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La culture est définie comme étant ce qui est commun à un groupe d'individus, ce qui le soude, c'est- à-dire ce qui est appris, transmis, produit et créé. Ainsi, pour une institution internationale comme l'UNESCO (1982), « dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme

l'ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

Toute société est structurée par une idéologie particulière, un ensemble de valeurs, d’idées, de concepts, de croyances et de coutumes auxquels elle est attachée, et qui font partie de sa culture. Considérons les trois principales dimensions d'une idéologie : les croyances, les valeurs, et les idéaux.

Les croyances sont des hypothèses que nous avons sur le monde, des convictions que nous acceptons généralement comme vraies, souvent sans preuve ou preuve réelle : elles s’opposent à la notion d’es- prit critique.

Les valeurs sont des principes ou des normes de comportement considérés comme utiles ou impor- tants. Elles constituent une « morale » qui donne aux individus les moyens de juger leurs actes – bons ou mauvais – et de se construire une éthique personnelle. Elles peuvent orienter les actions des individus dans une société en fixant des buts et des idéaux.

Les idéaux sont des modèles de ce que chacun voudrait atteindre au cours de sa vie, si possible. Awra Amba est un village très fortement uni par une culture et des idéaux, qui le distinguent de la société amhara et des villages environnants. C’est d’abord une communauté qui partage des valeurs : vivre à Awra Amba signifie partager et défendre ces valeurs. 1 Mais quels sont les croyances, les va-

leurs et les idéaux de cette communauté, quelle est en d’autres termes son idéologie ? Un détour par les types de questionnement du fondateur lorsqu'il était adolescent permet de mieux les com- prendre 2 :

- Pourquoi les femmes n'ont-elles pas le droit de choisir leur partenaire comme les hommes ? - Pourquoi les femmes sont-elles considérées comme celles qui prennent soin et les hommes

comme les maîtres ?

- Pourquoi les femmes ne participent-elles pas tout autant que les hommes aux décisions qui concernent leur famille et leur vie ?

- Pourquoi les femmes n'ont-elles pas un égal accès à l'éducation, à la santé, entre autres ? - Pourquoi les mères ne sont-elles pas respectées ?

- Pourquoi crée-t-on des différences entre religions en donnant des noms différents à Dieu, alors que Dieu est Un quel que soit le nom que lui donne chaque langue ?

- Pourquoi différencie-t-on les couleurs entre êtres humains, alors qu'ils sont tous de la même origine et que la différence est du même ordre qu'entre un chat blanc et un chat noir ?

- Pourquoi les peaussiers, tisserands, forgerons, entre autres, sont-ils ostracisés indépendam-

1 Solomon (2005 : 48).

2 Seid (2008 : 65, 78), Genet (2009 : 46), Awra Amba community (2021). Ces questions ne sont pas des

citations du jeune Zumra, mais correspondent plutôt à sa mémoire, voire à l'interprétation des chercheurs.

ment de l'importance de leur métier ?

- Pourquoi les gens sont-ils envieux des autres, ne s'aiment pas sous prétexte de religion ou d'autres différences, alors que l'essence de toute religion est la valeur d'humanité ?

- Ne peut-on créer un paradis sur terre ?

- Pourquoi construire des mosquées et des églises qui sont le domaine de Dieu alors que Dieu est partout, dans notre cœur, notre âme, nos yeux, etc. ? Pourquoi ne serions-nous pas sa mos- quée ou son église ?

- Pourquoi ne prend-on pas soin des personnes âgées alors qu'elles ont considérablement contribué à la société ?

- Pourquoi la culture de la société est-elle rigide et conservatrice sans permettre aux individus et en particulier aux enfants d'avoir la liberté de penser et de faire leur propre chemin dans la mesure où il est raisonnable ?

- Pourquoi les religions définissent-elles des jours où on travaille et des jours où leurs disciples ne doivent pas travailler ? Pourquoi ceux-ci mangent-ils les jours où ils ne travaillent pas ? Pourquoi ceux qui souffrent de la pauvreté et de la faim doivent-ils s'abstenir de travailler et abandonner les cultures et leurs autres activités ?

Typologie des valeurs selon les auteurs cita.on% de "idée" de la communauté correspondante traitéau $

Égalité des genres 90 a) égalité des genres 3.1

Solidarité interne 70 c) le soin de ceux qui ne peuvent travailler 3.2

externe e) tous frères et sœurs Règle d’or 60 d) éviter mauvaises paroles et ac.ons 3.3 Travail 60 3.5 Ra.onalisme / croyance en un créateur 50 3.6 Démocra.e 50 3.4 Droits des enfants 20 b) droits des enfants 3.3

Tableau 2 : Typologie des valeurs selon la bibliographie avec le pourcentage de citations parmi les 21 auteurs traitant des valeurs, et correspondance avec les cinq idées d’Awra Amba.

