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Un imaginaire à explorer

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 25-32)

Notre tâche est difficile : comprendre la place que joue le terrain dans les pratiques scientifiques des géographes implique au préalable de dissiper l’écran de fumée qui le dissimule dans un imaginaire tenace. C’est d’autant plus nécessaire que le terrain est soumis à une pluralité de voix pour le penser. Le recours aux dictionnaires spécialisés permet de comprendre comment la discipline a pensé et dit le terrain, et quelle(s) chose(s) se cache(nt) derrière le mot.

Selon l’adage bien connu, « la géographie, ça sert d’abord à faire la guerre » (Lacoste, 1976c) : c’est d’ailleurs aux militaires que revient l’invention du terme terrain. Le Dictionnaire historique de la langue française (Rey, 1998 : 3 799) rappelle qu’il désigne avant tout le « lieu où se déroule un combat », ce que l’on appelle aujourd’hui le théâtre des opérations, c’est-à-dire le champ de bataille. Le préalable à tout affrontement demeure la reconnaissance du terrain, de sa topographie et de ses configurations (Boulanger, 2006 ; Régnier, 2008) ; il faut donc, pour reprendre une expression venue de l’équitation, tâter le terrain. Depuis le XVIIe siècle, terrain désigne également

« la surface de terre considérée par rapport à sa nature, à sa composition » ; c’est l’origine de l’acception géologique que l’on continue d’utiliser aujourd’hui. Le lien entre ces deux acceptions apparaît au mitan du XIXe siècle, au moment où, sous la conduite d’Elie de Beaumont (1798-1874) et d’Armand Dufrénoy (1792-1857), des géologues font les levés de la carte géologique de la France.

C’est la première étape d’un glissement sémantique qui va conduire à utiliser le même terme pour désigner à la fois un objet (le terrain entendu selon son acception géologique) et la pratique pour l’étudier (faire du terrain). En 1970 dans son Dictionnaire de la géographie, Pierre George ne reconnaît que le sens géologique pour son entrée terrain : « Terme général désignant tout ensemble de roche qui affleure à la surface du globe et constitue un relief » (George et Verger, 2000 : 456). Ce qui se lit en creux, c’est que la géographie classique, alors sous le feu des critiques, ne dispose d’aucun mot pour dire la pratique qui consiste à recueillir des données au contact direct avec la réalité : le géographe classique ne fait pas de terrain et lui préfère l’excursion12 ou l’enquête que Pierre George définit longuement13. Alors que la pratique de terrain est ancienne14 et qu’elle constitue même l’une

12 Le terme a toutefois une connotation pédagogique : l’excursion se fait en groupe, et la caravane (autre terme employé) circule sur un itinéraire balisé et s’arrête en des points judicieusement choisis pour écouter la parole du maître.

13 Mais l’observation quant à elle ne fait l’objet d’aucune entrée.

14 Elle renvoie à l’une des deux traditions dont la géographie d’aujourd’hui est l’héritière : la périégèse caractérisée par quelques grands ancêtres comme Hérodote, Strabon. L’autre tradition est la cosmographie illustrée par Ptolémée ou

des innovations15 proposées par Vidal de La Blache, ce vide lexical étonne et renvoie aux mécanismes d’enfouissement à l’œuvre dans l’imaginaire disciplinaire et traduit la faiblesse de la réflexion sur ce thème au moment même où la discipline est en crise et que ses attaques reposent principalement sur des questions méthodologiques.

Cette situation évolue : pendant la vingtaine d’année qui sépare la publication du dictionnaire de Pierre George et celui de Roger Brunet, la discipline a investi ce champ de réflexion. La définition proposée par Roger Brunet dans ses Mots de la géographie (Brunet et alii, 1992 : 478) est substantiellement plus riche que la précédente et prend désormais en compte la polysémie du terme.

