’associations relativement diversifiées. Ces derniers n’étaient effectivement pas tous associés à la gauche pacifiste traditionnelle. C’était par exemple le cas des groupes religieux et de la communauté arabo-canadienne (Davis 1997, 15-16). Les autres étaient ceux s’opposant traditionnellement aux recours à la force, soit certains syndicats, des associations étudiantes ainsi que des groupes féministes. Les syndicats sont réputés pour leurs interventions fréquentes sur les questions de sécurité et de défense. La Centrale des enseignants du Québec (CEQ) a joué, par exemple, un « rôle important dans les efforts de mobilisation de l’opinion publique contre la participation canadienne à la guerre du Golfe en 1991 » (Nossal, Roussel et Paquin 2007, 188). Certains membres de la CEQ incitent de plus des adolescents du secondaire à descendre dans la rue pour manifester devant le consulat américain. Plusieurs ont d’ailleurs dénoncé ces pratiques, qu’ils qualifiaient d’endoctrinements de la jeunesse québécoise. La CEQ faisait partie des regroupements appuyant la coalition Échec à la guerre. Échec à la guerre n’a cependant pas réussi à mobiliser les foules contre l’intervention militaire, s’étant plutôt fait connaître par son antiaméricanisme que par ses contributions constructives à l’analyse de la crise. Le

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mouvement pacifiste a d’ailleurs vécu des difficultés partout au Canada. Effectivement, même si la population était divisée sur la question de l’intervention militaire, elle ne s’identifie pas à la vision du mouvement pacifiste. Ceci s’explique entre autres par le fait que la population ne croit pas que l’Irak est une innocente victime des Américains et des compagnies pétrolières (Davis 1997, 67).

Les groupes et acteurs sociaux ayant soutenu l’intervention militaire du Canada dans le Golfe Persique. Selon Kim Richard Nossal, le gouvernement Mulroney aurait subi un lot plus important de critiques s’il avait choisi la non-intervention plutôt que l’intervention (Nossal 1994, 215). Il est d’ailleurs intéressant de constater que certains groupes traditionnellement associés à des positions pacifistes aient choisi de supporter l’intervention militaire dans le cas de la guerre du Golfe. C’est par exemple le cas de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), ainsi que du Parti québécois.

Sans causer de surprise, les acteurs économiques importants et les dirigeants d’entreprises ont prôné une intervention au côté des États-Unis. Ils voulaient ainsi éviter toute répercussion économique potentielle (Graff 1992, 418). La sécurité énergétique mondiale était également mise de l’avant comme un enjeu justifiant le maintien de la paix au Moyen-Orient (Peters 1999, 64). Le Canada, même s’il n’était pas particulièrement tributaire des ressources pétrolières du Moyen-Orient16, devrait ainsi participer au rétablissement de la paix au bénéfice de l’économie internationale (Rudner 1991, 269). Les producteurs de céréales ont aussi fait des pressions en raison des conséquences économiques de la guerre, ou plus spécifiquement des sanctions économiques (Nossal, Roussel et Paquin 2007, 192). L’intérêt canadien le plus fort liant le Canada et l’Irak était effectivement ses exportations de céréales (Aleprete 2003, 232). Les exportations du Canada vers l’Irak totalisaient, en 1989, 258 millions de dollars canadiens (95 % des exportations sont du blé et de l’orge); alors que ces importations, presque toutes reliées aux produits du pétrole, totalisaient à peine 61 millions (Wood 1991, 35). Conséquemment,

pour satisfaire les producteurs de céréales et les empêcher de se retourner contre l’intervention militaire et les sanctions économiques, le Canada décida le 5 août 1990 de ne pas mettre le blé sur la liste des sanctions unilatérales contre l’Irak (Davis 1997, 70). Le Canada donnait ainsi l’apparence de soutenir la coalition en punissant l’Irak, mais il conservait en fait presque toutes ses relations économiques avec l’État voyou. Finalement, sur une note positive, la participation à la coalition militaire permettrait au Canada de participer à de la coopération financière pour des fonds d’aide arabes. Ces fonds permettent de cofinancer « des projets d’infrastructures dans des pays du tiers-monde soutenu par le Canada » (Rudner 1987, 137-8). Le Canada en retirait donc des bénéfices économiques.

Pour conclure cette analyse de l’influence des groupes d’intérêt et des acteurs sociétaux, le rôle joué par les médias canadiens dans la crise sera étudié. John Kirton soutient que la façon dont les médias ont couvert la guerre du Golfe en créant une mythologie nationale du bien et du mal a eu un impact sur l’appui populaire à l’intervention canadienne (Kirton 1993, 426). Puis, selon Hibbard et Keenleyside, le gouvernement Mulroney n’a pas reçu de carte blanche des médias. Ces derniers n’ont en effet pas contribué à construire le support populaire pour l’intervention dans le Golfe Persique. La couverture médiatique canadienne de la crise du Golfe fut en effet relativement neutre. Par ailleurs, la diffusion des atrocités perpétrées par les Irakiens a facilité, selon Kirton, le ralliement populaire derrière la décision d’intervenir du gouvernement canadien (Kirton 1992, 385). Les messages antiguerres transparaissent quant à eux dans les éditoriaux, les colonnes ainsi que les lettres des lecteurs (Hibbard et Keenleyside 1995, 262). Hibbard, dans une étude des éditoriaux de journaux canadiens, a découvert que les tendances de ces derniers variaient par ailleurs selon le contexte politique. Effectivement, deux semaines avant la résolution 678 du Conseil de sécurité des Nations Unies, autorisant tous les moyens nécessaires pour retirer l’Irak du Koweït après le 15 janvier, les éditoriaux étaient bien répartis entre les partisans et les opposants à l’intervention. Cependant, suite à 16 Peu de discussions concernant l’enjeu du pétrole ont eu lieu au Parlement du Canada durant la

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l’adoption de la résolution, il y eut un déclin constant dans l’appui pour l’intervention dans les éditoriaux (Hibbard 1993, 99-100). En résumé, les médias ne semblent pas avoir eu un impact majeur sur la décision ou bien sur les tendances de l’opinion publique. Les acteurs économiques semblaient avoir davantage l’oreille du gouvernement lors de la guerre du Golfe.