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Le droit de la notoriété

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Section 1 : Le déni du droit patrimonial à l’image

B) La notoriété, prétendu objet de contrat

2) Le droit de la notoriété

79. Plan. « Concept dans le vent »251, des voix s’élèvent de plus en plus pour sa protection par un droit subjectif (a). Or, non seulement la notoriété est inapte à être un objet de droit, mais le marché de l’image ne concerne pas uniquement les personnes notoires (b).

247D. LEFRANC, op.cit., n° 9 p.6.

248D. LEFRANC, op.cit., n° 14, p.11.

249G. MINOIS, op.cit., p.9 : «Etre célèbre ne veut pas dire nécessairement être un grand homme, ou un homme illustre, même si c'est souvent le cas ».

250C.-A. MAETZ, op.cit., n°11, p.30.

251 N. RAYNAUD DE LAGE, « La notoriété », D. 2000, p.513.

a) La subjectivation souhaitée de la notoriété

80. L’influence de la notoriété sur la protection des attributs de la personnalité. Il ne fait nul doute que la notoriété a une influence sur la protection des attributs de la personnalité.

Elle peut être, en effet, un outil de caractérisation de l’atteinte ou du moins un élément d’évaluation de l’étendue du préjudice. Prenons quelques exemples concrets. Le cas des sosies tout d’abord. L’utilisation d’un sosie, c'est-à-dire d’une personne ressemblant trait pour trait à une autre, n’est préjudiciable que lorsqu’elle entraîne un risque de confusion tendant à faire croire que l’on est en présence non du sosie mais de la personne elle-même. Or, le risque de confusion s’apprécie nécessairement en fonction de la notoriété de la personne imitée252. Si théoriquement, une personne non notoire peut se plaindre de la quasi-similitude existant entre une personne et elle-même, en pratique, la confusion ne sera que très relative puisque nécessairement à petite échelle. Elle sera dénuée de volonté d’entraîner cette analogie puisque l’on doute qu’un publicitaire puisse vouloir imiter une personne qui, aux yeux du plus grand nombre, est inconnue. Il s’agira donc le plus souvent d’une coïncidence et non d’une volonté comme c’est le cas lors de l’utilisation de sosies de célébrités. La même remarque est transposable pour la voix. Une illustration en est donnée dans la célèbre affaire Piéplu où le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré que « la diction, le débit, le ton et les inflexions de voix […] évoquaient les particularités verbales du comédien Claude Piéplu »253 entraînant une confusion dans l’esprit du public, ce dernier pouvant se méprendre quant à la participation de l’acteur à ce spot publicitaire. Dans le sens inverse, elle peut également conduire à une diminution de la protection, notamment en matière de droit au respect de la vie privée. En principe, chaque individu bénéficie d’un droit au respect de sa vie privée, en vertu de l’article 9 du Code civil, « quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir »254. Cependant, il apparaît que l’étendue de la vie privée est quelque peu restreinte selon la notoriété de la personne concernée. Cela s’explique par le rôle

252 V. par exemple : TGI Nanterre, réf., 23 mars 2007, J.-L. Delarue c/ Société de conception de presse et d’édition (Scpe), Comm. com. électr. 2007, p.75, note A. LEPAGE ; D. 2007, Pan. 2772, obs. L. MARINO.

253 TGI Paris, 3 déc. 1975, Piéplu c./Régie française de publicité, et a. : D. 1977, p.211, note R. LINDON ; JCP 1978, II, 19002, note D. BÉCOURT.

254 Cass. Civ. 1ère, 23 oct. 1990, n° 89-13.163, JurisData n°1990-702660, Bull. civ. I, n°222 ; V. également : Cass. civ. 1ère, 27 févr. 2007, n°06-10.393, JurisData n°2007-037669 ; Comm. com. életr. 2007, comm.97, obs.

