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Formation d’un prisme orogénique à double vergence et inversion d’une marge marge

Chapitre 1 De la marge passive à la chaîne de collision, De la marge passive à la chaîne de collision,

II) De l’amincissement à l’épaississement lithosphérique 1) Cycle de Wilson 1) Cycle de Wilson

3) Formation d’un prisme orogénique à double vergence et inversion d’une marge marge

a) Construction d’un prisme orogénique

L’accrétion de matériel continental dans les zones de convergence conduit à la formation d’un prisme d’accrétion sous-marin qui croît en un prisme orogénique lorsque celui-ci devient couplé avec les processus de surface. De nombreux modèles ont été proposés pour expliquer la topographie des prismes. Je présente quelques uns d’entre eux principalement du point de vue cinématique. L’ensemble de ces modèles tente de reproduire l’équilibre entre les forces de volumes qui tendent à effondrer le prisme, les forces de poussées et les forces de résistance à la base du prisme le long du décollement basal.

Un des premiers modèles expliquant le développement des chaînes plissées et des prismes en générale assimile cette structure à un tas de neige poussé par un bulldozer (Davis et al., 1983 ;

Dahlen et al., 1994 ; Dahlen, 1994). La mécanique très simple est régie par la théorie du

prisme critique de Coulomb. Le bord rigide, représenté par le bulldozer, illustre la plaque supérieure supposée « indéformable » qui permet l’accrétion du matériel de la plaque inférieure vers la plaque supérieure. Au cours d’un cycle, le prisme se déforme ce qui induit

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une augmentation à la fois des contraintes gravitationnelles et horizontales, et de la topographie. Lorsque le bilan des forces est suffisant pour activer un nouvelle rampe dans le domaine non déformé externe du prisme, un seuil critique est atteint et conduit à la création d’une nouvelle unité et à un glissement stable (i.e. sans déformation interne) du prisme. Les premiers modèles de prismes à double vergence qu’ils soient analogiques (Malavieille,

1984) ou numériques (Willett et al., 1993) remplacent ce bord rigide convergent par un bloc

relativement rigide et supposé fixe, tandis qu’un autre bloc converge vers lui et subducte au niveau d’un point de singularité S caractérisé par une discontinuité dans le champ de vitesse. Ce point S représente le lieu où la vitesse de la plaque convergente inférieure est positive, alors que la plaque fixe supérieure possède une vitesse nulle. Ces différents modèles montrent que :

- le prisme se forme par le raccourcissement des unités au dessus d’un niveau de découplage mécanique,

- le prisme est généralement asymétrique et cette asymétrie est contrôlée notamment par l’orientation du panneau plongeant. On appelle alors le versant qui se développe sur la plaque qui subducte, le versant pro (pro-wedge), et le versant retro (retro-wedge), celui qui se développe sur la plaque supérieure,

- l’accommodation du raccourcissement se fait par le développement de chevauchements de plus en plus externes, d’abord dans le pro-wedge, puis dans le retro-wedge (Fig. 1-10).

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Figure 1-10 : Développement d’un prisme orogénique à double vergence, modifié d’après Willett et al. (1993). A) Un bloc central délimité par deux accidents connectés au point de singularité S se soulève. B) la déformation se propage d’abord dans le sens opposé au sens de convergence générant ainsi une forte asymétrie. On peut ainsi identifier deux flancs, pro- et retro-wedge. C) Migration de la déformation vers le retro-wedge. Les lignes grises représentent la déformation des blocs tandis que les lignes en pointillés montrent les flux instantanés de matière dans le prisme. La taille des flèches est proportionnelle à la vitesse.

Ces modèles permettent de distinguer deux modes d’accrétion: accrétion frontale, ou accrétion par sous-placage (Willett et al., 2001 ; Fig. 1-11). Une racine crustale se développe et la masse atteinte par le prisme est telle qu’elle déforme la lithosphère (déformation flexurale) responsable de la formation de bassins d’avant-pays (Brunet, 1986 ; Desegaulx et

al., 1990). La distance de ce bassin par rapport au prisme et ses dimensions dépendent

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Figure 1-11 : Deux modes extrêmes de croissance d’un prisme orogénique, modifié d’après Willett et al. (2001). A) La croissance par accrétion frontale implique un soulèvement du prisme caractérisé par une composante verticale et une composante horizontale (symbolisées par les flèches noires). B) La croissance par sous-placage n’implique aucune composante horizontale dans le soulèvement du prisme.

