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Des écritures référentielles

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 106-115)

La collecte et la mise en circulation des données dans des dispositifs adéquats aboutissent à une mise en ordre du monde qui relève d’une cosmétique : ces données sont triées, classées, archivées.

Ces opérations textuelles permettent l’accumulation et donc l’archivage mais ne rendent pas pour

126 Benjamin Laplante, « Les terrains du géographe peuvent-ils être incomparables ? ».

127 Julia Pfaff, « Le terrain, c’est moi? On the difficulties of setting the limits of the field when following connections in mobile ethnographic research ».

128 Jeanne Vivet et Karine Ginisty (« Terrains en noir et blanc : les biais méthodologiques et la question de la scientificité des savoirs géographiques sur l’Afrique »), Chloé Buire (« ’On the ground’ : de la déconstruction de l’idée de terrain à la construction de savoirs géographiques »).

129 Solène Gaudin et Jonathan Musereau, « Le terrain (de thèse), un construit... institutionnel ? ».

130 Marianne Blidon (« La géographie des sexualités ou l’impossible terrain ? ») et Mélina Germes (« En quête d’un ‘terrain corporel’ : perspectives et propositions méthodologiques »).

131 Coralie Mounet (« Le chercheur face à l’imprévisible. Construction et analyse d’un corpus pour l’étude des controverses et conflits autour de la gestion du loup et du sanglier dans les Alpes françaises ») et Frédéric Dejean (« Où est Dieu dans le terrain ? »).

132 Sylvain Guyot, « Derrière une méthode de terrain se cachent souvent divers bricolages et petits arrangements : faut-il les éluder ou peut (doit)-on les assumer ? ».

autant le terrain intelligible133. Cette intelligibilité du terrain est le résultat d’une deuxième opération, celle de mise en ordre des données accumulées, de leur traitement, de leur analyse et de leur restitution. C’est l’écriture qui opère cette mise en ordre du monde qui relève d’une cosmogonie : par le travail d’écriture, l’auteur fait advenir un réel qui se substitue à une réalité mise en ordre et qui lui sert de support. C’est ce travail d’écriture qu’il faut suivre et son résultat varie en fonction des supports d’écriture, des genres adoptés et des fonctions assignés à ces textes. Pour étudier ces processus, mobilisons les comptes rendus d’excursion et les films pédagogiques : en dépit d’une homogénéité générique apparente et de fonctions pédagogiques proches, ces textes et films présentent des différences qui permettent d’appréhender la diversité des processus d’écriture mis en œuvre. Si l’on veut étudier l’usage de ces textes, leur public et leurs fonctions, il faut avant tout interroger leur genre et les éléments qui les constituent (Foehr-Janssens et Saint-Jacques, 2004).

Si le compte rendu d’ouvrage est un genre codé qui répond à des normes bien établies (tant éditoriales que fonctionnelles) au sein de la communauté, il n’en est rien pour les comptes rendus d’excursions, même s’ils relatent les prestigieuses interuniversitaires. Aussi est-il bien difficile de cerner la spécificité de l’exercice, ce qui explique en premier lieu les grandes disparités formelles, visibles dès les premiers seuils de lecture (Genette, 1987) : une grande diversité l’emporte en matière de titulature, de pratiques de nomination des auteurs (onymat ou anonymat), de longueurs (d’une dizaine de lignes pour l’excursion de 1909 en Auvergne134 à soixante-quinze pages – record absolu – pour le compte rendu, publié en deux temps, de l’excursion de 1961 à travers le Poitou-Charentes135), de rubriques136, d’appareil critique et d’illustrations. Les auteurs de ces comptes rendus (et organisateurs des excursions) ont eux-mêmes du mal à cerner précisément les attentes du genre, si l’on croit la réponse adressée par Raoul Blanchard à Wilfrid Killian après la publication du compte rendu de l’excursion de 1910 qu’il a dirigée dans les Alpes occidentales :

« Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à me voir reprocher dans l’article visé l’absence d’indications bibliographiques. Il m’avait semblé qu’un simple compte rendu d’excursion, déjà trop long, ne comportait point d’appareil critique. J’avais donc résolument écarté toute référence, aussi bien aux travaux géographiques qu’aux travaux géologiques137. »

133 Intelligible doit être entendu ici au sens étymologique : on peut y lire dedans.

134 GALLOIS,L. (1909). « Cinquième excursion interuniversitaire ». Annales de géographie, XVIII, p. 364.

135 ROBERT J.,FÉNELON,P.,BOUHIER A. ET VERGER,F. (1963). « La 44e excursion géographique interuniversitaire. Poitou-Charentes (8-13 mai 1961) ». Annales de géographie, LXXII, p. 529 à 571.

