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Chapitre 2. La guerre du Golfe 29

2.2. Les variables intermédiaires 33

2.2.3. Cohésion de la société 40

L’opinion de la population est un important facteur influençant les élus, responsable devant cette dernière. Ainsi, les sondages, ces instruments de capture de l’opinion populaire, « sans dicter l’agenda du gouvernement, […] font partie de l’exercice du pouvoir » (Hamann 1999). Lors de la guerre du Golfe, un cadre supérieur de département des Affaires extérieures a affirmé que les « sondages d’opinion publique avaient un impact significatif » sur les ministres du cabinet » (Gray 1991, 8). Qui plus est, « à la fin de 1990 et au début de 1991, le gouvernement Mulroney commandait des sondages presque quotidiens pour connaître l’opinion de la population sur la participation canadienne à la guerre du golfe Persique » (Hamann 1999). Ainsi, ceci laisse croire que le gouvernement canadien était à l’écoute de la population lors de la guerre du Golfe. À cet effet, l’approche très incrémentale du gouvernement canadien lors de cette crise aurait été adoptée pour ne pas brusquer la population en adoptant un rôle offensif trop agressif (Davis 1997, 76-77). De plus, Guy Lachapelle soutient que Mulroney « a attendu de voir une légère majorité de Québécois se prononcer en faveur d’une intervention militaire […] pour donner aux troupes canadiennes le feu vert pour participer aux opérations militaires » (Lachapelle 2003, 912- 3). Pour mesurer l’impact réel de l’opinion publique sur le processus décisionnel de la guerre du Golfe, il faudra par ailleurs déterminer l’efficacité du message envoyé par la population en observant sa cohésion.

L’opinion de la population canadienne a évolué et fluctué entre le moment de l’invasion du Koweït par l’Irak le 2 août 1990, l’opération bouclier du désert à l’automne 1990 et l’attaque de la coalition multinationale le 16 janvier 1991 dans le cadre de l’opération Tempête du désert. Durant les six mois précédant l’attaque du 16 janvier 1991, soit la guerre du Golfe proprement dite, le gouvernement canadien justifiera sa participation au conflit grâce à l’autorisation fournie par l’ONU pour toutes les actions de cette coalition (Collins 1991, 582). Cependant, malgré cette justification internationaliste cohérente avec les politiques habituelles du Canada, les Canadiens n’ont pas fortement supporté l’engagement dans le conflit du golfe Persique. Effectivement, durant la période

précédemment mentionnée, « l’appui des Canadiens à leur gouvernement va fluctuer entre 40 et 60 % » (Coulon 2000, 4). Ainsi, l’opinion publique était bien partagée. Les raisons soutenant l’opposition et l’appui à la participation militaire du Canada à l’offensive du golfe Persique seront abordées dans la section qui suit.

Pour commencer, plusieurs Canadiens soutenaient que la participation du Canada à une coalition militaire allait à l’encontre de sa tradition de maintien de la paix (Miller 1994, 129). De plus, malgré l’intention du président George W. H. Bush de prendre la voie onusienne, les Canadiens favorisent majoritairement les sanctions économiques, plutôt qu’une intervention militaire en Irak. Selon un sondage du Toronto Sun du 28 novembre 1990, seulement 19 % des Canadiens appuient « une initiative militaire pour repousser les Irakiens du Koweït, alors qu’une légère majorité de 53 % soutient l’implication des troupes canadiennes si la guerre venait à éclater » (Claiborne 1990, A43). Puis, il est intéressant de constater qu’après la campagne aérienne de l’opération Tempête du désert, seulement 36 % des Canadiens croyaient que les « forces canadiennes devraient participer activement aux actions militaires et envoyer des troupes dans la bataille contre l’Irak » (Xinhua General Overseas News Service 1991). Par ailleurs, le même sondage révèle un paradoxe intéressant. En effet, 73 % des Canadiens appuyaient la décision des États-Unis d’utiliser la force. Ainsi, les Canadiens veulent que l’Irak se retire du Koweït, mais ils ne veulent pas que le Canada participe militairement (Xinhua General Overseas News Service 1991). Finalement, d’autres auteurs expliquent la tiédeur des Canadiens envers l’intervention militaire dans le golfe Persique s’explique en raison de la division des élites et des pressions pacifistes. Ce premier facteur a été traité dans la section précédente. Il est évident qu’un accord politique entre le gouvernement et l’opposition ralliera plus facilement la population canadienne. Pour ce qui est des pressions pacifistes, elles seront traitées plus en détail dans la section abordant l’influence des groupes sociaux. Il est par ailleurs intéressant de noter que le 13 janvier 1991, environ 25000 Canadiens ont défilé dans les rues de 32 villes du pays. Ces chiffres ne sont pas très impressionnants dans la mesure où le

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mouvement pacifiste « a déjà réussi à mobiliser des dizaines de milliers de personnes pendant la crise des euromissiles en 1983 » (Coulon 1992, 107).

En observant le soutien pour l’intervention militaire canadienne au golfe Persique, il est tout d’abord intéressant de constater l’importance de l’appui rétroactif. En effet, 69 % des Canadiens (62 % des Québécois) se disaient pour l’envoi des navires dans le Golfe, et ce, malgré le faible nombre de Canadiens donnant le bénéfice du doute à Mulroney lors des premiers de moments de la crise (Kirton 1992, 385). Ainsi, les sondages effectués durant la crise offrent un appui moins important pour la participation du Canada. D’ailleurs, le Québec se distingue encore plus du reste du Canada avec une opposition constante à l’intervention jusqu’à la mi-février. Il est également intéressant de souligner qu’après le début des bombardements, le 16 janvier 1991, l’appui des Canadiens pour la guerre du Golfe augmenta. Les données précises de cet appui varient d’une source à l’autre. Selon La Presse, l’appui plafonna alors à 64 % (La Presse 1991, B6). Du côté de Angus- Reid/Southam News et Globe & Mail/CBC, l’appui atteignit 74 % (Cannon 1998, 163). Il est par ailleurs intéressant de noter que l’opinion des Québécois, bien qu’elle soit devenue également plus favorable, resta toujours moins positive que celle du reste du Canada (Coulon 1992, 109-110). D’autres auteurs affirment que l’appui pour l’intervention militaire dans le Golfe Persique a été facilité par les sentiments antiarabe et antimusulman présents chez une partie de la population canadienne (Graff 1992, 420). Finalement, l’appui des Canadiens pour l’intervention militaire était motivé par leurs inquiétudes pour le sort des Koweïtiens. Les conditions immorales affrontées par ces derniers sont des raisons légitimant, selon plusieurs Canadiens, une intervention militaire contre l’Irak (Cannon 1998, 185-7).

En résumé, cette analyse démontre bien que tout comme les élites, la société civile n’avait pas de ligne de pensée claire sur le cas de la guerre du Golfe. À certains moments, une légère majorité s’opposait à l’intervention, alors qu’à d’autres, une légère majorité l’appuyait. Ainsi, l’absence de consensus clair de la société civile, tout comme pour les élites de l’opposition, a facilité la mise en place de l’intervention militaire par le

gouvernement Mulroney. À la lumière de cet effet similaire du manque de consensus, il sera intéressant de relativiser l’importance, dans la section suivante, du consensus des institutions politiques et des institutions militaires.