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Cultes et spiritualités de la beauté féminine au Québec : une anthropologie des pratiques esthétiques à risque

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Academic year: 2021

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Cultes et spiritualités de la beauté féminine au Québec

Une anthropologie des pratiques esthétiques à risque

Mémoire

Anne-Marie Melançon

Maîtrise en sciences des religions

Maître ès arts (M.A)

Québec, Canada

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Résumé

Cette recherche vise à appréhender un certain culte de la beauté féminine, caractéristique de la société québécoise actuelle, dans sa dimension socio-religieuse. Pour ce faire, les symboles, les figures culturelles, les mythes et les rituels de beauté féminine seront décrits à la lumière d’une approche anthropologique du phénomène religieux. En plus de faire une analyse des altérations esthétiques courantes, nous porterons une attention particulière à la signification religieuse des pratiques esthétiques à risque (comme les chirurgies invasives), qui ont souvent une efficacité symbolique à l’égard d’un certain sentiment de féminité. Les « cultes et les spiritualités de la beauté féminine » seront donc considérés dans cette recherche comme des croyances, des pratiques, mais aussi des dispositions et des attitudes génératrices d’une prise de risques significative dont le corps est l’objet par excellence.

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Table des matières

Résumé ...iii

Table des matières………... v

Remerciements ………..vii

Introduction ... 1

Chapitre 1 Définitions et mise en contexte ... 7

1) Cadre théorique ... 9

1.1 Problématique ... 9

1.2 La religion comme système culturel ... 9

2) Mise en contexte ... 13

2.1 Jeunesse durable ... 13

2.2 Religion et beauté ... 17

2.3 Les altérations esthétiques typiques ... 18

2.4 L’anorexie et le culte de la minceur ... 20

2.5. Le bal des finissant(e)s ... 21

3) Hypothèses de recherche ... 21

4) Méthodologie ... 22

Chapitre 2-Symboles culturels de beauté féminine ... 23

1) Visage et beauté ... 23

1.1 Élixir/soma/ambroisie/nectar ... 25

1.2 Métamorphose ... 25

1.3 Fruits, fleurs et racines ... 25

1.4 Eau/sécheresse ... 26

1.5 Feu ... 26

1.6 Étoile (star) ... 26

1.7 Lumière/blanc (radiance, brillance, éclat…) ... 27

1.8 Le ferme et le flasque/le lisse et le fripé ... 29

2) Corps et beauté ... 30

2.1 Chronos (temps) /éternité ... 30

2.2 Fontaine de Jouvence ... 30

2.3 Midi/Minuit ... 31

2.4 Le haut/le bas (verticalité/horizontalité) ... 31

2.5 Ventre, grotte et antres ... 32

2.6 Santé/vitalité ... 32

2.7 Nourritures, soins et cures ... 33

2.8. Ascèse/purification ... 34

2.9 Ascension/extase/volupté ... 34

2.10 Raffinement/élégance ... 35

2.11 Perfection, unité et performance ... 35

3) Accessoires et objets de beauté ... 36

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3.2 Anneaux, ceintures et colliers ... 37

3.3 Boucles et nœuds ... 37

3.4 Piercings et tatouages ... 37

3.5 Souliers/Chaussures ... 38

3.6 Tapis rouge ... 38

3.7 Robe (de bal) ... 38

3.8 Couronne ... 40

3.9 Parfum ... 40

3.10. Miroir ... 41

4) Conclusion ... 42

4.1 Beauté, art et liberté ... 42

4.2 Un système symbolique ... 43

Chapitre 3 Figures culturelles de beauté féminine ... 45

1) La mère ... 46

1.1 Visages de la passion (Phèdre, Jocaste) ... 47

1.2 Maîtresses de l’énigme (La Sphinge, Turandot) ... 47

1.3 Les amoureuses cannibales ... 47

1.4 L’héroïne immortelle ... 47

1.5 La passion mortifère (Salomé d’Oscar Wilde) ... 47

2) La vierge ... 49

2.1 La princesse ... 50

2.2 La reine de beauté ou la « miss » ... 50

2.3 Histoire de Barbie ... 52

2.4 Le mannequin/la cover-girl ... 54

2.5 La diva/la chanteuse populaire ... 55

3) La prostituée ... 57

3.1 La star de pornographie ou le mannequin sexy ... 58

3.2. Actrices et égéries ... 59

3.3 Femme fatale /beauté désespérée ... 59

4) Conclusion troisième chapitre ... 60

Chapitre 4- Mythes et rites de beauté féminine ... 61

1) Mythes ou petits récits de beauté ... 62

1.1 Mythe de l’éternelle jeunesse ... 62

1.2 Mythe de la découverte ... 63

1.3 Mythe minceur ... 64

2) Rite, transgression et interdit ... 66

2.1 Rite de purification ... 68

2.2 Rite de confession ... 69

2.3 Rite d’interaction ... 69

2.4 Rite d’idolâtrie ... 70

2.5 Rite sacrificiel ... 70

2.6 Rite de passage/rite de féminisation ... 72

2.7 Rituel-beauté ... 73

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Remerciements

J’aimerais tout d’abord remercier Denis Jeffrey, directeur de ce projet de recherche, qui a été tout au long de ce processus d’une grande inspiration. Son érudition en matière d’étude du rituel, mais aussi en lien avec de nombreux sujets liés à l’éducation et aux normes corporelles, a nourri des discussions et des réflexions stimulantes ! J’aimerais aussi remercier Louis Painchaud, directeur du programme de maîtrise en sciences religieuses, qui a lui aussi contribué grandement à ma compréhension du phénomène religieux. Enfin, un grand merci à toutes les personnes qui m’ont inspirée et soutenue avant et pendant cette rédaction : Dawn, Marie-Pyer, Geneviève, Louis-Étienne, François et les enfants, ma famille et mes ami(e)s du comté de Portneuf.