Nous avons pour ce faire tenté de lister les croyances, valeurs ou idéaux d'Awra Amba mis en avant par les différents auteurs, donc selon leur perception de la réalité de cette communauté : cf. Annexe 4. Selon leur objet, les études s’intéressent plus ou moins à cette question, 9 parmi les 30 études res- tant muettes sur le sujet. Et les études les plus récentes s’y intéressent moins. Nous tentons de classer ces très nombreuses valeurs en groupes quelque peu homogènes, sachant que toute typologie com- porte une dose d'arbitraire (cf. Tableau 2) :

- L’égalité des genres ;

- La solidarité, la fraternité, la paix, la coopération, l'attention aux autres, l'humanité, la justice so- ciale, que l'on peut classer sous le terme de solidarité ;

- La règle d'or ("Traite les autres comme tu voudrais être traité"), l'honnêteté, la loyauté, la confiance, la transparence, le refus des addictions, le respect, la dignité, la tolérance, la gestion des conflits, que l'on peut classer sous le terme générique de règle d'or ;

- Le travail, être consciencieux, sérieux, la confiance en soi et en les autres, le courage, l'autodisci- pline, que nous classons sous le terme générique de travail ;

- L'absence de religion ou de religion institutionnalisée, l'absence de rituels religieux, la croyance en l'humanité, opposées à l'existence d'un créateur du monde, classées sous le terme de rationa-

lisme, opposé à la croyance en un créateur.

- L'égalité, la citoyenneté, la justice sociale, la démocratie, les droits individuels, la transparence, l'indépendance, classés sous le terme de démocratie ;

- Les droits des enfants.

(ph. F. Pastor)

La propreté et la rigidité sont aussi mentionnées, mais sont difficiles à classer. L’égalité des genres est presque systématiquement mentionnée. La règle d’or, la solidarité, le travail sont cités par près de deux auteurs sur trois. La démocratie, le rationalisme ou son contraire l'existence d'un Dieu créateur sont cités par un auteur sur deux, tandis que les droits des enfants sont cités par un auteur sur cinq. De son côté, quels croyances, valeurs et idéaux sont proclamés par la communauté elle-même ? No- tons tout d'abord que la communauté n’utilise pas ces termes, mais seulement le terme d’"idées". Elle met en avant et applique cinq idées fondamentales de Zumra 1 :

a) l’égalité des genres, la plus importante 2 ;

b) le respect des droits des enfants ;

c) le soin de ceux qui ne peuvent travailler en raison de leur âge ou de leur santé,

d) éviter les mauvaises paroles et les mauvaises actions (jalousie, vols, vengeance, meurtres, etc.), c’est-à-dire traiter les autres comme on voudrait être traité ou ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu'on fît à soi-même, afin de vivre dans la paix ;

e) considérer tous les êtres humains comme des frères et des sœurs quelles que soient leurs dif- férences et être solidaire de tous.

On retrouve évidemment ces cinq idées dans les valeurs citées par les auteurs. Le point c) correspond à la solidarité interne à la communauté, tandis que le point e) correspond à la solidarité externe. Le point d) correspond à la règle d'or.

Quant aux idéaux d'Awra Amba, il est difficile de les différencier de leurs valeurs car ces dernières se caractérisent par un fort degré de mise en application, les idéaux se confondant en grande partie avec les valeurs, tout au moins pour ce dont la communauté est responsable. On notera cependant

1 Genet (2009 : 43), Awra Amba community (2015a : 4). 2 Genet (2009 : 46).

quelques différences entre les idéaux et valeurs proclamées et leur mise en œuvre.

Outre ces cinq idées fondamentales, Awra Amba croit en l'existence d'un Dieu créateur du ciel et de la terre, qui est son unique croyance, origine plus ou moins mythifiée mise à part.

Quelques auteurs notent en outre l'écologie ou le développement durable comme une caractéristique d'Awra Amba, notant que la surface de la forêt a été notablement augmentée 1, que d'après la com-

munauté ses voisins ont amélioré leur environnement en s'inspirant de leurs efforts de verdissement 2,

ou qu'Awra Amba est vu comme un modèle pour le développement durable 3. Cet attrait pour les

questions écologiques n'apparaît qu'incidemment et très rarement dans la littérature consultée. En 2014, l'écologie nous a semblé leur être assez étrangère, tout en étant très ouverts, alors que nous vi- sitions plusieurs exploitations d'agriculture biologique. La collaboration à partir de 2012 avec une fondation hollandaise de chauffage solaire, les visites ci-dessus, et les discussions avec Slowfood en 2015-2016 ont peut-être accéléré leurs préoccupations écologiques, mais elles ne sont guère affichées à notre connaissance.

Nous examinons plus en détail ci-dessous les différents principes : l'égalité des sexes ou des genres, la solidarité, la règle d’or intégrant le respect des droits des enfants, la démocratie, le travail, et pour finir la question très controversée du rapport à la religion.