L’acception géologique est toujours présente mais n’est plus première, au profit d’autres acceptions immobilières, topographiques sans oublier bien sûr « le concret, la pratique, l’espace que l’on parcourt pour une étude de terrain en étant ‘sur les lieux’, par opposition aux livres, documents, statistiques, au

‘bureau’ ». La définition proposée – « Morceau de terre, mais avec de nombreux sens différents » – prend en compte les nouveaux objets de la géographie (au détriment de la seule géomorphologie auparavant largement dominante) et les nouvelles pratiques de la discipline. Roger Brunet insiste surtout sur le contexte nouveau des études géographiques : dans le contexte de la mondialisation et de la généralisation du slogan small is beautiful, tout ce qui s’attache à des espaces de faible étendue (qui rend justement possible la pratique du terrain) et donc au terrain est connoté positivement. Le terrain et sa pratique apparaissent donc comme un gage de qualité (la comparaison avec le politicien qui doit se rendre sur le terrain est révélatrice), et l’auteur va même jusqu’à proposer un renvoi vers le terme vérité en rappelant que le terrain permet la vérification des hypothèses. Roger Brunet envisage donc ici le terrain comme un élément important dans le processus de construction des données et de vérification des hypothèses. Surtout, il inscrit le chercheur et les recherches qu’il mène dans leur contexte politique et social. Si cette contribution marque une étape importante vers la socialisation de la construction des savoirs géographiques, elle n’envisage pas du tout la relation que le géographe entretient à son terrain et à ses pratiques. La contribution d’Yves Lacoste dans son dictionnaire De la géopolitique au paysage (Lacoste, 2003 :378) revient longuement sur l’histoire du mot et insiste sur le rôle des géologues dans le glissement sémantique qui s’est opéré de l’espace vers la pratique16 ; c’est cette acception qu’ont empruntée les sociologues et les ethnologues17 pour désigner le lieu et la population qu’ils étudient. Le terrain y apparaît aussi comme une nécessité (l’allusion à la politique est

Mercator. Cette double filiation est peut-être à l’origine du mépris tenace que les géographes de terrain portent pour les géographes de cabinet, et inversement.

15 Cette innovation est un héritage de Humboldt (Péaud, 2009) et de Reclus, formalisé par Vidal (Robic, 1996).

16 Cet intérêt marqué pour la géologie ne doit pas surprendre chez un géographe dont les premiers travaux concernaient la géomorphologie.

17 Le rappel du rôle des ethnologues et des sociologues n’est pas anodin. Nous verrons que c’est par l’ethnologie qu’Yves Lacoste pose la question du terrain en 1977.

une nouvelle fois mobilisée) dans la mesure où « le terrain devient synonyme de contact direct avec la réalité ». Cette définition renforce elle aussi, et pour les mêmes raisons, l’imaginaire disciplinaire : elle pose la nécessité de faire du terrain sans pour autant interroger cette nécessité. En dépit des efforts de clarification de la polysémie du terme, la fonction du terrain comme instance de construction des savoirs n’est pas abordée.

Il faut attendre les travaux d’Anne Volvey pour que la question du terrain soit posée dans des termes renouvelés qui prennent en compte les avancées des géographies étrangères et interrogent la place du terrain dans la construction des savoirs scientifiques et dans l’imaginaire des géographes (Volvey, 2003b). Dans l’article qu’elle rédige dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy et Lussault, 2003a), elle souligne la polysémie du terme tout en restreignant son analyse à la seule fabrique des savoirs (aucune allusion n’est faite à la géologie ou à la politique) : le terrain désigne à la fois l’espace étudié, l’espace d’une pratique scientifique, l’échelle de référence ou l’objet étudié dans un espace. Elle le rapproche de l’enquête et de l’observation et pose les bases d’une approche spatiale du terrain que la géographie a toute légitimité pour conduire. Elle pose également des jalons d’une histoire de la discipline qui nuance l’impact de la crise de la géographie sur le terrain et sa pratique. Au contraire : elle formule l’hypothèse selon laquelle la crise des années 1950 aux années 1970 n’a pas entraîné – contrairement à ce qu’a retenu l’imaginaire disciplinaire – une remise en cause du terrain, mais plutôt à la redéfinition de sa place dans le protocole heuristique, dans le cadre plus large du passage d’une géographie inductive à une géographie déductive. Elle définit enfin les axes d’un programme de recherche nourri par sa thèse et enrichi depuis (Volvey, 2000, 2003a, 2004) qui met l’accent sur le sujet épistémique (et pas seulement des questionnements méthodologiques), ses projets, et notamment le plaisir que procure la pratique du terrain. Cette contribution décisive et pionnière ouvre un champ de recherche inédit que ma thèse prétend enrichir et s’inscrit dans un contexte éditorial spécifique, ancré dans le paradigme actoriel, qui vise à faire de la géographie une science sociale. Dans ce contexte, l’interrogation sur les méthodes (qui permet – ou non – les échanges transdisciplinaires) est fondamentale : le tournant réflexif et post-moderne est pris.

