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MATERIEL ET METHODES 2

4.2 Hypothèses mécanistiques

Plusieurs mécanismes pourraient expliquer un risque plus faible de cancers cutanés associé à une forte adhésion au RM. Etant donné que l’exposition aux UV crée un stress oxydatif qui engendre la formation de radicaux libres, de par leurs propriétés, les antioxydants peuvent neutraliser ces radicaux libres et pourraient donc potentiellement empêcher les dommages causés à la peau. Ainsi, un régime riche en aliments et nutriments antioxydants comme le RM pourrait contrecarrer les effets néfastes de l’exposition solaire par ce biais. Comme nous l’avons décrit dans les résultats, un score d'adhésion élevé était associé à des apports élevés en nutriments antioxydants tels que le bêta-carotène, le rétinol et les vitamines C et E, ainsi qu'à des apports élevés en folates, en vitamine D et en café. Un score d'adhésion élevé a également été associé à une capacité antioxydante totale plus importante (413) et à des taux circulants d'antioxydants plus élevés (414). Des études expérimentales ont montré que les apports alimentaires d'antioxydants réduisaient les dommages oxydatifs causés à l'ADN et augmentaient la capacité de la peau à neutraliser les radicaux libres, contribuant ainsi à atténuer les dommages photo-induits au niveau de la peau (415,416). De plus, certaines études épidémiologiques ont montré que les régimes alimentaires riches en caroténoïdes, en vitamines A, C et E, en polyphénols et en flavonoïdes pourraient réduire le risque de mélanome (405,417–419).

L’exposition aux UV peut également générer une inflammation au niveau de la peau. Il est connu qu’une inflammation chronique est liée à la survenue et à la progression de plusieurs cancers, y compris de la peau (420). Le RM, qui suit de près les principes d’une alimentation anti-inflammatoire (riche en fruits, légumes, noix, céréales complètes, poisson et huiles saines), pourrait contrecarrer l’inflammation causée par l’exposition solaire et réduire le risque de cancers cutanés (421–423). Nous avons observé qu'un score d’adhésion plus élevé était associé à des apports plus faibles en acides gras saturés et à des apports plus élevés en acides gras mono- et polyinsaturés. Il est bien établi que les acides gras oméga-3 sont associés à des niveaux d'inflammation plus faibles (424,425). Plusieurs études expérimentales ont suggéré qu’une adhésion au RM élevée était associée à une réduction de

Page | 153 divers facteurs inflammatoires tels que la protéine C-réactive et l'interleukine-6 (426), et que le RM pouvait avoir des effets anti-inflammatoires (427).

Bien que nous ayons constaté un risque faible de mélanome et de CBC associé au score d’adhésion au RM, nous n’avons observé aucune association statistiquement significative avec le CSC. Toutefois, étant donné l'absence d'hétérogénéité entre les types de cancers cutanés, l’absence d’association avec le CSC pourrait s'expliquer par le nombre limité de cas de CSC dans notre population. Il est également possible que le RM ait une influence différente sur le risque de CSC. Comme nous l’avons décrit dans le chapitre Introduction (Chapitre I, partie 3, pages 72-74), le mélanome et le CBC ont tendance à avoir des facteurs de risque similaires, tandis que le CSC semble avoir un profil de facteurs de risque différent de ces deux derniers. A titre d’exemple, il est bien établi que le mélanome et le CBC sont associés à l’exposition solaire dans l'enfance et à l'exposition solaire intermittente (135), alors que le CSC est associé à une exposition solaire chronique (134,428) ; le nombre de nævus est associé au risque de mélanome et de CBC mais pas au risque de CSC (429). Alors que le tabagisme est inversement associé au risque de mélanome et de CBC, il est positivement associé au risque de CSC (430). Ainsi, il est possible que le RM puisse diminuer le risque de mélanome et de CBC mais pas de CSC. Des études supplémentaires sont nécessaires pour vérifier cette hypothèse.

