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Les images ne relevant pas de la vie privée

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 125-129)

Section 1 : Le nécessaire maintien du droit extrapatrimonial à l’image dans les droits de la personnalité

B) Les images ne relevant pas de la vie privée

140. La distinction entre l’image et la vie privée. L’image est un attribut de la personnalité. Si elle délivre quelque fois, même souvent, une information de la vie privée, elle est toujours révélatrice d’une parcelle de l’identité de la personne. En cela, elle doit, selon nous, être protégée en elle-même indépendamment du renseignement qu’elle est susceptible de faire apparaître. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a admis que le droit au respect de la vie privée et le droit extrapatrimonial à l’image constituent des sources de préjudices distinctes517. L’exemple donné par Monsieur Jean-Michel Bruguière et Madame Bérengère Gleize dans leur ouvrage consacré aux droits de la personnalité est, en ce sens, très révélateur. Ils expliquent que « la photographie d’une femme enceinte est susceptible de porter atteinte doublement à la personnalité. Elle livre d’abord au regard d’autrui une parcelle de l’identité physique de cette femme, à savoir la reproduction des traits de son visage et de sa silhouette. Elle délivre également une information qui relève de sa vie intime,

517Cass. civ., 1ère, 12 décembre 2000, D.2001, 2434, note J.-C. SAINT-PAU ; Comm. com. électr. 2001, comm.

94, 1ère esp., obs. A. LEPAGE.

à savoir sa grossesse. Ainsi, l’image et la vie privée sont ici en cause »518. Il est aussi des cas où seule l’image est atteinte et non la vie privée.

141. Illustration : Les photographies d’identité. La photographie d’identité est l’illustration parfaite d’une image qui ne relève en rien une information de la vie privée, ni même d’ailleurs un autre intérêt (honneur, dignité, présomption d’innocence) à moins que sa diffusion ait été accompagnée d’un texte peu flatteur et, à ce moment-là, c’est uniquement ce dernier qui est attentatoire au respect des autres attributs et intérêts de la personne. La photographie d’identité, en elle-même, n’est révélatrice que de la personnalité de l’individu qu’elle représente et cela nous paraît pourtant suffisant pour qu’elle soit protégée puisque c’est le propre des droits de la personnalité que de venir protéger la personnalité sous les différents aspects qui la composent. À cet argument, nous nous verrons opposer celui selon lequel il s’agit de photographies institutionnelles, destinées principalement à figurer sur des documents officiels aux fins de contrôle de l’identité. Pourtant, ce raisonnement est à bannir car il se focalise non pas sur l’image mais sur son utilisation. Ainsi, de la même manière, le nom de famille est quotidiennement utilisé aux fins de vérification de l’identité mais cela ne remet pas en considération le fait qu’il soit protégé par un droit subjectif. Le principe est que la personne photographiée a un droit exclusif sur son image mais que, dans certains cas, l’intérêt général prime sur son intérêt individuel, comme lorsque l’information du public justifie sa diffusion. Le contexte dans lequel l’image est captée ou diffusée justifie ou non sa licéité. À l’appui de cet analyse, l’on peut citer deux arrêts. Le premier résulte de la Cour d’appel de Versailles et date du 30 novembre 2011519. En l’espèce, la photographie d’identité d’une élue municipale avait été utilisée sans son autorisation dans un journal d’opposition politique. Les juges relèvent qu’« une photographie d'identité destinée à figurer sur une carte professionnelle doit présenter des caractéristiques quasi anthropométriques, pour permettre l'identification de la personne indépendamment de sa coiffure, de l'expression de son visage ou de ses éventuelles parures, ce qui fait qu'elle est rarement flatteuse » et que « la publication d'une telle photographie porte atteinte au droit à l'image de Mme D., qui a le droit de contrôler son image pour ne pas être présentée aux électeurs sous une apparence dévalorisante ». L’image avait été fournie pour les besoins de d’obtention de la carte

518J.-M. BRUGUIÈRE et B. GLEIZE, op. cit., n°175, p.158.

519CA Versailles, 14ème ch., 30 nov. 2011, n°10/06742 : JurisData n°2011-028452 : Comm. com. électr. 2012, comm. 55, note par A. LEPAGE.

d’adjointe au maire de l’élue municipale et n’était en rien révélatrice d’une information sur sa vie privée. Si la présente décision est rendue sur le fondement du droit au respect de la vie privée et du droit à l’image, ce dernier est en réalité le seul concerné. Il permet à la personne de refuser l’utilisation de son image sans même avoir à justifier qu’elle s’y oppose car elle est présentée « sous une apparence dévalorisante ». Cet élément permet simplement d'apprécier l’ampleur du préjudice mais ne constitue pas une condition de l’atteinte. Un autre arrêt, cette fois-ci de la Cour de Douai, du 17 février 2017520, concernait le refus pour un salarié de se laisser photographier et de fournir une photographie d’identité destinée à figurer sur l’organigramme interne de l’entreprise qui l’emploie. Mis à pied puis licencié pour faute grave, il a agi devant le Conseil de Prud'hommes qui a fait droit aux demandes de l’employé.

Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel pour qui il ressort des éléments versés au débat que « l'absence d'apposition de son visage photographié n'était pas de nature à empêcher son identification et à priver l'organigramme de tout intérêt » et que « par conséquent que l'exigence de production d'une photographie d'identité ne découlait pas du contrat de travail et qu'elle n'était pas justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ». Une fois de plus, l’on voit bien que la photographie d’identité, si elle ne dévoile pas la vie privée, est tout de même protégée. La seule possibilité de l’utiliser sans l’autorisation de la personne qu’elle représente est l’existence d’un intérêt supérieur, ce qui est une limite traditionnelle des droits de la personnalité.