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Introduction

Dans une société de l’image, où les moyens et les stratégies de communication à supports technologiques sont devenus incontournables à la vie en société, le statut du corps « libéré » de la révolution sexuelle est paradoxal. Surinvesti et surexposé dans les médias, le corps moderne est par ailleurs très souvent inactif et immobilisé devant un écran cathodique. Certains connectent ainsi avec leur corporalité via des activités de compensation comme la pratique sportive ou les soins corporels, tandis que partout de beaux corps féminins égayent le paysage médiatique.

Pour certains sociologues et anthropologues (Le Breton, Élias…), la « libération des corps », survenue progressivement au cours du XXe siècle, aurait plutôt érigé le refoulement des émotions corporelles comme modèle de comportement social. La dénudation des corps, si elle est aujourd’hui banalisée, est la preuve en quelque sorte que les gens ont appris à contenir leurs désirs et à ritualiser différemment leurs rapports aux autres, notamment par les jeux de regard. Mais s’il est plus que permis de regarder, les contacts physiques sont par ailleurs relégués à la vie privée et c’est à cette seule condition, semble-t-il, que tant de libertés sont possibles.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’autant d’énergie sociale soit dépensée dans la construction des images. Les spécialistes des relations publiques bricolent les messages des institutions qui les engagent, tandis que les individus (et particulièrement les femmes) fabriquent beaucoup leur image à partir de leur corps, dans la façon de le présenter et de travailler sa chair. L’esthétisation du corps sert ainsi de médiation entre les individus et leur image. Tous les soins et les attentions qu’une majorité de femmes accordent à leur corps visent paradoxalement très souvent à dresser celui-ci selon des normes culturelles de santé et de beauté qui ne sont pas sans contradictions. Puisque la plupart des tendances sociales sont vite intégrées à la société de consommation, les industries modernes de la beauté féminine et des soins au corps sont assises sur une mine d’or qu’elles exploitent à son maximum.

Derrière le choix esthétique de la femme libre et émancipée se détectent certaines représentations symboliques de la féminité et de la beauté qui n’ont parfois rien à envier à celles parfois condamnées dans d’autres traditions culturelles ou religieuses. C’est de cette intuition

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qu’est née cette recherche, celle d’une source religieuse ou sacrée à certains symboles de beauté occidentaux, prescrits certes par une autorité sociale diffuse, mais semblant susciter une adhésion quasi généralisée de la part des femmes, toutes catégories socio-économiques confondues. Ainsi, peut-on analyser certaines pratiques et croyances en lien avec la quête de beauté des femmes dans leur dimension sacrée ou religieuse ? Pourrait-on alors les nommer « cultes et spiritualités de la beauté » et les comprendre comme des systèmes symboliques à caractère religieux ? Afin de répondre à ces questions, les pratiques d’esthétisation à risque seront l’objet d’une attention particulière, car elles sont révélatrices, selon nous, d’une pression normative de nature symbolique masquée en choix esthétique.

Le premier chapitre de ce mémoire consiste en une présentation détaillée de la problématique, du cadre théorique, de la méthodologie et des hypothèses de recherche. Cette description est complétée par une mise en contexte du sujet de recherche, à la lumière des catégories conceptuelles proposées dans le cadre théorique.

Via certains modèles de beauté féminine qui sont des icônes de la culture (les mannequins, les chanteuses populaires, les actrices, les miss), un certain type de corps est socialement présenté comme beau, parfait et épuré. Ce corps de rêve est jeune et mince, a souvent la peau claire, est épilé, musclé, lavé, etc. On peut dire qu’il est purifié de ce qui semble être perçu comme des souillures : odeurs corporelles, poils, gras, rides, boutons, etc. Nous nous pencherons sur l’analyse des symboles de pollution corporelle réalisée par l’anthropologue Mary Douglas, qui croit notamment que nos rapports à la saleté (et donc par extension à la beauté) sont aussi symboliques et irrationnels que ceux des peuples plus traditionnels ou religieux.

Le deuxième chapitre est consacré aux symboles de beauté féminine. Il est divisé en trois grands thèmes : visages et beauté, corps et beauté, accessoires et objets de beauté. Nous nous sommes inspirée du vocabulaire de la publicité, de la mise en scène des images de beauté, mais aussi des caractéristiques de certaines pratiques esthétiques afin d’extraire un symbolisme relié à la beauté. Le visage représente en soi un haut lieu d’esthétisation, notamment via les rides, qui sont au cœur du combat « anti-âge ». On y réfère dans les produits et les techniques de beauté qui visent le rajeunissement spectaculaire de la peau. À partir de la science, on fait généralement allusion à des éléments extraits de la nature (fleurs, racines, algues, etc.), mais remaniés par des

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laboratoires ultrasophistiqués (donc perçus comme naturels et inoffensifs). Ces termes renvoient à un retour au lieu d’origine; à un état de pureté ou d’innocence corporelle.

Puisque les symboles, souvent liés entre eux, s’opposent ou se complètent, nous nous sommes amusée à les présenter parfois en paire : les symboles du haut et du bas, par exemple, parlent à la fois de l’idéal de beauté (on remonte le visage ou d’autres parties du corps) et de ce qu’il ne faut pas incarner (l’affaissement de la chair, le pendouillant, le flasque). Le lisse versus le frippé, c’est un peu la même chose, l’hydratation et la sécheresse aussi, la lumière et les ténèbres, etc. D’un côté, nous avons la beauté, la pureté, la discipline, la santé, et de l’autre, la paresse, la gourmandise, l’indiscipline, l’excès. Ces associations symboliques sont arbitraires, mais puissantes sur le plan social. D’autres concepts comme l’ascèse, la purification, voire l’ascension, nous promettent l’atteinte d’une beauté éthérée, féérique, désincarnée (et donc éternelle en quelque sorte) grâce aux produits et aux techniques de beauté.

