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2. Bordetella pertussis, pathogène à hôte restreint

2.7. Mode de vie et pathogénie de Bordetella pertussis

2.3.1 Évolution du genre Bordetella

2.7.1.3. Spécialisation à l’humain de B. pertussis

2.7.1.3.2. Immunomodulation

L’une des adaptations à son hôte la plus aboutie chez B. pertussis est son pouvoir immunomodulateur. Cette bacterie est un pathogène obligatoire capable d’infecter un seul hôte et dans la niche très restreinte qu’est la surface de l’épithélium de l’arbre respiratoire supérieur. Cette surface constitue l’interface entre l’hôte et le milieu extérieur et par conséquent, ce tissu est extrêmement bien défendu au travers d’un système immunitaire cellulaire et humoral dont la pression de sélection a forcé l’adaptation de B. pertussis.

Parmi les nombreuses stratégies d’échappement et de modulation du système immunitaire, la première consiste à ne pas déclencher les systèmes de défense de l’hôte. Les garants de cette surveillance sont en premier lieu les cellules de l’immunité innée comme les macrophages (et leur variante alvéolaire dans le cas des poumons) ainsi que les cellules dendritiques très présentes dans les muqueuses (de Gouw et al., 2011; Gestal et al., 2019). Ces cellules possèdent des systèmes de détection appelés PRRs

(pour récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires). Ces PRRs vont reconnaitre des motifs spécifiques appelés PAMPs (motifs moléculaires associés aux pathogènes). Il existe plusieurs catégories de PRRs mais les deux principales sont les TLRs (toll-like récepteur) qui sont des récepteurs membranaires et les NOD-like récepteurs qui sont cytoplasmiques et solubles (Kawai and Akira, 2009). Mais il existe également des composés solubles et extracellulaires de reconnaissance et de neutralisation des pathogènes, comme les protéines du complément dans le sérum ou les protéines du surfactant dans les poumons.

Ici, nous nous intéresserons au TLR4. Ce dernier permet la détection des lipopolysaccharides (LPS). Les LPS sont des composants essentiels de la face extérieure de la membrane externe des bactéries à Gram négatif. Ces molécules complexes se composent de trois parties : l’antigène O qui est constitué d’une répétition de 2 à 40 sucres, d’un core oligosaccharidique et enfin d’un lipide A enchâssé dans la membrane (figure 34).

Les cas des LPS chez B. pertussis est très particulier. Cette dernière possède un antigène O tronqué et donc des LPS sensiblement plus courts appelés lipo-oligosaccharides (LOS). Chez B. pertussis, ces LOS présentent la particularité de ne pas être reconnus par les protéines A et D du surfactant (Schaeffer et al., 2004a, 2004b) et il est probable que cette modification affecte le reste de l’immunité humorale.

Figure 34 : Schéma de la structure d’un LPS bactérien « Classique ». Source : Wikipedia

71 L’échappement aux protéines du surfactant n’est pas la seule particularité des LOS de

B. pertussis. En effet, le lipide A joue un rôle important dans la reconnaissance par les TLR4

mais c’est aussi lui qui est au cœur de l’activité endotoxique des LPS bactériens. B. pertussis a inactivé via une séquence d’insertion certaines enzymes comme PagP, une palmitoyl transférase responsable de l’ajout d’un acide palmitique dans le lipide A. Il a été montré que la réactivation de ce gène entraine une augmentation de l’endotoxicité des LOS de B.

pertussis (Geurtsen et al., 2006). Cette modification (ou plutôt absence de modification)

permet donc d’échapper partiellement à la détection par le système immunitaire de l’hôte. Néanmoins , il existe un autre mécanisme de modification des LPS chez B. pertussis (de Gouw et al., 2011). Celui-ci se produit uniquement en phase Bvg+ c’est-à-dire en phase active de la virulence, à 37°C. Il s’agit d’une substitution du phosphate du lipide A par un résidu glucosamine (Marr et al., 2008). Étrangement cette modification entraine une légère augmentation du pouvoir endotoxique des LOS de B. pertussis et de l’induction des réponses pro-inflammatoires par sécrétion d’IL6, IL1beta et de TNF alpha (Geurtsen et al., 2009; Marr et al., 2010). Des études plus récentes ont permis de comprendre l’avantage qu’accorde cette modification à la bactérie. Il se trouve que l’ajout d’un résidu glucosamine à la place du phosphate du lipid A permet d’augmenter la résistance de la membrane externe aux perturbations engendrées par les peptides antimicrobiens cationiques (Shah et al., 2014).

En ce qui concerne les LPS, tout est une question d’équilibre entre la ‘détectabilité’ par le système immunitaire de l’hôte, le pouvoir endotoxique et la défense qu’il octroie à la bactérie.

