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5.1 Répertoires langagiers et représentations sociales des langues

5.1.4 Impressions de premier contact avec le français

Les impressions du premier contact avec une langue étrangère ne sont pas à sous-estimer quant à leur probable effet sur la motivation des élèves et, éventuellement, sur la poursuite ou l’abandon de l’apprentissage. Le tout premier contact avec une langue est en lien étroit avec l’attitude que l’apprenant peut adopter vis-à-vis de la langue en question. A ce propos, nous avons demandé aux élèves d’exprimer librement toute impression qu’ils ont eue lors de leur tout premier contact avec le français. Les réponses sont présentées dans le schéma suivant.

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Figure 8: Impressions de premier contact avec le français chez élèves

Avant de procéder à l’interprétation des réponses présentées dans le schéma ci-dessus, il serait peut-être utile de rappeler que le jugement d’un nouveau système linguistique est forcément fondé sur l’ensemble des expériences linguistiques antérieurement vécues par le sujet. En d’autres termes, face à un nouveau code linguistique, la tendance pour la plupart des sujets est de retourner dans le répertoire linguistique déjà existant et plus ou moins stable pour chercher à comparer ou à contraster ce nouveau code avec les autres. Ce processus d’établir un regard comparatif et contrastif s’opère presque automatiquement, comme on peut le constater à partir des réponses des sujets. Etant donné le fait que les sujets ont une expérience linguistique plus ou moins commune (exposition aux LCEs qui sont majoritairement bantoues, au swahili et à l’anglais), nous nous attendions à des réponses plus ou moins comparables entre les sujets.

Nous étions étonnés de constater que, pour la plupart des sujets, les impressions de premier contact avec le français tournaient autour de la prononciation. La réponse la plus fréquente et donc la plus partagée est celle de « prononciation étrange », qui est émise par 107 élèves, soit 63,7% des sujets. 81 élèves, soit 48,2%, ont répondu « prononciation amusante », alors que 89 élèves, soit 53%, ont parlé d’une « prononciation difficile ».

FRANCAIS

Etrange 33 (19,6) Prononciation

Orthographe

Ressemblances avec l’anglais 73 (43,5%) Incompréhensible

35 (20,8%)

Difficile 65 (38,7)

Différente des autres langues 60 (35,7%) Amusante 81

(48,2%)

Etrange 107 (63,7%) Difficile 89 (53%)

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Comment expliquer la fréquence de la prononciation dans les réponses des sujets ? C’est la question qui se pose en premier lieu. Nous craignons de ne pas disposer d’éléments de réponse dans les données mais nous pouvons tout de même tenter de proposer quelques explications. Tout d’abord, il va de soi que la langue se matérialise par le son. C’est ce qu’on entend qui attire notre attention et il est donc loqique que les impressions de premier contact avec une langue étrangère concernent avant tout la prononciation. Une seconde explication est peut-être fondée sur la tradition orale du pays qui est plus dominante que la tradition écrite.

Face aux sons d’une langue, les impressions sont différentes selon l’angle de vision des sujets.

L’étrangeté de la prononciation nait de la comparaison et du contraste sonores que fait le sujet avec les codes linguistiques déjà existants et qui sont, peut-être, considérés comme normaux et donc évidents. Autrement dit, ce qui n’est pas habituel est étrange. Si la prononciation du français parait très différente des LCEs, du swahili et de l’anglais, la langue française devient très étrange. Quant à la nature amusante du son, elle peut également être liée à son étrangeté mais c’est en se concentrant sur la qualité sonore que le sujet peut la trouver amusante. L’effet d’une prononciation amusante peut être de motiver le sujet à prononcer la langue et éventuellement à se l’approprier. C’est donc une impression plutôt positive.

Au contraire, avoir l’impression que le français a une prononciation difficile peut se traduire par le fait que le sujet reconnait d’abord que l’aspect sonore de la langue nouvelle est différent (étrange) de ceux des langues auxquelles il est déjà exposé et il associe l’étrangeté à la difficulté de sa maîtrise. Non seulement il constate l’étrangeté, mais il pense également à l’impossibilité de produire cette prononciation étrange. On peut décrire cette impression comme négative avec, potentiellement, un effet négatif sur l’appropriation d’une nouvelle langue.

L’impression que le français est différent des autres langues est une réponse également fréquente chez les sujets, soit 35,7%. Dans ce cas, les sujets n’ont pas indiqué en quoi le français est différent des autres langues mais c’est une réponse attendue lors du premier contact. Cependant, une réponse contraire a été avancée par 73 sujets, soit 43,5, qui avaient l’impression que le français avait des similitudes avec l’anglais. C’est une réponse qui suppose une certaine analyse du système linguistique de la part des sujets. Les données montrent que cette réponse est plus fréquente chez les élèves de la quatrième année; ce qui laisse penser que cette réponse découle partiellement de l’analyse actuelle de la langue.

