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Histoire cinématique de l’Ibérie à partir du Mésozoïque et formation des Pyrénées des Pyrénées

Chapitre 2 Structure et évolution pré-orogénique Structure et évolution pré-orogénique

IV) Histoire cinématique de l’Ibérie à partir du Mésozoïque et formation des Pyrénées des Pyrénées

La position de la plaque ibérique par rapport à l’Europe et son mouvement au cours du Jurassique et du Crétacé Inférieur sont encore largement débattus d’où l’existence de nombreux modèles de reconstructions cinématiques (Choukroune et al., 1973 ; Srivastava et

al., 1990 ; Choukroune, 1992 ; Olivet, 1996 ; Sibuet et al., 2004 ; Jammes et al., 2009 ; Handy et al., 2010). Cela s’explique principalement par des problèmes méthodologiques.

C’est le cas, par exemple, des reconstructions fondées sur l’observation/interprétation des linéations magnétiques qui se forment sur le fond océanique. Tout d’abord, il existe une période de calme magnétique allant de l’anomalie M0 (118 Ma) à l’anomalie A34 (84 Ma) pendant laquelle aucune inversion magnétique n’est enregistrée sur le fond océanique au large de l’Ibérie et dans le Golfe de Gascogne (Cretaceous Normal Superchron, Fig. 2-33). Le mouvement de l’Ibérie ne peut donc pas être caractérisé pour cette période. De plus, certaines anomalies sont mal définies et sont à l’origine de différences d’interprétations, sur la nature de l’anomalie M0 par exemple (Srivastava et al., 1990 ; Olivet, 1996 ; Srivastava et al., 2000 ;

Sibuet et al., 2004, 2007). Une approche alternative consiste à utiliser le paléomagnétisme

rémanent des roches pour identifier la position des différents blocs tectoniques par rapport aux pôles magnétiques (Van der Voo, 1969 : Platzman et Lowrie, 1992 ; Moreau et al., 1997 ;

Gong et al., 2008, 2009a) mais là encore, cette méthode connaît un biais du fait de la faible

intensité des résidus magnétiques et de la remagnétisation possible de certains échantillons (Moreau et al., 1992 ; Dinarès-Turell et García-Senz, 2000 ; Gong et al., 2009b). La rotation de l’Ibérie est donc mal contrainte et les modèles cinématiques diffèrent notamment sur le fait que cette rotation ait eu lieu en une seule fois (Gong et al., 2008, 2009a), ou bien en deux phases successives (Galdeano et al., 1989). Malgré ces désaccords, ces modèles s’entendent sur une rotation antihoraire totale de l’Ibérie de l’ordre de ~35° (Fig. 2-34).

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Figure 2-33 : Les anomalies magnétiques sont identifiées sur le plancher océanique au large de l’Ibérie (modifié d’après Roest et Srivastava, 1991). On remarque une période de calme magnétique (Cretaceous Normal Superchron) où aucune inversion magnétique n’est marquée entre les anomalies M0 (~118 Ma) et A34 (~84 Ma). KT : King’s Trough ; ABR : Azores-Biscay Rise ; NST : North Spanish Trough.

Figure 2-34 : Reconstitution du mouvement de l’Ibérie et de l’Afrique par rapport à l’Eurasie fixe en utilisant les pôles de rotation donnés par Olivet (1996) du Trias supérieur au Miocène.

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Parmi tous les modèles de reconstructions cinématiques, on peut en identifier trois principaux qui diffèrent notamment sur la position du ou des centres de rotations, sur les quantités d’extension et de raccourcissement, et sur la chronologie de ces différents événements.

Le premier modèle (Fig. 2-35A) se base principalement sur les observations géologiques et interprète les bassins Nord-pyrénéens comme des bassins « pull-apart » accommodant une extension en décrochement sénestre le long de la faille Nord-pyrénéenne (FNP) de l’Albien au Cénomanien (Le Pichon et al., 1970 ; Choukroune et Mattauer, 1978 ; Olivet, 1996). Ce modèle n’est cependant pas cohérent avec les données magnétiques car il est fondé sur une corrélation partielle de l’anomalie M0, impliquant un angle de rotation de l’Ibérie inférieur à 35°.

