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des effets de matrice

IV.1. c.iii Mesure de la densité électronique

Les spectres de la section précédente ont également été utilisés pour mesurer la densité électronique ne du plasma issu de chacune des matrices, par mesure de l’élargissement Stark des raies du fer.

Contrairement aux diagrammes de Boltzmann, cette mesure ne requiert en principe qu’une seule raie. Cependant, les raies de la gamme spectrale d’intérêt sont très peu élargies [104], [161]. Ainsi, dans nos conditions expérimentales, elles mesurent typiquement entre 5,5 et 6 pixels de large, c’est-à-dire entre 25,7 et 28,1 pm. Leur largeur instrumentale, mesurée en observant les mêmes raies issues d’une lampe à cathode creuse, est d’environ 22,8 pm. L’élargissement Doppler, calculé à partir des mesures de température précédentes et de l’équation (4.1) [6], n’est que d’environ 3 pm : les écarts de température d’une matrice à l’autre n’y provoquent des variations que d’environ 0,2 pm et sont donc négligés ici.

∆𝜆

𝐷𝑜𝑝𝑝𝑙𝑒𝑟

= 𝜆

0

× 7,16 ∙ 10

−7

(𝑇

𝑀)

1/2

(4.1)

La somme quadratique de la largeur instrumentale et de la largeur Doppler donne la largeur de la composante gaussienne de la raie, soit 23 pm dans notre cas.

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L’élargissement Stark, auquel la densité électronique est proportionnelle, peut alors être calculé à partir de la largeur expérimentale de la raie et d’une formule de déconvolution adéquate. Pour des raies à faible élargissement Stark, Ivković et al. [177] conseillent la formule (4.2) :

∆𝜆

𝑒𝑥𝑝

= 0,5346 ∆𝜆

𝑆𝑡𝑎𝑟𝑘

+ (0,2169 ∆𝜆

𝑆𝑡𝑎𝑟𝑘2

+ ∆𝜆

𝐺𝑎𝑢𝑠𝑠2

)

1/2

(4.2)

∆𝜆𝑒𝑥𝑝 est la largeur mesurée expérimentalement dans les spectres LIBS,

∆𝜆𝑆𝑡𝑎𝑟𝑘l’élargissement Stark duquel on tirera la densité électronique, et ∆𝜆𝐺𝑎𝑢𝑠𝑠 la composante gaussienne de la largeur de la raie, issue du profil instrumental et de l’élargissement Doppler.

Dans notre cas, l’application de cette formule donne des élargissements Stark de 10 pm au maximum, soit environ 2 pixels. Les écarts maximaux constatés entre différentes matrices sont d’environ 3 pm, c’est-à-dire inférieurs à 1 pixel. La comparaison des largeurs des raies observées dans différentes matrices requiert donc une grande précision dans la mesure de ces largeurs.

La raie la plus intense du spectre, à 373,49 nm, a d’abord été considérée. En effet, c’est la seule raie qui ne subit d’interférence spectrale significative dans aucune matrice. De plus, sa forte intensité facilite la mesure de sa largeur. Celle-ci a donc été mesurée à l’aide d’un ajustement à une fonction gaussienne dans le spectre de chaque échantillon. La densité électronique a alors été obtenue par la formule (4.3) :

𝑛

𝑒

= 𝑛

𝑒𝑟𝑒𝑓

(∆𝜆

𝑆𝑡𝑎𝑟𝑘

∆𝜆

𝑆𝑡𝑎𝑟𝑘𝑟𝑒𝑓

) (4.3)

∆𝜆𝑆𝑡𝑎𝑟𝑘𝑟𝑒𝑓 est l’élargissement Stark de cette raie observé dans un plasma d’une densité électronique égale à 𝑛𝑒𝑟𝑒𝑓. Ici, la référence utilisée est [104] : l’élargissement Stark y a été mesuré égal à (0,9 ± 0,2) nm pour une densité électronique de 1017 cm-3.