De même, nous n’avons observé aucune association entre les différents groupes d’aliments composant le RM et le risque de cancers cutanés, à l’exception du risque faible de cancers cutanés associé à la consommation de légumes, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que les groupes d’aliments peuvent avoir des effets individuels visibles uniquement dans le cadre d'un régime alimentaire global où lorsque les effets cumulatifs et synergiques de plusieurs aliments sont pris en compte. En effet, il a été suggéré que les interactions biologiques entre les différents groupes d’aliments pouvaient difficilement être détectées lors de l’évaluation de l’effet d’un aliment isolé (395). Lorsque nous avons exclu l’alcool dans la création du score ou lorsque la consommation d’alcool a été remplacée par la consommation de vin dans le score, la relation entre le nouveau score et le risque de mélanome n’était plus statistiquement significative. Cela pourrait s'expliquer par le fait que la consommation d'alcool était inversement associée au risque de mélanome dans notre étude (431) car les participantes de la cohorte E3N ont une consommation d’alcool modérée (médiane de consommation de 7,9 g/jour). De plus, elles consomment majoritairement du vin ; pourtant, ces deux caractéristiques, considérées comme étant un comportement sain, sont associées au score d’adhésion au RM.

Page | 154 4.3 Forces et limites

4.3.1 Forces

Les points forts de la présente étude incluent le caractère prospectif, la validation du questionnaire alimentaire, la grande taille de l'échantillon avec une puissance élevée, la longue période de suivi, la prise en compte de nombreux facteurs de risque de cancers cutanés et la disponibilité d'un large éventail de caractéristiques (socio-économiques et mode de vie) potentiellement associées aux habitudes alimentaires et aux cancers cutanés. Par ailleurs, la quantité d'informations disponibles dans la cohorte E3N nous a permis d’explorer les différents types et sites de tumeurs, ainsi que le rôle de plusieurs facteurs, en tant que facteur de confusion ou de modificateur d’effet, dans la relation entre le RM et le risque de cancers cutanés. De plus, nous avons pu prendre en compte certains comportements liés à l’exposition solaire dans la sous-population E3N-SunExp et étudier le profil de participants ayant un score d’adhésion au RM élevé, ce qui n’avait jamais été fait auparavant.

Un autre point fort de cette étude réside dans la validation de la vaste majorité des cas de cancers cutanés déclarés dans E3N. Le processus de validation a permis d’extraire, à partir des documents médicaux recueillis, un ensemble d’informations sur les caractéristiques de la maladie.

A notre connaissance, cette étude est la première à explorer simultanément la relation entre le score d’adhésion au RM et le risque de tous cancers cutanés, et par type de cancers cutanés. Elle est également la première à comparer plusieurs types de score du RM.

4.3.2 Limites

Plusieurs limites liées à ce travail doivent être mentionnées dans l’interprétation de nos résultats. Premièrement, les participantes de la cohorte E3N ont un niveau socio-économique plus élevé, avec une grande proportion d’enseignantes et sont globalement plus soucieuses de leur santé que la population des femmes françaises. Or, il a été démontré, chez les femmes, que le statut socio-économique était un déterminant des profils alimentaires (432). Il faut donc être prudent dans l’interprétation et l’extrapolation de ces résultats. Globalement, il semble important de mentionner que les études de cohorte prospective peuvent difficilement être représentatives de la population générale, en raison de la participation sélective.

Par ailleurs, le recueil de données alimentaire était auto-déclaré, ce qui pourrait s’accompagner d’un biais de mémoire potentiel et certainement d’une perte de précision quant à l’exposition, d’autant plus que le recul par rapport à la période d’exposition est potentiellement conséquent. Nous ne pouvons donc pas exclure un biais de classement de l'exposition. Cependant, ce biais serait non-différentiel puisque les données alimentaires ont été recueillies avant le diagnostic de cancers cutanés ; il ne ferait donc que diluer les associations observées.

Page | 155 De plus, nous avons estimé le score d’adhésion au RM à l’aide de données alimentaires collectées une seule fois au cours du suivi, et nous n’avons pas pu prendre en compte les données collectées en 2008 dans nos analyses. Or, les habitudes alimentaires pourraient avoir changé au cours du temps.