La dernière portion du chapitre porte sur la valeur symbolique des accessoires de beauté. S’ils ne visent pas directement l’esthétisation du corps, ils l’accompagnent et la complètent. Le it bag, par exemple, cette immense sacoche où l’on peut transporter l’essentiel de sa trousse de beauté, vu son prix, est surtout le signe distinctif d’une classe sociale aisée. Car la beauté est aussi dans certain milieu une affaire d’élégance, de raffinement, et le sac, comme la montre ou la paire de chaussures, est avant tout un signe de sa capacité de payer. Les bijoux, les ceintures, mais aussi les piercings et les tatouages, entrent dans la construction de la beauté, marquant parfois le corps, la posture, la démarche. D’autres symboles comme la couronne (dans les concours de beauté) ou la robe de bal, réfèrent à la vie princière, tout comme le tapis rouge des galas. Enfin, les miroirs sont au cœur des cultes et des spiritualités de la beauté. Ils sont partout, réels ou symboliques, et sont intériorisés par les femmes.

Le troisième chapitre porte sur les figures culturelles de beauté féminine. Nous proposons d’emblée de partir d’une distinction entre mère, vierge et prostituée, en les situant dans l’univers des cultes et des spiritualités de la beauté. Les liens de ces trois figures avec le sacré-pur et le sacré-impur sont aussi rappelés. Par exemple, l’aspect sacré de la sexualité (voire d’une certaine prostitution) est quelque chose d’étranger à notre culture, alors que dans presque toutes les traditions religieuses, celle-ci fait l’objet d’un certain respect mêlé de crainte. Dans le culte de la

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Vierge Marie, on semble ainsi avoir éliminé la sexualité (le sacré-impur), mais aussi les caractéristiques propres à d’autres figures divines de mère (cruauté, exubérance…). Il est certain que notre société ne porte plus cet idéal pour les mères et les femmes, mais il y a quelque chose d’un culte de la virginité, ou même de l’infertilité, dans des figures de beauté comme la princesse, le mannequin, l’actrice porno ou la miss. Même si ces femmes affichent des corps très « sexy » et séducteur, il en dégage une sorte de beauté stérile, un peu froide, qui s’oppose à certains égards à la maternité, mais aussi à la sexualité réelle.

À part quelques exceptions, ces icones féminines restent cantonnées à leur apparence et à leur jeunesse. C’est leur travail. Au niveau des critères de beauté, il est intéressant de voir que beaucoup d’interventions esthétiques visent à faire un « mommy makeover », pour redonner à la femme son corps d’avant la maternité. Le ventre, lieu des appétits dévorants, est d’ailleurs probablement le lieu le plus anxiogène face à la beauté, celui qu’on veut maintenir mince et ferme. Cela est paradoxal, car on adule en quelque sorte les corps des jeunes filles fécondes, mais la vraie sexualité qu’ils impliquent ne semble pas souhaitée. Tout est ramené à l’image. Certains pensent que cela pourrait être relié au Sida, et que depuis la mode désexualise les corps. La mise en scène de la beauté pourrait alors être une façon de sublimer ou de nier la sexualité.

Nous présentons aussi dans ce chapitre une description des figures historiques de la femme dangereuse afin d’expliquer le symbole presque universel d’une maternité à la fois absorbante, dévorante et symbole du paradis perdu. Dans beaucoup de mythe (Marie ne fait pas exception en ce sens), l’aspect redoutable de la maternité est dominé ou présenté comme repoussant ou laid. Des sorcières, des reines vierges qui menacent le royaume parce qu’elles refusent de se marier, des amazones cannibales ou des mères incestueuses qui aiment trop leurs fils, la femme est souvent présentée comme une menace pour l’ordre social. On peut penser ainsi que les symboles culturels de beauté visent parfois à domestiquer l’aspect inquiétant de la féminité. Nous relatons aussi dans ce chapitre l’histoire de la poupée Barbie, archétype important de notre culture, qui est aussi une figure de virginité. Si, à certains égards, Barbie s’est émancipée de la maternité et du mariage, elle est réduite à être un mannequin et une parfaite consommatrice américaine.

La prostituée, quant à elle, est une figure paradoxale de beauté, car les codes pornographiques sont partout dans la mode et les médias, mais celle-ci reste méprisée

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socialement. Ainsi, nombre de mannequins, d’actrices ou d’animatrices de télévision empruntent les attitudes et le look des prostituées, en faisant par ailleurs très attention de ne pas être taxées de « mauvaises filles ». On sait aussi que dans l’univers des stars, des starlettes, des miss et des mannequins, il y a beaucoup d’appelées et peu d’élues, et que certaines de ces filles vont se retrouvées, si ça ne marche pas, dans des réseaux de prostitution. Difficile aussi de ne pas remarquer les dynamiques photographe/modèle, chirurgien/patiente, couturier/mannequin, où une majorité d’hommes ont un rôle fondamental dans la désignation de la beauté, et parfois dans son utilisation à des fins commerciales. D’un autre côté, certaines filles semblent être prêtes à beaucoup pour chercher et conserver sur elle un regard masculin valorisant.

Le quatrième chapitre de ce mémoire porte sur les mythes et les rituels de beauté. Par exemple, le mythe de la découverte où un couturier ou un photographe permet à une pure inconnue de se hisser au rang des stars. Le mythe de la journée idéale en est un autre. Rite de purification, rite d’idolâtrie, rite de confession, nous verrons comment les petits récits mythologiques autour de la beauté (faits de symboles) viennent nourrir les rites sociaux, mais aussi individuels, qui constituent les cultes et les spiritualités que nous décrivons.

Enfin, nous conclurons cette recherche en faisant un retour sur la problématique de départ, en ouvrant par la suite sur les approfondissements possibles pouvant nourrir de futurs travaux.

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Chapitre 1 Définitions et mise en contexte

Dans toutes les cultures, le corps féminin fait l’objet d’altérations esthétiques, au nom d’une norme culturelle (religieuse, familiale ou sociale) dictant la manière d’appréhender, de parer ou de le présenter selon divers contextes (bijoux, allongement du cou, rétrécissement des pieds, corset, scarifications, etc.). Outre les parures, la ritualisation du corps (dans la posture ou les règles de bienséance) est aussi une donnée culturelle et historique; chaque époque précisant ainsi les rapports des individus entre eux, mais aussi avec leurs institutions sociales. Quant aux rituels de purification corporelle présents dans de nombreuses traditions religieuses, ils nous aident souvent à « entrer » dans le symbolisme propre à une culture et à en comprendre la conception du monde (Douglas, 1975 : 27). Même dans un Occident plutôt laïc, les catégories religieuses du « pur » et de « l’impur » sont toujours présentes dans la façon d’appréhender le corps, mais se vivent peut-être sur un mode plus personnel (sacré personnel). On peut dire que les diverses perspectives sur le corps moderne se rejoignent dans le mouvement de réappropriation/libération du corps né dans les années 1960 qui s’est intégré à ce que Norbert Élias a nommé le « processus de civilisation » (1939) de la société occidentale.