Dans les prismes orogéniques de collision plutôt épais, la croûte s’épaissit jusqu’à atteindre des pressions et températures qui diminuent la résistante de la croûte qui peut alors fluer ductilement. Le fluage de la base du prisme a pour conséquences une diminution des pentes pro- et retro-wegde et un étalement du prisme. On peut alors observer la formation d’un large plateau en altitude, qui peut par la suite s’effondrer et amincir le prisme. Cet effondrement forme alors un rift étendu comme reproduit par Buck (1991, 2007) si la température continue d’augmenter ou si la vitesse de convergence diminue.

Enfin, Willett et al. (1993) ont également mis en évidence le rôle majeur de l’érosion et du climat sur le développement du prisme orogénique. Dans le cas où des précipitations et donc l’érosion n’affectent que le retro-wedge du prisme, les roches les plus déformées affleurent uniquement sur ce flanc après avoir traversées tout le prisme (Fig 1-12A). Il n’y a pas de soulèvement ou bien d’exhumation enregistrés sur le versant pro. Dans le cas où l’érosion n’affecte que le pro-wedge, le flanc retro n’enregistre plus de déformation et les roches les plus déformées sont exhumées au sommet de la chaîne (Fig 1-12B). Ainsi le chemin effectué par ces roches après leur accrétion dans le prisme est beaucoup plus court, comme observé à Taiwan (Willett et al., 2003). De plus, pour être en équilibre, l’érosion doit non seulement compenser le soulèvement vertical de la chaîne, mais également les contraintes horizontales liées à l’accrétion de matériel dans le prisme et à l’expansion horizontale du prisme en réponse (Willett et al., 2001).

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Figure 1-12 : Effets de l’isostasie (développement d’une racine crustale) et de l’érosion, à l’équilibre (géométrie et masse constante), modifié d’après Willett et al. (1993). A) Erosion et dénudation du retro-wedge. B) Erosion et dénudation du pro-wedge. Les lignes grises représentent la déformation des blocs, tandis que les lignes en pointillés indiquent la trajectoire du matériel dans le prisme. Le grade métamorphique des roches à l’affleurement évolue selon le flanc érodé.

Cependant, ces modèles de prismes sont relativement limités car ils n’incorporent pas l’architecture complexe de la marge. On considère généralement que le début de la collision continentale correspond au début de l’accrétion des marges proximales, qui sont les domaines pré-orogéniques les moins déformés. Mais que deviennent les marges distales ? Sont-elles incorporées au slab en subduction ? Peuvent-elles constituer la racine crustale et la majeure partie du cœur de la chaîne (McIntosh et al., 2013 ; Mohn et al., 2014) ? Et quelle est l’influence de ces structures et de cette rhéologie héritées sur la formation du prisme orogénique ?

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Une étude menée au Sud de Taiwan a montré à l’aide de l’analyse de données thermochronologiques basses températures que la structure thermique d’une marge distale hyper-amincie pouvait être annulée en moins de 20 Ma suite à l’initiation de l’accrétion continentale (Mesalles et al., 2014). Plus généralement, cette étude montre que le régime thermique dans le prisme orogénique enregistre l’inversion de la marge distale puis de la marge proximale. Le premier stade se caractérise par un refroidissement des sédiments déposés sur la marge distale hyper-amincie lorsque l’accrétion débute. Le second enregistre une augmentation du gradient géothermique, associée à l’exhumation, qui stimule l’advection vers le haut des isothermes (Fig. 1-13).