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Les autres impressions portent sur l’orthographe. 65 sujets, soit 38,7%, déclarent avoir eu l’impression d’une orthographe difficile (difficile à écrire). 33 élèves, soit 19,6%, déclarent avoir eu l’impression d’une orthographe étrange. En disant « orthographe difficile », les sujets perçoivent l’orthographe française par rapport à l’apprentissage, alors qu’elle est considérée comme étrange lorsqu’on adopte une position qui consiste simplement à reconnaitre le fait que l’orthographe ne correspond pas à celle des langues antérieurement présentes dans le répertoire linguistique.

35 élèves, soit 20,8%, ont affirmé avoir eu l’impression que le français était une langue incompréhensible. Une telle impression au premier contact avec une langue peut découler de différents facteurs. Il est possible que les techniques pédagogiques employées par l’enseignant fassent que les élèves ne comprennent pas grand-chose et par conséquent la langue devient incompréhensible. Il est également possible que les élèves n’aient pas de patience et qu’ils veuillent tout comprendre à la fois, oubliant le fait que l’appropriation d’une nouvelle langue implique la compréhension progressive des différents aspects de la langue jusqu’à pouvoir développer une autonomie langagière. Avoir l’impression qu’une langue est incompréhensible peut constituer un blocage sur la voie de l’appropriation.

Nous pensons que les impressions de premier contact peuvent se maintenir ou se dissiper avec l’exposition à la langue. Il est clair, par exemple, que l’étrangeté d’une langue diminue progressivement avec l’apprentissage. Il est également possible que cette étrangeté persiste, s’il n’y a aucun progrès en langue. Nous avons donc demandé aux sujets de décrire la langue française telle qu’elle était actuellement en se servant d’un adjectif qualitatif. Nous présenterons les réponses dans les parties qui viennent, mais nous proposons d’abord d’analyser les impressions de premier contact chez les enseignants.

La question portant sur les impressions de premier contact avec le français a également été posée aux enseignants. Il va de soi que les enseignants ont une exposition beaucoup plus longue et plus vaste que les élèves. De ce fait, parler des premières impressions chez les enseignants, c’est parler d’une expérience vécue plus de huit ans auparavant pour la majorité.

Pour certains enseignants âgés de plus d’une cinquantaine d’années, on parle de plus de trente années depuis leur premier contact avec le français. C’est donc une question qui exige de la part du sujet un effort de mémoire. Par ailleurs, l’apprentissage, la formation et l’expérience professionnelle des enseignants permettent de développer des capacités analytiques considérables sur leurs premières impressions du contact avec le français. Nous pensons qu’ils

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sont capables d’un recul par rapport à ces impressions et ainsi de fournir des réponses plus analytiques. L’intérêt est de voir si les impressions des élèves et celles des enseignants sont comparables.

Figure 9: Impressions de premier contact avec le français chez enseignants

Nous constatons, à partir du schèma ci-dessus, qu’il y a moins de diversité dans les réponses des enseignants par rapport à celles des élèves. Les enseignants decriventle français en général et la prononciation, alors que les élèves y ajoutent l’orthographe. Cela découle peut-être du petit nombre de sujets, à savoir 11 enseignants contre 168 élèves. Cependant, nous constatons que les impressions des enseignants convergent largement avec celles des élèves.

Dans les deux cas, c’est la prononciation qui est la plus décrite en termes de pourcentage. La prononciation est décrite comme étrange par 46% des enseignants. C’est la description la plus partagée (soutenue par 63,7% des élèves) et elle implique que le français, comparé aux codes linguistiques présents dans le répertoire linguistique des sujets, a des qualités sonores très différentes dans l’imaginaire des sujets enquêtés. Par contre, un seul enseignant, soit 9%, a évoqué avoir eu l’impression d’une prononciation difficile, contre 53% des élèves qui ont eu la même impression. Il est probable que la différence repose sur le fait que les enseignants maîtrisent déjà la prononciation et l’impression de la difficulté de la prononciation n’est plus dans leur mémoire. L’impression d’une prononciation intéressante chez 36% d’enseignants et amusante chez 46% d’élèves semble similaire mais n’évoque pas la même chose. Dans le premier cas, elle renvoie plutôt à la curiosité alors que, dans le second, elle renvoie au divertissement, au rire ou au plaisir emotionnel. Cela laisse penser que le premier contact avec le français et, bien sûr, de toute autre langue ne fait pas seulement l’objet de curiosité intellectuelle mais également émotionnelle.

Prononciation

Etrange (46%)

Difficile (9%) Intonation

Unique (9%)

Intéressante (36%)

Français Difficile (19%)

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La fréquence de la prononciation chez les enseignants et les élèves suggère que le premier contact avec une langue étrangère passe avant tout et se matérialise par le son. C’est donc l’aspect le plus visible de la langue.