ROBERT J.,FÉNELON,P., BOUHIER A. ET VERGER, F.(1963). « La 44e excursion géographique interuniversitaire. Poitou-Charentes (8-13 mai 1961) (Fin) ». Annales de géographie, LXXII, p. 641 à 674.

136 La localisation des comptes rendus oscille entre la rubrique d’actualités et celles qui abritent des articles de fond.

137 Annales de géographie (1911). XX, p. 86.

Cette incertitude traduit bien les oscillations des pratiques d’écriture de ces comptes rendus, et, de là, les différentes pratiques discursives et usages à l’œuvre dans ces textes ; cela renvoie à la diversité de leurs fonctions.

La première fonction de ces comptes rendus est bien sûr de rendre compte de ce qui constitue un événement : ces excursions organisées par le cercle des proches disciples de Vidal de La Blache et encouragées par le maître soi-même participent de l’institutionnalisation de la discipline et de sa reconnaissance à la fois académique et sociale. Ces comptes rendus ont alors pour but d’assurer, grâce à leur diffusion dans les Annales de géographie, une large publicité à ces manifestations afin de diffuser les nouvelles méthodes pédagogiques et heuristiques désormais en vigueur. Le compte rendu témoigne donc de l’efficacité des méthodes employées et du travail accompli au service de la formation de nouveaux membres de la communauté. Ces comptes rendus servent également à exprimer la gratitude des organisateurs à tous ceux qui rendent les excursions possibles, comme les universités d’accueil, les bailleurs de fonds, les personnalités locales qui ont aidé le déplacement de la caravane ainsi que les nombreux participants, à la fois endurants et attentifs. Enfin, dans le cadre d’une discipline qui cherche à s’ancrer dans le paysage académique, ces comptes rendus permettent la naissance d’une tradition et d’un imaginaire disciplinaires qu’ils alimentent régulièrement. Cet aspect est particulièrement visible au début de la période, jusque dans les années 1920, c’est-à-dire celles organisées par le premier cercle des post-vidaliens. En dépit de ces fonctions régulièrement rappelées, on observe tout au long de la période qu’ils couvrent des ruptures et des évolutions.

Les premières relèvent de la grande histoire qui se lit dans ces documents. Les excursions sont suspendues pendant les deux guerres mondiales : la remise en route des excursions est longue et difficile, ce qui s’explique autant par les pertes humaines que par les difficultés matérielles rencontrées dans un pays sorti exsangue des conflits. Parallèlement, les Annales connaissent en temps de guerre des difficultés pour paraître (Beauguitte, 2008). Ces documents permettent aussi de retracer les évolutions techniques de l’imprimerie : peu illustrés au commencement, les comptes rendus sont ensuite accompagnés de photographies et de croquis d’abord hors-texte puis insérés. Le premier compte rendu illustré est celui de l’excursion de 1929 organisée en Yougoslavie par Borijove Milojevic138. Cela reste un cas exceptionnel avant la Seconde guerre et il faut attendre la publication en 1942 des comptes rendus139 de l’excursion de 1939 dans les Causses et le Languedoc pour que les illustrations soient plus systématiques (photographies, coupes géologiques, cartons…). Ce recours à

138 DE MARTONNE,E. (1930) « Excursion interuniversitaire en Yougoslavie. 18 septembre – 3 octobre 1929 ». Annales de géographie, XXXIX, p. 249 à 269.

139 MARRES, P. (1942) « Notes de géographie caussenarde. La XXXe excursion géographique interuniversitaire (premier article) ». Annales de géographie, LI, p. 175 à 186.

l’illustration est révélateur des changements techniques employés dans la composition et l’impression de la revue, mais est surtout emblématique d’un changement de statut progressif de ces comptes rendus. Le principal changement qui se lit ici tient en effet à une évolution du discours géographique proprement dit : la description l’emporte sur le récit, la monographie l’emporte sur la narration d’une excursion. Les comptes rendus changent d’emplacement et ne sont plus guère abrités dans la rubrique

« Actualités » des Annales mais dans la partie qui accueille des articles de fond. Ce changement de nature s’accompagne de modifications formelles, comme l’allongement sensible du texte, l’abandon de la pratique de l’anonymat et l’apparition d’un paratexte qui leur donne une scientificité nouvelle : le compte rendu de l’excursion de 1921 en Alsace donne pour la première fois l’occasion de publier une bibliographie complète sur la région. A l’inverse, les données jugées essentielles pour les premiers comptes rendus (comme le nombre, le nom et l’origine des participants) sont reléguées en note liminaire, voire en note de bas de page. Le tournant semble pris à la fin des années 1930, avant même que n’éclate le second conflit mondial. L’excursion de 1938 conduite par Jules Blache en Alsace donne ainsi lieu à deux articles publiés dans les Annales à des dates et dans des rubriques différentes.

