• Aucun résultat trouvé

a.i Développements récents de la LIBS dans le domaine du nucléaire

Tout d’abord, même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une application nouvelle de la LIBS, on peut remarquer que celle-ci connaît depuis quelques années un intérêt tout particulier dans un domaine précis : la criminalistique nucléaire : Keri Campbell résume cet intérêt dans un article paru dans Actinide Research Quarterly en 2018 [12].

Elle y décrit notamment deux utilisations de la LIBS dans ce contexte : d’une part, la LIBS peut permettre de déterminer le taux de combustion de l’uranium dans un réacteur donné, ce qui est une information importante pour savoir si le réacteur est utilisé dans le but de produire du plutonium à visée militaire ou non. Ce taux de combustion peut être obtenu par la quantification de certains produits de fission de l’uranium. Ainsi, Campbell et al. [12], [122] ont pu déterminer les concentrations de certains de ces éléments, tels que Rh, Ru, Pd, Mo, Zr et Ce, dans des échantillons simulant des combustibles UO2 usagés, et ce avec des limites de détection (LDD) suffisamment basses, inférieures au pourcent, pour remonter au taux de combustion. De même, dans des mélanges U-Th, Singh et al. [123] ont pu détecter une soixantaine de raies d’émission de neuf produits de fission, démontrant ainsi la possibilité de quantifier ces impuretés à partir de quelques centaines de ppm sans aucune préparation d’échantillon et sous air ambiant, même si l’utilisation d’une atmosphère d’argon peut grandement améliorer les LDD.

D’autre part, la LIBS peut être utilisée pour reconnaître différentes phases des oxydes d’uranium, ce qui est également utile en criminalistique nucléaire, dans la mesure où cela peut aider à déterminer la provenance et l’historique des traitements subis par un échantillon. Ainsi, Campbell et al. [124] ont montré la possibilité d’obtenir en moins d’une heure, traitement des données inclus, la discrimination de trois oxydes : UO2, U3O8 et UO3. La LIBS ne permettant pas de déterminer la structure cristalline d’un matériau, ces résultats sont obtenus en mesurant le rapport de raies d’émission d’uranium et d’oxygène, ce qui permet de remonter au rapport des quantités respectives de ces deux éléments : pour une même masse d’uranium, UO2 contiendra moins d’oxygène que U3O8, qui en contiendra lui-même moins que UO3.

47 En outre, sans être lié à une application aussi précise que la détermination du taux de combustion ou la reconnaissance de phases, un avantage de la LIBS vis-à-vis de la criminalistique nucléaire est sa capacité à être mise en œuvre dans des analyses in situ. En effet, la détection de l’uranium dans des sols peut constituer un enjeu majeur dans ces problématiques. Ainsi, Barefield et al. [125] ont déterminé la limite de détection de l’uranium atteignable en LIBS dans divers échantillons géologiques, avec différents instruments et dans différentes conditions environnementales, aussi bien sous air ambiant que dans une atmosphère analogue à celle que connaît l’outil ChemCam (instrument LIBS du rover Curiosity). Les LDD obtenues varient de 272 ppm dans une matrice simple SiO2 à 6120 ppm dans une matrice plus complexe qu’est la dunite, riche en fer, et dépendent bien sûr également de l’instrument utilisé ainsi que des diverses conditions expérimentales. Ces travaux montrent la possibilité en LIBS de détecter des traces d’uranium à l’aide d’instruments de terrain ne bénéficiant pourtant pas d’aussi bonnes performances que des dispositifs de laboratoire.

Au-delà de la criminalistique, le thème des mesures hors laboratoire est également exploré dans le contexte du contrôle de procédés : de plus en plus de dispositifs LIBS portables sont en effet proposés par les fabricants de matériel. Le domaine du nucléaire n’échappe pas à cette tendance, comme en témoignent des travaux de Manard et al. [126]. Les auteurs y étudient la possibilité de réaliser des mesures quantitatives de terres rares dans des matrices d’oxyde d’uranium et de verres, et obtiennent des limites de détection de l’ordre de la centaine de ppm. Ils considèrent alors que la LIBS portable constitue un bon moyen d’identifier les éléments majoritaires présents dans les échantillons d’intérêt afin de les quantifier plus précisément par la suite en ICP-OES ou MS (Spectrométrie à plasma à couplage inductif, optique ou de masse). Comme le soulignent les auteurs, de tels dispositifs portables, rapides et simples d’utilisation, mettent en évidence les avantages de la LIBS pour ce qui est d’éviter au maximum l’exposition des travailleurs.

