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L’île est certes une terre séparée des autres terres par la mer, mais celle-ci est à la fois frontière et voie de communication permanente.

Chevrier (2007)

La connection entre les différentes populations de la faune aquatique est principalement assurée par la dispersion larvaire. Un des facteurs importants de cette dispersion, à la fois active et passive, est la durée de vie larvaire (DVL), mais les courants océaniques en sont un moteur essentiel, sans pour autant en garantir nécessairement la réalisation (Page et al., 2013). Différentes méthodes permettent d’estimer la DVL, notamment celle utilisant la distance entre le point d’arrivée et le point de départ des migrants, et la vitesse du courant (Crandall et al., 2010). Cependant, certains auteurs pensent que la distance euclidienne et la vitesse du courant sont en réalité des paramètres trompeurs. En effet, dans le milieu marin, les courants peuvent être détournés par des phénomènes océanographiques comme les tourbillons et les fronts, empêchant ainsi la progression et la propagation des larves pélagiques. D’où le découplage de la dispersion des larves pélagiques et la distance euclidienne (White et al., 2010). Deux sites adjacents peuvent rarement échanger des migrants s’ils sont situés sur des côtés différents d'un front océanique, alors que deux sites distants peuvent être reliés par un fort courant entre eux. White et al. (2010) préconisent donc, dans l'analyse de l'isolement par la distance des populations aquatiques à dispersion marine, une nouvelle approche incorporant les observations directes de la circulation océanique. Il est également

31 nécessaire de tenir compte du fait que les variations climatiques au cours des temps géologiques ont pu modifier les conditions environnementales et les courants océaniques, à l'échelle mondiale et régionale, modifiant par la même occasion le flux de gènes et la distribution des espèces (Postaire et al., 2014).

Globalement, la zone tropicale Indo-Pacifique est sous l’influence d’un système de courants et contre-courants équatoriaux, dont les principaux sont le courant Sud-équatorial (CSE), le courant nord-équatorial (CNE) et le courant équatorial (CE) (figure 4). La liaison entre l’Océan Pacifique et le sud de l’Océan Indien (dans ce sens) est essentiellement assurée par le CSE, passant par un couloir limité par le nord de l’Australie et le sud de l’Indonésie. Il se divise en deux devant Madagascar (Guyomard et al., 2006 ; Pous et al., 2010) pour donner naissance au courant sud-est malgache (CSEM) vers le sud, rejoignant le système du courant des Aiguilles, et au courant nord-est malgache (CNEM). L'essentiel du CNEM traverse le plateau des Mascareignes, entre le banc de Saya de Malha et le banc de Nazareth, une autre partie passe entre Carcados Carajos (Saint-Brandon) et l'Île Maurice (Pous et al., 2010). Le CNEM passe ensuite par le cap d’Ambre au nord de Madagascar et continue vers la côte est-africaine, au niveau de l’archipel de Quirimbas, au nord du Mozambique, où il alimente le courant côtier est-africain (Guyomard et al., 2006). Ce courant traverse également les Comores, qui se situent entre la pointe nord de Madagascar et le nord du Mozambique.

32 Dans chaque compartiment (Pacifique et Indien) les courants marins provoquent des gigantesques tourbillons d’eau océanique, les gyres subtropicaux, qui peuvent être autant de facteurs influant positivement ou négativement sur la dispersion marine. Il y en a trois : le gyre du Pacifique nord, le gyre du Pacifique sud et le gyre de l’Océan indien. La formation de ces gyres implique aussi bien les courants équatorial, Sud-équatorial et Nord-équatorial. Notons enfin que le sens des courants peut être perturbé par les cyclones, permettant ainsi à des larves d’atteindre des endroits inaccessibles dans les conditions climatiques normales.