Un premier140 paraît dans la rubrique « Notes et comptes rendus ». En seize lignes, l’organisateur détaille les participants présents et l’itinéraire de l’excursion ; il conclut ainsi sa note :

« Le compte rendu de cette excursion, trop copieux pour paraître sous cette rubrique, sera publié comme un article dans le numéro de mai des Annales de Géographie, sous le titre Notes de géographie Lorraine. »141

Pour la première fois est ainsi questionnée la localisation et le contenu des comptes rendus. Un deuxième article142 est donc publié comme annoncé. Sa structure est suffisamment révélatrice du changement qui s’opère pour qu’elle mérite qu’on s’y attarde. L’article commence par un renvoi au précédent article publié dans la rubrique de notes, et rappelle les publications récentes sur le sujet, avant de détailler l’ambition de ce second article :

« Il est inutile de revenir sur le contenu de ces ouvrages, même lorsque leurs conclusions ont été présentées sur le terrain. On se reportera à leurs excellents chapitres, tout frais imprimés. En revanche, quelques compléments ou quelques indications critiques ont pu s’exprimer à l’occasion de l’excursion, et c’est la raison d’être de ces quelques pages143. »

Le titre de l’article – Notes de géographie lorraine – est alors pleinement justifié : le texte se compose de parties juxtaposées qui présentent chacune des mises au point sur des sujets précis. Ces parties MARRES,P. (1942) « Notes de géographie languedocienne. La XXXe excursion géographique interuniversitaire (deuxième article) ». Annales de géographie, LI, p. 251 à 263.

140 BLACHE,J.(1939). « La XXIXe excursion géographique interuniversitaire ». Annales de géographie, XLVIII, p. 63.

141 Ibid.

142 BLACHE,J.(1939). « Notes de géographie lorraine ». Annales de géographie, XLVIII, p. 235 à 251.

143 Ibid., p. 235.

reposent sur un découpage régional (« Côte bajocienne et côte rauracienne »144, « le val de l’Ane »145), thématique (« La mirabelle en Lorraine »146) ou les deux à la fois (« Un village viticole du Toulois »147, « La banlieue de Metz »148). La seule logique qui justifie le passage d’une région à une autre, ou d’un thème à un autre est l’itinéraire emprunté lors de l’excursion. Ce texte oscille donc entre un récit de l’excursion et une volonté de présenter de manière raisonnée les traits saillants (tant physiques qu’humains) de petites régions bien délimitées. On trouve ici la première tentative de proposer, à partir d’un compte rendu d’excursion, une monographie régionale, avec tous les problèmes que posent sa structuration. Dans cette perspective, la logique de l’itinérance donne le cadre de la monographie encore ici à l’état d’ébauche (Orain, 2000). Le traitement réservé à l’excursion de 1939 suit ce tournant et l’amplifie. Deux articles149 sont publiés qui se présentent chacun comme des notes et qui ne figurent plus dans la rubrique des « notes et actualités ». Le premier comporte une longue note de bas de page de trente-quatre lignes qui explique les retards dans la publication du compte rendu (la mobilisation de Paul Marres, l’organisateur de l’excursion, et le décès de Jules Sion), le rappel des excursions de 1906 et 1931, l’itinéraire suivi, de Mende à Montpellier, et enfin le nombre et l’origine des participants150. Le reste des articles se composent, comme pour le compte rendu de l’excursion de 1938, de parties thématiques151 (comme « les formes karstiques »152, « le déboisement des Causses »153, « l’âge des surfaces d’érosion de la région montpelliéraine »154 ou « les genres de vie du littoral »155). Ces articles prennent donc la forme d’articles scientifiques et non plus de simples récits : la présence d’intertitres, d’illustrations (photographies ou schémas), de notes de bas de page change le statut du discours véhiculé qui se donne désormais toutes les formes de la scientificité. Ce tournant monographique est définitivement pris après la seconde guerre : le compte rendu de l’excursion de 1949156 en Forêt Noire prend prétexte de l’excursion pour proposer un éclairage

144 Ibid., p. 237.

145 Ibid., p. 240.

146 Ibid., p. 239.

147 Ibid., p. 239.

148 Ibid., p. 248.

149 MARRES, P. (1942) « Notes de géographie caussenarde. La XXXe excursion géographique interuniversitaire (premier article) ». Annales de géographie, LI, p. 175 à 186.

