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Hommes ou animaux ? A la rencontre des Pygmées

A. DE HOMERE A STANLEY, LA LONGUE HISTOIRE DES PYGMEES

2. Hommes ou animaux ? A la rencontre des Pygmées

A partir du XVIIe et du XVIIIe siècle, la nature dans son ensemble doit se dévoiler aux hommes de sciences pour une compréhension universelle du monde. Les grands voyages d’exploration commandés depuis l’Europe pour dévoiler l’inconnu permettent l’accumulation sans précédent de matériaux d’étude. Les naturalistes, les zoologistes et les botanistes ont désormais fort à faire, car la faune et la flore disponibles recèlent de nombreuses énigmes à résoudre. C’est la découverte de la faune sauvage qui offre une première réponse à la question pygmée : « Lorsque le premier cadavre de chimpanzé jamais tué arrive à Londres en avril 1698, l’illustre anatomiste Edward Tyson le baptise tout naturellement “pygmée”, puis le dissèque avec maestria ; il démontre alors aisément que les Pygmées sont des singes et non des hommes. Toujours la vieille interrogation de saint Augustin » 261 ... Le débat est finalement tranché, les Pygmées sont des singes et cette conclusion est partagée

pendant tout le XVIIIe siècle par les savants, parmi lesquels Buffon.

Parallèlement aux scientifiques de salons, les voyageurs européens sillonnant des terres exotiques trouvent des populations remarquables par leur petite taille. Des ouvrages ou des chapitres sont notamment consacrés aux « nains » d’Afrique. Le lien entre ces êtres humains de petite taille et les Pygmées n’est pas encore opératoire, tant l’idée que ces derniers seraient des singes semble largement admise. La corrélation définitive qui assimile certaines populations

d’Afrique aux Pygmées se fait tardivement, dans le dernier quart du XIXe siècle

261

179

262, et s’inscrit dans l’effervescence des sciences de l’homme et de

l’idéologisation du continent africain.

Avec la circulation des idées et les discussions autour des sources antiques, les hommes africains de petite taille sont progressivement appelés « Pygmées ». Cependant, c'est Georges Schweinfurth (1875 : 105) qui fera nettement la jonction, car il fut le premier à approcher des sources du Nil ; il écrira en 1873 : « Trois ou quatre siècles avant l’ère chrétienne, les Grecs connaissaient l’existence d'un peuple remarquable par sa taille réduite, habitant la région des sources du Nil. Ce fait peut nous autoriser, peut-être, à désigner du nom de “pygmée”, non pas des hommes littéralement hauts d’un empan, mais dans le sens d’Aristote, les races naines d'Afrique équatoriale » 263

. Par des rapprochements intellectuels, les Pygmées prennent corps et chair en Afrique. Ils sont désormais dotés d’un statut d’être humain, après avoir été considérés comme des monstres, puis identifiés en tant que primates.

Les populations rencontrées en Afrique correspondent plus ou moins aux mythiques Pygmées de l’Antiquité avec leur taille hors du commun et leur localisation dans des espaces obscurs. Vers 1875, l’exploration de l’Afrique connaît une certaine accélération et après Schweinfurth, les voyageurs s’intéressent de plus en plus aux Pygmées.

Les contacts s’accélèreront, au fur et à mesure de l’avancée des explorateurs A l’'intérieur du continent : côté atlantique, l’amiral Fleuriot voit

262

On note une volonté chez les savants du 18e et du 19e siècle de mettre en rapport les ouvrages antiques et classiques avec les nouvelles découvertes géographiques. Ainsi, plusieurs auteurs, naturalistes et ensuite anthropologues se lancent-ils dans une étude critique de leurs prédécesseurs, aboutissant pour la plupart au constat d’une tendance à la fabulation chez ces illustres et lointains pairs :

« Plus tard, le géographe hollandais Olfert Dapper rapporte, dans sa grande Description de l'Afrique (1686: 358), que dans le royaume du Lovango une ethnie, « [l es Jagos] tirent les dents d'éléphant de certains petits hommes nommés Mimos & Bakke-Bakke sujets du Grand Macoco. Les Jagos assurent que ces Nains savent se rendre invisibles, lorsqu'ils vont à la chasse, & qu'ainsi ils n'ont pas grand peine à percer de traits ces animaux, dont ils mangent la chair & vendent les defenses ».