A. LEPAGE ; RTD civ. 2007, p.309, obs. J. HAUSER ; D. 2007, p.804, obs. C .DELAPORTE-CARRÉ ; Légipresse 2007, n°341, III, p.107, note L. MARINO ; Gaz. pal. 2007, somm. 3518, obs. P. GUERDER ; CA Versailles, 23 sept. 1999, comm. com. életr. 2000, comm. 25, note A. LEPAGE : « Toute personne, fût-elle célèbre, a droit au respect de sa vie privée ».

crucial attribué au public quant à l’accession à la notoriété. À partir de l’instant où, grâce à la communauté, un individu accède à un statut notoire, il doit se contraindre à une certaine transparence255. C’est cette considération qui justifie les atteintes portées à la vie privée des personnes publiques dans les pays anglo-saxons. Ce souci de transparence conduit les juridictions internes256 comme les juridictions européennes257 à exclure les informations patrimoniales du champ d’application de l’article 9 du Code civil dès lors que celles-ci concernent certaines personnes publiques tels des dirigeants de grandes entreprises. Dans ce cas, le mur de leur vie privée est moins épais que celui des anonymes en raison de l’intérêt du public à avoir accès à des informations les concernant. On s’est également posé la question de savoir si le comportement passé vis-à-vis des médias pouvait justifier l’épuisement du droit au respect de la vie privée. Comment se prévaloir d’une atteinte à sa vie privée lorsque, dans le même temps, on en dévoile une grande partie dans la presse et à l’occasion d’interviews ? La Cour d’appel de Paris a répondu à cette question dans affaire qui opposait Pablo Picasso et les Éditions Calmann-Lévy dans les termes suivants : « Considérant, quant à l’étendue du domaine de la vie privée, que la mesure est tout autre s’il s’agit d’un individu quelconque, ou bien lorsque l’on se trouve en présence d’un artiste de renommée mondiale, qui, comme Picasso, a non seulement fait l’objet, en tout pays, de publications de toute nature, sur sa vie et sur son œuvre, mais encore qui n’a jamais redouté, s’il ne l’a pas recherché, d’affronter les exigences impérieuses et indiscrètes de l’actualité et de la presse parlante, écrite ou filmée et qui s’est déjà ainsi livré lui-même, pour une large part, en pâture au public »258. Cependant, de nombreuses décisions postérieures sont allées dans le sens inverse et ont fait abstraction

255 J.-M COTTERET et C. EMERI, « Vie privée des hommes politiques » : Mél. en hommage à Jacques Ellul, Religion, Société et Politique, PUF, p.669 : « À l’évidence, l’homme politique doit être nu, transparent. Aucun de ses faits et gestes, voire de ses pensées, n’échappe au contrôle social. On constate ce point de vue

MARGUÉNAUD et J. REYNARD ; RTD com. 1999, p.783, obs. F. DEBOISSY ; D. 1999, somm. p.272, obs.

N. FRICERO ; LPA 4 août 1999, n°154, note R. MARIE.

258 CA Paris, 1ère ch. 6 juill. 1965, Pablo Ruyz Picasso c/Editions Calmann-Lévy ; Gaz. pal. 1966, 1, p.39. V.

aussi sur la révélation de faits publics ou ne présentant qu’un caractère anodin : Cass. civ. 1ère, 3 avr. 2002, n°99-19.852, Bull. civ.I, n°110 ; D.2002, p.3164, obs. C. BIGOT ; D. 2003, somm. 1543, obs. C. CARON ; JCP G 2003, I, 126, n°11, obs. E. TRICOIRE ; Gaz. pal. 2003, p.1040, note A. TOUCAS et E. JUILLARD ; LPA 6 mai 2002, note E. DERIEUX ; Comm. com. électr. 2002, n°158, note A. LEPAGE ; Dr. et patr. janv. 2003, p.115, obs. G. LOISEAU.