Figure 1-13 : Evolution tectonique de Taiwan d’après Mesalles et al. (2014). Les sédiments de la marge distale enregistrent d’abord un refroidissement à cause de la subduction qui tire les isothermes vers le bas, puis un réchauffement associé à l’érosion de la chaîne en formation et la remontée des isothermes.

b) Notions d’héritage

La plupart des chaînes de collisions résultent de l’inversion de marges passives (cycle de Wilson). Des observations de terrains dans la chaîne des Pyrénées, dans les Alpes ou encore à Taiwan, montrent que de nombreuses structures extensives liées au développement de l’Océan Atlantique ou Téthys, et de la mer de Chine (roches de ultra-haute pression, transition océan-continent, détachement plat, ophiolites, manteau exhumé, manteau serpentinisé) ont été conservées, voire réutilisées lors de la phase de collision et de construction orogénique (Jammes et al., 2009 ; Beltrando et al., 2010 ; Mohn et al., 2011, 2014 ; Masini et al., 2012 ;

McIntosh et al., 2013 ; Tugend et al., 2014). La rhéologie de la lithosphère et les structures

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formation de la chaîne de collision. Il y a cependant peu de modèles pour quantifier cet impact.

Jammes et Huismans (2012) ont proposé un modèle thermo-mécanique (Figs. 1-14, 1-15)

pour contraindre d’une part l’effet de la résistance de la lithosphère, et d’autre part, celui de l’héritage extensif sur la géométrie du prisme orogénique. Pour cela, ils ont mis au point une approche dite « en accordéon » où ils modélisent une première étape de rifting et d’amincissement de la lithosphère qu’ils utilisent comme condition initiale pour une seconde étape en convergence. Plusieurs conclusions majeures sont à noter :

- la résistance de la croûte supérieure contrôle en grande partie la dimension du domaine orogénique ainsi que le type de déformation (thick- ou thin-skin) observée. Si la résistance de la croûte supérieure est faible, alors la déformation est largement distribuée, tandis que plus la résistance de la croûte supérieure est importante, plus la déformation se localise. Il en résulte une diminution de la largeur du domaine orogénique et une augmentation de la hauteur de la chaîne. Cela se traduit également par le développement de grandes nappes de socle chevauchantes (Fig. 1-14). On observe cette même logique en extension, entre un rift intracontinental localisé associé à une lithosphère résistante et un rift étendu enregistré lors de l’effondrement d’une chaîne de montagnes, correspondant à une lithosphère plus faible mécaniquement (Buck, 1991, 2007) ;

- plus la résistance des couches inférieures de la lithosphère (manteau sous-continental et croûte inférieure) est importante, plus la déformation du retro-wedge est limitée ;

- l’héritage extensif favorise d’une part l’accrétion de matériel profond dans le prisme orogénique lors de la phase de convergence ce qui est cohérent avec l’observation d’anomalies gravitaires positives sous les Pyrénées (Casas et al.,

1997), et d’autre part, facilite la propagation des déformations dans les zones

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Figure 1-14 : Ces deux modèles thermo-mécaniques en compression pure résultent de la même convergence de 200 km (Jammes et Huismans, 2012). Le modèle A montre une déformation très distribuée d’une croûte supérieure mécaniquement faible. Le modèle B est associé à une croûte plus résistante où la déformation a pu se localiser le long de grandes nappes de socle. Ces deux modèles sont caractérisés par une raccourcissement distribué (modèle A) ou localisé (modèle B). La valeur du raccourcissement (en %) est 10% (A) et 30% (B) traduit la différence de style de déformation, depuis une déformation en cisaillement pur (A) à simple (B). Voir la Figure I-4 (Mouthereau et al., 2013) pour comparaison avec des exemples naturels.

Figure 1-15 : Modèles thermo-mécaniques selon Jammes et Huismans (2012) en (A) compression pure, ou (B) en accordéon. L’état initial (1) montre une lithosphère peu déformée où se développent deux accidents connectés à une singularité en profondeur (A), comme dans le modèle de Willett et al. (1993), ou une lithosphère amincie (B), étirée sur 100 km. L’état final correspond à une convergence de 300 km. Le modèle B enregistre le développement de nappes de socle plus rapide que pour le modèle A, ainsi que l’incorporation de matériel profond, très près de la surface.

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Cependant, cette étude sur l’inversion se concentre sur des marges relativement peu étendues et ne reproduit donc pas l’inversion d’une marge distale comme celle modélisée par Huismans et Beaumont (2011) ou bien par Brune et al. (2014). À ce jour, il n’y a aucune contrainte thermo-mécanique sur l’inversion d’une telle marge. Une partie de ce travail porte donc sur l’acquisition de nouvelles données permettant de comprendre les processus d’inversion des marges distales, processus à l’origine de l’initiation de l’accrétion continentale.

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Chapitre 2