• Aucun résultat trouvé

D IFFÉRENCES ET CONVERGENCES DES ESTIMATIONS DE DANGEROSITÉ

Dans le document Les drogues dans tous leurs états (Page 170-178)

Sandro Cattacin et Dagmar Domenig Institut de recherches sociologiques

D IFFÉRENCES ET CONVERGENCES DES ESTIMATIONS DE DANGEROSITÉ

La perspective comparative démontre qu’aucune approche ne sa-tisfait à la fois les besoins scientifiques et les besoins sociétaux. Les études des modes de consommation sont sans doute des analyses approfondies, mais elles ne peuvent pas être tout de suite conver-ties ou exploitées politiquement. En revanche, les études d’experts et les études sur la consommation sont peut-être politiquement

applicables telles quelles, mais à cause de leur approche unilatérale d’une seule substance à la fois elles ne sont simplement pas réa-listes. Les études de santé publique représentent en ce sens une variante de compromis, car elles contribuent à relativiser l’orien-tation par substance et fournissent aussi globalement des indices très concrets sur le plan politique, comme pour les dommages qui découlent de la consommation problématique de substances à évi-ter. Pourtant, ces études de santé publique ne permettent pas de tirer des conclusions sur les cas particuliers ou individuels à partir de la vue d’ensemble.

Des recherches sont encore et toujours menées, comme les études sur les jumeaux, qui tentent d’attribuer la cause du recours précoce aux substances psychoactives ou le déclenchement d’une psychose après la consommation de cannabis à une prédisposition génétique. Le problème ici, c’est qu’on ne peut guère tirer de con-clusion fiable quant à savoir si une prédisposition génétique en serait la cause ou si, au contraire, les facteurs d’ordre relationnel en seraient la cause. Car – comme il convient de le rappeler encore et encore – il est extrêmement difficile de mesurer les influences liées à l’entourage et, par conséquent, aussi la part d’impact des facteurs génétiques.

Même si la complexité entrevue au cours de cette présentation des types d’études – et la diversité des approches de recherche en particulier – rend évidemment difficile toute déclaration catégo-rique sur le danger, les dommages et les bienfaits des substances psychoactives, des points communs peuvent par contre être trou-vés entre les études de classification. Ainsi, il ressort clairement que la majorité des études se focalisent sur une seule drogue. En réalité, la consommation d’une substance psychoactive unique et isolée fait plutôt figure d’exception, en particulier parmi les jeunes consommateurs de drogues. Mais il semble en fin de compte bien plus facile d’explorer une à une les substances psychoactives – en termes de prévalence, de risques et du poids de la morbidité glo-bale de sa consommation –, que la polyconsommation dans un cadre rendu complexe de par les divers facteurs s’influençant mu-tuellement.

Les estimations de dangerosité ne semblent apparemment don-ner un certain sens que si, dans la mesure du possible, elles sont fondées sur des éléments de preuves qui soient réalisables, donc pas trop complexes. Compte tenu du fait que nous n’avons plus aujourd’hui affaire, comme il y a un siècle, à juste une poignée de substances psychoactives qui mènent à des problèmes sociaux, mais à plus de 250 substances à travers le monde, il nous semble approprié de ne pas trop nous concentrer sur les substances iso-lées, mais plutôt sur le recours aux substances psychoactives en général. Ce faisant, nous pourrions inclure la fréquente polycon-sommation, tout en étant plus justes et équitables en matière de différences régionales que si nous ne tenions compte que des es-timations absolues de dangerosité des substances isolées. Cela si-gnifierait que, au lieu de nous référer à ces dernières, nous de-vrions plutôt nous servir du contexte et de l’environnement de la consommation des substances psychoactives comme base pour évaluer leurs risques. En outre, il nous apparaît capital de considé-rer l’intégration sociale d’une substance, parce que sa ritualisation aurait sans doute bien plus de chances d’instaurer un contrôle de sa consommation que des interdictions. En ce sens, les ritualisa-tions devraient être plus fortement pondérées qu’auparavant en tant que mode de consommation dans les programmes d’éduca-tion et de prévend’éduca-tion.

Concrètement, cela signifierait que les substances et leur com-binaison (substance isolée/polyconsommation), la dose (dose de plaisir/dose médicale/dose létale), le mode de consommation (consommation ponctuelle/abus/dépendance), le début de la consommation (précoce/tardif), les prédispositions existantes (maladies, autres), ainsi que le contexte de consommation (rituel ou non, environnement social correct/environnement probléma-tique, consommation licite/consommation illicite) pourraient être considérés comme le point de départ pour l’évaluation des risques (voir Figure 1).