B. pertussis possède de nombreux autres systèmes d’échappement et de

détournement du système immunitaire. Parmi ces derniers, les facteurs de résistance au complément sont relativement bien connus. BrkA est une protéine de la famille des autotransporteurs qui est un des principaux acteurs de la résistance au complément. En effet, ce facteur de virulence va interagir avec le complexe C1 du complément, empêchant le dépôt des protéines C3, C4 et C9 à la surface bactérienne. BrkA va donc à la fois inhiber la voie classique mais aussi la voie alternative du complément (de Gouw et al., 2011; Thiriard et al., 2018). B. pertussis possède d’autres moyens plus ingénieux encore pour se prémunir de la lyse par le complément. Rappelons que les protéines du complément entrainent, après reconnaissance et activation par un pathogène, la formation d’un complexe d’attaque membranaire provoquant la lyse de la cellule ciblée. Les cellules de l’hôte ne sont pas censées déclencher ce système, mais disposent malgré tout d’une stratégie de défense les prémunissant d’une erreur. Il s’agit de deux protéines C4BP et C1INH qui permettent aux cellules de l’hôte d’empêcher la cascade du complément. Il se trouve que B. pertussis est capable de détourner ces deux systèmes pour se défendre (de Gouw et al., 2011; Thiriard et al., 2018). La protéine C4BP est recrutée par la bactérie via la FHA (Berggård et al., 2001) tandis que le C1INH est subverti par la protéine Vag8 de B. pertussis (Hovingh et al., 2017).

72 Parmi tous les facteurs de virulence de B. pertussis, certains agissent sur le recrutement des cellules immunitaires. Par exemple la PTX a des effets pléiotropiques sur les cellules de l’hôte et parmi ces effets on trouve l’inhibition du recrutement de différents types cellulaires comme les neutrophiles, et la diminution de la production de certaines chimiokines (Andreasen and Carbonetti, 2008; Kirimanjeswara et al., 2005). La TCT peut avoir des effets similaires à la PTX sur les neutrophiles (Cundell et al., 1994). Il semblerait que la PTX soit également capable de tuer ou tout du moins de rendre inopérants les macrophages alvéolaires utiles dans l’élimination des bactéries (Carbonetti, 2010; Carbonetti et al., 2007).

Le T3SS a surtout été étudié chez B. bronchiseptica, mais B. pertussis possède le même système. Une étude de Skinner et al., 2005, a montré que le T3SS permettait de reprogrammer les cellules dendritiques présentes au niveau de la muqueuse pour qu’elles migrent jusqu’aux ganglions lymphatiques et produisent de l’IL10, une cytokine anti-inflammatoire qui limite la réponse immunitaire (Gestal et al., 2019).

La FHA a également des effets sur certaines cellules immunitaires entrainant indirectement la sécrétion d’IL10 anti-inflammatoire et diminuant la production d’IL17, qui est une des cytokines à l’origine de la réponse Th17, efficace pour éliminer la bactérie (Henderson et al., 2012; Villarino Romero et al., 2016). Dans le cas de la FHA, on peut également citer une publication de 2001 ayant mis en évidence de façon indirecte un éventuel rôle de cette adhésine dans l’apoptose des cellules phagocytaires et des cellules ciliées de l’épithélium respiratoire (Abramson et al., 2001).

Enfin, l’un des effecteurs ayant le pouvoir immunomodulateur le plus important est l’ACT. Cette toxine cible particulièrement les cellules possédant le récepteur au complément 3 (CR3), aussi appelé antigène 1 des macrophages (Mac-1).,c’est-à-dire la majorité des cellules immunitaires avec une capacité phagocytaire de l’immunité innée (macrophages, neutrophiles, et cellules dendritiques) (de Gouw et al., 2011; Gestal et al., 2019). L’activité enzymatique de la toxine va entrainer une augmentation de la concentration cytoplasmique d’AMP cyclique. L’un des principaux effets de cette augmentation est l’inactivation d’une GTPase spécifique, RhoA (Kamanova et al., 2008). RhoA est une des protéines G majeures, impliquée dans la régulation des mouvements du cytosquelette d’actine. Cette inactivation va entrainer une modification importante du cytosquelette d’actine entrainant une incapacité à produire des invaginations membranaires efficaces permettant la phagocytose (de Gouw et al., 2011; Fedele et al., 2017; Kamanova et al., 2008). La toxine va aussi entrainer une inhibition du ‘burst’ oxydatif utilisé par les cellules phagocytaires à des fins bactéricides (Pearson et al., 1987). L’accumulation d’AMP cyclique va également inhiber la signalisation permettant l’opsonophagocytose médiée par le FcR et entrainer l’inhibition des pièges extracellulaires des neutrophiles (Eby et al., 2014; Fedele et al., 2017). Certaines études tendent à montrer que l’intoxication des cellules dendritiques par l’ACT entraine un défaut de présentation des antigènes aux lymphocytes T CD4. D’autre études mettent en évidence les capacités de l’ACT à induire l’apoptose en altérant la voie des caspases dans certains types

73 cellulaires (de Gouw et al., 2011). Enfin, l’équipe de recherche dirigé par Peter Sebo a récemment mis en évidence les capacités d’inhibition de la différenciation monocyte/macrophage de l’ACT, qui va même jusqu’à causer la dédifférenciation des macrophages alvéolaires (Ahmad et al., 2019).

