rendre compte, au-delà de faits constitués, de faits situés, faits de pratiques contextualisées,
parfois contraignantes, voire paradoxales. Ainsi, cette phase d’observation reposait sur un
positionnement scientifique acquis, sur une vague idée située et des idées profanes par rapport à
nos questionnements de recherche. En somme, une certaine expérience du terrain, articulée et
orientée par l’appropriation des préalables méthodologiques et théoriques nécessaires à ce
travail de recherche m’ont permis d’orienter et de mener ces observations directes. Tout en
veillant à minimiser notre intervention dans le déroulement ordinaire des activités observées,
l’objectif attendu par cette méthode était d’être sur place, de côtoyer le personnel de formation
et les stagiaires-apprenant-e-s, d’observer/écouter les interactions, de répertorier certaines
activités et/ou changements éventuels et visibles dans le déroulement des activités,
d’inventorier les objets liés aux lieux et aux échanges (supports de cours, documents
administratifs, etc.) et de prendre note des observations en vue d’en rendre compte à l’occasion
d’un premier compte-rendu de terrain. À cet effet, la tenue d’un journal de bord des
observations a été d’une grande utilité. Il nous a tout particulièrement permis d’établir des
proximités et des compatibilités productrices de sens, interrogées à leur tour à l’occasion des
entretiens semi-directifs. Ce dernier a également permis de consigner des contradictions
effectives et non simplement formelles liées au travail (et à la division du travail) entres les
différentes catégories de personnes impliquées dans les actions observées
338, des savoirs et des
références identificatoires mobilisées par les enseignantes et les stagiaires ainsi que des
significations données aux actions effectuées. La tenue de ce journal de bord nous a enfin
permis de relever et de retenir des conjonctures variables, et parfois paradoxales d’une
personne à l’autre, selon diverses modalités (sexe, âge, statut, etc.).
Cette méthode d’enquête ne m’a certes pas permis d’échapper au « paradoxe de
l’observation »
339. En effet, j’étais extérieure au milieu de l’enseignement des langues, donc
extérieure, dans une certaine mesure, aux situations et aux pratiques observées. Si ma présence
n’a pas toujours été considérée comme allant de soi pour les enseignantes, du moins au début
338
Cf. P
ERETZH., Les méthodes en sociologie. L’observation, Paris, La Découverte, 2004, p. 22.
339
Paradoxe que Ph. Blanchet nomme plus exactement le « paradoxe de l’observateur ». Cf. B
LANCHETP
H.,
« L’observation participante », op.cit., 2011, p. 74.
de la phase d’observation, elle l’est encore moins pour les stagiaires. À cet égard, je veille
régulièrement, aux débuts des cours, lorsque j’arrive dans un nouveau groupe ou lorsque des
stagiaires intègrent la formation, à me présenter et à expliciter les objectifs de ma présence.
Malgré cela, cette présence n’est pas toujours comprise par des stagiaires. Ces dernier-ère-s
m’interpellent régulièrement pendant les cours pour me demander si leurs phrases sont bien
construites, si « c’est comme ça qu’on dit ». On me questionne également par rapport à mon
statut. Des stagiaires me demandent régulièrement si je suis une nouvelle « formatrice », ou
encore si je suis une inspectrice de l’OFII, chargée de contrôler l’assiduité des stagiaires lors
des FL CAI, d’autant plus à partir de 2010 lorsque le critère d’assiduité est renforcé.
Simultanément, mon extériorité par rapport à l’enjeu que constitue l’enseignement des langues
– et non dans la situation d’observation – a eu des avantages certains durant les enquêtes de
terrain. En effet, l’aveu d’une certaine méconnaissance du milieu de l’enseignement du FLE et
ma présentation en tant que chercheure de formation sociologique m’a semblé faciliter mon
contact avec les enseignantes qui se considéraient peut-être moins épiées et/ou jugées par
rapport à leurs activités d’enseignement. Cela m’a visiblement permis d’occuper un rôle social
« rassurant » durant les situations d’observation, c’est du moins ce que me confieront deux
enseignantes à l’occasion de la phase d’observation, puis durant les entretiens, soulignant que
les questions posées n’étaient pas spécifiquement en lien avec des interrogations d’ordre
didactique ou directement liées aux activités d’enseignement. De même, à cette époque, lorsque
j’explique ma recherche et que j’en évoque le genre comme thématique, je m’aperçois souvent
qu’une majorité de mes interlocuteur-trice-s associent le vocable genre au rôle des femmes
dans la transmission des langues et/ou à l’appropriation différenciée du français dans le cadre
du dispositif CAI. N’ayant pas une problématique de recherche arrêtée et craignant de me voir
fermer les portes de l’investigation, je choisissais souvent de maintenir ce flou, néanmoins
porteur de sens. En effet, je le considérais révélateur d’un implicite sur le genre, notamment en
rapport avec la manière dont ce champ de recherche pouvait être abordé au niveau politique,
médiatique et parfois scientifique. Ainsi, ce que je considérais comme une sorte d’extériorité
et/ou de non spécialisation par rapport aux situations et pratiques observées s’est traduit par une
forme de « méta-position » sur le terrain d’enquête. Celle-ci m’imposait une prise en compte
croisée des paramètres et des situations qui se présentaient à moi et ce, dès la phase
exploratoire des enquêtes de terrain, en particulier lors des observations qui ont concerné les
ASL et les plateformes d’orientation de la demande de l’apprentissage linguistique.