Ainsi, dès les premières mentions historiques, ceux que nous appelons maintenant les Pygmées sont présentés en relations avec d'autres populations, maillons de la grande chaine du commerce de traite de l'ivoire.

Ces témoignages cependant passèrent inaperçus, sauf d'un savant au regard aigu, l'abbé Antoine Banier (1673-1741), auteur entre autres en 1711 d'une Explication historique des fables, qui tente au cours de la séance du ler février 1724 de l'Académie des inscriptions et belles lettres, de rationaliser les fables antiques en les mettant en relation avec les découvertes des géographes de son temps. Il montre que le poète Homère avait tout simplement trop miniaturisé une race méconnue: « On voit bien qu'elles [les fables] ne servent que d'ornement à l'histoire d'un peuple peu connu, & qu'elles ne sont que des exagérations des Poètes, accoutumés à défigurer la vérité » (Banier 1729: 112).

Ce faisant, Banier ouvre la voie aux anthropologues du siècle suivant, et en premier lieu à Armand de Quatrefages, professeur au Muséum, qui discuteront en détail pour mettre en relation les récits des Anciens avec les « races » humaines nouvellement découvertes sous les tropiques. »

Ibidem, p. 162.

263

180 en 1868 un Obongo sur la côte du Gabon et en publie un portrait en 1876. Toujours près des côtes gabonaises, l’expédition allemande au Loango en 1873-76 (Falkenstein, puis Lenz) signale la présence de Pygmées, plus au nord près de la côte camerounaise Kund, lors de la délimitation de la frontière en 1888-89, puis Curt von Morgen en 1889 en rencontrent ; à 1'intérieur Crampel sur le Ntem au Cameroun en 1888, Gaillard sur la Sangha au Moyen-Congo en 1891 témoignent de leur présence... Sur le Congo, Stanley rencontre des Pygmées batoua en 1875. Côté Nil, après Schweinfurth, il y aura Miani en 1873, Chaille-Long en 1877, Junker en 1880, Emin Pacha en 1886, enfin en 1888 Stanley et son style fleuri264...

Le succès des Pygmées comme curiosités de l’espèce humaine ne se dément pas. Certains explorateurs décident même d’emmener avec eux en Europe quelques spécimens qui pourront être étudiés 265. Dès lors que les pygmées sont découverts et considérés comme humains, au terme de longues réflexions, ils sont l’objet d’études. Les scientifiques du XIXe siècle leur consacrent réflexions et examens pour les inscrire dans le grand débat sur les classifications des espèces humaines. Rattrapés par la problématique de la race, les Pygmées font l’objet de descriptions minutieuses, nécessaires pour les définir. Ils constituent une catégorie à part, aussi bien dans l’espèce humaine que plus précisément dans la race dite « nègre ». Les Pygmées sont en effet perçus comme une aberration de la nature, et une imagerie du grotesque est souvent liée aux nombreuses descriptions. En Afrique même, les voyageurs constatent leur isolement et la place particulière qui leur est accordée dans ces sociétés. En devenant une race, les Pygmées sont finalement intégrés à l’humanité, mais loin de les réhabiliter, l’anthropologie construit une sorte de deuxième mythologie, attribuant aux Pygmées de nombreuses perversions et les présentant comme des phénomènes.

Les anthropologues et autres ethnologues se lancent dans l’étude scientifique des Pygmées, affirmant comme nécessaire une connaissance

264 Ibidem, p. 163. 265

« Arrêtons-nous sur l'explorateur italien Miani, plus intrépide que scientifique. Il atteignit donc en 1873 le pays mangbetu ( « le pays des Monbouttou » ), y séjourna, et y acheta deux esclaves, des garçonnets pygmées, qu'il ramena. Malheureusement, il devait mourir sur la route du retour, au Soudan, en léguant ses Akka à la Société de géographie italienne. Les enfants arrivèrent au Caire, où ils furent examinés en détail, puis en Italie, ou ils furent adoptés (ou plutôt recueillis) par le comte véronais Miniscalchi Errizo, en juin 1874. Ils firent sensation et furent photographiés et mesurés sous toutes les coutures; les savants échangèrent à leur propos moult lettres et commentaires. Mais ce ne fut pas tant leur taille qui frappa le plus, que leur esprit: ils se comportaient comme des enfants italiens de leur âge, rieurs, joueurs et intelligents. On leur apprit à parler italien, à manger à la fourchette et à jouer du piano (Bertillon 1874): « M . Giglioli a entendu cet Akka jouer sur le piano, avec assez de sentiment et beaucoup de précision, deux morceaux d'une certaine difficulté ». »

