• Aucun résultat trouvé

De par ses éléments constitutifs, sa composition (minérale et organique) et sa disposition, l’opercule est une pièce essentielle dans la taxinomie des gastéropodes néritimorphes. La composition minérale peut être, selon les familles, entièrement calcitique, calcitique et aragonitique ou, le plus souvent, totalement aragonitique et formée de plusieurs couches (Suzuki et al., 1991 ; Sasaki, 2001 ; Eichhorst, 2016). D'après ces auteurs, les couches minérales seraient à 100% aragonitiques et au nombre de deux chez les espèces de nérites d’eau douce et saumâtre, trois chez les espèces marines. La présence ou non d’apophyse(s) ainsi que la morphologie des empreintes musculaires sont aussi diagnostiques.

139 Au sein de la famille des Neritidae, la complexité de la structure de l’opercule peut être utilisée pour l’identification de genres, voire même d’espèces (Eichhorst, 2016), sachant que la structure et la couleur de cette pièce sont généralement stables au sein d’une même espèce. La disposition et la couverture de la couche cornée, par rapport aux couches minérales, varient en fonction de l’environnement. La couche cornée s’intercale entre la couche minérale externe et les deux autres couches internes chez les espèces marines ; elle couvre partiellement la face externe de l’opercule calcaire en le dépassant le long du bord externe, chez les espèces d’eau saumâtre ; chez les espèces dulçaquicoles enfin, deux enveloppes cornées couvrent les deux faces de l’opercule et se rejoignent le long du bord labial pour former une extension membraneuse, jouant un rôle dans l’hermétisation de la fermeture de la coquille.

Selon Eichhorst (2016), la croissance de l'opercule, y compris des apophyses, se ferait par ajout de couches spirales le long du bord interne imbriqué dans la gouttière operculaire au niveau du pied du gastéropode (Figure 1).

L'objectif de notre étude a été d'analyser, à l'aide de différentes techniques complémentaires, la composition de l'opercule et la disposition de ses éléments constitutifs. Nous avons aussi testé, dans le cadre de cette étude préliminaire, le caractère diadrome de certaines espèces. En particulier, nous avons analysé le rapport Strontium-Calcium (Sr/Ca) et Strontium-Barium (Sr/Ba) sur l'opercule adulte et l'opercule larvaire par couplage ablation-laser/spectromètre de masse (LA-ICP-MS).

Figure 1 : Croissance de l'opercule. Modifié d'après Eichhorst (2016).

140

Composition et croissance spatio-temporelle de l'opercule des nérites dulçaquicoles

(Article en préparation)

2.1- Introduction

Dans les rivières des systèmes insulaires tropicaux, le cycle biologique observé chez les espèces est en majorité l’amphidromie (McDowall, 2007, 2010 ; Crandall et

al., 2010 ; Abdou et al., 2015). Au cours de ce cycle diadrome, les individus se reproduisent en eau douce. À l’éclosion les larves dévalent les rivières pour rejoindre la mer où elles séjournent pendant un temps variable en fonction des espèces avant de se regrouper à l’embouchure des rivières, se métamorphoser et coloniser les habitats dulçaquicoles (Keith, 2003 ; Kano & Kase, 2003 ; Maeda et al., 2007 ; Iida et

al., 2008 ; Kano et al., 2011 ; Gorbach et al., 2012 ; Abdou et al., 2015). La phase larvaire marine est la clef de la dispersion de ces espèces insulaires. Ce cycle biologique a été validé chez de nombreuses espèces de poissons (Elsdon & Gillanders, 2005 ; Tabouret et al., 2010, 2011 ; Lord et al., 2011 ; Feutry et al., 2011, 2012) grâce à l’analyse de la composition élémentaire des otolithes. Ces structures situées dans l’oreille interne des poissons, sont constituées d’une succession de dépôts de carbonate de calcium qui se forment au cours de la croissance de l’individu. Au moment de leur précipitation, ces dépôts intègrent un certain nombre d’éléments chimiques caractéristiques de l’environnement de vie et/ou du régime alimentaire de l’individu (Campana, 1999). Parmi ces éléments chimiques, le strontium (Sr) et le baryum (Ba) sont particulièrement utilisés pour distinguer les environnements d’eau douce des environnements saumâtres ou salés, et ainsi retracer les traits d’histoire de vie des espèces diadromes (Elsdon & Gillanders, 2002 ; 2003a ; 2003b ; Arai & Hirata, 2006 ; Tabouret et al., 2010 ; 2011 ; Lord et al., 2011 ; Feutry et al., 2011, 2012). De fortes concentrations en strontium indiquent en général un environnement salé tandis que de très faibles concentrations indiquent des eaux douces (Brown & Severin, 2009).