Selon David Le Breton, le corps moderne est d’un autre ordre que celui des sociétés traditionnelles où corps, cosmos et société font un: il implique la coupure du sujet avec les autres (individualisme) et avec lui-même (« avoir » un corps). Le dualisme de notre époque n’opposerait pas l’âme et le corps, mais l’humain à son propre corps (Le Breton, 2011 : 11). Paradoxalement, le souci du corps n’a peut-être jamais été aussi grand, notamment dans l’engouement pour les soins esthétiques, la pratique sportive, la valeur accordée à la santé, etc. En fait, deux visions coexistent : « celle du corps méprisé et destitué de la techno-science ou celle du corps choyé de la société de consommation » (Le Breton, 2011 : 225). Mais ce corps choyé, c’est bien souvent un corps jeune, beau et en santé. La majorité des traitements et des interventions esthétiques visent en effet, bien avant la détente ou le soin au corps, la correspondance avec l’idéal de beauté. C’est comme si tout ce qui à trait au corps, de près ou de loin, semble happé dans la performance esthétique : l’exercice, la marche, la nourriture, l’hygiène, le sexe, le sommeil, etc.

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Dans le contexte actuel du Québec, qui se veut laïc et pluraliste, mais aussi dans la continuité d’une société post-patriarcale, les femmes ont acquis la liberté d’altérer ou d’esthétiser leur corps comme elles l’entendent. Nous vivons dans le triomphe de l’économie de marché et de la liberté de consommer tant les objets, les techniques que les modes de vie. Et pourtant, ce n’est pas parce qu’elles sont libres de choisir qu’elles ne sont pas soumises aux pressions culturelles quant à leurs préférences esthétiques. On pourfend la burqa comme le symbole les plus abominable de l’oppression féminine, mais on ne s’étonne pas davantage que des milliers de femmes éclaircissent leur peau « parce qu’elles le valent bien » (L’Oréal). On peut aussi demeurer perplexe devant l’accroissement du recours à la chirurgie esthétique, ou devant un si petit nombre de femmes aux cheveux gris dans une population vieillissante. Pourquoi des femmes libérées et éduquées ont-elles parfois recours à une esthétisation à risque ?

De nature individuelle ou collective, cette surenchère esthétique qui caractérise notre époque comporte une signification ambigüe. Pour la défunte auteure québécoise Nelly Arcan, qui en plus d’avoir écrit sur le sujet était une pratiquante de la chirurgie esthétique, certaines normes de beauté en vigueur incitent les femmes à revêtir une Burqa de chair (2011), qui fait du dévoilement du corps non plus une libération, mais une obligation sociale nécessitant jeunesse et perfection. Le concept de « complexe mode-beauté », développé par la journaliste Mona Chollet dans son essai Beauté fatale (2012), résume bien cette industrie de la parure féminine maintenant aussi en plein essor dans les pays en développement. Dans une culture occidentalisée où le sens de la vie est d’abord individuel, le modelage de la personnalité, et plus encore, du corps, permet de donner prise sur la réalité. L’omniprésence de l’image et des avatars électroniques comme médium et supports identitaires renforce et confirme la nécessité de cette mise en scène de soi. Comme le rapporte la sexologue Jocelyne Robert, selon l’Observatoire mondial de l’esthétique médicale, le marché planétaire de la beauté aurait augmenté de 457% entre 1997 et 2007 (Robert, 2012 : 99). Ce système offre maintenant la possibilité à une minorité de filles et de femmes de mener une carrière grâce à leur beauté et d’accéder à un certain statut dans la société. À la fois productrices et consommatrices, leur présence dans cette industrie est aussi paradoxale que multiforme. Fondé sur un culte de la jeunesse et de la minceur, le marché de la beauté est l’un des plus fructueux de la planète.

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1) Cadre théorique

1.1 Problématique

Peut-on définir un certain culte de la beauté comme une religiosité contemporaine, et si oui, en définir le système symbolique et préciser ses liens avec d’autres institutions sociales ? Les pratiques esthétiques modernes sont-elles vectrices de sens pour les femmes qui y ont recours ? Pour quelles raisons prennent-elles parfois des risques délibérés pour leur santé physique, financière et psychologique? Enfin, quelles significations peut-on donner aux symboles religieux présents dans la mise en marché des produits et des techniques de beauté ?

1.2 La religion comme système culturel

Le cadre théorique de ce mémoire sera celui de l’anthropologie religieuse de Clifford Geertz qui considère d’abord la religion comme un système culturel (Geertz 1972). Nous référerons aussi aux travaux de l’anthropologue David Le Breton sur la tyrannie de la beauté, mais aussi sur les conduites à risque féminine, qui constituent un autre phénomène dont certains traits sont communs à ce que nous entendons par pratiques d’esthétisation à risque. C’est que le risque, lorsqu’il est souhaité et choisi, compte peu face à l’efficacité symbolique reliée à certaines pratiques corporelles.

Clifford Geertz propose une définition de la religion qui comprend cinq éléments (Geertz, 1972). 1- un système de symboles,

2- qui agit de manière à susciter des motivations et des dispositions puissantes, profondes et durables,

3- qui formule des conceptions d’ordre général sur l’existence, 4- en donnant à ces conceptions une telle apparence de réalité,

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Pour cette recherche, nous utiliserons une définition opératoire du symbole comme : le symbole est une image, une représentation mentale chargée d’affect (d’émotions). Il renvoie à une réalité absente ou invisible, qui interpelle la personne parce qu’elle évoque du sens. Un même objet, ou un même lieu, peuvent donc avoir un sens différent pour deux personnes (un drapeau par exemple). Plus l’émotivité est forte, plus les symboles ont tendance à devenir des symboles sacrés ou religieux.