Figure 1: Critères pour les estimations de dangerosité

Source : Domenig et Cattacin 2015: 84

Réfléchir en termes de listes ou de dangerosité d’une substance isolée n’a donc guère de sens, car cela simplifie les discours, tout en s’éloignant des réalités, si l’on tient compte de tous les facteurs d’influence inclus. Il serait donc conséquent d’aligner la législation sur la consommation problématique de toute substance psychoac-tive et d’autoriser en contrepartie un accès préventif accompagné et différencié selon les substances psychoactives. Afin que la réa-lité complexe soit mieux reflétée par des actes législatifs ouverts, la mise en place d’une politique d’addictions cohérente doit s’orienter sur l’ensemble du contexte et non plus sur un produit seul.

B

IBLIOGRAPHIE

Agrawal, Arpana, Michael C. Neale, Carol A. Prescott and Kenneth S.

Kendler. 2004. "A Twin Study of Early Cannabis Use and Subsequent Use and Abuse/Dependence of Other Illicit Drugs." Psychological Medicine 34(7):1227-37. doi: 10.1017/s0033291704002545.

Bourgain, Catherine, Bruno Falissard, Lisa Blecha, Amine Benyamina, Laurent Karila and Michel Reynaud. 2012. "A Damage/Benefit Evaluation of Addictive Product Use." Addiction 107(2):441-50.

Degenhardt, Louisa, Alize J. Ferrari, Bianca Calabria, Wayne D. Hall, Rosana E. Norman, John McGrath, Abraham D. Flaxman, Rebecca E.

Engell, Greg D. Freedman and Harvey A. Whiteford. 2013a. "The Global Epidemiology and Contribution of Cannabis Use and Dependence to the Global Burden of Disease: Results from the Gbd 2010 Study." PLoS ONE 8(10):e76635.

Degenhardt, Louisa, Harvey A. Whiteford, Alize J. Ferrari, Amanda J.

Baxter, Fiona J. Charlson, Wayne D. Hall, Greg Freedman, Roy Burstein, Nicole Johns and Rebecca E. Engell. 2013b. "Global Burden of Disease Attributable to Illicit Drug Use and Dependence: Findings from the Global Burden of Disease Study 2010." The Lancet 382(9904):1564-74.

Domenig, Dagmar, Sandro Cattacin and Erik Verkooyen (trad.). 2015.

Les drogues sont-elles dangereuses ? Estimations de la dangerosité des substances psychoactives. Recherche réalisée à la demande de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues. Genève: Université de Genève (Sociograph - Sociological Research Studies, 22b).

Moss, Howard Barry, Chiung M. Chen and Hsiao-ye Yi. 2013. "Early Adolescent Patterns of Alcohol, Cigarettes, and Marijuana Polysubstance Use and Young Adult Substance Use Outcomes in a Nationally Representative Sample." Drug and Alcohol Dependence 136(1):51-62.

Nutt, David, Leslie A. King, William Saulsbury and Colin Blakemore.

2007. "Development of a Rational Scale to Assess the Harm of Drugs of Potential Misuse." The Lancet 369(9566):1047-53. doi: 10.1016/S0140-6736(07)60464-4.

Nutt, David J., Leslie A. King and Lawrence D. Phillips. 2010. "Drug Harms in the Uk: A Multicriteria Decision Analysis." The Lancet 376(9752):1558-65. doi: 10.1016/S0140-6736(10)61462-6.

Pabst, Alexander, Ludwig Kraus, Elena Gomes de Matos and Daniela Piontek. 2013. "Substanzkonsum Und Substanzbezogene Störungen in Deutschland Im Jahr 2012." SUCHT-Zeitschrift für Wissenschaft und Praxis/Journal of Addiction Research and Practice 59(6):321-31.

Scheerer, Sebastian. 1993. "Einige Anmerkungen Zur Geschichte Des Drogenproblems." Soziale Probleme 4(1):78-98.

van Leeuwen, Andrea Prince, Frank C. Verhulst, Sijmen A. Reijneveld, Wilma A.M. Vollebergh, Johan Ormel and Anja C. Huizink. 2011. "Can the Gateway Hypothesis, the Common Liability Model and/or, the Route of Administration Model Predict Initiation of Cannabis Use During Adolescence? A Survival Analysis—the Trails Study." Journal of Adolescent Health 48(1):73-78.

T

RANSFORMATIONS

L

A REGULATION DES DROGUES DANS LA

Dans le document Les drogues dans tous leurs états (Page 170-178)