La discipline repose donc sur une pratique à la fois évidente mais enfouie, au point qu’on ne peut la désigner. Cet imaginaire est en effet une machine puissante pour occulter, enfouir ou réécrire (Bourgeat, 2007 ; Soubeyran, 1997) : le déni du terrain – qui joue de plus en plus le rôle d’une boîte noire – relève d’un impensé disciplinaire. A l’encontre de ce mouvement puissant de refoulement (dont il faudra interroger les modalités), le terrain émerge aujourd’hui comme un objet à interroger. En dépit de l’initiative pionnière d’Yves Lacoste qui consacre au terrain deux numéros de la revue Hérodote (Hérodote, 1977 et 1978), il faut attendre la dernière décennie pour voir (ré)apparaître ce thème comme un enjeu de questionnements suscitant sinon une large demande de la part de la

communauté, du moins son intérêt. En plus de publications (par exemple Retaillé et Collignon, 2010), des manifestations variées comme une journée d’étude18, des colloques19, un café géographique20, une émission de radio21 ont servi de caisse de résonance à cette thématique et ont montré la pertinence, pour les membres de la discipline, d’interroger leurs pratiques de terrain. Ce faisant, le terrain a changé de nature : il n’apparaissait plus comme l’impensé sur lequel s’était construite la communauté disciplinaire mais comme l’une des instances essentielles de construction des savoirs géographiques qu’il est désormais nécessaire d’étudier. Dans ce glissement se lit non seulement la transformation d’un imaginaire en mémoire mais aussi les évolutions que connaît aujourd’hui la géographie. A rebours de l’enfouissement passé, les débats contemporains cherchent au contraire à exhumer le terrain : c’est une manière de questionner l’identité de la discipline, dans un contexte non plus de crise, mais d’intense débat sur sa pertinence scientifique et son utilité sociale à une époque où le monde évolue vite sans que sa lisibilité soit correctement assurée (Dory et alii, 1993 ; Knafou, 1997 ; Roques, 2006)22. Dans cette perspective, c’est la discipline dans son entier qui est mobilisée pour tenter de répondre aux enjeux contemporains : les méthodes aussi bien que les outils et les concepts sont réintégrés dans le champ des discussions. Ce qui est en jeu c’est la définition de la discipline et de son objet et tous ces éléments sont convoqués pour instruire le dossier : l’heure n’est plus à la simple représentation folklorique des géographes mais bel et bien à l’introspection et à la critique (Thiesse, 1999). Les autres disciplines connaissent des moments de flottement similaire : le cas de l’histoire a été particulièrement étudié par Gérard Noiriel, à la fois acteur et témoin de ce mouvement (Noiriel, 2003). Il propose de réinvestir et d’explorer les héritages de Foucault, Braudel, Elias ou Weber pour trouver des réponses aux questions qui sont aujourd’hui posées sur la légitimité et la pertinence des approches historiographiques contemporaines. Cet exemple est révélateur du changement de statut de l’héritage : il n’est plus guère question d’alimenter un imaginaire commun mais plutôt de tirer de la fréquentation des prédécesseurs des réflexions pour faire progresser la discipline et ses

18 « Le terrain pour les géographes, hier et aujourd’hui ». Journée d’étude de l’Association de Géographes Française coordonnée par Gérard Hugonie, Paris, 8 décembre 2006. Les actes ont été publiés, conformément aux pratiques de l’association, dans un numéro du Bulletin de l’Association de Géographes Français (Hugonie, 2007).

« Le terrain », forum des doctorants de l’Ecole doctorale de géographie de Paris, 16 avril 2010.

19 « Questionning the Field ». Colloque international organisé par l’Ecole doctorale CUSO, Vevey, 28-30 mai 2008.

« A travers l’espace de la méthode : les dimensions du terrain en géographie ». Colloque international organisé par Anne Volvey, Myriam Houssay-Holzschuch, Isabelle Surun, Christian Giusti et , Arras, 18-20 juin 2008. Site web du colloque : http://terrain.ens-lyon.fr.

