• Aucun résultat trouvé

PARTIE I. INTRODUCTION GENERALE

4. INFLAMMATION CHRONIQUE ET CANCER

Le rôle de l’inflammation chronique dans la survenue des cancers a été suggéré depuis le

19ème siècle par Virshow, basé sur l’hypothèse que l’origine des cancers se situait dans des

zones d’inflammation chronique. Les cellules inflammatoires et les cytokines, chemokines et

prostaglandines qu’elles produisent, sont présentes dans le tissu tumoral et sont les mêmes

que dans le microenvironnement observé dans les phénomènes de réponse inflammatoire

chronique et de réparation tissulaire [69]–[72]. La réponse inflammatoire s’autorégule dans le

temps grâce à un équilibre entre des facteurs pro et anti-inflammatoires. Si la réponse

inflammatoire dure trop longtemps, elle peut devenir chronique, et sécréter des facteurs de

croissance, participant au développement tumoral, à l’angiogenèse, et la promotion d’une

instabilité génomique par le biais de dommages oxydatifs de l’ADN. Plus tardivement, les

chemokines favoriseraient la progression tumorale et les métastases. Plusieurs mécanismes

biologiques sont en faveur d’un lien fort entre inflammation et développement du cancer.

Pour le cancer de la prostate, un mécanisme biologique de la carcinogenèse prostatique a été

proposé par De Marzo suggérant que l’inflammation chronique provoquerait la formation de

zones d’atrophie inflammatoire proliférative (PAI) et de néoplasie intra-épithéliale prostatique

(PIN), considérées comme des lésions pré-cancéreuses [73]–[75]. En effet, la présence

d’infiltrats inflammatoires à proximité de ces zones serait en faveur de cette hypothèse [74],

[76]. Une étude a montré que les tissus prostatiques avec une preuve histologique

d’inflammation à la biopsie étaient plus à même de développer des cellules tumorales que

ceux n’en ayant pas [77].

Concernant le cancer du sein, une étude a montré qu’un état pro-inflammatoire associant des

taux élevés d’aromatase dans le sang, une hypertrophie des adipocytes et des niveaux plus

élevés de C-Reactive Protein, leptine, insuline et triglycérides circulants, lié à la

prédominance de tissu adipeux blanc dans la glande mammaire, pourrait être impliqué dans la

carcinogénèse, et ceci même chez des femmes ayant un IMC normal [78]. Concernant le

cancer colorectal, un modèle d’association entre inflammation chronique et cancer est

représenté par les patients porteurs d’une maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI)

pour lesquels, dans une méta-analyse, le risque estimé de survenue de cancer colorectal était

de 2 % après 10 ans, 8 % après 20 ans et 18 % après 30 ans de maladie [79]. De plus il

existait une forte concordance entre l’extension de l’atteinte liée à la MICI et le risque du

cancer avec un SIR de 1,7 pour une rectite, 2,8 pour une colite gauche et de 14,8 pour une

pancolite [57]. Cependant, lorsqu’une personne est atteinte de MICI, le processus de

carcinogénèse est souvent plus rapide et multifocal [80], [81]. Toutes ces études sont en

faveur d’un lien fort entre inflammation chronique et carcinogénèse.

4.1. Composition du microenvironnement inflammatoire et mécanismes

physiopathologiques

La composition du microenvironnement inflammatoire ainsi que différents mécanismes

physiopathologiques ont été suggérés pour mieux comprendre le rôle de l’inflammation

chronique dans la carcinogénèse [82].

Les cellules inflammatoires

Le microenvironnement inflammatoire des tumeurs est caractérisé par la présence de

leucocytes dans le stroma et dans les aires tumorales. Ces lymphocytes pourraient contribuer à

la croissance et l’expansion tumorale et à l’immunosuppression associée avec la pathologie

maligne. Parmi eux les macrophages associés aux tumeurs sont un composant de l’infiltrat de

la plupart des tumeurs. Ces macrophages peuvent tuer les cellules tumorales ou entraîner des

réactions de destruction centrées sur l’endothélium vasculaire. Cependant, ils peuvent au

contraire stimuler la prolifération cellulaire, promouvoir l’angiogenèse et favoriser

l’envahissement local et les métastases. Les cellules dendritiques associées aux tumeurs ont

un phénotype immature et une capacité déficiente à stimuler la réponse immune par les

cellules T, ne permettant pas une action efficace contre les antigènes tumoraux. Enfin, les

lymphocytes de type T associés aux tumeurs produisent des interleukines IL 4 et 5 qui sont

associées à la réponse immune T-helper type 2, inefficace en cas de tumeurs et virus.