La densité électronique obtenue pour l’aluminium a été de 11.1016cm-3, contre environ 8.1016 cm-3 pour les autres matrices.

Il est difficile d’être plus précis, et ce pour plusieurs raisons :

- La répétabilité expérimentale est d’environ 1016 cm-3, ce qui n’a pas permis de distinguer significativement les matrices autres que l’aluminium les unes des autres ;

- Il est possible que l’écart constaté entre l’aluminium et les autres matrices soit lui-même en partie dû à un problème d’auto-absorption. En effet, on a dû utiliser une raie particulièrement intense et sensible à ce phénomène. Les mesures d’intensité de la raie ne suggéraient pas qu’elle était particulièrement affectée dans nos conditions ; toutefois, son profil a été investigué à l’ordre de diffraction supérieur (ordre 2), permettant une bien meilleure résolution (environ 0,9 pm/pixel). Les résultats, présentés en Figure 68, montrent que la raie semble subir une légère auto-absorption dans l’aluminium (c’est le cas aussi dans certaines autres matrices), visible par un léger creusement indécelable à l’ordre 1 mais qui pourrait être responsable de l’écart de largeur constaté vis-à-vis d’autres matrices. On rappelle en effet que les écarts constatés à l’ordre 1 entre matrices sont inférieurs à 1 pixel. Les spectres obtenus à l’ordre 2 n’ont toutefois pas permis une mesure rigoureuse de la largeur des raies du fait du signal trop faible et donc trop peu répétable.

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Figure 68 : Comparaison de la raie à 373,49 nm aux ordres de diffraction 1 et 2 dans les matrices cuivre et aluminium. Les

spectres sont moyennés sur 200 tirs laser, et l’intensité de la raie a été normalisée pour permettre la comparaison des deux

ordres.

Ce problème d’auto-absorption a pu en partie être contourné par l’usage des raies moins intenses. Cependant, les résultats varient grandement (jusqu’à 2.1016 cm-3) en fonction du choix de la raie. La mesure la plus robuste utilise la moyenne des largeurs de plusieurs raies faibles, les raies de numéro 2, 3, 5, 8, 14 et 15 (voir Tableau 15). Mais elle n’a été possible que dans les matrices les plus simples (Al, Si, Cu, Zn, Ta, Sn), et le seul résultat significatif qui en a émergé est encore une fois le fait que la densité électronique apparaît plus élevée dans l’aluminium que dans les autres matrices, de 8.1016 cm-3 contre 6.1016 cm-3.

IV.1.d Discussion

La méthode du dépôt a permis de réaliser la caractérisation du plasma issue de plusieurs matrices métalliques : en ajoutant un traceur contenant du fer à la surface de chaque métal pur, on a pu utiliser les raies d’émission du fer neutre comme indicateur de la température et de la densité électroniques du plasma LIBS. L’intérêt de cette méthode, dont on a vérifié préalablement qu’elle ne modifie pas les caractéristiques du plasma, est de permettre l’usage d’un indicateur commun pour toutes les matrices, limitant au maximum les biais méthodologiques.

Ainsi, nous avons pu mettre en évidence des écarts significatifs de température électronique d’une matrice à une autre par la méthode des diagrammes de Boltzmann, malgré des incertitudes de plusieurs centaines de Kelvin sur les valeurs obtenues. Notons que ces incertitudes théoriques sont issues de calculs de propagation (équation 4.4, voir I.2.b.ii), qui font appel non seulement à la répétabilité expérimentale sur l’intensité des raies, mais aussi aux incertitudes des bases de données concernant les paramètres spectroscopiques des raies.