Le second modèle (Fig. 2-35B) suppose une corrélation parfaite avec les données paléomagnétiques offshore et notamment pour l’anomalie M0 (118 Ma) (Srivastava et al,

2000 ; Sibuet et al., 2004, 2007 ; Vissers et Meijer, 2012a, b). Il propose une ouverture du

Golfe de Gascogne en ciseau, respectant une rotation du bloc Ibérie de ~35°. Ce modèle considère un épisode de convergence durant l’Albien associé à la subduction vers le Nord de la Néo-Téthys sous le domaine pyrénéen. Dans ce contexte, les bassins Nord-pyrénéens sont des bassins de type arrière-arc dont l’ouverture est liée au détachement d’une partie du slab provoquant également un pulse thermique responsable du métamorphisme, et du magmatisme qui a affecté la Zone Nord-Pyrénéenne (ZNP).

Un troisième modèle intermédiaire (Fig. 2-35C) se fonde sur des observations géologiques et sur une meilleure prise en compte des processus d’extension (Jammes et al., 2009, 2010c). Dans ce modèle, l’extension est polyphasée et commence à la fin du Jurassique par un jeu décrochant sénestre, suivi à partir de l’Albien par une ouverture du Golfe de Gascogne en ciseau permettant la rotation du bloc Ibérie par rapport à l’Europe et l’exhumation du manteau en réponse au break-up de la croûte. La présence à l’affleurement de roches du manteau lithosphérique ainsi que l’occurrence d’un pulse thermique dans le domaine pyrénéen s’expliqueraient donc par l’amincissement extrême du domaine continental Nord-ibérique à l’Albien, comme illustré sur la figure 2-36 (Tugend et al., 2014).

Les différences entre ces reconstructions cinématiques et notamment la position des pôles de rotation, les quantités de raccourcissement, sont détaillées en Annexe 1.

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Figure 2-35 : Différentes hypothèses de reconstruction du mouvement de l’Ibérie par rapport à l’Europe fixe entre 118 Ma (anomalie M0) et 80 Ma (anomalie A33) modifié d’après (A) Olivet (1996), (B) Sibuet et al. (2004) et (C) Jammes et al. (2009), et repris dans Mouthereau et al. (2014).

La convergence Ibérie - Europe, en accord avec l’arrêt de l’accrétion océanique dans le Golfe de Gascogne et les premières contraintes compressives observées dans les Pyrénées, commence il y a ~84 Ma (Puigdefabrégas et Souquet, 1986 ; de Jong, 1990), ce qui coïncide

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avec l’apparition de l’anomalie magnétique A34. La convergence maximale totale accommodée dépend cependant du modèle considéré, et varie entre 100 km (Olivet et al.,

1984 ; Olivet, 1996) et 400 km (Sibuet et al., 2004, Vissers et Meijer, 2012a, b). De plus, les

reconstructions montrent une augmentation de la convergence vers l’Est de la chaîne (Rosenbaum et al., 2002, Fig. 2-37).

Figure 2-36 : Reconstruction des domaines amincis au Nord de l’Ibérie à l’Albien, d’après Tugend et al., 2014. L’extension enregistrée dans le Golfe de Gascogne jusqu’au bassin de Parentis se propage dans le domaine Pyrénéen. Le domaine proximal correspond au domaine crustal le moins déformé. Le domaine distal, le plus étiré est divisé en un domaine crustal hyper-étiré et un domaine où le manteau est exhumé. On passe rapidement du domaine proximal au domaine distal par une zone d’étranglement, « necking zone ». CIZ : Central Iberian Zone ; WALZ : West-Asturian-Leonese Zone.

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Figure 2-37 : Variation de la quantité de convergence entre l’Est et l’Ouest de la chaîne depuis l’anomalie 34 (~84 Ma) d’après Rosenbaum et al. (2002).

On fait souvent l’hypothèse dans les chaînes de collisions, que la totalité de la convergence est accommodée en raccourcissement dans la chaîne et peut donc être estimée à partir de coupes reconstruites. Dans le cas des Pyrénées, ces reconstructions montrent également un accroissement d’Ouest en Est (Séguret et Daignières, 1986 ; Roure et al., 1989 ; Muñoz,

1992 ; Vergès et al., 1995 ; Teixell, 1998 ; Beaumont et al., 2000 ; Mouthereau et al., 2014 ;

Fig. 2-38).

Figure 2-38 : Quantités de raccourcissement calculées sur différents transects pyrénéens montrant une tendance croissante de l’Ouest vers l’Est (Filleaudeau, 2011).

