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Chapitre 2. La guerre du Golfe 29

2.2. Les variables intermédiaires 33

2.2.1. Autonomie de l’État 33

Lorsqu’à l’été 1990 l’Irak attaque le Koweït, le Canada est dirigé par le gouvernement majoritaire progressiste-conservateur de Brian Mulroney. Élu le 21 novembre 1988, le parti progressiste-conservateur a raflé 169 des 295 sièges de la Chambre des communes. Les Libéraux en avaient pour leur part 83, et le Nouveau parti démocratique 43 (Parlement du Canada 2009). Cette 34e législature fut d’une durée de quatre années, huit mois et 27 jours (Parlement du Canada 2010). Il est important de mentionner cette importante majorité du gouvernement Mulroney en chambre, car cela joue de façon

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primordiale sur l’autonomie de l’État. En effet, comme le soutien Peter Volpe, « la taille de la majorité à la Chambre des communes britannique et canadienne peut nuire à la liberté avec laquelle les premiers ministres de ces pays peuvent prendre des décisions concernant l’utilisation de la force » (Volpe 2004, 81). Ainsi, puisque même une alliance des deux partis de l’opposition ne pouvait contrer une décision gouvernementale, le gouvernement Mulroney était très autonome face au Parlement dans sa décision. Par ailleurs, dans la mesure où le gouvernement était environ à la moitié de son terme électoral, plusieurs députés songeaient à l’impact de la participation à cette guerre sur leur chance de réélection. Plusieurs membres du parti progressiste-conservateur craignaient en effet que cette guerre nuise à leur chance de réélection au Québec (Davis 1997, iii-iv).

Il est de plus intéressant de souligner que le gouvernement Mulroney a fait plusieurs réformes de l’administration publique pour instaurer une gestion contrôlée et efficace. Ainsi, le premier ministre Mulroney « privilégie deux facteurs, soit affermir un contrôle politique solide sur l’élaboration ainsi que sur l’instauration des politiques, et transgresser les systèmes de prise de décision afin d’atteindre des résultats rapidement » (Schacter 1999, 10). Ce contrôle serré des décisions s’est également illustré lors de la guerre du Golfe. Effectivement, dès le début de la crise, le gouvernement Mulroney refuse de convoquer le Parlement pour discuter d’un potentiel engagement militaire du Canada (Davis 1997, 78). Cette attitude autoritaire entrainera des dissensions au Parlement et dans la population. Les citoyens canadiens furent également pris par surprise lorsque le premier ministre annonça le 10 août l’envoi de navires militaires canadiens au Koweït. Cette annonce fut faite sans une consultation préalable des leaders de l’opposition, créant encore davantage de dissension entre le gouvernement et le Parlement (Davis 1997, 78-80). Certains auteurs soutiennent également que le Parlement n’a pas été rappelé, car le gouvernement avait peur de subir des critiques en raison de la révolte des Mohawks à Oka. Puis, le gouvernement craint également d’avoir les mains liées par d’éventuelles décisions du Parlement. Un général anonyme interviewé par Coulon soutient d’ailleurs que cette gestion centralisée de la guerre du Golfe s’est poursuivie après le début de l’engagement. Il affirme que « le moindre

déplacement d’un de nos navires ou l’envoi de six avions supplémentaires provoquait des discussions politiques délicates et tortueuses » (Coulon 1992, 53).

Par ailleurs, l’autonomie est aussi perceptible dans l’importance accordée à l’opinion publique. Un gouvernement suivant attentivement l’évolution de l’opinion publique pour prendre ses décisions ne peut être considéré parfaitement autonome. Des statistiques démontrent que 69 % des décisions du gouvernement Mulroney vont dans le sens de l’opinion publique. Ce pourcentage est relativement élevé comparativement au 49 % du gouvernement Chrétien (Petry et Mendelsohn 2000, 507). Ceci est intéressant dans la mesure ou plusieurs décideurs étaient très inquiets avant de prendre la décision de participer à l’opération Desert Storm (Davis 1997, 68). À ce moment, le gouvernement progressiste-conservateur était très impopulaire, avec environ 14 % de soutien (Gallup 1991). Il sera donc intéressant de voir quel a été l’impact de l’opinion publique sur l’autonomie du gouvernement Mulroney et sur sa décision d’intervention finale.

Ensuite, l’autonomie étatique est également influencée par le système international. Ainsi, est-ce que le Canada est réellement autonome face à son puissant allié américain? Les opinions sur cette question sont partagées. Certains auteurs soutiennent que « la perception des valeurs partagées a joué un rôle plus important que la prépondérance matérielle des États-Unis » (Aleprete 2003, 201). Selon Aleprete, ceci ne signifie pas que la prépondérance de la puissance américaine n’est pas un élément important du système international, mais bien qu’elle est normalisée dans la relation canado-américaine. Janin Desmarais aborde dans le sens d’Aleprete pour relativiser l’importance de l’influence des États-Unis, sans toutefois plaider pour une autonomie absolue de l’État canadien. En effet, Desmarais croit que les pressions des États-Unis ne constituent pas le facteur ayant amené le Canada à se joindre à la coalition contre l’Irak. Le Canada s’est plutôt laissé influencer par le prestige et le droit de parole inhérents par la participation à la coalition (Desmarais 2003, 30).

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Par ailleurs, il est intéressant de souligner que le Canada a fait prévaloir son autonomie une fois qu’il s’est joint à la coalition contre l’Irak (Jockel 1991, 408). Ainsi, « une fois à l’intérieur de la coalition, le Canada décide de lui-même l’importance de sa contribution et les Américains ne peuvent pas réellement l’imposer au Canada » (Desmarais 2003, 30). De plus, certains auteurs soulignent qu’une fois que le gouvernement du Canada a accepté de se joindre à la coalition contre l’Irak par l’envoi de deux contre-torpilleurs et d’un navire de ravitaillement, il a eu plus d’influence sur les États-Unis (Davis 1997, 50). Joe Clark, le ministère des Affaires extérieures, affirme d’ailleurs

qu’en août et en septembre, les États-Unis considéraient sérieusement y aller seul. Le Canada a constamment argumenté que les États-Unis devaient y aller sous l’ONU, que s’il devait y avoir une action, elle devait se faire dans le cadre des Nations Unies. C’est ce qui est arrivé (Wirick 1992,96).

Selon plusieurs auteurs, cette influence du gouvernement canadien sur l’administration américaine s’est matérialisée grâce à la relation spéciale qu’entretenaient Mulroney et Bush. Ces derniers étaient en effet très près l’un de l’autre. Ainsi, lors de leur rencontre du 6 août à Washington, le premier ministre rappelle au président américain que les États-Unis devraient agir dans le cadre des Nations Unies (Aleprete 2003, 233-234). Il souligne également l’importance de gérer cette crise avec les Nations Unies pour en assurer la crédibilité (Desmarais 2003, 38).

Bref, le gouvernement du Canada était relativement autonome au moment de choisir de s’investir ou non dans la guerre du Golfe. Le gouvernement était en effet supporté par une importante majorité parlementaire, ainsi que par une relation de proximité avec le gouvernement américain. Par ailleurs, l’opinion publique était une influence importante pour le gouvernement en perte majeure de popularité, nuisant ainsi à son autonomie. Le rôle de l’autonomie sur la décision finale de s’investir modérément dans la crise du Golfe ne peut cependant être déterminé qu’en analysant, dans les sections suivantes, l’importance relative des facteurs internes du modèle réaliste néo-classique.