des tolérances antérieures voire des révélations volontaires259. D’autres ont décidé d’opter pour une position intermédiaire consistant à alléguer des dommages et intérêts plus faibles dès lors que la personne concernée a, par le passé, volontairement et de manière abondante, évoqué des aspects de sa vie privée260. La notoriété fait donc office de curseur pour mesurer l’atteinte portée aux attributs de la personnalité, elle a aussi un rôle beaucoup plus décisif en ce qu’elle peut les faire basculer dans la sphère patrimoniale. C’est la position défendue, entre autres, par Monsieur Claude-Albéric Maetz pour qui « notoriété et attributs de la personnalité interagissent alors en véritable symbiose. Tandis que la première enrichit les seconds d’une dimension patrimoniale, les attributs de la personnalité offrent à la notoriété un réceptacle, un support, à défaut duquel, pour frugifère qu’elle soit en théorie, la valeur économique qu’elle représente s’évaporerait au ban du droit, condamnée par son inaptitude à la diffusion »261. Ce processus de patrimonialisation est particulièrement vrai pour le nom de famille.

81. Le basculement du nom notoire dans la sphère patrimoniale. Le nom fait office de précurseur dans la réflexion autour de la patrimonialisation des attributs de la personnalité. La Haute juridiction judiciaire a donc eu à se prononcer sur la nature du patronyme lorsque celui-ci se voit « happé par le droit des affaires »262. C’est par une décision de principe, dite Bordas, du 12 mars 1985263, que la Cour de cassation a consacré l’existence d’un droit patrimonial sur le nom en tant que signe distinctif. Après avoir rappelé, dans le visa, que « le principe de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du nom patronymique, qui empêche son titulaire d’en disposer librement pour identifier une autre personne physique, ne s’oppose pas à la conclusion d‘un accord portant sur l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou comme nom commercial », elle indique que le nom exploité sous forme de dénomination

259 Voir par exemple : Cass. civ. 1ère, 3 avr. 2002, n°99-19.852, Bull. civ. I, n°110 : D. 2002, p.3164, note C.

BIGOT ; D. 2003, somm. 1543, obs. C. CARON ; JCP G 2003, I, 126, obs. E. TRICOIRE ; Comm. com. électr.

2002, comm. 158, obs. A. LEPAGE ; Légipresse 2002, III, p.170, note G. LOISEAU ; TGI Paris, 17ème ch., 2 sect. 15 janv. 2003 : Légipresse 2003, n°2000, I, p.41 ; TGI Paris, 17ème ch, 2 sect., 31 mai 2010 : Légipresse 2010, n°276, p.270 ; TGI Paris, 17ème ch., 12 janv. 2011, Légipresse 2011, n°282, p.214.

260 TGI Paris, 1ère ch., 1ère sect., 10 avr. 1996 : Légipresse 1996, n°134, I, p.107 ; TGI Paris, 1ère ch., 30 juin 1997 : Légipresse 1998, n°152, I, p.67 ; TGI Nanterre, 1ère ch. Sect. A, 10 avril 2002, Légipresse 2002, n°197, I, p.157.

261 C.-A MAETZ, op. cit, p.178, n°186.

262 B. TEYSSIÉ, Droit civil. Les personnes, Litec, 18ème éd., 2015, n°160, p.150-151.

263Cass. com., 12 mars 1985, n°84-17163, Bull. civ. IV, n°95 ; D. 1985, jur. p.471, note J. GHESTIN ; JCP 1985, II, 20400, concl. M. MONTANIER ; note G. BONET ; Gaz. pal. 1985, 1, p.246, note G. LE TALLEC ; RTD com. 1986, p.245, obs. A. CHAVANNE et J. AZÉMA ; Rev. sociétés 1985, p.607, note G. PARLEANI.

sociale est « un signe distinctif qui s’est détaché de la personne physique qui le porte, pour s’appliquer à la personne morale qu’il distingue » et qu’il devient ainsi « l’objet d’un droit de propriété incorporelle ». Cette solution, si elle apporte indéniablement sa pierre à l’édifice en précisant la nature du droit sur le nom devenu signe distinctif, n’en est pas pour autant révolutionnaire. Elle ne vient nullement consacrer la théorie selon laquelle il y aurait un dédoublement des droits de la personnalité en droits patrimoniaux et droits extrapatrimoniaux.