181 approfondie des « petits nègres », autrement appelés « petits noirs » ou encore « petits sauvages ». Le processus de caractérisation de la race pygmée ne s’effectue pas sans quelques difficultés. Partout où l’on trouve des hommes de petite taille, les voyageurs croient déceler des Pygmées. Devant l’abondance de matériaux, les savants peinent à établir les caractères types qui doivent unifier la race :

Les questions se pressent, et les idées se brouillent. On signale partout des petits hommes, et les savants ont bien du mal à les distinguer, d’autant que les descriptions des voyageurs ne signalent rien de plus que leur petite taille, leur nudité, leurs activités de chasseurs, et leur mobilité. C’est vague, et cela autorise toutes les généralisations. De plus les auteurs utilisent constamment les mots Pygmée et nain (voire nabot) comme des synonymes. De ce fait, on mêle souvent les petits hommes du Centre africain avec ceux du Sud de l’Afrique, Hottentots et Bochimans, sans pour autant nommer “« Pygmées“ » ces derniers. C’est le cas par exemple de Hartmann (1880) et de Quatrefages (1887) 266.

Ce sont surtout Hamy et Quatrefages qui dominent les recherches anthropologiques menées à propos des Pygmées et qui finissent par établir la nomenclature d’une race bien définie : « Quatrefages et Hamy, […] avaient depuis longtemps été intrigués par des hommes de couleur noire vivant en Asie, et parmi ceux-ci, certains de petite taille, aux Philippines, baptisés Negritos par Quatrefages dès 1862. Ce dernier proposait, en 1882, de reconnaître en ceux-ci les “Pygmées” asiatiques du vieux Ctésias et de Pline l'Ancien (Quatrefages 1887: 30). On a ainsi trouvé des Pygmées negritos partout, en Nouvelle-Guinée, aux Philippines, en Malaisie, aux îles Andaman,

à Bornéo, a Java, au Japon » 267... Quelques années avant Quatrefages, Hamy

affirme que l’on a enfin retrouvé les Pygmées décrits par Homère : « Mais avec le bassin du Nil d’autres petits nègres apparaissent de nouveau, les vrais pygmées d’Homère et de toute l’antiquité, retrouvés par MM. des Avranchers, d’Abbadie, Krapf, Schweinfürth, Miani, Marnö, habitant eux aussi à peu près sous l’équateur, et présentant, avec ceux des régions occidentales que nous

venons de passer en revue, les plus étroites ressemblances » 268. Hamy pense

également qu’il existe une unité entre tous les peuples « nains » d’Afrique, par 266 Ibidem, p. 165. 267 Ibidem, pp. 167-169. 268

E.-T. Hamy, « Essai de coordination des matériaux récemment recueillis sur l'Ethnologie des négrilles ou pygmées de l'Afrique équatoriale », Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, 3ème Série, Tome 2, 1879, p. 96.

182 conséquent ils sont tous des Pygmées, ce que les mesures craniologiques attesteraient fort aisément : « Les caractères fournis par l’étude de la tête ne sont donc pas moins favorables que les autres caractères à l’idée d’une unité ethnique embrassant l’ensemble des populations équatoriales pygméennes, dispersées des bords du Nil à ceux de l’Ougoué. On en pourrait dire autant des mœurs de ces petits sauvages, auxquelles s’appliquerait presque exactement le vieux texte de Battell que je traduisais en commençant cette communication »

269

. Quant aux différents problèmes lexicaux, Hamy propose de les régler une fois pour toutes et d’adopter le terme de « négrille », rappelant à la fois leur couleur de peau et leur appartenance aux races nègres, et suggérant leur

proximité avec d’autres pygmées, les Négrito270.

