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Historique et discussion

4.1 Le contexte

4.1.1 Historique et discussion

La m´ecanique quantique est non d´eterministe, dans le sens o`u elle ne peut pas pr´edire avec certitude le r´esultat d’une mesure. Elle ne peut pr´edire que les probabilit´es des r´esul- tats d’une mesure (postulat de la m´ecanique quantique concernant la mesure, cf. section 2.1). Cela conduit `a une situation o`u la mesure d’une certaine propri´et´e sur deux syst`emes formellement identiques peut conduire `a deux r´esultats diff´erents. La question se pose in- ´evitablement de savoir s’il peut exister un niveau de r´ealit´e plus profond, qui pourrait ˆetre formalis´e par une th´eorie plus fondamentale que la m´ecanique quantique, et pourrait pr´edire avec certitude le r´esultat de la mesure.

Max Born publia en 1926 deux articles [AE88] proposant l’interpr´etation du carr´e du coefficient complexe d’un ´etat comme ´etant la probabilit´e de mesurer cet ´etat. Selon cette interpr´etation, il fallait accepter qu’un param`etre physique ne poss`ede pas une valeur d´etermin´ee avant qu’il ne soit mesur´e. Cela marqua le point de d´epart d’une opposition `a cette interpr´etation, principalement men´ee par Albert Einstein, Erwin Schr¨odinger et Louis de Broglie. Ces physiciens ´etaient attach´es `a une vision dite r´ealiste de la physique, selon laquelle la physique se doit de d´ecrire le comportement d’entit´es physiques r´eelles, et non se contenter de pr´edire des r´esultats. Dans ce cadre, accepter un ind´eterminisme fondamental est difficile, ce que Einstein a traduit par sa c´el`ebre phrase : « Dieu ne joue

pas aux d´es » [AE88].

Environ dix ans plus tard, dans un des articles les plus cit´es du vingti`eme si`ecle [EPR35], Einstein, Podolsky et Rosen s’interrogent sur la compl´etude de la th´eorie quan- tique et r´epondent par la n´egative, ouvrant ainsi la voie aux th´eories dites `a variables

cach´ees : « dans une th´eorie compl`ete [EPR35], il y a un ´el´ement correspondant `a chaque ´el´ement de r´ealit´e. Une condition suffisante pour la r´ealit´e d’une quantit´e physique est la possibilit´e de la pr´edire avec certitude, sans perturber le syst`eme. En m´ecanique quan- tique, pour deux quantit´es physiques d´ecrites par des op´erateurs qui ne commutent pas, la connaissance de l’une exclut la connaissance de l’autre. Alors soit la description de la r´ealit´e de la fonction d’onde en m´ecanique quantique n’est pas compl`ete (1), soit ces deux quantit´es n’ont pas de r´ealit´e simultan´ee (2). R´ealiser des pr´edictions pour un syst`eme, sur la base de mesures faites pour un autre syst`eme ayant interagi auparavant, conduit au r´esultat que si (1) est faux, alors (2) est faux. On doit donc en conclure que la description donn´ee par la fonction d’onde est incompl`ete ».

la balance en faveur de la m´ecanique quantique, est celle de John Bell avec ses fameux no-

go th´eor`emes [Bel66], connus ´egalement sous le nom d’in´egalit´es de Bell [CN00]. C’est en

1964 que John Bell ´etablit ses c´el`ebres in´egalit´es, in´egalit´es qui doivent ˆetre v´erifi´ees si des variables cach´ees - au sens d´efini par Einstein - existent, et viol´ees si elles n’existent pas. Les exp´eriences visant `a v´erifier les in´egalit´es de Bell purent ˆetre men´ees au d´ebut des ann´ees 1980 par Alain Aspect et al [AGR82], [ADR82], et aboutirent `a une violation des in´egalit´es, invalidant la possibilit´e d’existence de variables cach´ees au sens d´efini par Einstein (c’est- `a-dire des variables dites locales, respectant le principe de causalit´e, principe qui stipule que si un ph´enom`ene (nomm´e cause) produit un autre ph´enom`ene (nomm´e effet), alors l’effet ne peut pas pr´ec´eder la cause).

Une autre contribution, datant de 1967, longtemps laiss´ee aux oubliettes car tr`es com- plexe `a appr´ehender, connue sous le nom du th´eor`eme de Kochen et Specker ([KS67], [Mer93]), que l’on notera (KS), a refait surface bien plus tard, en 1993, grˆace `a Peres et Mermin qui ont simplifi´e consid´erablement le probl`eme [Mer93].

Le th´eor`eme (KS) d´emontre que toute th´eorie `a variables cach´ees rendant compte des r´esultats des exp´eriences de physique quantique est contextualiste, c’est-`a-dire que les valeurs mesur´ees des param`etres physiques d´ependent n´ecessairement du contexte exp´eri- mental, et non des entit´es physiques seules. Ce th´eor`eme porte un autre coup `a la vision r´ealiste d’Einstein, qui supposait que chaque entit´e physique a une existence objective, ind´ependante de son environnement et de l’observation. Cela revient `a dire qu’il est im- possible d’attribuer aux observables d´ecrivant un syst`eme individuel quantique une valeur d´efinie, lorsque celles-ci ne commutent pas (cf. section 2.1, ´equation 2.5).