20 « Le terrain : boîte noire, bloc magique ? ». Café géographique animé par Anne Volvey, , Isabelle Surun et Christian Giusti. Paris (café de Flore), 19 février 2008.

21 « La géographie : une science du terrain et du voyage d’étude » avec Emmanuelle Bonerandi et . Planète Terre, émission produite par Sylvain Kahn sur France Culture. 9 avril 2008.

22 Il s’agit peut-être là d’un trait majeur de la discipline, comme le souligne Marie-Claire Robic : la géographie « se pose, de manière plus ou moins récurrente, les questions de son identité intellectuelle et de sa pertinence sociale » (Robic, 2006 : 9).

Dans cette perspective, le pamphlet de Georges Roques peut apparaître comme une énième contribution pour alimenter un ordre du discours, largement répandu chez les géographes, qui déplore inlassablement le manque de reconnaissance pour leur discipline qu’ont à subir les géographes.

questionnements. Ainsi, le processus à l’œuvre n’est plus celui d’un enfouissement accompagné d’une perte de sens, mais au contraire celui d’une introspection qui valorise les héritages et leurs apports réflexifs sur le fonctionnement de la discipline et la validité de sa démarche.

Pour la géographie comme pour l’histoire, l’enjeu est de répondre aux défis que posent à notre discipline les mutations du monde. L’élucidation de nos pratiques implicites et l’explicitation de nos démarches vont dans le sens d’une mise au jour des fondements mêmes de la discipline. On observe alors l’essor de projets de nature réflexive. Ainsi, au niveau individuel et à la suite de la démarche pionnière de Jacques Lévy qui lui donne un cadre fécond (Lévy, 1995) la démarche égogéographique se répand (par exemple : Allemand, 2007 ; Bataillon, 2008 et 2009 ; Bonnamour, 2000 ; Claval, 1996 ; Collin Delavaud, 2005 ; Daumas, 2007 ; Frémont, 2005 ; Gentelle, 2003 ; Lacoste, 2010a) et est même largement encouragée dès lors que le Conseil National des Universités en fait l’un des éléments constitutifs de tout dossier d’Habilitation à Diriger des Recherches23. Au niveau collectif, les années 1990 voient la mise en œuvre, sous la férule de Rémy Knafou, Isabelle Lefort, Philippe Duhamel et Jacques Lévy (Knafou, 1997), d’un projet d’ « autoscopie » de grande ampleur dont le but est de procéder, par l’évaluation de ses acquis, à un renouvellement de la discipline. Ce mouvement n’est pour autant pas général et des résistances s’observent, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.

Ainsi, certains membres de la communauté ont-ils du mal à mettre en œuvre cette réflexivité24 : des formations différentes, des cultures scientifiques variées ou des trajectoires personnelles spécifiques peuvent expliquer de telles réticences. Les résistances peuvent également s’observer à l’échelle d’un groupe bien identifié au sein de la communauté : la discipline est travaillée par des courants théoriques et méthodologiques plus ou moins enclins à la réflexivité. Les résistances peuvent également être liées à la position dans le champ institutionnel : la prise de parole n’est pas dégagée de jeux et d’enjeux institutionnels. Ce qui se lit derrière ces résistances multiples, c’est la pesanteur normative de l’institution qui continue – par son inertie – à empêcher de se pencher sereinement sur les relations que les géographes entretiennent avec leur terrain. L’imaginaire est à ce point induré et assimilé par les géographes qu’il ne parvient que difficilement à se dissiper. Cela explique le retard avec laquelle la géographie française s’empare de l’objet terrain et le traitement qu’elle en fait. Jusqu’aux années 1970 (c’est-à-dire à l’époque où se construit l’imaginaire disciplinaire en réaction à une crise qui remet en

23 Toutes les tentatives ne vont pourtant pas toutes dans le sens d’une élucidation des biais du terrain. Si les candidats à l’HDR respectent ce code (au risque de ne pas être qualifiés), il n’en est pas de même pour les géographes qui publient leur égogéographie. En effet, il s’agit souvent de géographes en fin de carrière dont le but est de présenter des souvenirs – dans la lignée des récits de Raoul Blanchard (Blanchard, 1961 et 1963) – plus que d’interroger la fabrique des savoirs géographiques.

Paradoxalement, ces tentatives peuvent conduire à un renforcement de l’imaginaire.

