• Aucun résultat trouvé

d) L'idéologie de la vulgarisation comme habitus et instance de socialisation communautaire par la communication.

Face aux précédents éléments de réflexion versés à cette introduction, il est désormais temps de formuler notre problématique et nos hypothèses de travail, en considérant que, premièrement, les formes de publicisation des sciences se posent comme référents culturels collectifs au sein d’une « communauté scientifique » participant à fonder une culture communautaire et, deuxièmement, que la publicisation des sciences est l'une des dynamiques historiquement constitutives de l'espace public contemporain. Notre problématique se situe ainsi au carrefour des notions de science et de démocratie. Entre ces deux notions, se situent des catégories différenciées entre formes d’expression publique des acteurs sociaux, entre une légitimité experte et une légitimité liée à la souveraineté citoyenne, qui tendent à entrer en conflit mutuel lors des controverses socio-scientifiques. Aussi, pour Anne-Marie Gingras, la légitimité se pose comme une série de critères permettant une acceptation et une reconnaissance du pouvoir. Celle-ci, jamais fixée une fois pour toutes au sein des institutions, tend bien au contraire à se redéfinir continuellement au travers des pratiques communicationnelles.

Si Max Weber distinguait trois types de légitimité au fondement des dominations traditionnelle, charismatique et légale, aujourd’hui la réflexion sur la légitimité s’est singulièrement complexifiée. Elle s’inscrit dans un ensemble très vaste de débat sociopolitiques sur la faible confiance envers le système politique illustrée par une baisse des taux de vote dans la majorité des démocraties occidentales, l’amoindrissement de la crédibilité des acteurs politiques et la valorisation de la délibération qui modifie les critères de la légitimité, entre autres. (…) La légitimité s’impose dans les démocraties occidentales par la souveraineté populaire, l’expertise, l’institutionnalisation, la conviction morale, l’efficacité, notamment. (…) Mais aujourd’hui ces éléments sources de légitimité ne peuvent être appréhendés que d’une manière protéiforme et mouvante. Le caractère prédéterminé d’une légitimité dans l’espace public ne préjuge en rien de sa pérennité.47

Dans ce sens, une culture de la vulgarisation participerait par la communication aux enjeux liés à la définition même des formes légitimes de l’expression publique. Par conséquent, notre problématique concerne directement les pratiques communicationnelles des acteurs de la recherche dans l'espace public, pratiques déclinées selon la diversité des catégories de dispositifs mentionnés au début de notre introduction. D’un côté, nous observons une diversification sur le plan théorique des dispositifs de publicisation des sciences, de la vulgarisation au modèle dialogique en passant par l'animation culturelle scientifique, laissant envisager un potentiel de diversification des pratiques des acteurs de la

47 Anne-Marie Gingras, « La construction de la légitimité dans l’espace public », in Politique et société, numéro 2, volume

recherche elle-même. Mais d'un autre côté, les pratiques communicationnelles liées au seul modèle de la vulgarisation semblent constitutives d’une identité socioprofessionnelle des acteurs de la recherche, et profondément ancrées au sein d'un monde vécu « communautaire ». Cette ambiguïté justifie pleinement une relecture des modèles normatifs développés par le philosophe Habermas, attaché à dégager des « mondes possibles » exempts d’une domination scientiste, par la mobilisation de la théorie bourdieusienne des champs, et notamment de la notion d’habitus, permettant une compréhension de type sociologique (et par extension communicationnelle) des phénomènes culturels. Ainsi, notre intuition première repose sur l’idée qu’une symétrie communicationnelle entre acteurs sociaux postulée, appelée par le modèle dialogique, rencontrerait au sein des dispositifs de publicisation des sciences, des pratiques communicationnelles et identitaires de la part des acteurs de la recherche sous-tendues par un légitimisme rationaliste réintroduisant au contraire une relation asymétrique, et reléguant une légitimité citoyenne (ou une souveraineté populaire) à un niveau moindre, inféodé aux images de l’expertise scientifique. Aussi, plus simplement sous la forme d'une question, nous nous demanderons au cours de ce travail si la diversification théorique des modèles de publicisation des sciences s’accompagne empiriquement d’une diversification des pratiques communicationnelles des acteurs de la recherche. Or, nous avons l’intuition, à partir de laquelle seront formulées nos hypothèses, que les pratiques communicationnelles des acteurs de la recherche sont avant tout guidées par la tradition de la conception positiviste que se font les acteurs de la recherche quant à leur présupposée fonction sociale face aux publics. Ainsi, c'est bien plutôt la vulgarisation qui tendrait à redéfinir les pratiques au sein des dispositifs théoriquement divergents, c'est-à-dire ceux de l'animation culturelle scientifique et ceux propres au modèle dialogique. Notre position, comme le lecteur l'aura compris, va être de défendre l'idée selon laquelle la vulgarisation déborde le cadre des dispositifs formellement prévus pour sa pratique, pour se montrer bien plutôt sous l'angle d'une idéologie justifiant une prise de posture communicationnelle à partir de laquelle se construisent et dépendent symboliquement des rapports identitaires entre acteurs de sciences et acteurs « profanes ». Une idéologie dont, in fine, les pratiques afférentes montrent un fort degré d'autonomie vis-à-vis des champs théoriques scientifiques spécialisés dans le domaine de l'information et de la communication lui-même.