Dans la perspective anthropologique de Geertz, les symboles sacrés résument l’ethos d’un peuple : sa vision du monde, les caractéristiques de sa vie, sa morale, etc. (1972 : 21). Les sources symboliques sont donc vitales à l’humain et constituent « l’essence même de la pensée humaine » (1972 : 24). Elles permettent de s’orienter dans la nature, la société et les activités quotidiennes.

C’est lorsqu’il parle des trois points où les individus projettent le plus de symbolisme religieux (l’inexplicable, la souffrance et l’injustice) que le lien avec le sujet de recherche est intéressant. Nos contemporains sont en effet confrontés à des angoisses existentielles (crise environnementale, terrorisme, crise économique, pauvreté, etc.) qui les poussent à chercher du sens. Devant le doute existentiel, la religion présente à l’aide de symboles « une image d’un ordre véritable du monde qui justifie ou même qui exalte les ambiguïtés, les énigmes et les paradoxes que perçoit l’expérience humaine » (Geertz, 1972 : 33). Ce paradoxe, qu’il nomme « le Problème du Sens » (1972 : 33), c’est que le religieux, en donnant un cadre explicatif à ces phénomènes, montre à la fois l’idée qu’ils sont inévitables, mais qu’il est nécessaire de les nier afin de donner un sens à la vie. Nier la vieillesse, par des pratiques « paraître jeune », pourrait-il être une façon de donner un sens à ce vieillissement, surtout dans une société qui la craint et qui ne trouve plus toujours de réconfort dans les croyances religieuses traditionnelles ?

Lorsqu’au point trois, il affirme que les individus donnent à leurs conceptions une telle apparence de réalité, Geertz parle de la signification de la croyance religieuse. Selon lui, « on accepte le critère de l’autorité avant la révélation » (1972 : 34), c’est-à-dire que nous fondons notre croyance dans l’acceptation d’une autorité préalable, qui à son tour transforme notre expérience. Si je peux risquer une première comparaison, les ambassadrices de régimes alimentaires (Oprah par exemple) ont, par la magie de la convergence médiatique, une autorité certaine sur des milliers de femmes qui imitent leurs façons de faire. On fait confiance à Oprah

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parce qu’elle a réussi, parce qu’elle est la preuve vivante justifiant une conception du monde basée sur la perte de poids comme voie de réalisation sociale. Ce genre de personnage présente aussi la caractéristique d’avoir réponse à tout, de donner un sens à toutes les injustices, les souffrances et les événements inexplicables à l’aide de symboles et de slogans particuliers1. La perspective religieuse, selon Geertz, diffère des autres perspectives (sens commun, scientifique, esthétique), en ce qu’elle propose des symboles exprimant une métaphysique particulière et un style de vie qui y est associé. Aussi, il y a un engagement et une relation établis par l’adhésion à une forme d’autorité. Nous verrons si nous qualifierons d’expérience religieuse certains aspects de la quête de beauté de nos contemporaines.

Pour Geertz, c’est dans le rituel (le comportement consacré) que naît la conviction que les conceptions religieuses sont vraies : « C’est là que se renforcent mutuellement les sentiments et les motivations que font naître en l’homme les symboles sacrés, et les conceptions générales de d’ordre de l’existence » (1972 : 36). Quant aux représentations culturelles, elles sont des rituels plus élaborés (souvent publics) qui mettent en scène des sentiments et des conceptions métaphysiques. Nous nous demanderons si les concours de beauté, les défilés de mode et les divers galas glamour peuvent être considérés comme des représentations culturelles et si, en plus de fournir des modèles sociaux, ils peuvent aussi être perçus comme ayant une dimension métaphysique.

L’impact le plus important du rituel se trouve en dehors de ses limites, dans le sens commun, qui est pour l’homme « la réalité suprême », son enracinement dans le monde (Geertz, 1972 : 40). Car si la religion ne fonde pas l’ordre social, elle le façonne de façon significative. Ces passages entre les perspectives (expériences de ruptures) seraient la véritable empirie sur laquelle s’attarder comme chercheur, car situer des actes communs dans des contextes fondamentaux (la particularité de la perspective religieuse) est ce qui lui donne un grand pouvoir sur le plan social (1972 : 41). Peut-être ainsi pourrons-nous voir les symboles de beauté féminine comme profondément révélateurs de notre culture, voire de notre ethos collectif.

1Slogans Weight Watcher : « Profitez de la puissance de perdre du poids », « Un moyen sain Ŕet holistique-de perdre du poids », « Conçu pour la

nature humaine », « Croire parce que ça marche », « On a quelque chose pour tout le monde », « Je le veux je le peux ». Consulté le 23/05/2013 :

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L’anthropologue Mary Douglas, qui s’est penchée sur les catégories religieuses de pollution corporelle (impureté), nous aidera à mieux cerner la signification des altérations esthétiques modernes. Si le corps est le miroir de la société, qu’est-ce que ces pratiques nous disent sur les structures sociales de notre époque, ses valeurs, sa morale ? Pour elle, l’impureté (ou la souillure) se définit par rapport à un ordre du monde (système, classification) qui risque, à son contact, d’être désordonné : « C’est quelque chose qui n’est pas à sa place » (Douglas, 1971 : 54). Les catégories de pureté/impureté visent soit : à renforcer des contraintes sociales ou à exprimer, de façon analogique, certains aspects de la société. Ils viennent parfois aussi consolider une morale qui n’est pas d’emblée coercitive : « dans une société qui emploie des moyens concrets et efficaces pour assurer la soumission des femmes sans donner à celles-ci le moindre recours, la notion de souillure féminine n'existe pas, car elle ne servirait à rien. Inversement, elle a toutes les chances de surgir là où il y a conflit entre les objectifs que se propose une même culture » (Douglas, 1972). Il y a là une piste intéressante, car les sociétés occidentales véhiculent des valeurs diversifiées (et parfois contradictoires) envers le corps féminin; on pourrait peut-être s’attendre à ce que les symboles qui représentent l’impureté y soient donc bien implantés ?