En ce qui concerne l'exposition aux UV, nous disposions uniquement de données sur l'exposition aux UV dans le département de résidence et de naissance et non sur l’exposition récréationnelle aux UV, ce qui constitue une évaluation incomplète de l'exposition totale à ces rayonnements. Nous ne pouvons donc pas exclure que l’association inverse observée entre RM et risque de cancers cutanés reflète une relation sous-jacente entre le score d’adhésion au RM et certains comportements liés à l’exposition aux UV. Grâce aux données de l’étude E3N-SunExp, nous avons exploré la relation entre certains comportements d’exposition aux UV et le score d’adhésion au RM. Dans E3N-SunExp, les femmes ayant un score d’adhésion élevé au RM étaient plus susceptibles d'utiliser de la crème solaire avec un indice de protection solaire élevé. Il est important de noter que l'utilisation de crème de solaire a été associée à un risque plus élevé de cancers cutanés dans notre population (433). Cette association surprenante a également été observée dans d'autres populations dans le monde ; elle pourrait s'expliquer par l'hypothèse du « sunscreen abuse » ─ la crème solaire pourrait entrainer un faux sentiment de sécurité qui aboutit à un temps d’exposition prolongé au soleil, dans l'intention de bronzer (434). Par conséquent, nos résultats ne soutiennent pas l'hypothèse selon laquelle la diminution du risque de cancers cutanés associée à l’adhésion au RM s'explique par des comportements d’exposition solaire plus sains chez les participants ayant un score plus élevé. Idéalement, d’autres études devraient étudier l’influence de l’exposition aux UV sur ces associations en utilisant des données recueillies de manière prospective afin d'approfondir notre compréhension de ces résultats.

En outre, les participants ayant un score d’adhésion élevé pourraient se faire dépister plus fréquemment ou utiliser le système de santé plus fréquemment, et donc être plus susceptibles d'être conscients de leur santé et de se faire enlever leurs lésions pigmentées par rapport à ceux ayant un score d’adhésion faible. Cependant, nos résultats étaient similaires après ajustement supplémentaire sur les antécédents d’examens de dépistage gynécologique (frottis et mammographies), utilisés comme proxys d’accès aux soins, ce qui suggère que nos résultats ne sont pas expliqués par un meilleur accès aux soins chez les femmes ayant un score élevé. Il serait intéressant d’examiner plus spécifiquement l’influence de l’examen dermatologique sur les résultats obtenus. En effet, les participantes ayant une adhésion élevée au RM étaient plus susceptibles d'être instruites, physiquement actives et moins susceptibles d'être en surpoids ou obèses ou de fumer que celles ayant une adhésion faible au RM, ce qui pourrait suggérer un biais lié aux facteurs socio-économiques. Toutefois, il convient de noter que nous n'avons constaté aucune modification de l'effet du niveau d'éducation, du statut tabagique ou de l'activité physique sur la relation entre le score d’adhésion au RM et le risque de cancer de la peau.

Page | 156 Enfin, nous ne pouvons pas exclure la présence de facteurs de confusion résiduels, car les données sur les facteurs de confusion tels que la couleur des yeux, l’exposition solaire récréationnelle et l’utilisation de lampes UV n'étaient pas disponibles dans la cohorte entière.

Conclusion

5.

Les résultats de cette étude suggèrent que l’adhésion au RM est associée à un risque plus faible de cancers cutanés chez les femmes, plus particulièrement de mélanome et de CBC. S’ils sont confirmés, ces résultats pourraient avoir un impact sur les stratégies de prévention de ces cancers. Bien que les résultats de cette étude ne puissent pas être extrapolés à la population générale, ils suggèrent qu’une forte adhésion au RM pourrait conférer un risque plus faible de cancer de la peau chez les femmes. Afin d’approfondir ces résultats, les futurs travaux sur ce sujet devraient examiner ces associations dans une grande étude de cohorte prospective, en utilisant des données alimentaires collectées plusieurs fois au cours du suivi afin de prendre en compte le changement d’habitudes alimentaires des participants, ainsi que des données sur l’exposition solaire résidentielle et récréationnelle afin d’évaluer de façon plus complète l’effet de l’exposition solaire en tant que facteur de confusion et modificateur d’effet potentiels.

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Sous-objectif 2 : Influence de la prise de compléments alimentaires en antioxydants et