La Cour de cassation ne s’est pas, en effet, prononcée sur la question de savoir, en amont, en vertu de quelle prérogative une personne pouvait céder son nom, ou du moins en accorder la jouissance. Il ne s’agit pas, par conséquent, d’affirmer que le droit au nom a une nature mixte extrapatrimoniale et patrimoniale permettant à la fois de défendre et d’exploiter le patronyme, mais de dire seulement que lorsque, en aval, le nom est utilisé comme dénomination sociale, il devient un signe distinctif, et que ce dernier est alors l’objet d’un droit de propriété intellectuelle. En d’autres termes, les Hauts magistrats n’avalisent pas la conception selon laquelle une personne est propriétaire de son nom et qu’elle le cède puisque ce n’est pas le nom en tant qu’attribut de la personnalité qui fait l’objet d’un droit patrimonial mais la dénomination sociale constituée du nom. Vingt ans après cette jurisprudence, l’arrêt Ducasse, tout en confirmant la solution rendue par la Cour de cassation en 1985, est venu délimiter le périmètre de l’accord portant sur le nom. Il affirme que « le consentement d’un associé fondateur, dont le nom est notoirement connu, à l’insertion de son patronyme dans la dénomination sociale d’une société exerçant son activité dans le même domaine, ne saurait, sans accord de sa part et en l’absence de renonciation expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de la marque pour désigner les mêmes produits ou services »264. À ce stade la question de la notoriété du titulaire initial prend toute son importance et modifie, cette fois-ci, l’appréhension juridique du nom en tant qu’élément de la personne. Contrairement à Monsieur Bordas dont le nom est devenu notoire suite à la création et au développement de sa maison d’édition, Monsieur Ducasse, quant à lui, est avant tout célèbre pour sa qualité de chef cuisinier étoilé. Cette notoriété lui a permis de devenir le chef d’entreprise à la tête de l’empire que l’on connaît aujourd’hui. D’une certaine manière, la notoriété de l’entreprise Bordas rejaillit sur la personne physique, Pierre Bordas, alors que grâce à la notoriété d’Alain Ducasse, personne physique, le groupe Alain Ducasse a

264Cass. com., 6 mai 2003, n°00-18192, D. 2003, p.2228, note G. LOISEAU ; Comm. com. életr. 2003, n°7-8, comm. 70, note Ch. CARON ; D. 2003, AJ, p.1565, obs. J. DALEAU ; JCP G , 2003, II, 10169, note E.

TRICOIRE ; D. 2003, jur. p.2629, obs. S. DURRANDE ; RTD civ. 2003, p.679, obs. J. HAUSER ; RTD com. 2004, p.90, obs. J. AZEMA et J.-C. GALLOUX ; Rev. sociétés 2003, p.548, note G. PARLEANI ; Dr. et patr., nov. 2003, p.89, note D. PORACCHIA.

bénéficié d’un fort pouvoir évocateur par le choix de sa dénomination sociale. Dans le premier cas, il s’agit du signe distinctif composé du nom de famille Bordas qui est doté de notoriété alors que, dans le second cas, le nom patronymique Ducasse, avant même d’être cédé à titre de dénomination sociale, jouit d’une notoriété importante. Or, contrairement à l’arrêt Bordas, où la société Bordas, en tant que personne morale, est titulaire du droit patrimonial sur le signe distinctif, dans l’arrêt Ducasse, la Cour de cassation considère que l’associé, personne physique, a des droits patrimoniaux sur le nom notoire. Par conséquent, ici la notoriété de son titulaire initial confère au nom sa valeur économique, et non son utilisation comme signe distinctif. Le détachement du nom de son titulaire ne résulte donc pas de son utilisation comme marque, nom commercial ou dénomination sociale, mais uniquement de sa notoriété, puisque c’est elle qui va induire entre le nom et l’individu « une relation d’extériorité de sujet à objet »265 et qui va permettre au nom de devenir l’objet d’un droit patrimonial.

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