Le stroma tumoral

A côté de ces cellules inflammatoires, le stroma tumoral est constitué de nouveaux vaisseaux,

tissu conjonctif et matrice de fibrine. Contrairement à une blessure qui se régénère et s’arrête

d’elle-même, les tumeurs secrètent un facteur de perméabilité vasculaire qui peut amener à

une extravasation de fibronectine et fibrine et une génération continue de matrice

extracellulaire. Les cytokines relarguées par les plaquettes comme le transforming growth

factor-beta (TGF-beta) et le vascular endotheloid growth factor (VEGF) participent à

l’angiogenèse tumorale.

Il est maintenant connu que les cytokines inflammatoires et chemokines qui sont produites par

les cellules tumorales elles-mêmes ou les leucocytes associés aux tumeurs et plaquettes

contribuent directement à la progression de la pathologie tumorale. C’est notamment le cas :

- Du tumor necrosis factor (TNF) qui est un médiateur majeur dans l’inflammation avec

des actions sur la destruction et la réparation tissulaire. Il peut par exemple détruire

des vaisseaux tumoraux mais aussi de manière chronique promouvoir le

développement tumoral, notamment par le biais de dommage oxydatifs sur l’ADN.

- Des interleukines (IL) 1 et 6 qui stimulent la croissance tumorale et la résistance au

- De la cyclo-oxygénase 2 qui transforme l’acide arachidonique en prostaglandines qui à

leur tour entrainent des réactions inflammatoires dans les tissus endommagés.

Les oncogènes

Une susceptibilité génétique des cancers et leur sévérité peut être associée à des

polymorphismes génétiques appelés oncogènes en lien avec les cytokines inflammatoires. Les

facteurs de transcription NF-kappaB, STAT3 sont des coordinateurs de l’immunité innée et de

l’inflammation. Ils activent l’expression de gènes codant pour des cytokines inflammatoires,

des molécules d’adhésions des enzymes comme la cyclo-oxygénase, qui synthétise les

prostaglandines et des facteurs angiogéniques et permettent par-là la survie des cellules

tumorales en induisant l’expression de gènes anti-apoptose.

4.2. Inflammation chronique et facteurs de risque de cancer

Plusieurs situations d’inflammation chronique, comme les infections chroniques et l’obésité,

ont été décrites comme pouvant jouer un rôle dans la survenue de nombreux cancers [83].

Infections chroniques

Il a été estimé que environ 15 % du fardeau global des cancers était attribuable à des agents

infectieux (Helicobacter Pylori par exemple pour le cancer gastrique). Par exemple, des

études ont montré que les infections à tropisme prostatique pourraient jouer un rôle dans la

carcinogénèse prostatique en raison de l’inflammation chronique qu’elles entraîneraient [84],

[85]. Parmi ces infections, les infections sexuellement transmissibles (IST) et les infections

génito-urinaires (IGU) ont été associées à la survenue de cancer de la prostate dans certaines

études. Cependant, ces résultats sont contradictoires d’une étude à l’autre. Globalement, le fait

d’avoir au moins un antécédent d’IST entrainerait une augmentation du risque de cancer de la

prostate [86]. Concernant les IGU, une méta-analyse étudiait le lien entre prostatite et cancer

de la prostate dans 20 études cas-témoins publiées entre 1990 et 2012. Cette méta-analyse

observait une association positive statistiquement significative entre les antécédents

personnels de prostatite et le cancer de la prostate [87]. Concernant le cancer colorectal, la

composition du microbiote intestinal pourrait jouer un rôle dans le développement du cancer

colorectal. Escherichia coli par exemple, serait un cofacteur de développement de cancer

colorectal chez les patients atteints de maladie chronique inflammatoire intestinale [88].

Concernant le cancer du sein, il n’a pas été trouvé de lien entre infection et développement de

ce cancer.

Obésité

Une autre situation pro-inflammatoire chronique est retrouvée en situation d’obésité. En effet,

les individus obèses seraient plus à risque de développer un cancer et au moins 3,6 % des

nouveaux cas de cancer chez l’adulte de plus de 30 ans pourraient être liés à l’obésité [89]. Il

existe un lien étroit entre l’obésité et l’inflammation ce qui amène au développement d’un

nouveau concept de « metaflammation » [90], [91]. Alors que les adipocytes normaux

produisent des facteurs anti-inflammatoires comme l’adiponectine, l’IL-4 et IL-10, les

adipocytes de sujets obèses sont une source de médiateurs pro-inflammatoires comme la

leptine, l’IL-1, l’IL-6 et le TNF. Ces adipokines initient une cascade pro-inflammatoire

résultant en une dérégulation du système métabolique entrainant une augmentation des

concentrations d’insuline et d’IGF1, altèrent le microenvironnement tumoral, et favorisent

l’angiogenèse et la prolifération tumorale (Figure 10).

5. CONSOMMATION D’ANTI-INFLAMMATOIRES NON STEROIDIENS ET