DISCUSSION GÉNÉRALE
I. Impact du sommeil sur la cognition
L objectif principal de cette thèse était d étudier l impact des modifications du sommeil liées à l âge sur la cognition d une part, et de mieux comprendre les facteurs pouvant moduler la relation entre sommeil et cognition d autre part. Dans cette optique, ce travail de thèse était divisé en deux parties complémentaires, chacune articulée autour d un article original.
Nous nous sommes intéressés, dans un premier temps, aux modifications du sommeil liées à l âge et à leur impact sur la cognition. Le point fort de ces deux articles était qu ils intégraient chacun un aspect différent de la qualité de sommeil. Ainsi, alors que le premier se basait sur des mesures subjectives de sommeil, associées à l estimation et au ressenti des participants, le second comprenait des paramètres objectifs, obtenus au moyen d enregistrements polysomnographiques. La première étude que nous avons menée visait à étudier l effet du sommeil sur les capacités de mémoire prospective, composante de la mémoire épisodique orientée vers le futur et la planification d actions i.e., intentions chez une population de sujet âgés (Rehel, Legrand et al., 2019). Pour cela, nous avons évalué la consolidation et le rappel d intentions en mémoire prospective au moyen d une épreuve originale en réalité virtuelle après deux intervalles de rétention, composés respectivement d une période de heures de sommeil nocturne et d une période de heures de veille diurne. La seconde étude, quant à elle, avait pour objectif d évaluer comment les modifications de la macrostructure du sommeil associées au vieillissement pouvaient impacter les performances dans deux domaines cognitifs sensibles à l âge, à savoir la mémoire épisodique et les fonctions exécutives, et de déterminer dans quelle mesure la réserve cognitive et le style de vie pouvaient moduler cette relation (Rehel et al., en préparation).
Comme nous l avons vu précédemment dans cette thèse, le sommeil joue un rôle essentiel dans le maintien d un fonctionnement cognitif optimal, et ce à tous les âges de la vie (Scullin & Bliwise, 2015a, pour revue). Toutefois, le vieillissement se caractérise par de profonds changements au niveau de l architecture de sommeil, à la fois d un point de vue subjectif, avec notamment une augmentation de la plainte, et d un point de vue objectif (Foley et al., 1995 ; Ohayon et al., 2004 ; Ancoli-Israel, 2005 ; Ohayon et al., 2017, pour revues). Ainsi, compte tenu de ces éléments, nous nous attendions à constater un effet
délétère de l âge sur la relation entre sommeil et cognition (Yaffe et al., 2014 ; Brewster et al., 2015 ; Scullin & Bliwise, 2015a, pour revues).
Les résultats que nous avons obtenus dans notre seconde étude ont montré, sur l ensemble de notre groupe, une association positive entre la quantité de sommeil lent profond et les performances exécutives, supportant les observations rapportées par de précédents auteurs (Wilckens et al., 2012, 2014 ; Li et al., 2016 ; Wilckens et al., 2016). De façon plus précise, en séparant notre population en deux selon leur engagement cognitif au cours de la vie, nos données montrent un lien entre la proportion de sommeil lent profond et les performances exécutives et de mémoire épisodique seulement chez les individus ayant été peu engagés cognitivement par le passé. Ainsi, ces sujets étaient sensibles aux effets délétères d une réduction du sommeil lent profond sur la cognition. Par ailleurs, dans notre première étude, nous n avons montré aucun effet délétère de l âge sur la relation entre sommeil et mémoire prospective. Les participants âgés obtenaient de meilleures performances de rappel des intentions après une nuit de sommeil par rapport à un intervalle de veille de même durée, ce qui contredit les récentes observations de Fine et collaborateurs (Fine et al., 2019). L ensemble de ces résultats nous permettent, comme d autres chercheurs avant nous, de confirmer l hypothèse que la nature des données de sommeil peut avoir un impact sur la relation entre la qualité de sommeil et la cognition. Comme cela a été décrit dans la littérature, il existe un écart non négligeable entre les estimations subjectives de la qualité de sommeil et les mesures objectives au moyen de l actimétrie ou de la polysomnographie, et notamment chez les personnes âgées (Van Den Berg et al., 2008 ; Williams et al., 2013 ; Kay et al., 2015 ; Hughes et al., 2018). En effet, bien que les méthodes d évaluation subjective du sommeil i.e., agenda de sommeil, questionnaires) représentent la base de tout entretien visant à déterminer la présence de difficultés de sommeil, elles sont généralement critiquées pour leur incapacité à reproduire les résultats des mesures objectives de sommeil. Il apparaît ainsi important de combiner les évaluations subjectives de sommeil à des méthodes objectives, comme la polysomnographie.