∆𝑇𝑒 𝑇𝑒 = 𝑘𝐵𝑇𝑒 𝐸𝑖,𝑚𝑎𝑥− 𝐸𝑖,𝑚𝑖𝑛 ( ∆𝐼𝑖𝑗 𝐼𝑖𝑗 + ∆𝐴𝑖𝑗 𝐴𝑖𝑗 )

(4.4)

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Ces calculs traduisent donc, en plus de la répétabilité expérimentale, un potentiel écart par rapport à une « vraie » valeur de température qui serait obtenue si l’on connaissait parfaitement ces paramètres spectroscopiques. Or, dans le cas où les raies choisies sont identiques d’une matrice à une autre — et c’est le cas pour beaucoup de nos matrices, notamment les plus simples —, cet écart par rapport à une valeur idéale serait constant. Ainsi, dans le but de comparer différentes matrices, l’incertitude sur les paramètres des raies est moins pertinente si les raies utilisées sont les mêmes pour chaque matrice. On peut alors réécrire le calcul des incertitudes à l’aide de l’équation (4.5) :

∆𝑇𝑒 𝑇𝑒 = 𝑘𝐵𝑇𝑒 𝐸𝑖,𝑚𝑎𝑥− 𝐸𝑖,𝑚𝑖𝑛 × ∆𝐼𝑖𝑗 𝐼𝑖𝑗

(4.5)

Dans le cas de l’aluminium, l’équation (4.4) donnait une incertitude de 210 K, tandis que l’équation (4.5) renvoie 120 K, ce qui est beaucoup plus en accord avec la répétabilité expérimentale obtenue directement via l’écart-type de la mesure de la température.

Il est toutefois difficile de déterminer une valeur univoque d’incertitude sur la valeur de la température puisque le jeu de raies n’a pas été conservé exactement à l’identique d’une matrice à une autre, et que la répétabilité expérimentale n’a pas pu être évaluée pour toutes les matrices.

Par ailleurs, notons que la mesure de la densité électronique s’est avérée plus délicate. En effet, les méthodes employées auraient requis des raies très élargies. Cependant, de telles raies sont très faibles et donc difficiles à observer si le fer n’est pas l’élément majoritaire de l’échantillon. L’usage des raies plus fines à notre disposition dans la gamme 372-380 nm n’a donc pas permis de mettre en évidence des écarts de densité électronique inférieurs à 2.1016 cm-3. Il est finalement apparu que la densité électronique varie peu d’une matrice à une autre, à l’exception peut-être de l’aluminium. Il est possible que ce cas particulier soit à mettre en relation avec la forte ablation de ce matériau : si la masse ablatée de l’aluminium est proche de celle du cuivre, le nombre d’atomes correspondant est trois fois plus élevé en raison de la différence de masse atomique entre ces deux éléments. Les autres matrices montrent des quantités de matière ablatée encore inférieures. Le grand nombre d’atomes ablatés dans l’aluminium pourrait alors être responsable de la forte densité électronique de son plasma. Ceci étant dit, il est également possible que cette grande densité d’atomes favorise l’auto-absorption, et donc une surestimation de la densité électronique. La mesure de celle-ci pourrait être améliorée en observant des raies plus élargies, qui sont généralement plus faibles et, du fait de leur largeur, plus sensibles à d’éventuelles interférences spectrales.

Quoi qu’il en soit, on verra dans la suite que cet écart de densité électronique entre l’aluminium et les autres matrices, d’environ 2.1016 cm-3, n’a qu’un faible impact d’un point de vue analytique par rapport aux écarts de température constatés d’une matrice à une autre.

Remarquons enfin que les effets de matrice mis en évidence ici semblent comparables à ce que l’on peut trouver dans la littérature. Par exemple, lors de la comparaison des matrices aluminium, cuivre et nickel, Aguilera et al. [24] ont également obtenu une densité électronique légèrement supérieure (d’environ 20 %) pour l’aluminium. Ils n’observent toutefois pas d’aussi grands écarts en termes de température de plasma ; il n’est pas à exclure que cela soit lié à la différence de méthode, dans la mesure où ils ont observé les raies du fer en tant qu’impureté déjà présente au sein des échantillons.

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