Les catégories du pur et de l’impur sont liées à celle du sacré. En tant que pôle impur du sacré, l’impureté ou la souillure possède le pouvoir de contaminer (de profaner) la pureté ou la sainteté : « les mêmes interdits qui préservent de la souillure, isolent la sainteté et protègent de son contact » (Caillois, 1963 : 47). Toute conception religieuse du monde implique donc une distinction entre le « sacré » et le « profane », entre deux milieux complémentaires dont il importe de délimiter les espaces et les contacts (Durkheim, 1912). Ces catégories sont à l’image d’une vision bipartite du monde qui classe la réalité en système binaire : le haut et le bas, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, le dehors et le dedans, la droite et la gauche…, où l’aspect « pur » possède un caractère supérieur (rectitude, ordre) tandis que l’aspect « impur » possède un caractère inférieur, mais potentiellement puissant (imprécision, chaos). Avec la modernisation des sociétés, ces catégories se sont en quelque sorte spécialisées : dès lors, le propre et le sale relèvent de l’hygiène, le droit et le courbe de la géométrie, la grâce et le péché de la religion, tandis que le bien et le mal relèvent de l’éthique (Caillois, 1963 : 69). Pourtant, elles fonctionnent toujours dans l’imaginaire social (simplement dans le langage) et la publicité y a recours pour leur fort potentiel symbolique.

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Pour Douglas, autant nos règles d’hygiène modernes que les rites de purification des « primitifs » relèvent d’une même pensée symbolique. Elle pourfend le « matérialisme médical » (de William James, dans Douglas, 1972 : 52) de nos sociétés, qui explique souvent les rites de purification religieux par une anticipation que les anciens auraient faite des règles d’hygiène modernes. De façon inverse, nos sociétés se distancient souvent des rites religieux en montrant leur inefficacité en terme d’hygiène : « nous tuons des germes, ils écartent des esprits » (Douglas 1971, p.52). Ces deux attitudes nous empêcheraient à la fois de comprendre le sens des rites religieux et de questionner nos propres rapports symboliques à la saleté. D’emblée, nous pouvons noter que nous faisons, dans le domaine de la beauté, des liens symboliques qui n’ont souvent rien de rationnel, par exemple entre la santé et la minceur, l’épilation et l’élimination des odeurs.

Pour conclure quant au cadre théorique, nous chercherons à montrer, en nous inspirant de l’étude sur les rites de virilisation réalisée par le sociologue des religions Denis Jeffrey, que les normes de beauté féminine et les rites de féminisation qui y sont liés diffèrent selon les milieux socio-économiques et réfèrent à des représentations symboliques de la féminité : « par les rites de virilisation, les jeunes garçons cherchent à montrer qu’ils sont des hommes, qu’ils se ressentent comme homme. Qu’on les perçoive comme des adultes est accessoire. L’homme qu’ils ont en tête, l’Homme de leur représentation, n’est pas nécessairement un adulte » (Jeffrey 2012, p.13). Et les femmes et les adolescentes, quelle est la femme de leur représentation ?

2) Mise en contexte

Puisque le sujet des normes culturelles de beauté féminine est vaste et a été traité dans maintes disciplines, la recensions des écrits s’est faite de façon ciblée (souvent par thèmes), en s’inspirant à la fois d’écrivains, de sociologues, d’anthropologues, mais aussi des revues québécoises populaires comme Summum, Elle Québec, La Semaine, 7 Jours, etc.

2.1 Jeunesse durable

Dans une société dominée par la techno-science et le libéralisme économique, le fantasme d’immortalité prend chair dans des images de clones et de « jeunesse durable ». On vend, par le biais de la pharma-cosmétologie, la possibilité de participer à des découvertes scientifiques de pointe en matière de rajeunissement: plancton régénérateur, eaux cellulaires, élixir anti-temps; la

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publicité regorge de références à des laboratoires et à des scientifiques, qui paradoxalement semblent ne s’abreuver qu’à des sources d’eaux pures et biologiques pour créer leurs sérums révolutionnaires ! Cherchant certainement à rassurer la consommatrice qui débourse une somme colossale pour quelques milligrammes de crème, on ne veut pas lui faire peur en listant les produits chimiques qui s’ajoutent à ses élixirs nature.

Pour diverses raisons, des femmes et des jeunes filles consacrent temps, argent et énergie considérables au soin de leur corps et à leur apparence en général. La journaliste Naomi Wolf, dans son essai The Beauty Myth, (1985) relate une enquête menée par Betty Friedan dans les années cinquante sur les achats des femmes à la maison, et comment le marketing de l’époque cherchait à les faire participer à l’évolution des technologies : « C’est une manière d’absorber les talents, les goûts, l’imagination et l’initiative de la femme moderne. Cela lui permet d’utiliser dans son foyer toutes les facultés qu’elle déploierait dans une carrière. Ce besoin de création est l’une des forces qui la pousse à acheter » (citée par Chollet, 2012 : 35). Selon Wolf, nous assisterions à un backlash, une sorte de réaction sociétale à l’arrivée en masse des femmes sur le marché du travail dans les années soixante (Wolf, 1985 : 2). Ayant conquis la maîtrise de leur fécondité et leur indépendance économique, les femmes seraient sorties du « mythe de la domesticité » pour mieux entrer dans le « mythe de la beauté » (Wolf, 1985 : 2). Elle considère cet effet boomerang comme une « fiction sociale », une sorte de mensonge que la société se raconte à elle-même. Son ouvrage fournit nombre d’intuitions afin de cerner le culte de la beauté, mais il contient peu de fondements théoriques pour enrichir une anthropologie religieuse. Citant l’économiste et sociologue John Kenneth Galbraith, elle montre bien, par ailleurs, le lien unissant l’économie capitaliste à la quête de beauté2 :

Behaviour that is essential for economic reasons is transformed into a social virtue. The beauty myth redefined a woman’s primary social value as the attainment of virtuous beauty, once it could no longer be defined as the attainment of virtuous domesticity. It did so to substitute a new consumer imperative where the old has lost its hold over newly liberated women (Galbraith, cité par Wolf 1985, p.7).