Par ailleurs, les études portant sur les effets du vieillissement sur la mémoire prospective se sont généralement basées sur des comparaisons entre les performances de participants âgés à celles de sujets jeunes. Toutefois, alors que certains auteurs rapportaient de moins bonnes performances de mémoire prospective chez des individus
âgés, d autres ne montraient aucun impact du vieillissement sur le rappel des intentions. Ces observations contradictoires ont donc, par la suite, posé la question d un « effet paradoxal de l âge sur la mémoire prospective » (Rendell & Craik, 2000 ; Aberle et al., 2010 ; voir Azzopardi et al., 2015 pour revue). Comme nous l avons décrit dans la première partie de cette thèse, ce phénomène traduit un effet délétère de l âge dans les épreuves de laboratoire par rapport aux épreuves écologiques, durant lesquelles les sujets âgés obtiennent de meilleures performances de mémoire prospective comparés aux sujets jeunes (Rendell & Thomson, 1999). Selon les auteurs, ces résultats pourraient s expliquer par le fait que les sujets âgés se montreraient plus motivés à réaliser la tâche et organiseraient plus efficacement leur quotidien que les sujets jeunes. De plus, ils seraient avantagés par une utilisation plus fréquente d aides externes. Ce paradoxe de l effet de l âge laisse supposer que les épreuves réalisées en laboratoire et celles s apparentant à des situations de la vie quotidienne n évalueraient pas de la même manière la mémoire prospective. Par conséquent, l effet de l âge pourrait être différent en fonction des situations dans lesquelles sont placés les participants. C est pourquoi, depuis quelques années, l utilisation de la réalité virtuelle semble constituer un bon compromis entre les deux types d évaluation de la mémoire prospective, alliant rigueur expérimentale et validité écologique (Lecouvey et al., 2012).
Sur la base de ces éléments, la tâche de mémoire prospective élaborée dans notre étude tendait à reproduire une situation se rapprochant le plus possible de la vie quotidienne, à la fois en termes d environnement et d intentions. En effet, l environnement virtuel que nous avons utilisé dans cette épreuve était une représentation du Mémorial de Caen, musée ayant pour thème la 2nde Guerre Mondiale. Ainsi, compte tenu de l impact de cet
événement historique sur la population normande et de la familiarité du Mémorial, les participants pouvaient se sentir davantage concernés par la tâche de mémoire prospective. Par ailleurs, les intentions qui étaient proposées correspondaient à des situations auxquelles nos participants pouvaient être confrontés dans leur quotidien. De ce fait, nous pouvons supposer que l épreuve de réalité virtuelle apparaissait comme pertinente aux yeux de nos sujets, qui par conséquent pouvaient se sentir davantage motivés à la réaliser (Brandimonte et al., 2010 ; Penningroth & Scott, 2013). Ainsi, l absence d effet de l âge sur les performances de mémoire prospective souligne l importance du matériel utilisé lors de son évaluation au sein d une population âgée, et
indique que cette capacité de formation, de planification et de récupération d intentions peut être préservée au cours du vieillissement.