Ceci dit, la portabilité des dispositifs n’est pas la seule voie explorée en ce qui concerne le développement de la LIBS pour le contrôle qualité dans le domaine du nucléaire : ainsi, Singh et al. [37] ont évalué les capacités de la LIBS à mesurer la quantité d’uranium dans du combustible mixte (Th-U)O2 contenant entre 0 et 35 %m (pourcents massiques) d’uranium. Ils montrent que des méthodes chimiométriques telles que la Partial Least Square Regression (PLSR, une méthode de régression multivariée utilisant l’ensemble du spectre au lieu d’un nombre restreint de raies d’émission) peuvent mener à une justesse et une répétabilité d’environ 1% et 2–3% respectivement (Figure 21), ce que les auteurs considèrent comme potentiellement acceptables pour certains niveaux de contrôle qualité, tout en ajoutant que la fidélité devra encore être améliorée, notamment en utilisant d’autres techniques expérimentales telles la LIBS double-pulse (DP-LIBS).

48

Figure 21 : Répliques d’analyse pour quatre échantillons : (a) 4.9 %m, (b) 10.8 %m, (c) 18.6 %m et (d) 20.5 %m en U. La zone

grisée correspond au critère de justesse de 1 % de l’industrie nucléaire. La zone bleutée correspond à un écart-type des

résultats expérimentaux obtenus par PLSR. [37]

Dans une idée proche de ceci, Akpovo et al. [127] utilisent une variante de DP-LIBS pour amplifier le signal LIBS de l’uranium dans un échantillon de nitrate d’uranyle hexadhydrate. Leur technique diffère de la DP-LIBS la plus courante dans la mesure où le second laser, qui excite le plasma produit auparavant par le premier, a une longueur d’onde bien supérieure : le laser d’ablation est ici à 532 ou 810 nm tandis que le laser d’excitation est un laser infrarouge à 10,6 μm. De cette façon, les auteurs obtiennent une augmentation de l’intensité des raies d’uranium par rapport à l’utilisation du laser d’ablation seul, magnification qui dépend grandement de la durée d’impulsion ainsi que de l’espèce considérée (le signal de l’uranium ionique se trouve davantage magnifié que celui de l’uranium neutre), mais qui est de l’ordre d’un facteur 10. Une telle augmentation du signal peut s’avérer décisive pour la détection et la quantification de traces. En outre, les auteurs précisent qu’un tel dispositif pourrait être assez aisément utilisable à distance dans la mesure où le spot du laser infrarouge est beaucoup plus large que celui du laser d’ablation, permettant de facilement superposer les deux faisceaux.

Enfin, la LIBS a récemment été utilisée pour étudier la composition de sels fondus issus de retraitement de combustible nucléaire usagé. Williams et al. [128] quantifient l’uranium de ces sels, qui ont été mis au préalable sous forme d’aérosols afin d’éviter une dégradation des surfaces et des optiques causée par les éclaboussures que provoque la focalisation du laser dans un liquide. Pour une concentration en uranium variant de 0 à 3 %, la meilleure limite de détection obtenue est de 0,065 %m. Des méthodes multivariées (PLSR) sont encore une fois utilisées pour améliorer les étalonnages, diminuant ainsi l’erreur quadratique moyenne de la validation croisée du modèle de 0,20 %m en univarié à 0,085 %m en multivarié.

49 Cependant, comme on l’a évoqué plus haut, le développement analytique de la LIBS est, à l’instar d’autres méthodes analytiques, bien plus difficile à mettre en œuvre pour des matériaux nucléaires que pour des matériaux conventionnels. Ainsi, la littérature est riche en travaux visant à étudier des matériaux conventionnels simulant les matériaux nucléaires.