2.5.2 Enquête exploratoire : observation directe dans le cadre des ASL et des
plateformes d’orientation de la demande de l’apprentissage linguistique
Langue & Communication est une association loi 1901, créée en 1984 et agréée au titre de
la formation continue. Membre du Comité de Liaison pour la Promotion des migrants et des
publics en difficulté d’insertion (CLP), Langue & Communication a pour mission
l’enseignement du français auprès de personnes étrangères à Rennes. Dans ce cadre, en tant que
structure porteuse, cette association est notamment chargée de la mise en place des Ateliers de
savoirs Sociolinguistiques (ASL). Au moment de nos enquêtes de terrain, elle conduit
également les plateformes d’orientation de la demande de FL, un dispositif issu d’une
démarche entamée en 2007-2008 et dont le but était de recenser, sur le territoire de
Rennes-Métropole, les offres d’apprentissage du français destinés au public étranger.
L’objectif général des actions ASL est de partir de la demande et des besoins exprimés par
des participant-e-s-/apprenant-e-s dans le but leur faire acquérir des compétences sociales en
communication liées à leurs besoins de mobilité, à leurs questionnements dans les domaines de
la vie personnelle et de la vie publique. Ce dispositif est destiné aux immigré-e-s adultes,
principalement aux femmes
340. Partant d’une démarche contextualisée et interactive, ces
ateliers proposent un accompagnement ciblé pour l’acquisition de compétences linguistiques
liées à des savoir-faire sociaux, par le biais d’activités dites polyvalentes. L’objectif
opérationnel exprimé est de favoriser l’autonomie et l’exercice des responsabilités sociales. Cet
objectif s’inscrit dans le cadre d’une dynamique territoriale de proximité. Le principe de mise
en place des ASL nécessite une structure porteuse, un espace social ou culturel d’accueil des
ateliers et des participant-e-s/apprenant-e-s. Une convention-cadre existant entre le PREFics et
Langue & Communication m’a permis d’entamer une première phase d’observation directe
« non-participante » que je considère aujourd’hui comme une phase d’enquête exploratoire.
Celle-ci m’a permis d’observer le fonctionnement des ASL et des plateformes d’orientation de
la demande de FL. Les observations directes « non-participantes » se sont déroulées à Rennes,
sur les sites et quartiers de Maurepas et de Cleunay.
Les observations dans le cadre des ASL se sont déroulées dans le courant du mois de
novembre 2009. À cette occasion, j’ai assisté à quatre ASL les 05, 09, 19 et 26 novembre 2009.
340
Je fais ce constat dès mon arrivée sur le terrain d’observation. Je n’ai rencontré qu’un homme participant à ces
ateliers durant mes observations dans le cadre des ASL. Je l’ai revu quelques mois plus tard lors d’un cours CAI
préparant au DILF, au cours duquel il m’explique qu’il participait aux ASL en attendant d’être convoqué par
l’OFII pour intégrer une FL CAI au CLPS. Interrogeant une enseignante sur le lien éventuel qu’il pouvait y avoir
entre les horaires des ASL (de 16h à 18h) et ce constat – dans la mesure où de tels horaires pouvaient être un frein
à la participation des apprenant-e-s salarié-e-s, l’enseignante me répond que, selon elle, les horaires ne peuvent pas
expliquer à eux seuls un tel fait. Elle ajoute avoir constaté, à plusieurs reprises, que des hommes qui avaient
participé aux ASL une ou deux fois, à ces heures là, ne revenaient pas : « peut-être parce qu’il y a une majorité de
femmes ».
Les ASL se déroulent tous les jeudi après-midi de 14h à 16h, dans la maison de quartier de
Maurepas à Rennes. La salle où se déroulent les séances est divisée en deux espaces de travail,
non séparés matériellement. Chaque espace rassemble un groupe de niveau de compétences en
français pris en charge par une enseignante. Une quinzaine d’apprenant-e-s, essentiellement des
femmes, sont ainsi réparti-e-s entre ces deux groupes.
Les sessions expérimentales de la plateforme d’orientation de la demande d’apprentissage
Dans le document
Contractualisation des rapports sociaux : le volet linguistique du contrat d'accueil et d'intégration au prisme du genre
(Page 147-150)