141 Dans certains milieux le comportement inverse est observé pour le baryum (Tabouret et al., 2010 ; Lord et al., 2011 ; Feutry et al., 2011, 2012).

Certains mollusques présentent des pièces analogues aux otolithes des poissons, les statolithes, contenus dans les statocystes, organes de l'équilibre situés à proximité des ganglions pédieux. Des dépôts cycliques, composés d’aragonite, ont été observés dans ces pièces et ont été utilisés pour l’estimation de l'âge de gastéropodes marins (Grana-Raffucci & Appeldoorn, 1997 ; Barroso et al., 2005 ; Richardson et al., 2005a, 2005b ; Chatzinikolaou & Richardson, 2007) et de céphalopodes (Jackson & Moltschaniwskyj, 1999, 2001 ; Bettencourt & Guerra, 2001), ou encore pour étudier les changements ontogéniques (Richardson, 2001). Selon Zacherl et al. (2003a, 2003b) et Zacherl (2005), la composition élémentaire des statolithes, en particulier le rapport Sr/Ca et Ba/Ca, pourrait permettre de retracer les origines natales de gastéropodes marins tels que Concholepas concholepas (Bruguière, 1789) ou Kelletia kelletii (Forbes, 1852) et d’étudier les processus de dispersion larvaire. Cependant, ces statolithes ne sont pas présents chez tous les gastéropodes.

Les gastéropodes néritiformes possèdent deux autres pièces, peu ou pas exploitées, présentant un potentiel pour étudier les traits d’histoire de vie : la protoconque et l’opercule. La coquille étant exposée à l’érosion biotique et abiotique, certaines zones d’intérêt, dont l’apex, sont érodées au cours de la vie de l’individu et rendues ainsi inexploitables (Kano, 2006). L’opercule est une structure carbonatée et/ou cornée selon les espèces (Checa & Jiménez-Jiménez, 1998). La plupart des membres des Neritimorpha aquatiques développent un opercule présent tout au long de l'ontogénèse (embryon, larve, imago) et qui grandit avec l'animal sous la forme d’une succession de dépôts calcifiés autour d’un nucléus (Kano, 2006 ; Abdou et al., 2013). Ce nucléus (Figure 2), clairement visible, représente l'opercule larvaire et permet d'inférer le mode de développement de l'animal (Kano, 2006). Selon cet auteur, le noyau de l'opercule est relativement bien préservé de l'érosion chez les Neritimorpha, et sa morphologie reflète les premiers stades de l'ontogenèse. Chez les espèces à développement planctotrophique, ce nucléus en forme de "D", formé avant la métamorphose, est composé d'un opercule embryonnaire, formé avant l'éclosion, et de plusieurs couches spirales élaborées pendant la phase larvaire.

142 Des marques de croissance régulières sont visibles à la surface de l’opercule et ont permis de faire une estimation de l’âge chez certaines espèces (Sire & Bonnet, 1984 ; Santarelli & Gros, 1985 ; Villiers & Sire, 1985 ; Richardson et al., 2005a) appartenant essentiellement aux familles Haliotidae, Buccinidae, Naticidae, Turbinidae. L’opercule représente donc une archive potentielle pouvant permettre d’accéder à des informations essentielles pour la compréhension du cycle de vie chez les nérites. Pour autant, les données issues d’opercules de nérites sont rares voire inexistantes.

L’objectif de notre étude était d'étudier la structure minéralogique de l'opercule des nérites, d'utiliser un marquage vital et d’analyser sa composition élémentaire par ablation laser et spectrométrie de masse à plasma induit (LA-ICPMS) afin (1) de comprendre de quoi il est fait, (2) de comprendre comment se déroule sa croissance tridimentionnelle et (3) de voir s'il peut apporter des éléments supplémentaires à la connaissance de l'amphidromie, par la recherche de marqueurs de l'environnement marin traversé et valider ainsi son utilisation comme archive environnementale.