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D’un point de vue historique, ces trois catégories ont été construites et analysées de manière plus ou moins distincte, ce qui a isolé des aspects fondamentaux de compréhension de

182

Ibid., p. 33.

183

B

ERENI

L.,C

HAUVIN

S.,J

AUNAIT

A.,R

EVILLARD

A., Introduction aux gender studies. Manuel des études sur le

genre, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 192.

184

Ibid., p. 195.

185

leur articulation et de leur interdépendance. Avant de questionner leur simultanéité dans le

contexte du VL du CAI, quelques définitions situées s’imposent. Il est tout d’abord important

de signaler que nous ne considérons pas les termes « sexe »/« genre », « race » et « classe »

comme des objets substantiels, indépendants en soit, mais comme des formations historiques

qui ne préexistent pas hors des rapports sociaux qui en sont à l’origine. Ainsi, lorsque par

commodité de langage, nous employons les catégories « sexe », « race » et « classe », nous

désignons des rapports sociaux asymétriques qui produisent des sexes, des races et des classes.

C’est plus précisément à l’endroit de l’articulation de ces rapports sociaux que nous

interrogeons le VL du CAI.

2.1.3 De l’analogie à l’articulation du Sexe/Genre, de la « Race » et de la

Classe

Dans les années 1970, sous l’impulsion du féminisme matérialiste, de nombreux travaux

vont établir une analogie entre le sexe/genre et la classe. Ce rapprochement est une

mobilisation conceptuelle majeure influencée par la théorie marxiste qui définit l’appartenance

à une classe sociale par la position occupée dans les rapports sociaux dans le système de

production capitaliste. Selon cette approche, une classe sociale n’existe que dans un rapport

social. Ce dernier étant un instrument à la fois scientifique et politique de mise en visibilité des

inégalités sociales, des processus de hiérarchisation, des rapports d’exploitation et des

conflictualités autant que de leur possible remise en question. Dans ce cadre les travaux d’un

grand nombre de chercheures féministes – C. Delphy, N-C. Mathieu, C. Guillaumin, etc. –

vont conduire à universaliser le genre en considérant les femmes comme une classe de par la

position qu’elles occupent dans le système de production capitaliste et patriarcal en s’appuyant

sur l’analyse du patriarcat, de la division sexuelle du travail et de l’économie familiale. À partir

de là, le sexe/genre est considéré comme un rapport social historique parmi d’autres rapports de

pouvoir. Ces travaux ont permis de souligner la réversibilité et l’intrication des marqueurs de

classe et de genre, à interpréter selon la position occupée par les individus dans l’espace social :

« un marqueur de classe peut être compris comme un code de genre et un code de genre

comme un marqueur de classe »

186

. Ils ont par ailleurs autorisé à abandonner l’idée d’une

« pure » domination subie par les individus qui serait uniquement à imputer au registre de la

classe. De plus, prenant acte des diverses stratégies de résistances – notamment à travers

l’émergence des mouvements sociaux

187

– ces apports du féminisme matérialiste ont constitué

une sorte de « point de départ » à la mise en visibilité de la « race » et du sexe/genre comme

lieux possibles de l’expérience de la classe, pour ensuite remettre en cause le fait que tout

puisse être expliqué à partir de ces mêmes rapports de classe. Témoignant de la nécessité à

re-placer les acteur-trice-s et leurs expériences diverses et parfois paradoxales au centre des

réflexions et des débats, nous devons à ces travaux fondateurs d’avoir conduit à engager la

réflexion d’une grille de lecture multidimensionnelle des rapports de pouvoir. Dès lors, les

inégalités matérielles ne sont plus uniquement considérées comme devant être affectées au

registre de la classe car le sexisme et le racisme – qui instituent des processus de hiérarchisation

sur une base anatomique (à partir du sexe, de la couleur de la peau, etc.) et/ou culturelle (à

partir de la langue, de la religion, etc.) – concrétisent simultanément un accès différencié aux

ressources matérielles, aux espaces de pouvoir et à la production des savoirs

188

.