Le terme d'idéologie permet une multitude de définitions qui ont cependant, pour la plupart, deux éléments en commun. D'abord le présupposé qu'un système de pensée (la « doctrine ») explique le monde tel qu'il est ; ensuite, le caractère fondamental, totalisant (et de ce fait, généralement contraignant) de l'idéologie. (…) Le contenu d'une

idéologie n'a pas d'importance eu égard à la réalité construite par cette idéologie. Il peut être en totale contradiction avec le contenu d'une autre idéologie. On constate cependant, dans les faits, une terrifiante

stéréotypie.48

Pour Paul Watzlawick, l'idéologie est une « interprétation définitive du monde » se présentant sous la forme d'une « vérité suprême et axiomatique ». Cependant, le système de pensée idéologique, aussi « parfait » et « naturel » se présente-t-il, ne peut, selon cet auteur, se justifier de lui-même : il comporte toujours en ses propres fondements, un ou de multiples paradoxes impliquant une influence externe au système logique lui-même.

Aussi audacieux, fort et beau soit-il, et aussi fermé sur lui-même qu'il paraisse, un système n'en a pas moins une

fatale imperfection : il ne peut lui-même prouver sa propre logique et cohérence. (…) Pour démontrer sa cohérence,

tout système doit nécessairement sortir de son propre cadre conceptuel : seuls des principes interprétatifs extérieurs, que le système ne peut créer lui-même, permettent de démontrer qu'il ne renferme aucune contradiction. La cohérence logique de ces principes – constituant donc un méta-cadre conceptuel – ne peut à son tour être démontrée sans le recours à un autre système encore plus vaste, c'est-à-dire à un méta-méta-cadre, et ainsi de suite ad infinitum. (…) Quand on ne distingue pas strictement la classe et ses membres, apparaît le paradoxe de la réflexivité bien connu et démontré par la logique formelle. La carte n'est pas le territoire, le nom n'est pas ce qu'il nomme, et une interprétation de la réalité n'est pas la réalité elle-même, mais seulement une interprétation. (…) Ainsi, quand une interprétation du monde, une idéologie par exemple, prétend tout expliquer, une chose reste cependant inexplicable : le système interprétatif lui-même.49

Dès lors, notre première hypothèse, qui constitue également l'hypothèse principale de ce travail de thèse, propose que l'idéologie de la vulgarisation constitue un habitus sociocommunautaire, par lequel se produisent et se reproduisent structurellement les représentations propres à la conception identitaire que se font les chercheurs de leurs présupposées fonctions face aux publics, dans une dimension empathique de l'espace public. Les pratiques et dispositifs de vulgarisation permettent la normalisation et la transmission de codes culturels spécifiques et fondamentaux à la constitution, au regroupement des individus en acteurs scientifiques faisant partie d'une « communauté » plus ou moins artificiellement construite.