24 Au cours de mes entretiens, j’ai ainsi rencontré un peu moins d’une centaine de géographes. Je n’ai eu à essuyer que trois refus de principe, et, parmi les entretiens réalisés, j’ai observé des comportements très différents, depuis ceux qui m’ont fait partager leurs interrogations qui rejoignaient les miennes et ceux qui ne voyaient pas très bien l’intérêt de ma démarche. Dans

cause jusqu’à ses fondements) le terrain n’est envisagé que selon deux modalités : le récit autobiographique (selon une démarche qui n’est pas encore réflexive) comme l’ont illustré Raoul Blanchard (Blanchard 1961 et 1963) et Maurice Le Lannou (Le Lannou, 1979) ou le précepte normatif du manuel à l’usage des étudiants (Cholley, 1942 ; Meynier, 1971). Dans le premier cas, les souvenirs qui composent la geste des géographes ; dans le second, les gestes du métier à assimiler et à reproduire25. Il faut attendre l’initiative pionnière d’Yves Lacoste et la parution des deux numéros d’Hérodote consacrés à cette question pour que le terrain soit enfin discuté dans l’arène de manière renouvelée (Hérodote, 1977 et 1978) : la démarche empruntée ne cherche pas à interroger le terrain comme instance de construction des savoirs, mais plutôt à dénoncer la portée idéologique de la présence du géographe sur son terrain. Ces réflexions qui servent de prolongement au pamphlet d’Yves Lacoste, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre (Lacoste, 1976c) cherchent à saper l’autorité des maîtres et de la géographie qu’ils proposent à l’époque.

Ce retard de la géographie est d’autant plus surprenant qu’il va à rebours des démarches des autres disciplines qui ont en partage le terrain, comme la sociologie, l’ethnologie ou l’anthropologie, et qui en ont précocement fait un enjeu majeur de réflexion. La parution posthume du journal de Malinowski en 1967 et le débat qui a suivi chez ses collègues (Malinowski, 1985) ouvre le champ à la prise en compte des conditions de production des énoncés scientifiques au point que la lecture du Journal d’ethnographe est désormais le complément indispensable des Argonautes du Pacifique (Malinowski, 1963) : le savoir positif n’est plus dissocié du récit de sa fabrique. Le Journal de Malinowski, en plus d’ouvrir une voie de recherche féconde, a permis de croiser les intérêts des spécialistes avec les attentes d’un plus vaste public intéressé par les récits de terrain. Ce genre – qui oscille entre science et littérature et repose sur l’entrelacs des descriptions et des analyses – remonte au Devisement du monde de Marco Polo ou aux écrits de Jean de Léry qui relate son voyage au Brésil et trouve ses lettres de noblesse dans la collection « Terre Humaine » fondée en 1955 et dirigée depuis par Jean Malaurie26. L’intérêt du public est toujours vivace, comme le montre le succès éditorial de Nigel Barley qui relate, avec autodérision et désenchantement, les événements qui émaillent le quotidien de son travail de terrain (Barley, 1994 et 1998). Ces préoccupations méthodologiques et réflexives se retrouvent également en sociologie : le travail d’objectivation, au cœur de la discipline,

tous les cas, j’ai toujours été bien reçu : les premiers voyaient peut-être un moyen de travailler cette mémoire collective alors que les seconds pensaient peut-être enrichir cet imaginaire disciplinaire.

25 Curieusement, alors que le terrain occupe le cœur méthodologique de la discipline de l’époque, les auteurs de manuel ne prennent pas la peine de décrire les protocoles à mettre en œuvre : il suffit de se référer au maître et de faire comme lui.

26 Il est illusoire de tenter d’isoler quelques ouvrages emblématiques de ce genre qui travaille à la fois le savoir positif et le récit de sa fabrique. Je me contenterais de citer les deux premiers ouvrages de la collection, sans doute les plus célèbres et ceux qui illustrent le mieux le récit de terrain : Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques (Lévi-Strauss, 1955) et Jean Malaurie,

26 Il est illusoire de tenter d’isoler quelques ouvrages emblématiques de ce genre qui travaille à la fois le savoir positif et le récit de sa fabrique. Je me contenterais de citer les deux premiers ouvrages de la collection, sans doute les plus célèbres et ceux qui illustrent le mieux le récit de terrain : Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques (Lévi-Strauss, 1955) et Jean Malaurie,

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