2.1.4 Le sexe, le genre et la « race » : de l’anatomie à l’analogie

Le vocable « sexe » renvoie usuellement à trois « objets » rappelés par E. Dorlin en

introduction de son ouvrage Sexe, genre et sexualité

189

:

•Le sexe biologique. Celui-ci est généralement défini et discuté selon de deux

modalités catégorielles que sont le « sexe femelle » et/ou le « sexe mâle ».

•Le genre, à savoir les rôles sexuels, sexués et différenciés assignés, souvent censés

refléter ou correspondre aux sexes biologiques.

•La sexualité, qui renvoie au « fait d’avoir une sexualité, d’ « avoir » ou de « faire »

du sexe ».

Comme le rappelle la philosophe

190

, l’appréhension anatomique du « sexe » ne peut se

limiter à elle-même car il y a toujours « déjà », dans ce que nous percevons généralement

comme le « sexe biologique », l’empreinte d’une « gestion » sociale et politique de la

reproduction, donc du genre et de la sexualité assignés. Les catégories sexe et genre sont des

constructions sociales et politiques que nous ne pouvons saisir par le biais de la nature, de la

« culture » – entendue comme homogène – ou encore à partir de l’être, mais bien à travers les

187

K

ERGOAT

D (dans.) Dorlin E. (dir.), op.cit., 2009. p. 116.

188

Cf. P

ALOMARES

E.,T

ESTENOIRE

A., « Indissociables et irréductibles : les rapports sociaux de genre, ethniques

et de classe », L’Homme et la société, 2010/2, n° 176-177, p. 16.

189

D

ORLIN

E., op.cit., 2008, p. 5.

relations, les pratiques et les rapports sociaux. Lesquels rapports sociaux réaffirment les

catégories de femme et d’homme. Ainsi, dans le cadre de notre démarche, le sexe anatomique

n’a pas le statut de « réel incontournable »

191

. À partir de là, il ne s’agit pas d’employer la

notion de genre comme instrument de dénaturalisation du sexe. Nous ne considérons pas le

sexe comme un principe premier masquant les rapports sociaux par son « évidence », ce qui le

dispenserait de tout examen heuristique. Autrement dit, « le genre précède le sexe »

192

et « le

sexe est toujours déjà du genre »

193

. Dans cette perspective, le genre – comme le sexe –

désignent des construits historiques, produits des rapports sociaux. Ils renvoient aux processus

de fabrication, d’institution et de légitimation des sexes ainsi qu’à l’ensemble des moyens

discursifs qui produisent « le sexe » naturel (et anatomique) comme fondement pré-discursif et

pré-politique sur lequel la société marque son empreinte après coup

194

. Si comme le souligne

E. Dorlin – citant J. Butler – le genre « construit le caractère fondamentalement non construit

du sexe »

195

, le corps sexué ne peut être tenu pour cause. Ce corps sexué est alors considéré

comme effet des rapports de domination inscrits dans l’hétérosexualité obligatoire, en tant

qu’elle est une grille de lecture, une manière de penser le monde à travers le prisme des

différences. Le genre est à la fois un instrument et un effet

196

, et comme le précise l’auteure « le

genre peut être défini comme un rapport de pouvoir qui assure sa reproduction en partie grâce

aux mutations du système catégoriel qu’il produit et sur lequel il s’adosse »

197

. Aussi, c’est ce

système catégoriel produit et/ou reproduit que nous interrogeons dans le contexte de la mise en

fonctionnement du VL du CAI. En somme, il n’y a pas de « sexe », comme il n’y a pas

d’« immigré-e » en dehors des processus de différenciation, de catégorisation et de

hiérarchisation qui « créent » ces catégories comme a priori ontologiques et constitutives. Or,

comme le rappelle M. Wittig en évoquant la censure que produit l’idéologie de la différence :

« Le primat de la différence est tellement constitutif de notre pensée qu’il l’empêche

d’opérer le retournement sur elle-même nécessaire à sa mise en question pour en

appréhender précisément le fondement constitutif »

198

.

Ces catégories différenciées n’existent pas avant et hors des « réalités » politiques,

socio-économiques et idéologiques qui les ont fabriquées et qu’elles influent à leur tour. Avant

191

Ibid., p. 40.

192

D

ELPHY

C., L’ennemi principal, tome 2 : Penser le Genre, Paris, Syllepse, 2001, p. 251.