L'idéologie de la vulgarisation permet et favorise, au travers des lieux de ses pratiques communicationnelles, un phénomène de socialisation et de normalisation de valeurs culturelles à l'échelle d'une « communauté scientifique », de séparer les représentations que se font les membres d'une telle communauté du « bon chercheur » et du « mauvais chercheur », au risque de se présenter comme une forme de contrainte ou même de coercition au sein d'une communauté. Ce faisant,

48 Paul Watzlawick (dir.), L'invention de la réalité, contributions au constructivisme, éditions du seuil, 1988, p. 223. 49 Paul Watzlawick (dir.), L'invention de la réalité, contributions au constructivisme, éditions du seuil, 1988, p. 232-233.

devenant élément mobilisable dans la représentation de ce que doit être le « bon chercheur » face aux publics, sous la forme d'éléments spécifiques à une culture identitaire socioprofessionnelle, l'idéologie de la vulgarisation tend à redéfinir les pratiques communicationnelles des acteurs de la recherche engagés dans les dispositifs divergeant théoriquement, les dispositifs de l'animation culturelle scientifique et les dispositifs dialogiques, en seul rapport pédagogique, magistral et univoque, c'est-à- dire diffusionniste. La pratique vulgarisatrice comme support idéologique, apparaît comme étant ce par quoi les acteurs scientifiques tendent à construire des représentations totalisantes du monde social lorsque celles-ci concernent un extérieur communautaire. Par conséquent, la pratique vulgarisatrice procèderait d'un habitus socioprofessionnel distinguant les membres de la « communauté scientifique » des individus n'appartenant pas à cette communauté, c'est-à-dire l'ensemble des individus ne travaillant pas au sein des institutions scientifiques en qualité de chercheur ou d'enseignant chercheur, soit, ce que nous nommerons dans ce travail, les individus « non professionnels » des sciences.

(…) l'habitus est en effet à la fois principe générateur de pratiques objectivement classables et système de

classement (…) de ces pratiques. C'est dans la relation entre les deux capacités qui définissent l'habitus, capacité de

produire des pratiques et des œuvres classables, capacité de différencier et d'apprécier ces pratiques et ces produits (goût) que se constitue le monde social représenté, c'est-à-dire l'espace des styles de vie. La relation qui s'établit en fait entre les caractéristiques pertinentes de la condition économique et sociale (…) et les traits distinctifs associés à la position correspondante dans l'espace des styles de vie ne devient une relation intelligible que par la construction de l'habitus comme formule génératrice permettant de rendre raison à la fois des pratiques et des produits classables et des jugements, eux-mêmes classés, qui constituent ces pratiques et ces œuvres en système de signes distinctifs.50

C'est pourquoi nous pensons que le système de valeurs hiérarchisé de l'idéologie génère et se trouve généré par une vulgarisation cette fois comprise en tant que sens pratique. De surcroît, le caractère de transposabilité de l'habitus et du sens pratique quel qu'en soit le contexte impliquerait une redéfinition des pratiques observables en animation culturelle scientifique ou relatives au modèle dialogique, en exclusives pratiques de vulgarisation. Cependant, si la vulgarisation comme habitus génère à la fois des pratiques ici communicationnelles et un système de référence à partir duquel se justifient de telles pratiques, la vulgarisation cette fois en tant qu'idéologie suppose que ce système de référence fondé sur des valeurs culturelles demeure autant caché, naturalisé et anodin que possible. Pour que l'idéologie soit et demeure opérationnelle, efficace, elle doit s'inscrire dans les pratiques les plus courantes et anodines, et reposer sur une certitude considérée comme définitive et acquise, celle-là même justifiée par une doctrine rationaliste et positiviste.

