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Chapitre 3 Figures culturelles de beauté féminine

2) La vierge

2.3 Histoire de Barbie

En 1952, l’image de Lilli, apparue par hasard dans la revue allemande Bild Zeitung, incarne le canon de beauté féminine que le régime national-socialiste (nazi) avait promu (blonde, gaie et innocente), agrémentée des images des pins up américaines importées par les troupes d’occupation (Bazzano, 2009 : 10). À la fine pointe de la mode (par le biais de la femme de son dessinateur), la poupée, qui en Allemagne a une réputation grivoise et est plutôt destinée à des hommes, fera une entrée discrète dans l’Amérique de l’époque. En même temps, cette Amérique où tout est possible (où la société de consommation s’immisce dans les maisons par le biais des électroménagers) lui offrira bientôt une nouvelle identité mieux adaptée aux besoins du marché.

Lilli ne travaille pas, mais elle n’est pas non plus dédiée à la maternité. Toujours occupée à faire étalage de ses charmes et de son élégance, elle rêve d’épouser un millionnaire. Tant en Allemagne qu’aux États-Unis, la récente période d’austérité (et d’horreurs) suivant la guerre accueille avec joie la coquette image qui fait rêver à des jours meilleurs. Pourtant, Lilli se bute au puritanisme américain, et c’est seulement en 1959 qu’elle fera son entrée dans le monde des jouets pour enfants, avec une personnalité remaniée de « teen-age fashion model » (Bazzano 2009 : 23). Rebaptisée Barbie (inspirée de la fille des propriétaires de Mattel, Barbara Joyce), ce sont 351 000 exemplaires de la poupée qui entre dans les foyers américains la même année, incarnant : « a new kind of doll from a real life » (Bazzano, 2009 : 24). Car même si elle est destinée aux enfants, elle a une allure adulte et évoque plutôt une mère miniature qu’un jeu.

Par sa personnalité, ses accessoires et ses activités, elle est une fervente consommatrice américaine. Toujours prête au changement (que ce soit un nouvel appareil ménager ou une nouvelle paire de souliers), elle « exalte aussi sa vocation de mannequin » (Bazzano, 2009 : 26), inspirée à ce titre par le star-système états-uniens. Ce sera son premier travail.

Si d’autres poupées, à d’autres époques, ont pu jouer ce même rôle de dressage et de modelage du féminin, Barbie a la particularité d’avoir un soin obsessif pour sa beauté et son

apparence. Toujours soignée, bien mise, souriante, elle est la parfaite bourgeoise américaine, image rassurante d’une féminité dédiée au foyer, mais plus libre de son temps grâce à la technologie. Ce temps libre, elle doit l’employer à sa beauté, et Barbie est très explicite à ce sujet. Par le biais des catalogues qui mettent en scène son univers, les « conseils de Barbie » concernent la gymnastique visant à amincir le cou ou à améliorer le buste, l’utilisation des crèmes, l’importance de la manucure, etc. (Bazzano, 2009 : 126). La femme américaine peut désormais dévoiler son corps et assumer sa sexualité (surtout dans un contexte de mariage). On dévalorisera par ailleurs, durant les années 1950 et 1960, la femme qui travaille et qui a une indépendance financière (Friedan, 1963). Barbie, qui est mannequin, symbolise peut-être une tendance importante : son travail, c’est la beauté. Ne menaçant en rien un domaine masculin, elle n’est pas non plus cantonnée à l’univers domestique.

En 1966, une reproduction de Twiggy, célèbre mannequin filiforme du moment, fait son entrée dans la bande de Barbie, de même que trois autres copines. Ainsi, à chaque époque, la poupée s’adapte aux modes et à l’évolution des femmes dans la société. En 1968, « talking Barbie » prononce six phrases : « Qu’est-ce que je vais mettre pour la fête. J’ai un rendez-vous ce soir. Veux-tu aller faire des courses ? Stacey et moi prenons le thé. Faisons une fête costumée. J’adore être mannequin » (Bazzano, 2009 : 82). La même année, Christie et Julia, deux poupées afro-américaines, se joignent au groupe. Barbie, avec les années, changera aussi parfois de couleur de cheveux. Malgré cela et les tentatives de Mattel pour évoquer une certaine diversité culturelle, la mise en marché de la poupée est incontestablement basée sur ses cheveux blonds platines, ses yeux bleus, le tout emballé dans une boîte rose. Cette couleur, nous rappelle Bazzano, reflète un regard éternellement optimiste sur la vie : Il n’est pas innocent ainsi que la poupée soit, en plus d’une consommatrice fidèle, adepte du « positive thinking », emblème du rêve américain (Bazzano, 2009 : 155).

La poupée Barbie, symbole de l’Amérique haït, sera critiquée et bannie dans plusieurs endroits pour son côté superficiel et ostentatoire. Elle sera aussi délaissée par les parents, les féministes, tous ceux qui croient qu’elle incite à une maturité précoce et à une frivolité exacerbée. Mais la stratégie de Mattel s’est adaptée avec le temps, car si elle est honnie dans les milieux plus éduqués, elle est bienvenue dans les couches socio-économiques moins nanties: « symbole d’opulence économique » (Bazzano, 2009 : 112), surtout lorsqu’elle est offerte à bon prix. On

pourrait donc penser qu’elle joue surtout un rôle de modèle pour des fillettes déjà moins favorisées socialement qui pourraient éventuellement chercher un réconfort affectif et une façon de se hisser socialement via la beauté physique. D’ailleurs, on raffole des histoires de « self made women », ces filles des quartiers populaires qui se font remarquer par des gens de la haute et qui deviennent ensuite des stars !

Tour à tour vêtue en infirmière, en ballerine et en mariée (elle n’est toutefois pas l’épouse de Ken), hôtesse de l’air, gardienne d’enfants (qui emporte avec elle deux livres : « Comment voyager ? » et « Comment perdre du poids ? »), Barbie a aussi été femme d’affaire, médecin, astronaute et même candidate à la Maison Blanche (Bazzano, 2009 : 149) ! Malgré ces tentatives d’émancipation, elle reste pour plusieurs l’emblème d’un objet sexuel, théoriquement inapte à la maternité (bassin trop étroit), frigide malgré son attitude désinvolte, sorte de « vestale du consumérisme » (Bazzano 2009), dédoublée par son obsession pour la beauté qui l’emporte sur tout le reste.

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