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Cependant, plusieurs points importants mettent en doute cette équivalence convergence/raccourcissement. Tout d’abord, la quantité de raccourcissement estimée dans les Pyrénées par exemple, dépend fortement de la géométrie initiale de la marge considérée avant raccourcissement (Beaumont et al., 2000 ; Lagabrielle et al., 2010 ; Vissers et Meijer,

2012a) c’est-à-dire de la nature de la zone de suture (marge continentale hyper-amincie,

croûte océanique, faille transformante) et surtout de sa dimension (Fig. 2-39). Elle est d’ailleurs impossible à déterminer uniquement à partir des coupes reconstruites. De plus, la quantité de raccourcissement dépend aussi du style de déformation (thin ou thick-skin) et de la localisation (subduction)/distribution (accrétion crustale) de la déformation interplaque. Enfin, considérer que la totalité de la convergence entre l’Ibérie et l’Europe est accommodée dans la chaîne des Pyrénées revient à négliger totalement les déformations intraplaques. Par exemple, la chaîne Ibérique enregistre un raccourcissement de 38 km à 66 km pendant la convergence Ibérie-Europe (Guiméra et al., 2004).

Ainsi, pour un même transect, par exemple pour le profil ECORS, le taux de raccourcissement calculé peut varier fortement d’une étude à l’autre (Fig. 2-39).

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Figure 2-39 : Différentes reconstructions pré-convergence de la coupe ECORS (Crétacé Inférieur), modifiées d’après (A) Beaumont et al. (2000), (B) Lagabrielle et al. (2010) et (C) Vissers et Meijer (2012a).

Beaumont et al. (2000) proposent que la totalité de la convergence (165 km) soit accommodée

en raccourcissement dans la chaîne (Fig. 2-39A) par des chevauchements à vergence Sud dans la zone Sud-pyrénéenne (Sierra Marginales, Montsec et Boixols) et à vergence Nord dans la zone Nord-pyrénéenne (Chevauchement frontal Nord Pyrénéen, CFNP). La zone de suture enregistre un mouvement décrochant sénestre accommodé par la FNP.

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Cette quantité de raccourcissement sur ECORS semble néanmoins largement supérieure aux quantités de raccourcissement calculées à l’Ouest et à l’Est (Vergès et al., 1995 ; Teixell,

1998 ; Fig. 2-38). Elle dépend fortement de l’utilisation du puit Isona-1 au Sud des Pyrénées

dans lequel le Trias chevauche l’Eocène. Cependant, ce puit est positionné latéralement au profil ECORS à l’aplomb d’une rampe oblique. Etant oblique au raccourcissement Nord-Sud celui-ci exagère la quantité de raccourcissement déduite au travers de la chaîne. De plus, leur modèle ne prend pas en compte, ni le raccourcissement intra-plaque au niveau de la chaîne Ibérique (Guimerà et al., 2004), ni le raccourcissement accommodé par la partie distale de la marge.

Lagabrielle et al. (2010) considèrent la zone de suture comme étant une marge continentale

hyper-amincie où le manteau est exhumé sous le bassin d’Aulus le long de grands détachements plats qui accommodent l’extension du domaine Nord-pyrénéen (Fig. 2-39B). La dimension de ce domaine hyper-amincie n’est cependant pas contrainte.

Les modèles de Sibuet et al. (2004, 2007), de Srivastava et al. (2000) et de Vissers et Meijer

(2012a, b) considèrent un domaine océanique de ~300km qui sera subducté pendant la

convergence entre l’Ibérie et l’Europe (Fig. 2-39C). Néanmoins, en l’absence de marqueurs géologiques attestant d’une subduction majeure (prisme d’accrétion et magmatisme d’arc associé) à l’Albien et d’arguments géophysiques d’un slab océanique en profondeur (Souriau

et al., 2008 ; Chevrot et al., 2014), ces reconstructions semblent peu étayées.

Mouthereau et al. (2014) ont estimé que parmi les ~180 km de convergence accommodée

dans les Pyrénées, seuls 90 km correspondent au raccourcissement accommodé dans la marge proximale pyrénéenne depuis 70-75 Ma et qui peut être estimée par les coupes équilibrées (Fig. 2-40). Le reste de la convergence est accommodé à l’intérieur de l’Ibérie (40 km) et par sous charriage au niveau de la marge distale (50 km) qui correspond aujourd’hui à l’équivalent des bassins hyper-amincis de la Zone Nord-Pyrénéenne.

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Figure 2-40 : Compilation des taux de raccourcissement cumulés dans les Pyrénées selon plusieurs modèles cinématiques (Mouthereau et al., 2014).

La convergence Ibérie-Europe s’arrête au début du Miocène (anomalie 6c, Roest et

Srivastava, 1991), comme l’atteste les dernières déformations enregistrées dans la chaîne

(Vergès et al., 2002 ; Jolivet et al., 2007 ; Huyghe et al., 2009).