L'originalité de cette principale hypothèse se situe dans la recherche d'effets associés à la pratique de la vulgarisation en dehors des champs habituellement sélectionnés pour son étude. Tandis que de nombreux travaux, plus ou moins distanciés vis-à-vis des conventions communicationnelles de l'idéologie de la vulgarisation, se proposaient d'étudier ses effets pratiques uniquement envers ses récepteurs, parfois même parmi des récepteurs qualifiés de « profanes » par leurs auteurs respectifs, et exclusivement dans le cadre de ses dispositifs pré-annoncés comme tels, nous proposons une étude en total contre-pied. En effet, nous supposons premièrement, que l'idéologie et la pratique de la vulgarisation génère, avant toute autre considération, des effets sur la « communauté scientifique » elle-même ; et deuxièmement nous supposons également que la vulgarisation, dépassant le seul cadre de la pratique pour rejoindre celui de l'idéologie, déborde le cadre de ses dispositifs annoncés comme tels pour gagner certains dispositifs à l'origine non conçus pour de telles pratiques. En d'autres termes, l'idéologie de la vulgarisation procéderait d'un ethnocentrisme socioprofessionnel, tandis que ses pratiques participeraient à la projection des valeurs culturelles du monde socioprofessionnel des acteurs de la recherche sur l'ensemble des sociétés, groupes sociaux externes et de leurs mondes vécus. Par conséquent, nos trois hypothèses suivantes concernent une triple substitution opérée au niveau des concepts et des théories, permettant la construction d'une distinction par l'idéologie de la vulgarisation. La première est celle de la substitution d'un « public réel » pragmatiquement conçu par un « public imaginaire »51, soit le « public profane ». La deuxième substitution à laquelle participe l'idéologie de la vulgarisation est celle de la conservation ou plutôt de la tentative de conservation, d'une conception épistémologique communautaire centrée selon la compréhension positiviste et rationaliste que les acteurs scientifiques se font d'eux-mêmes : l'idéologie de la vulgarisation participe à la substitution d'un paradigme épistémologique « moderne » car adapté à la compréhension du complexe sciences sociétés par un paradigme obsolète et méthodologiquement rendu aveugle face aux questionnements pourtant légitimes liés à un tel complexe. La troisième substitution porte directement sur le terrain des disciplines s'intéressant aux objets et sujets spécifiques aux notions d'information et de communication : cette substitution tendrait à remplacer une compréhension des phénomènes communicationnels opérée à l'aide d'un outillage conceptuel adapté, par un outillage obsolète car réductionniste. Ces trois substitutions montreraient un dénominateur commun : c'est ici la construction et la conservation de la distinction qui se pose comme facteur déterminant et prévalent. Or, nous pensons que le maintien d’une telle distinction interfère directement avec les activités scientifiques

51 Nous reprenons ici les catégories « publics réels » et « publics imaginés » développées par Loïc Blondiaux, « Publics imaginés et publics réels. La sollicitation des habitants dans une expérience de participation locale », in Daniel Cefaï et Dominique Pasquier (dir.), Les sens du public. Publics politiques, publiques médiatiques, PUF, 2003, p. 313-327.

visant à théoriser de tels domaines et objets.

Par conséquent, l'idéologie de la vulgarisation comprise comme habitus socioprofessionnel nous amène à notre deuxième hypothèse, celle de la construction par la vulgarisation d'une distinction culturelle par la conservation et la reproduction de représentations d'une altérité externe artefactuelle : « un artefact est un objet fictif qui n’existerait pas sans le point de vue incontrôlé du chercheur, qui disserte sur une chimère crée par lui. La « recherche » se réduit alors à une tautologie ou à un exercice de style »52. Ou autrement dit, nous pensons que la construction des représentations liées à une telle altérité dans la dimension emphatique, c’est-à-dire les images des publics externes produites communautairement, repose avant tout sur un phénomène d’objectivation produit bien plutôt à partir des éléments et valeurs culturelles d’un habitus socioprofessionnel que d’une quelconque méthode pragmatique d’étude scientifique. Pour Pierre Bourdieu, la conservation et la reproduction de l'habitus se réalisent toujours à l’encontre d’un extérieur communautaire :

Nécessité incorporée, convertie en disposition génératrice de pratiques sensées et de perceptions capables de donner un sens aux pratiques ainsi engendrées, l'habitus, en tant que disposition générale et transposable, réalise une application systématique et universelle, étendue au-delà des limites de ce qui a été directement acquis, de la nécessité inhérente aux conditions d'apprentissage : il est ce qui fait que l'ensemble des pratiques d'un agent (ou de l'ensemble des agents qui sont le produit de conditions semblables) sont à la fois systématiques en tant qu'elles sont le produit de l'application de schèmes identiques (ou mutuellement convertibles) et systématiquement distinctes des pratiques constitutives d'un autre style de vie.53

L'idéologie de la vulgarisation se construit sur le mode de la distinction, en se réalisant moins par la définition des critères collectifs à une « communauté scientifique » (même si de tels critères existent de manière formelle dans les différentes typologies de dispositifs de publicisation), mais bien plutôt en définissant les caractéristiques des individus externes, non professionnels des sciences, ne faisant pas partie d'une telle « communauté ».