193

B

UTLER

J., op.cit., 2006, p. 69.

194

Ibid.

195

D

ORLIN

E., op.cit., 2008, p. 116.

196

Ibid., p. 118.

197

Ibid., p. 54.

d’identifier des personnes comme femme, homme, immigré-e, signataire, etc., il a été

nécessaire de les fabriquer. Cette construction s’établit par le biais de processus de

différenciation et de hiérarchisation et des rapports de pouvoir qui en résultent. Ces rapports de

pouvoir ne peuvent être conceptualisés de manière mathématique car cela supposerait leur

« addition », ce qui suppose tel que le rappelle E. Dorlin que :

« Une fois le racisme éradiqué, par exemple, les femmes noires « n’auraient plus qu’à »

supporter le sexisme. Or, on sait que les femmes racialisées ne subissent pas une

oppression raciste – qu’elles partageraient avec les hommes racialisés –, en plus d’une

oppression sexiste – qu’elle partageraient avec les femmes « tout court », i.e

« blanches » »

199

.

Partant de là, il convient davantage de penser les rapport de pouvoir et/ou de domination en

termes de « compatibilité » des oppressions plutôt qu’en termes de « comptabilité » de ces

dernières. En effet le système sexiste et le système raciste ont en commun l’assignation des

groupes sociaux à une place sociale – selon des processus qui essentialisent et/ou naturalisent –

en les constituant. Ces deux systèmes se combinent dans un même temps et un même espace

pour les individus. Comme le souligne C. Delphy au sujet de la concomitance du sexisme et du

racisme : « Il n’existe pas de panneau annonçant : ici vous quittez le système patriarcal pour

entrer dans le système raciste »

200

. Aussi, une telle proposition préfigure la simultanéité des

rapports de pouvoir et amène à une question cruciale qui se pose autant dans le cadre des

mouvements féministes qu’au niveau de la recherche sur le genre aujourd’hui. Ces

questionnements et contradictions, notamment soulevés ces dix dernières années par plusieurs

sujets d’actualité tels que l’« affaire du voile », les statistiques ethniques ou encore la « crise

des banlieues » ont été le lieu d’interrogations sur une « impression » vécue de devoir faire un

choix entre l’anti-sexisme et l’anti-racisme. Or, comme le souligne C. Delphy, ainsi qu’un

grand nombre de chercheur-e-s et de militant-e-s féministes, ce choix n’est pensable que dans

la mesure où il est considéré que ces deux phénomènes – le sexisme et le racisme – concernent

deux groupes distincts. Dans une telle perspective, il y aurait une sorte d’adhésion commune au

postulat que les hommes sont des victimes prototypiques du racisme, tandis que les femmes

seraient, elles, des victimes prototypiques du sexisme

201

. Outre, l’impossibilité empirique d’une

telle proposition, cette mise en balance binaire implique également un dilemme à l’intérieur des

groupes qu’elle vise : l’amélioration des conditions de vie des femmes d’un groupe peut se

199

D

ORLIN

E., op.cit., 2008, pp. 83-84.

200

D

ELPHY

C., Classer, dominer : qui sont les « autres » ? Paris, La fabrique, 2008, p. 212.

201

traduire par la répression des hommes de « ce même groupe », en témoigne l’injonction faite

aux femmes de quitter leurs quartiers et les hommes de leur groupe pour s’ « émanciper », dans

le cadre des débats portant sur « la crise des banlieues ». Cette logique sélective

202

qui consiste

à considérer ces hommes comme « à part », peut amener à passer par une mesure raciste –

puisqu’elle ne concerne qu’une catégorie d’hommes – pour améliorer le sort des femmes de ce

même groupe et ce, en omettant le fait que ces dernières font partie également du groupe racisé

en question et que, dans ce cas, appliquer une mesure raciste – même si elle est anti-sexiste –

est une mesure contre elles. Comme le précise C. Delphy : « le racisme construit certes deux

groupes de « race », mais chacun comporte deux « genres » ; et le système de genre construit

bien deux groupes de « genre », mais chacun comporte deux « races » »

203

.

Prenant la mesure des polémiques qui entourent la notion de « race », il convient de