En bref, le th´eor`eme (KS) d´emontre que les mesures ne r´ev`elent pas des valeurs pr´e- existantes. Toute th´eorie d´eterministe qui pr´etend assigner un r´esultat d´efini `a chaque mesure quantique, et conforme aux r´esultats statistiques de la th´eorie quantique, doit n´ecessairement ˆetre contextuelle : elle d´epend de l’endroit o`u se trouve l’observateur, du type d’appareil de mesure.

Toutefois, ce th´eor`eme ne met pas tout `a fait un terme aux espoirs d’une certaine forme de r´ealisme (toutefois assez ´eloign´e du r´ealisme classique selon Einstein) car il est toujours possible d’imaginer que l’entit´e « r´eelle » - poss´edant toutes les caract´eristiques d´eterminant le r´esultat de la mesure - ne soit plus constitu´ee des particules seules, mais des particules ET leur contexte, globalement (ce qui est envisageable dans le cadre de variables cach´ees non locales). Cette forme de r´ealisme est parfois nomm´ee ontologie contextuelle [Str08].

En 2003, Anthony Leggett ´etablit des in´egalit´es [Leg03], semblables `a celles de Bell, qui doivent ˆetre v´erifi´ees par toute th´eorie `a variables cach´ees non locales v´erifiant certains

pr´e-requis raisonnables. La violation de ces in´egalit´es rendraient donc un ensemble im- portant de th´eories `a variables cach´ees, mais cette fois-ci non locales, incompatibles avec l’exp´erience.

En 2007, Anton Zeilinger r´eussit `a tester ces in´egalit´es [GPK+07], qui s’av`erent viol´ees.

Ainsi semble-t-il difficile de maintenir des th´eories `a variables cach´ees, locales ou non, car les hypoth`eses retenues par Legget pour bˆatir le mod`ele aboutissant `a ses in´egalit´es sont raisonnables [Leg03]. Toutefois, selon Alain Aspect [Asp07], la violation av´er´ee des in´egalit´es de Legett ne remet pas en cause le mod`ele `a variables cach´ees non locales de Bohm.

En ce qui concerne cette derni`ere th´eorie, elle est remise en cause [Sua07] non par les in´egalit´es de Leggett, mais notamment par un type d’exp´eriences, nomm´ee before-

before experiment, effectu´ees en 2002 [SZGS02], qui mettent en jeu un dispositif du genre

exp´erience d’Aspect, mais avec des polariseurs en mouvement.

Ces r´esultats - encore r´ecents - doivent ˆetre pris avec prudence, mais peu de physiciens doutent de la validit´e de ces r´esultats exp´erimentaux. Dans l’´etat actuel des choses, mˆeme l’ontologie contextuelle devient difficile `a d´efendre en l’absence de variables cach´ees non- locales, et il semble (en tout cas telle est la conclusion de Zeilinger et de son ´equipe) qu’il faille abandonner toute forme de r´ealisme, dans le sens o`u le r´esultat d’une mesure quantique ne d´epend pas (enti`erement) des propri´et´es objectives du syst`eme quantique mesur´e.

Ce d´ebat quelque peu ´esot´erique, mais primordial si on veut tenter de comprendre une th´eorie (et non pas seulement appliquer ses postulats comme les r`egles d’un jeu), `a pro- pos de la d´efinition de la r´ealit´e physique, s’est mu´e en une argumentation math´ematique non triviale qui illustre la nature parfois ambigu¨e des rapports entre math´ematiques et physique. De plus, du point de vue de l’informatique quantique, c’est l’un des apanages du scientifique qui s’int´eresse `a cette discipline que d’explorer diff´erents formalismes, diff´e- rents mod`eles, pour arriver `a de nouvelles constructions algorithmiques. L’alg`ebre, avec ces structures, en l’occurrence plus particuli`erement ses groupes, corps et anneaux de Galois, est une vision qui peut se r´ev´eler int´eressante.

Par ailleurs, mˆeme si les th´eor`emes de Bell et le th´eor`eme (KS) sont de tr`es bons arguments, le d´ebat est-il pour autant clos ? C’est l`a ce que Michel Planat a voulu explorer, comme on va le voir dans la suite des ´ev´enements. Il montre entre autre que ces notions de non d´eterminisme et de non pr´ediction en physique quantique ont une structure de corps et d’anneaux de Galois sous-jacente, [LN97], [Con], pour finalement ´evoluer vers une formulation math´ematique de la compl´ementarit´e quantique. Deux observables sont dites compl´ementaires (cf. section 4.3) si une connaissance pr´ecise de l’une implique que les valeurs possibles, issues de mesures sur l’autre observable, ont la mˆeme probabilit´e d’ˆetre obtenues (sont ´egalement incertaines).

4.1.2 Le th´eor`eme de Kochen et Specker et les travaux de Peres et