Nous avons vu ici que B. pertussis est très bien adaptée à son hôte, ou plutôt à la pression immunitaire induite par ce dernier (Higgs et al., 2012)(Figure 35). Néanmoins, l’hôte n’est pas dépourvu d’adaptations à l’infection par B. pertussis. Lorsque B. pertussis modifie ses LPS pour les rendre moins immunogènes et donc moins détectables par le TLR4, le complexe TLR4/TLR2 de l’hôte va être activé par la présence de la PTX (Fedele et al., 2010; Nasso et al., 2009). La TCT de B. pertussis n’induit pas l’activation du récepteur NOD1 humain contrairement à celui de la souris. Pourtant, les hôtes présentent des réponses inflammatoires à cette toxine signifiant qu’une autre voie de signalisation permet la détection de la TCT (Magalhaes et al., 2005). Enfin, dans le cas de l’ACT, des études sur une toxine purifiée et inactive du point de vue enzymatique ont pu mettre en évidence la présence d’un autre impact de cette toxine sur les cellules dendritiques. Le domaine RTX hémolysine forme des pores sélectifs pour les cations en s’oligomérisant, entrainant une entrée de potassium dans les cellules cibles. Cette modification de l’homéostasie du potassium se traduit par l’activation des cellules dendritiques aboutissant à une réponse immunitaire à médiation cellulaire de l’hôte (Fedele et al., 2017; Svedova et al., 2016).

Figure 35 : Schéma récapitulatif de la majorité des interactions entre B. pertussis et les cellules immunitaires humaines. On retrouve ici les actions de l’hémagglutinine filamenteuse (FHA), l’adénylate cyclase (ACT), la toxine cytotrachéale (TCT), les lipopolysaccharides (LPS), les systèmes de sécrétion (TTSS), et la toxine pertussique (PT). Source : Higgs et al., 2012

74 Cette interaction complexe entre ces deux organismes que constituent B. pertussis et l’humain est fascinante. Si l’on regarde ces adaptations d’un point de vue uniquement évolutif, on distingue assez bien l’hypothèse de la Reine Rouge. Cette dernière fut développée dans les années 1970 par un biologiste de l’évolution américain, Leigh Van Valen. Son nom fait référence un passage du livre : « Through the Looking-glass » de Lewis Carrol (qui est le second tome d’« Alice au pays des merveilles »). Dans ce conte la Reine Rouge explique à Alice que dans ce monde il est nécessaire de courir en permanence pour rester sur place et que si l’on veut avancer et changer d’endroit il faut courir deux fois plus vite. Van Valen a donc repris cette idée comme un des éléments principaux de sa « Law of Extinction » (Liow et al., 2011; Van Valen, 1977). Dans ces travaux le scientifique s’est intéressé aux espèces fossiles et à leur extinction. L’hypothèse de la Reine Rouge est une des nombreuses conjectures ayant abouti à sa théorie de l’extinction. Cette dernière est complexe et a été améliorée à plusieurs reprises. Néanmoins, ici nous nous intéresserons à sa forme la plus simplifiée. Celle-ci stipule qu’un organisme précis dans un environnement précis doit évoluer en permanence pour ne pas s’éteindre car les autres organismes vivants dans cet environnement évoluent également et vont donc entrainer une pression de sélection sur le premier. Par exemple, si un prédateur acquiert de nouvelles tactiques de chasse ou des attributs de prédation plus efficaces, il sera nécessaire pour ses proies d’évoluer en conséquence afin de ne pas disparaitre (Dercole et al., 2006). Cette hypothèse fut également étendue à la relation qui lie les parasites (incluant plus largement les pathogènes et les symbiontes) à leur hôte (Decaestecker et al., 2007).

Cette hypothèse évolutive s’applique parfaitement à B. pertussis et à son hôte. Toute évolution de l’un entraine une adaptation de l’autre. Cette coévolution permet à la bactérie de rester stable dans la population humaine en gardant toujours un pouvoir infectieux malgré les défenses immunitaires de l’hôte. On peut même étendre ce principe aux évolutions non biologiques propres à l’être humain. En effet, ce dernier a bien évidement évolué au contact des pathogènes comme B. pertussis pour s’en prémunir ou tout du moins pour le maitriser. Mais actuellement les moyens de défense que les humains utilisent sont artificiellement accélérés par l’essor de la technologie. Il ne s’agit plus uniquement d’une accumulation de mutations aléatoires entrainant un avantage sélectif. L’exemple le plus évident est l’utilisation massive des antibiotiques. Comme dans la phrase de la Reine Rouge, l’humain a avancé deux fois plus vite que les autres organismes et a donc pris de l’avance. Néanmoins nous voyons que la pression de sélection que nous avons imposée à nos pathogènes a forcé l’accélération de leur évolution. Par conséquent les mécanismes de résistance aux antibiotiques sont devenus omniprésents chez nos pathogènes. Dans le cas de B. pertussis, c’est la couverture vaccinale qui entraine une pression de sélection. L’un des faits étayant cette hypothèse dans le cas de B. pertussis est l’apparition de souches ne produisant pas la pertactine, qui est un des antigènes composant les vaccins acellulaires (Barkoff and He, 2019).

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