(…) l'identité sociale se définit et s'affirme dans la différence. C'est dire que se trouve inévitablement inscrite dans les dispositions de l'habitus toute la structure du système des conditions telle qu'elle se réalise dans l'expérience d'une condition occupant une position déterminée dans cette structure : les oppositions les plus fondamentales de la structure des conditions (haut/bas, riche/pauvre, etc.)54 tendent à s'imposer comme les principes de structuration

fondamentaux des pratiques et de la perception des pratiques. Système de schèmes générateurs de pratiques qui

52 Jacques Le Bohec, « Le travail d’objectivation », in Olivesi Stéphane (dir.), Introduction à la recherche en SIC, PUG,

2007, p.265.

53 Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, les éditions de Minuit, 1979, p. 190. 54 Acteurs « scientifiques » et acteurs « profanes » pourrions-nous ajouter.

exprime de façon systématique la nécessité et les libertés inhérentes à la condition de classe et la différence constitutive de la position, l'habitus appréhende les différences de condition, qu'il saisit sous la forme de différences entre des pratiques classées et classantes (…), selon des principes de différenciation qui, étant eux-mêmes le produit de ces différences, sont objectivement accordés à elles et tendent donc à les percevoir comme naturelles.55

Bien sûr, la distinction établie au cours de l'histoire des sciences n'est pas établie une fois pour toute, elle doit être sans cesse réaffirmée, reproduite, pour conserver son caractère de normalité au sein de la « communauté scientifique ». Elle doit éventuellement se montrer sous l'angle d'un processus de socialisation des jeunes chercheurs dans la « communauté scientifique » elle-même. Elle doit se montrer sous l'angle de ce que doit être un « bon chercheur », par distinction avec les « mauvais chercheurs » sur un terrain fait de normes et de jugements de valeur. La construction de l'identité socioprofessionnelle des membres d'une « communauté scientifique » se fait par disqualification de l'extérieur, de « l'opinion publique ».

Et lorsqu'on interroge ces acteurs [les vulgarisateurs, acteurs scientifiques ou médiateurs, ndla] sur leur activité [de vulgarisation, ndla], c'est souvent l'idée d'une mission, d'une nécessité de leur rôle qui ressort, presque toujours associée à un grand plaisir de communiquer sur des thématiques qui les passionnent personnellement. Ils ont ainsi la plupart du temps la volonté de rendre la science accessible, de l'intégrer à la culture commune, et développent une démarche pédagogique dans leurs discours avec le souci de réduire le fossé qui séparerait les « savants » des « profanes ». Mais ce fossé si fréquemment invoqué existe-t-il vraiment et, si oui, quelle est sa nature ?56

Par conséquent, si la vulgarisation peut être définie comme un habitus socioprofessionnel, elle doit reposer et en même temps reproduire une distinction sur le plan culturel, réifié par la croyance communautaire en un « fossé des connaissances » distinguant fondamentalement les acteurs scientifiques des « acteurs profanes ». Cette deuxième hypothèse repose sur l'intuition que la pratique vulgarisatrice ne répond pas à un « fossé des connaissances », mais que bien plutôt elle en construit et reproduit les schèmes perceptifs au sein des individus formant « communauté ». Ce faisant, l'idéologie de la vulgarisation participe grandement à la substitution des représentations des « publics réels », produites selon une réflexivité emphatique d'ordre pragmatique, par des « publics imaginés » exempts d'une telle réflexivité selon une pratique ontologique. Par conséquent, l'idéologie de la vulgarisation est aussi ce par quoi les acteurs de la recherche se dispensent d'une réflexion pragmatique sur ce qu'est le