Partout dans le monde, les voyageurs indiquent la présence de Pygmées, avant même que les fondements de cette race soient clairement formalisés. Il faut donc discerner parmi ces différents Pygmées présupposés les points communs autorisant l’extrapolation raciale. En premier lieu, les scientifiques s’accordent sur le critère le plus évident : la taille. A force d’études et de discussions, les scientifiques fixent une taille réglementaire : « La formalisation vint des anthropologues allemands : en 1892, Helmuth Panckow propose de réserver le nom pygmée aux groupes dont la taille moyenne est inférieure à 1,50 m. » 271. Pour autant, seule la taille ne saurait définir la « race » pygmée. Les anthropologues physiques, soucieux de vouloir unifier un ensemble de populations hétérogènes et éloignées géographiquement,

269

Ibidem, p. 99.

270

« Je propose, pour désigner cet ensemble ethnique, la dénomination commune de négrilles. Ce diminutif du mot nègre me semble avoir, dans son application aux demi-nains de l’Afrique équatoriale, un double avantage : il rappelle le plus frappant des caractères communs à toutes leurs peuplades ; il ressemble en outre à celui qui désigne aujourd’hui dans la nomenclature ethnologique la généralité des tribus qui représentent dans le sud-est de l’Asie et l’Océanie occidentale un élément ethnique parallèle à l’élément négrille, l’élément négrito. »

Ibidem, p. 100.

271 S. Bahuchet, « L’invention des Pygmées », Cahiers d’Etudes Africaines, Vol. 33, Cahier 129, 1993, p.

165.

Nous pouvons également ajouter la définition physique donnée par Seligman, que cite Alain Froment : « Voici la description des Négrilles par Seligman (1935), dont le mérite est d’en nommer les principaux stéréotypes : « Physiquement, il s’agit réellement de Pygmées, la stature variant entre 130 et 145 cm, la moyenne étant de 143 à 135, selon le sexe. Leur peau peut-être rougeâtre, ou brun-rougeâtre ou très foncée, le corps étant souvent recouvert d’un léger duvet. La tête tend vers la brachycéphalie, avec un indice céphalique de 79 ; le nez est très large avec pont peu marqué ou absent ; les yeux sont plutôt grands et proéminenets ; la face est courte et tend à être large ; elle est généralement prognathe et souvent à un tel degré que Sir Harry Jonhston a proposé le terme de « Pygmées-prognathes » pour un groupe comprenant ces petits hommes et un certain type inférieur nègre de la forêt ». »

A. Froment, « Adaptation biologique et variation dans l'espèce humaine : le cas des Pygmées d'Afrique. »,

Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, Nouvelle Série, Tome 5, N° 3-4, 1993, p.

183 s’attachent à relever les points communs entre tous les « petits sauvages » découverts ici et là. La race pygmée peut sembler artificielle, sa détermination est due parfois à des hasards autant qu’à des bricolages intellectuels. Mais pour les scientifiques, la présence aux quatre coins du globe de tels humains, ne peut pas résulter des seuls aléas d’une Nature capricieuse. Les scientifiques cherchent à mettre en évidence les marqueurs chers à l’anthropologie physique pour constituer une race : Cheveux, forme du crâne et anatomie sont passés au crible. Les modes de vie sont également étudiés. Les scientifiques concluent alors à l’unité raciale de tous les « nains » rencontrés dans différentes régions du monde.

Il reste néanmoins un problème de taille à résoudre… Comment expliquer que des populations aussi éparpillées puissent appartenir à la même race ?

Leurs caractéristiques physiques, ainsi que les traits de leur mode de vie simple (habitation rudimentaire, pas d’industrie, subsistance basée sur la chasse, pas d’animaux domestiques...) mènent à une conclusion évidente pour tout le monde : les nombreuses populations de Pygmées d’Asie et d’Afrique sont à “rattacher à une race unique” (Van den Gheyn 1895: 44). Ce fait étant acquis, les savants s’interrogèrent sur l’'origine géographique de cette race, considérée par d’aucuns comme les restes d’une population qui occupait la terre avant l’arrivée des présentes races dominantes. La balance penchait vers l’Asie, ou le Sud de l’Inde, d’où serait issue la race noire, et avec elle les races naines négrilles et negritos, se répandant vers l’ouest et vers l’est272

.