MARRES,P. (1942) « Notes de géographie languedocienne. La XXXe excursion géographique interuniversitaire (deuxième article) ». Annales de géographie, LI, p. 251 à 263.

150 MARRES, P. (1942) « Notes de géographie caussenarde. La XXXe excursion géographique interuniversitaire (premier article) ». Annales de géographie, LI, p. 175 à 186. p. 175.

151 Le découpage régional commande quant à lui la division en deux comptes rendus.

152 Ibid., p. 178.

153 Ibid., p. 179.

154 MARRES,P. (1942) « Notes de géographie languedocienne. La XXXe excursion géographique interuniversitaire (deuxième article) ». Annales de géographie, LI, p. 251 à 263. p. 253.

155 Ibid., p. 261.

156 MARTHELOT,P. (1950). « La XXXIIe excursion géographique interuniversitaire (5-9 juin 1949). La Forêt Noire, notes de morphologie ». Annales des géographie, LIXe, p. 161 à 193.

morphologique de la région ; là encore, le récit de l’excursion fait l’objet d’une note de bas de page relativement courte (quatre lignes seulement).

Ce changement de nature explique l’allongement continu des comptes rendus. On retrouve dans ce mouvement ininterrompu tout au long des années 1950 et 1960 le goût des géographes pour l’accumulation monographique qui renvoie au « réalisme » que les géographes souhaitent mettre en œuvre (Bourgeat, 2007 ; Orain, 2009) dans une discipline qui s’est pensée comme un mixte, à la fois épistémologique et textuel (Robic, 1991) : pour les géographes post-vidaliens, la description vaut explication et la tentation est grande, pour le géographe régionaliste qui cherche à épuiser157 sa région, à accumuler encore et encore, dans le cadre d’un système de causalité – le « dossier régional » – qui favorise l’accumulation. A cet égard, le compte rendu de l’excursion de 1961158, le plus long du corpus, est révélateur. Chaque étape donne lieu à une analyse (entendue ici au sens propre) aussi complète que roborative. Et le compte rendu est encore appelé à être complété, comme le suggère une note placée à la fin du texte :

« Une note plus détaillée sur le Bocage [le Haut-Bocage vendéen], par A. Bouhier, paraîtra dans Norois »159.

Cela interroge le statut même de ces textes. L’évolution du genre tout au long de la période est commandée par les évolutions de la discipline elle-même, de ses buts et de ses usages. La dimension pédagogique de l’excursion ne transparaît pas dans ses formes de restitution : alors que les premiers comptes rendus cherchent à célébrer un événement, ceux de la fin de la série prennent prétexte de l’excursion pour proposer des monographies complètes des régions visitées.

Les films pédagogiques produits au Centre Audio-Visuel (CAV) de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud interrogent également les évolution de la discipline. Tout comme les excursions, ces films – produits à partir de la fin des années 1960 – constituent un moment pédagogique qui répond aux évolutions que connaît alors la discipline. Si le cinéma pédagogique est un genre ancien qui se diffuse dès les années 1910 dans l’enseignement primaire et secondaire (Aubert et al., 2004), il connaît un regain d’intérêt à partir des années 1960 à destination cette fois de l’enseignement supérieur. L’histoire du CAV a été retracée ailleurs (Bulletin des associations amicales des anciens élèves des ENS, 1990 ; Luc et Barbé, 1982 ; Dubost, 2004 ; Lefort et Calbérac, 2009) : l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, alors en pointe pour l’enseignement de la pédagogie a

157 En 1975, Georges Perec démontre l’impossibilité d’épuiser ainsi un lieu (Tentative d’épuisement d’un lieu parisien).

158 ROBERT J.,FÉNELON,P.,BOUHIER A. ET VERGER,F. (1963). « La 44e excursion géographique interuniversitaire. Poitou-Charentes (8-13 mai 1961) ». Annales de géographie, LXXII, p. 529 à 571.

ROBERT J.,FÉNELON,P., BOUHIER A. ET VERGER, F.(1963). « La 44e excursion géographique interuniversitaire. Poitou-Charentes (8-13 mai 1961) (Fin) ». Annales de géographie, LXXII, p. 641 à 674.