2À titre d’exemple, l’industrie de l’hygiène et de la beauté représente au Canada un marché annuel de 5,6 milliards, réparti entre une poignée de

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Cette idée est intéressante, car nous verrons dans ce mémoire comment la conformité à certains critères de beauté peut parfois influencer la perception que les gens ont de nos vertus morales, ou même intellectuelles. La compagnie Procter & Gamble a d’ailleurs commandé une étude démontrant que les personnes belles sont perçues comme plus gentilles et plus dignes de confiance (Fréchette-Lessard, 2012 : 98).

Concernant l’hypothèse de Wolf sur le backlash, il n’est pas anodin que ce soit à partir du milieu des années quatre-vingt que l’on ait vu apparaître en occident les premiers cas d’anorexie infantile. Au cours des dernières années, selon la directrice de la clinique de l’adolescence de l’Hôpital de Montréal pour enfants, l’âge moyen des premiers symptômes d’anorexie a diminué de façon significative, touchant parfois des fillettes du primaire (Paré, 2006). Si l’anorexie est une pathologie complexe que nous tenterons d’expliciter à la lumière de notre sujet, il reste que la mise en marché des biens de consommation destinés aux enfants table exagérément sur une différenciation des sexes et que les petites filles sont incitées très jeunes à surveiller leur poids.

L’identité de genre, différente de l’identité sexuée déterminée à notre naissance, se construit dès la petite enfance, notamment par des pressions éducatives et des attitudes différenciées adoptées par les parents selon le sexe de leur enfant (Le Manner-Idrissi, 1997). Elle varie selon les cultures, mais consiste généralement en une série de représentations, de performances et de ritualisations visant à prouver l’appartenance à un sexe (Butler, 2006)3. Celles-ci ne sont pas liées à une essence féminine ou masculine et possèdent donc un caractère arbitraire. Même si le renforcement des normes varie d’une famille à l’autre, c’est l’ensemble du milieu social de l’enfant qui participe de cet apprentissage. Par exemple, le rose girly (popularisé à partir des années 1980), est tellement omniprésent dans le choix des jouets, des vêtements et des meubles pour fillettes qu’il semble naturel, tout comme leur intérêt pour les poupées, les petites cuisinettes et les miroirs (Chollet, 2012 : 31).

Pour une fillette, être belle signifie être dans la « bonne catégorie ». Les habitudes et les attitudes nécessaires à l’acquisition et au maintien de la beauté font donc partie du portrait bien

3Pour la philosophe postmoderne Judith Butler, autant le sexe que le genre sont construits socialement. Ils sont « performatifs », au sens où ils

tirent leur apparente stabilité de la répétition de gestes supposément naturels. Ils réalisent ce qu’ils font, mais toujours à l’intérieur ce qu’elle nomme « une matrice de pouvoir hétéronormative et hétérosexiste », qui se donne ainsi des instruments de légitimation sociale et politique (dans Baril, 2007 : 61).

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avant qu’elle n’ait l’âge de s’en soucier. On vend par exemple chez Wal-Mart des ensembles de cosmétiques anti-rides et anti-oxydants à des 8-12 ans ! Cette sexualisation de l’enfance ne constitue pas ici notre sujet, mais elle est importante à comprendre parce qu’elle pave la route à une esthétisation du corps basée sur la peur de vieillir. Dès lors, si l’identité féminine se calque sur un tel mode, c’est vivre même qui constitue une menace ! Les représentations de la beauté forgées dès l’enfance, notamment par les contes de fées remaniés par Walt Disney (et tous leurs produits dérivés), sont à prendre au sérieux quant aux symboles et aux mythes qu’elles véhiculent.

Le sentiment de féminité serait quant à lui distinct de l’identité de genre, mais lui aussi construit à partir d’une série de ritualisations du corps plus ou moins significatives. La sociologue Nathalie Heinich le définit comme : « la cohérence entre la façon dont le sujet en question se sent femme (autoperception), dont elle le manifeste à autrui (représentation) et dont autrui lui signifie qu’il l’identifie comme telle (désignation) » (dans Monneyron, 2010 : 94). En faisant l’hypothèse que le sentiment de féminité de plusieurs filles se construit à notre époque autour de la certitude d’être belle et séduisante, on peut penser qu’au-delà d’être nées femmes, beaucoup d’entres elles ne se sentent pas femmes et que certaines altérations du corps ont des effets performatifs (symboliques) sur ce sentiment.

La beauté se compose de multiples facteurs et ne peut se résoudre qu’à l’apparence physique. Cependant, les normes corporelles de beauté ne sont pas infinies dans une certaine culture; la jeunesse, la minceur et la blancheur sont des critères omniprésents dans les représentations sociales de la beauté féminine en Occident. On parle couramment de « canons esthétiques » sans beaucoup se questionner sur l’utilisation de ce terme (décret, règle et discipline régissant la bonne foi), qui réfèrent ici aux bonnes proportions du corps, supposément immuables et éternelles. Nous avons donc le choix d’adhérer ou non aux normes, mais elles constituent des codes de conduite qui ont leurs effets symboliques dans notre quotidien.

La beauté travaillée des mannequins et des actrices est aussi forgée par l’acquisition d’attitudes corporelles (maintien, posture, souplesse) qui transportent aussi leurs codes sociaux. Celle-ci est ensuite mise en scène sur des photos, dans des défilés ou sur des tapis rouges, là où elle sera consacrée ou pas, souvent immortalisée dans un cliché, une pose, un arrêt sur l’image

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qui ancre l’illusion de perfection. La beauté, même si elle est réelle, mime constamment la simplicité, la désinvolture, la perfection acquise sans heurts, alors qu’elle implique souvent nombre de procédures et d’étapes. La compétition pour la plus belle robe ou l’attente des « fashion faux pas » lors des galas est à peine voilée. On scrute, on juge, on parade : le public est ravi, la presse et l’industrie cosmétique font de l’argent !