L’existence et la définition de la race pygmée sont certes approuvées par l’ensemble des scientifiques, mais leur origine ne fait pas l’unanimité. Certains savants les considèrent comme des hommes primitifs quand d’autres les envisagent comme des hommes dégénérés.

Dès le XIXe siècle, deux hypothèses sont avancées : soit les Pygmées

sont les premiers autochtones (pour Delafosse ou Dart, par exemple), soit ce sont des dégénérés issus de populations antérieures plus “évoluées”. Kollmann (1894) pensait que le Pygmée était la forme primitive de l’humanité, en se fondant sur des arguments archéologiques (squelettes de Schweizerbild en Suisse) et embryologiques, en remarquant que le fœtus humain a des caractères pygmoïdes, et que les Pygmées adultes conservent des caractères néoténiques. Cette théorie a été réfutée par Scwalbe (1906), et dès 1912, Poutrin (p.394) écrivait : “Comme certains animaux, ils sont devenus plus petits par suite des conditions extérieures de la vie, du genre ou du manque de nourriture, et, en

272

S. Bahuchet, « L’invention des Pygmées », Cahiers d’Etudes Africaines, Vol. 33, Cahier 129, 1993, p. 165.

184 raison de leur isolement (îles, forêts impraticables), ils se sont fixés dans une véritable race, dont les caractères physiques ne peuvent plus actuellement être facilement influencés par une nourriture plus ou moins abondante”. D’autres invoqueront un primitivisme culturel (W. Schmidt 1910). Sir Arthur Keith (1948, p.249) en fait les descendants des “Dartiens” (terme par lequel il désignait, en hommage à Dart, les australopithèques) qui, en et hors d’Afrique, auraient exprimé des gènes caractéristiques (petite taille, peau foncée, cheveux crépus)273.

Quelle que soit l’hypothèse à laquelle les savants se rattachent, les descriptions et l’imagerie liées aux Pygmées sont globalement très péjoratives. Au-delà d’un particularisme physique qui incite les commentateurs à la répugnance ou à la condescendance, l’étude des mœurs des Pygmées captive les savants, et certains, tel monseigneur Le Roy (1928: 358), les réhabilitent dans une certaine mesure : « Nos pauvres petits hommes de la brousse africaine, précisément mieux étudiés, mieux connus, nous ont réservé [une] surprise [...] ; on leur avait fait une réputation de demi-bêtes, et l’on s'accorde aujourd'hui à les trouver supérieurs à beaucoup de peuples avancés en civilisation. Voilà pour la moralité » 274. La place de la religion chez les populations pygmées devient un autre sujet de discussions et explique l’implication des missionnaires dans la collection d’informations et la littérature ethnologique et anthropologique.

De ce fait, on chercha avidement chez eux le fameux monothéisme primitif. Est-ce vraiment un hasard si les pionniers de la “pygmologie” furent des missionnaires ? Monseigneur Le Roy, monseigneur Briault, le père Tastevin, le père Schebesta, le père Gusinde, le père Trilles... Ah, le père Trilles! Rendons un hommage particulier à son esprit hautement imaginatif, qui fait de lui l'un des meilleurs romanciers d'aventure africaine de notre temps (mais assurément le plus grand faussaire de l'ethnologie, et le plus affligeant aussi)275.

Les rapports ethnologiques ou ethnographiques sur les Pygmées ont laissé d’eux une image chargée de stéréotypes péjoratifs. Ils ont été perçus au mieux comme une espèce à protéger et au pire, comme le dernier degré de l’humanité. En Afrique, ils occupent une position désagréable, mal intégrés à des sociétés qui globalement les rejettent. Au Burundi, les traditions de rejet

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A. Froment, « Adaptation biologique et variation dans l'espèce humaine : le cas des Pygmées d'Afrique. », Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, Nouvelle Série, Tome 5, N° 3- 4, 1993, p. 420-421.

274

S. Bahuchet, « L’invention des Pygmées », Cahiers d’Etudes Africaines, Vol. 33, Cahier 129, 1993, p. 172.

275

185 envers les Pygmées, les Batwa, se sont superposées. Les Européens qui ont visité, commenté ou dirigé le pays ont considéré cette population comme à part. Quant aux Burundais, une partie non négligeable d’entre eux continuent de les mépriser ou d’en avoir peur.

3. La mise en scène des Pygmées, bêtes de foire et « race »