En général, la connectivité des populations due, notamment, à leurs capacités dispersives, et l'endémicité évoluent en sens inverse. En effet, la différenciation génétique augmente avec la diminution du flux de gènes, processus dans lequel la DVL joue un rôle important (Treml et al., 2015) mais probablement pas déterminant (Bowen et al., 2006). En effet, on a longtemps cru que la DVL et les capacités de dispersion étaient corrélées, et plusieurs études allant dans ce sens ont été réalisées sur des mollusques, mais aussi sur des crustacés et des poissons (Scheltema, 1971 ; Myers et al., 2000 ; Kano & Kase, 2003 ; 2004 ; 2008 ; Hoareau et al., 2007a ; Crandall et al., 2010 ; Dennenmoser et al., 2010 ; Lord et

al., 2010 ; Feutry et al., 2012a). Ainsi, par exemple, l'étude réalisée par Lord et al. (2010) sur trois espèces de gobies amphidromes du genre Sicyopterus, a montré que les deux espèces endémiques possèdent des DVLs nettement plus courtes que l'espèce cosmopolite Indo-Pacifique, S. lagocephalus, qui serait originaire du Pacifique-ouest (Hoareau et al., 2007a ; Lord et al., 2012). Néanmoins, l'endémisme chez les espèces à fort potentiel dispersif ne peut pas s'expliquer par la DVL. Et ce d'autant plus que la rétention larvaire et la dispersion restreinte ne sont pas des facteurs favorables dans les habitats d'eau douce instables en milieu insulaire tropical, au vu des conséquences sur la capacité des populations à s'adapter aux changements écologiques locaux (Levin, 2006). L'avantage pour les espèces dans ces milieux insulaires serait de pouvoir disperser le plus loin possible et coloniser des îles lointaines et isolées, pour assurer la survie de l'espèce. En permettant de retarder la métamorphose afin d'atteindre des rivières favorables à coloniser, une longue phase larvaire marine pourrait être une adaptation à la vie dans les systèmes insulaires d'eau douce très instables (Crandall et al., 2010 ; Lord et al., 2010, 2012). Il semble donc que l'endémisme, chez les espèces à fort potentiel dispersif, ne peut être que le résultat d’une combinaison complexe de facteurs historiques,

33 biogéographiques, environnementaux et physiologiques ou de contraintes sélectives locales (Lord et al., 2012), voire d'un changement d'habitats et d'une spécialisation écologique (Triantis, 2011).

Soulignons que la DVL confert un potentiel de dispersion qui ne se transforme pas nécessairement en capacité. Le sujet fait débat, dans la mesure où plusieurs études réalisées ont montré que la DVL n'est pas un bon prédicteur de la dispersion, et donc des flux de gènes et de la structure géographique des populations. Shanks et al. (2003) indiquent que la DVL explique plus de 60% de la variabilité de la distance de dispersion. Après avoir analysé les distances de dispersion de plusieurs espèces appartenant à différents groupes biologiques, dont les mollusques, les crustacés et les poissons ayant une DVL s'étendant de 6 à 293 jours, Shanks (2009) a constaté que ces distances sont inférieures à ce que l'on pourrait attendre s'il s'agissait de particules passives transportées par un courant océanique. Il en a conclu que le comportement larvaire joue un rôle déterminant dans la distance de dispersion. Une grande flexibilité du comportement en réponse aux conditions hydrologiques donnerait aux larves beaucoup plus de latitude dans le contrôle de leurs mouvements (Levin, 2006). Bowen et al. (2006) abondent dans ce sens en évoquant le cas de deux poissons récifaux sans aucune structuration génétique pour celui dont la DVL est la plus courte, contrairement à celui qui a la plus longue DVL. A l'issue d'une méta-analyse d'un échantillon de 300 études publiées, Weersing & Toonen (2009) sont arrivés à la même conclusion, en précisant que le positionnement vertical dans la colonne d'eau permet de maximiser le temps de séjour près des sources de nourriture, de minimiser la prédation, d'atténuer l'advection et/ou de faciliter le transport vers l'habitat d'installation approprié.

La disparité dans la répartition géographique d'espèces ayant des potentiels de dispersion comparables serait liée à la tolérance environnementale (Hansen, 1980). La distribution géographique des populations serait le résultat de la combinaison entre la tolérance environnementale et la dispersion, des espèces à larves non planctotrophes mais eurytopes pouvant être répandues et moins sensibles aux phénomènes d'extinction que celles à larves planctoniques mais sténotopes.

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