159 Ibid., p. 674.

encouragé la création en son sein du CAV conçu à la fois comme un laboratoire de recherche en pédagogie et comme un centre de production destiné à alimenter les catalogues du Centre National de la Documentation Pédagogique (CNDP) (Wallet, 1994 et 2004). Sous des structures diverses, le CAV produit de 1953 jusqu’à sa dissolution en 2000 plus de 900 films sur des supports divers (16 mm, 35 mm, vidéo). Un changement majeur dans la politique éditoriale du CAV intervient en 1969 : alors que la production était exclusivement tournée vers les enseignements primaires et secondaires, elle s’oriente désormais vers l’enseignement supérieur dont la massification oblige à repenser les modes de transmission des savoirs. On confie à des universitaires reconnus et choisis pour leur compétences le soin d’écrire des films dont la réalisation est confiée à des réalisateurs en poste au CAV ; un conseiller scientifique fait la liaison entre l’auteur scientifique et le réalisateur, notamment pour ce qui relève de la mise en forme des attentes de l’auteur160. Près d’une centaine de films relève de la géographie et une trentaine – qui compose exclusivement le corpus étudié – s’adresse aux étudiants. La finalité de ces films est évidente : transmettre aux étudiants des savoirs construits. Le changement de public (le passage du primaire et secondaire au supérieur) – qui intervient dans un contexte de crise tant de la discipline géographique elle-même que dans son enseignement (Lefort, 1992) – ne se traduit pas seulement par un changement thématique ou de niveaux de discours ; c’est toute la structure des films qui est modifiée. En effet, il ne s’agit plus de transmettre des savoirs construits et clos dans le cadre de la transposition didactique (Mérenne-Schoumaker, 1994 ; Le Roux, 2005), mais au contraire de transmettre, conformément aux usages de l’enseignement supérieur, des méthodes de recherche et d’acquisition de connaissances toujours discutées et enrichies, et non plus des savoirs positifs. Si tous les films retenus dans notre corpus présentent ce point commun et appartiennent donc tous à un même genre pédagogique, leur diversité – dans le fond comme dans leur forme – n’en reste pas moins remarquable. Si les deux composantes du corpus (films et comptes rendus) relèvent d’une démarche pédagogique, les formes de restitutions qu’elles constituent la privilégient plus ou moins.

Au-delà des genres et des statuts de ces documents, il faut donc interroger leur référent (Orain, 2000 ; Pernot, 2004) : ce n’est autre que le terrain, pris dans toute sa polysémie. Selon la nature des textes, et surtout selon leurs fonctions, les textes et les films renvoient aux différentes acceptions du terme, comme l’objet, l’espace étudié ou la méthode mise en œuvre (Volvey, 2003b) et qui induisent chacune des mises en procès différentes du réel. Ce qui est en jeu ici c’est la capacité, pour ces textes et ces films, par les procédés d’écriture à reproduire le référent (mimesis) ou à le créer (poiesis), et donc à interroger la capacité du texte scientifique ou de sa variante filmique à restituer la réalité dont il doit rendre compte. C’est la question de l’écriture – telle qu’elle a pu être formulée par Olivier Orain

160 Jean-Louis Tissier, ancien « caïman » à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et ancien conseiller scientifique pour le CAV m’a expliqué, lors de l’entretien qu’il m’a accordé, le circuit de fabrication des films, de la commande à la projection au

(Orain, 2000 et 2003) – qui est posée : comment opère-t-on la mise en ordre du monde (la cosmétique) constitutive de la poétique des savoirs (Rancière, 1992) ? L’hypothèse débattue ici est que les évolutions référentielles (et donc textuelles) de ces documents sont révélatrices des évolutions des objets, des méthodes et des finalités de la géographie ; le terrain est alors un élément central pour appréhender les bouleversements que connaît la discipline.

Les modalités d’écriture du compte rendu ont déjà été évoquées ; revenons-y rapidement. Ce qui se joue ici est la question de l’écriture de la monographie. Les documents étudiés répondent à l’hypothèse soulevée par Olivier Orain (Orain, 2000) selon laquelle la mise en scène du terrain, donc de l’itinérance fournit un dispositif efficace pour décrire avec une logique donnée une région, c’est-à-dire de restituer par le langage consécutif une région qui, à la différence du texte, n’a ni début ni fin.

Ces comptes rendus permettent de saisir une étape dans l’écriture de la monographie : toutes celles qui sont proposées prennent pour fil conducteur le cheminement de l’excursion. Plus qu’un tribut au genre

Ces comptes rendus permettent de saisir une étape dans l’écriture de la monographie : toutes celles qui sont proposées prennent pour fil conducteur le cheminement de l’excursion. Plus qu’un tribut au genre

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