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III. Analyse des données

2. Identification des sentiments négatifs

Notre analyse a mis en évidence deux types de sentiments négatifs, appuyant ainsi ce qui a été souligné dans la littérature du crowdsourcing (Decoopman et Djelassi, 2013). Du fait que les deux sentiments concernent également la plateforme, cela implique que l’opportunisme est pratiqué par cette dernière

172 elle-même dans sa relation avec les participants. Ainsi, cela fait ressortir une troisième catégorie de l’opportunisme, à savoir : l’opportunisme de la plateforme. Également, ce résultat met l’accent sur le rôle destructif de l’opportunisme pour les acteurs (Figure 29).

2.1. Sentiment d’être exploité

Ce sentiment se rapporte au facteur « contribution/rétribution ». Les participants dépensent plus d’effort mais n’obtiennent pas ce qu’ils méritent, c’est-à-dire qu’ils ne reçoivent pas une récompense équivalente à leur contribution (Decoopman et Djelassi, 2013).

Ce sentiment a été différemment exprimé. En effet, il s’agit plus précisément « du travail non rémunéré », « de travailler gratuitement », « de l’effort non rémunéré », ou « de l’exploitation des idées hors plateforme gratuitement ». Certains participants ont certifié qu’ils travaillent beaucoup et investissent plus de temps alors qu’ils ne gagnent rien. Ce qui est injuste pour eux en tant que professionnels. Ainsi, Ils préfèrent dépenser leur motivation et énergie dans leurs propres projets professionnels hors plateforme. Nous citons, comme exemple :

« Oui, je pense que c’est un moyen de travail basé sur l’effort non payé et à court-terme. Je n’aime pas cette partie, car tu travailles sans recevoir une

promesse garantie d’un salaire. Ça dépend plus de l’acceptation d’une idée… ces deux aspects vont à l’encontre d’une personne en tant que

professionnelle »

« La première fois, j’ai cru que la plateforme est fiable, mais il y a toujours le risque que les entreprises se servent de tes projets même si tu perds car

elles peuvent voir ta proposition. Je ne participe plus maintenant, ça me prend du temps et plutôt je dépense mon énergie et ma motivation dans mes

propres projets »

« Une année entière à produire du contenu mais aucun résultat (fatiguant à la longue...) La charge de travail est la même que lorsque l'on travaille avec

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« La plateforme présente toutes les idées proposées par les participants à la marque. (Il reste les miettes pour nous) C'est un system d'appel d'offre maquillé en concours, tout simplement. J'ai perdu beaucoup de temps sur

cette plateforme, et je m'en mords les doigts »

« […] donc comme nous ne sommes pas payés si nous ne sommes pas sélectionnés et que tout travail mérite un salaire […] »

Notre observation participante sur le forum de discussion a mis en lumière l’existence effective de ce sentiment, ce qui permet ainsi de valider ce résultat. Comme évoqué ci-dessous, l’un des créateurs nous a mentionné le lien relatif à une lettre ouverte adressée par plusieurs créateurs, à la Secrétaire d’Etat Chargée du Numériques, à la Ministre de la Culture et de la Communication et au Ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue Social, en 2014, exprimant leur mécontentement à l’égard des plateformes de co-création. En général, ce phénomène s’appelle « la résistance de la foule (crowd resistance) » (Roth, 2016).

« Bonjour la position de pas mal de monde ici est résumée là http://www.travailgratuit.com

Bonne lecture ! »

Toujours dans le cadre du facteur contribution/rétribution, comme évoqué ci-dessus, ce type de sentiment se rapporte également à l’exploitation des entrées rejetées des participants par les marques. Cela veut dire que les participants ne sont pas payés en contrepartie de leur effort :

« La première fois, j’ai cru que la plateforme est fiable, mais il y a toujours le risque que les entreprises se servent de tes projets même si tu perds car

elles peuvent voir ta proposition. Je ne participe plus maintenant, ça me prend du temps et plutôt je dépense mon énergie et ma motivation dans mes

propres projets »

2.2. Sentiment d’être floué

Ce sentiment fait référence au manque de clarté et transparence de la part des plateformes (Decoopman et Djelassi, 2013). Il a été exposé de quatre manières différentes.

174 En premier lieu, les interviewés observent souvent la réussite des mêmes gagnants dans chaque concours.

En deuxième lieu, l’existence des idées gagnantes même si elles ne sont pas authentiques et ne sont qu’une reprise de ce qui existe sur le marché, incite les participants à se douter de la crédibilité de la plateforme et à remettre en cause les résultats.

En troisième lieu, certains interviewés s’interrogent toujours sur le rejet de leurs idées. Soit ils reçoivent à chaque fois les mêmes explications de la part des Community Managers de la plateforme, soit ils ne les reçoivent jamais – chose que nous avons découvert via notre observation participante – ou ne sont pas suffisamment claires et compréhensibles :

« Qu'en penses-tu ? Bonjour, je ne suis pas contente de ce service car j'ai remis des projets qui ont été retenus... et jamais de retour positif ou négatif

d'ailleurs…donc comme nous ne sommes pas payés si nous ne sommes pas sélectionnés et que tout travail mérite un salaire…au moins un retour…serait

un gentil salaire…lol donc j'arrête… »

« La principale critique que j’ai à l’égard de la plateforme, est qu’à plusieurs reprises j’ai une entrée rejetée par le Community Manager, pour des raisons

avec lesquelles je n’étais pas d’accord. A mon avis, elles n’étaient pas pertinentes »

En quatrièmement lieu, un élément qui revient dans les propos des participants est le retard de paiement. En fait, les participants n’obtiennent pas leurs sommes d’argent promises dans le temps imparti et le délai de retard non avisé au préalable par la plateforme peut s’étaler sur une longue période, ce qui a été le cas pour l’un des participants :

« […] et ils prennent beaucoup de temps pour te payer » « En outre, je suis un peu déçu car ils s’attardent à payer mes idées gagnantes pour plus de 6 mois (jusqu’à présent le retard continue) » Ce sentiment a été validé par le biais de notre observation participante sur le forum de discussion. En effet, l’un des membres du forum a noté :

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« Perso, j'ai fait une fois un concours pour essayer, ça m'a pris 1h30, j'ai gagné 400 €, par contre le paiement c'est plusieurs mois après, et ça ce n’est

pas notifié […] »

Ces deux sentiments témoignent de l’existence de l’opportunisme sur la plateforme car les participants les développent s’ils subissent l’un des comportements opportunistes des acteurs et cela apparaît même dans les explications que nous avons données dans le cadre des deux catégories de l’opportunisme.

« La plupart des concours sont confidentiels ce qui fait qu'il est impossible de voir ce que les autres membres postent même après la fin du concours,

impossible de voir quel projet a gagné ce qui occasionne pas mal de frustration, je l'accorde car la question : … Pourquoi elle ou lui et pas moi ?

revient statistiquement »

« Moi non plus ne suis pas contente de la plateforme. J'ai participé à plusieurs concours et n'ai jamais eu de retour. J'aurais aimé avoir au moins

des commentaires, savoir pourquoi mon idée n'avait pas été retenue »