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Chapitre 3. La guerre en Afghanistan 55

3.2. Les variables intermédiaires 59

3.2.2. Cohésion des élites 62

Comme l’analyse de la guerre du Golfe l’a démontré, la cohésion forte ou très faible des élites influence la capacité d’un gouvernement à mettre en place ses politiques. Le cas de la guerre en Afghanistan est par ailleurs différent de celui de la guerre du Golfe. En 1990, les partis s’entendaient tous pour dénoncer l’invasion irakienne du Koweït, mais l’attaque n’avait pas entrainé de sentiment d’insécurité en sol canadien. Ce fut très différent en 2001, alors que les démocraties occidentales se sentent également attaquées. Les Canadiens se croient en danger et veulent se savoir protégés par leur gouvernement. Cette unité occidentale devant l’ennemi est d’ailleurs bien évoquée par le chef du Bloc québécois lors d’un débat parlementaire le 17 septembre 2001 :

Cette attaque du 11 septembre dernier, rappelons-le, est une attaque non seulement contre les États-Unis, mais contre les valeurs démocratiques, contre la liberté et contre chaque pays qui défend ces valeurs, une attaque contre toutes les populations du monde qui aspirent à la justice, à la liberté, à la démocratie, surtout les populations qui subissent le joug de tyrans et d'illuminés, telle la population afghane qui subit chaque jour la terreur totalitariste des talibans (Débat de la Chambre des communes 2001a, 5121). Cet élément très important change la donne lorsque vient le temps pour les élus canadiens de se prononcer pour ou contre une intervention contre les responsables de l’attaque. La citation suivante de Jean Chrétien démontre d’ailleurs bien l’état d’esprit animant la Chambre des communes, tout comme la population en général par rapport à l’attaque et à une réponse militaire potentielle :

Soyons clairs. Cette attaque ne visait pas seulement les États-Unis. Les tueurs ont agi de sang-froid et porté un coup aux valeurs et aux convictions des peuples libres et civilisés de la terre entière. Le monde a subi une attaque. Le monde doit riposter. Et le Canada, un pays fondé sur un idéal de liberté, de justice et de tolérance, participera à cette riposte, car nous sommes en guerre contre le terrorisme (Débat de la Chambre des communes 2001a, 5116).

Le premier ministre a fait ce discours dans le cadre d’un débat sur la motion inscrite en son nom. Malgré les nombreux débats sur le type de réponse que le Canada devait fournir à cette attaque, cette motion reçut l’appui unanime de la chambre. Elle se lisait de la façon suivante :  

Que la Chambre exprime son émoi et sa consternation face aux attaques insensées et odieuses dont les États-Unis ont été la cible le 11 septembre 2001; qu'elle offre ses plus profondes condoléances aux familles des victimes et au peuple américain tout entier; qu'elle réitère sa détermination à défendre la liberté et la démocratie, à traduire en justice ceux dont les actions témoignent de leur mépris pour ces valeurs fondamentales, ainsi qu'à défendre le monde civilisé contre toute nouvelle attaque terroriste (Débat de la Chambre des communes 2001a, 5115).

Il est également intéressant de constater que malgré les différences idéologiques des cinq différents partis représentés à la Chambre des communes, l’appui à la cause américaine était indéniable (Vennesson 2009, 14). Tous s’entendaient ainsi sur l’importance de ne pas laisser cette attaque sans réponse, mais le Nouveau parti démocrate n’était pas favorable à une intervention militaire. Plaidant pour la retenue, Alexa McDonough s’exprime de la façon suivante sur la réponse que son parti prône pour le Canada : « Je serai claire. Je ne prône ni le pacifisme ni l'apaisement devant une agression. La communauté internationale ne doit épargner aucun effort pour traduire en justice tous les responsables de ces atrocités et pour éradiquer de la planète le fléau qu'est le terrorisme » (Débat de la Chambre des communes 2001a, 5123).

Évidemment, il est relativement facile de s’entendre sur des motions générales, n’engendrant pas de conséquences directes. Comme le veut le dicton, le diable est dans les détails. Ainsi, lorsqu’est venu le moment de déterminer au Cabinet quel sera le rôle joué par le Canada en Afghanistan, les débats ont été beaucoup plus difficiles. Le débat dans ce cas-ci n’abordait pas la possibilité d’un déploiement, mais plutôt le type de déploiement à fournir (Gross Stein et Lang 2007, 14). Plusieurs ministres du gouvernement Chrétien n’approuvaient en effet pas la voie militaire que le Canada était sur le point d’adopter (Oldfield 2009, 18). Par ailleurs, il est intéressant de constater qu’il n’y eut pas de débat le

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19 novembre 2001, lorsque Art Eggleton, le ministre de la Défense, fit l’annonce officielle du déploiement militaire canadien en Afghanistan (Strickland 2004, 50). Eggleton annonça alors le départ prochain d’un contingent de 1000 soldats du Princess Patricia's Canadian Light Infantry (PPCLI) et d’une compagnie du 2e Bataillon de Winnipeg pour une période de six mois (Débat de la Chambre des communes 2001b, 7267).

Cette contribution militaire devait se faire à l’intérieur de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), une coalition européenne. Pour les élus, le choix de la FIAS était facile à endosser, car la mission, située dans la capitale afghane, s’annonçait relativement calme et stable (Gross Stein et Lang 2007, 15). De plus, l’accent principal de la mission serait d’abord humanitaire, puis ensuite sécuritaire. Ainsi, la FIAS ne serait pas une mission de combat. Les combats seraient uniquement pris en charge par les forces américaines dans le cadre de l’opération Enduring Freedom. Cependant, le gouvernement a assumé trop vite qu’il pourrait faire partie de la FIAS. En effet, les Anglais, responsables de mettre sur pied la mission, laissaient entendre que c’était une mission européenne, et que la contribution canadienne n’était pas la bienvenue (Gross Stein et Lang 2007, 16). C’est ainsi que le Canada s’est retourné vers les États-Unis pour lui offrir de contribuer à l’opération Euduring Freedom (Gross Stein et Lang 2007, 18). L’impact organisationnel de ce changement de plan dans la participation canadienne sera abordé lors de l’analyse de la cohésion des institutions politico-militaires.

En résumé, le support indéniable des élus canadiens pour une réponse forte aux attaques terroristes a facilité la décision du gouvernement canadien de déployer les forces canadiennes en Afghanistan. Contrairement au cas de la guerre du Golfe, où les opinions divergentes et la faible discipline de partis avaient permis au gouvernement d’adopter une décision controversée; la controverse dans le cas de l’Afghanistan est plutôt venue après la décision. C’est en effet au moment de choisir le type de contribution à apporter que les divisions sont apparues. Il est intéressant de constater que lors de la guerre en Afghanistan, les lignes de partis se sont également effacées, mais cette fois pour appuyer la mission. Comme l’a dit Stockwell Day le 17 septembre dans un échange à la Chambre des

communes, « [a]ujourd'hui, je sais que chacun des députés de chaque parti dirait sans hésiter qu'il est un Canadien, un allié, un ami et non uniquement un député d'un parti donné » (Débat de la Chambre des communes 2001a, 5117).