142. Le lien amoindri entre la personne et son image. La suppression du droit extrapatrimonial à l’image conduirait à laisser la personne sans recours quant à l’utilisation non autorisée de ses photographies puisqu’elles ne portent atteinte ni à la vie privée, ni même à l’honneur, à la dignité, ou à la présomption d’innocence. La proposition de loi visant à donner un cadre juridique au droit à l’image et à concilier ce dernier avec la liberté d’expression de 2003 aurait conduit à ce résultat. Il était proposé d’insérer un article 9-2 du Code civil rédigé de la manière suivante : « Chacun a un droit à l’image sur sa personne. Le droit à l’image d’une personne est le droit que chacun possède sur la reproduction ou l’utilisation de sa propre image. L’image d’une personne peut toutefois être reproduite ou utilisée dès lors qu’il n’en résulte aucun préjudice réel et sérieux pour celle-ci ». Ce texte a été fortement critiqué par la doctrine en raison de l’amalgame qu’il crée entre droit subjectif et

520CA Douai, ch. soc., 17 févr. 2017, n°15/04352.

responsabilité civile521. Il est révélateur de la volonté de restreindre la protection de l’image.

Si la référence au « préjudice réel et sérieux » évoque bien évidemment le mécanisme de la responsabilité civile, il nous rappelle aussi la notion de « trouble anormal » utilisée par la jurisprudence en matière de droit à l’image des biens522. Ainsi, l’image d’un bien peut être utilisée librement sauf si cette utilisation cause au propriétaire du bien un trouble anormal comme l’image d’une personne peut être utilisée librement sauf si cette utilisation cause à la personne représentée un préjudice réel et sérieux. On peut penser que le « préjudice réel et sérieux », comme le « trouble anormal »523 peut consister notamment dans une atteinte à la vie privée524.

143. L’image, une chose commune. Cette disparition du droit extrapatrimonial à l’image conduit nécessairement à changer de regard sur la qualification de l’image puisqu’elle n’est plus protégée per se. Le principe de liberté de l’image signifie que la captation, comme la diffusion de l’image, n’ont plus à être autorisées sauf à se prémunir d’une possible action en justice principalement pour atteinte au respect de la vie privée. Plaider pour la disparition du droit extrapatrimonial à l’image revient à dénier à la personne « le droit de sélectionner les représentations d’elle dont elle veut bien qu’elles soient accessibles à autrui »525. L’image est offerte à l’usage de tous sauf lorsqu’elle est révélatrice de la vie privée de l’individu dont elle est le reflet. Certaines images, telles que les photographies d’identité, deviendraient alors des

521V. les observations de J.-M BRUGUIÈRE et B. GLEIZE, « Propositions sur le droit à l’image. Pitié pour les juristes ! », D. 2003, p.2643 ; C. CASTETS-RENARD, « La proposition de loi visant à donner un cadre juridique au droit à l’image : une occasion manquée », LPA, 6 janv. 2004, p.7 ; E. DREYER, « Pitié pour le Code civil ! », LPA, 2004, n°91, p.4.

522Cass. ass. plén., 7 mai 2004, n°02610.450 : JurisData n°2004-023597, Bull. civ. n°10 : D. 2004, p.1545, note J.-M. BRUGUIÈRE et E. DREYER ; D.2004, p.2406, obs. N. REBOUL-MAUPIN ; JCP G 2004, II, 10085, note C. CARON ; JCP G, I, 147, n°12, obs. A. TRICOIRE ; JCP G, I, 163, n°24 et s., obs. G. VINEY ; JCP G, I, 171, n°1, obs. H. PÉRINET-MARQUET ; Comm. com. électr. 2004, étude 35, par F. SIIRIAINEN ; RTD civ. 2004, p. 528, obs. T. REVET ; Dr. et patr. juill.-août 2004, p.34, étude T. REVET ; Gaz. pal. 2005, p.1256, note L.

TELLIER-LONIEWSKI et F. REVEL DE LAMBERT ; Defrénois 2004, p.1554, note S. PIEDELIÈVRE et A.

TENENBAUM ; Cah. dr. entr. 2004, n°6, étude B. ROMAN ; RDI 2004, p.437, obs. E. GAVIN-MILLAN-OOSTERLYNCK.

523Dans ce sens, pour l’interprétation de la référence jurisprudentielle à la notion de « trouble anormal » en matière d’images des biens, V. B. GLEIZE, La protection de l’image des biens, Defrénois, Lextenso éditions, coll. Thèses, Doctorat et Notariat, t.33, 2008, n°368, p.234.

524En matière d’image des biens , V. Cass. civ. 1ère, 5 juill. 2005 : Bull. civ. I, n°297 ; D. 2006, pan. 2367, obs.

N. REBOUL-MAUPIN ; Comm. com. électr. 2005, n°148, note C. CARON ; Gaz. pal. 2005, 3473, note B.

DAUSSY-ROMAN.

525A. LEPAGE, « Les droits de la personnalité », rep. civ. Dalloz, 2009, n°137.

choses communes incorporelles en ce que leur usage serait commun à tous526. De plus, il serait tout à fait paradoxal de supprimer le droit extrapatrimonial à l’image tout en consacrant le droit patrimonial à l’image527. L’utilisation non autorisée de l’image ne serait susceptible d’être condamnée que si l’on prouve l’atteinte à la vie privée, ou si l’on agit sur le fondement du droit patrimonial à l’image. En d’autres termes, l’image qui a une valeur économique serait davantage protégée que l’image qui n’en aurait pas. Il faut donc considérer que l’image est protégée par un droit extrapatrimonial à l’image, indépendamment du droit au respect de la vie privée. Le droit extrapatrimonial à l’image a donc sa place entière dans les droits de la

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