2.2 Religion et beauté

Le parallèle entre la religion et le culte de la beauté se tient à plusieurs égards. L’attitude morale envers la beauté (particulièrement envers la minceur) peut se comparer à celle envers la sexualité féminine dans la tradition judéo-chrétienne (Wolf, 1985 : 65). L’excès alimentaire est puni de la même culpabilité que l’excès sexuel de jadis. Tentation, purification, ascèse, c’est tout un champ sémantique faisant généralement référence à l’univers religieux que l’on peut accoler au complexe mode-beauté. Est-ce un hasard du marketing, qui voit dans l’utilisation de ce langage une façon de convertir la consommatrice ? Référant à la fois à la science, à la nature et au divin, les mots sont parfois révélateurs des fantasmes sociaux : « ultime jeunesse », « perfection divine », « découvrez la déesse en vous »…

Les femmes âgées ou ménopausées, qui ont dans maintes cultures un certain pouvoir qui leurs est garanti du moment qu’elles sortent de leur période féconde, sont disqualifiées dans un système basé sur la jeunesse. La vieille femme fait peur parce qu’elle nous rappelle l’inévitable, mais peut-être aussi parce qu’elle incarne une force que seule la maturité permet. Il est difficile de ne pas voir dans cette « fiction sociale » (Wolf, 1985) une façon de disqualifier le pouvoir de la femme mûre en même temps celui de la jeune fille. Il y a peut-être là aussi une vieille haine du corps resurgie dans un culte de la jeunesse qui engage une rationalisation du corps à outrance, modelé par la techno-science et la volonté individuelle.

Le complexe mode-beauté absorbe par le biais du mannequinat le talent et la beauté de milliers de jeunes filles, pauvres et moins pauvres, fortes et vulnérables. Certaines réussissent à se hisser au sommet sans trop de heurts, elles font alors figure de modèles, de mythe fondateur. On relate l’histoire de leur « découverte », de leur ascension, de leur « journée idéale » et de leur « rituel-beauté ». Vite récupérée en image de marque d’un parfumier ou d’un couturier, le mythe s’épaissit. Les blogues-beauté et les magazines se chargent de relayer l’information et de nourrir

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une consommation ostentatoire des produits et des techniques de beauté (Chollet, 2012 : 65). Haute-couture, culture populaire, cultures marginales, certaines normes de beauté semblent traverser autant les frontières sociales que géographiques ! Pourtant, l’univers du showbusiness et de la mode a vu ces dernières années des scandales éclater au grand jour : abus sexuels, encouragements à l’anorexie, décès et suicides. On voit de plus en plus l’inhumanité présente dans certains milieux et les cages dorées que l’on présente tant aux jeunes filles en quête de gloire qu’aux femmes en quête de rajeunissement. Si pour certaines l’esthétisation du corps à outrance et à haut risque constituent la source de leur réalisation sociale, la majorité des femmes a peut-être plutôt le sentiment, à l’instar du salut de l’âme, que le salut du corps est une lubie, sans pour autant souhaiter être brûlée sur le bûcher de la dissidence esthétique !

2.3 Les altérations esthétiques typiques

Nous distinguons d’emblée les pratiques d’esthétisation ayant une valeur d’altération plus systémique (l’alimentation, l’entraînement physique, la contraception, la posture, etc.) d’autres qui ont des effets plus locaux (chirurgies, cosmétique, épilation, maquillage, bronzage, etc.). Elles ont toutes en commun d’avoir peu d’effets durables et demandent donc une régularité dans la pratique. On va chercher soit à masquer ce qui est perçu comme une imperfection, soit à parer l’une des parties du corps, soit à en accentuer tel ou tel aspect, ou soit carrément à le transformer. La tête et le visage sont en soi un haut lieu d’esthétisation : par les teintures, l’usage de cosmétiques et de maquillage, l’épilation, etc. Le « maquillage permanent », technique de plus en plus populaire, nous fascine, car à l’instar des visages botoxés qui pullulent dans notre société vieillissante, il fige la peau dans un masque esthétique. Allongement des cils, gonflement des lèvres : si ces critères étaient prescrits par un prêtre ou une tradition plus ou moins religieuse, on crierait au scandale4 ! C’est donc dire que l’autorité des normes de beauté est immense et tolérée par une majorité de la population. Comme pour le voile islamique, les femmes se justifient parfois d’avoir recours à la chirurgie afin de conserver un statut convenable dans la société.

Les rides quant à elles sont l’objet de nombreux soins dès qu’elles « dérangent » assez, ce qui dépend de chaque personne. Crèmes, injections ou chirurgies, on ne peut à ce jour qu’atténuer

4Par exemple, la nymphoplastie (la chirurgie des petites lèvres) est une procédure librement consentie qui consiste à rapetisser les petites lèvres

du vagin. L’excision, quant à elle, est une procédure qui, en plus de retirer le clitoris, prélève aussi parfois les petites lèvres. Associée à l’idéal de virginité, elle est perçue comme un rite d’entrée dans la féminité, mais permet aussi de faire un « bon mariage ». L’excision a donc une composante esthétique, pour certaines personnes, les filles excisées sont plus jolies, pures, etc.

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temporairement les rides, ce qui implique donc une régularité coûteuse et assidue dans la pratique. La découverte ultime de la fontaine de Jouvence, de la technique « sûre » ou du produit « miracle » semble pourtant toujours à portée de main de la consommatrice.

Les bras et les épaules vont plutôt être l’objet de musculation, d’épilation. La poitrine, par la façon de la mouler dans des sous-vêtements, est parfois altérée par ceux-ci. Les piercings aux mamelons (parfois la raison est plutôt ludique qu’esthétique) et l’épilation peuvent y être pratiqués, mais aussi des chirurgies esthétiques. Le ventre va surtout être musclé et contraint, par la diète, à rester plat et ferme, tandis que le nombril sera parfois percé. La région génitale est parfois altérée par des chirurgies et par des piercings. Les pieds et les chevilles vont être parés, et manucurés ; les souliers à talons hauts altérant parfois la posture du corps.

On peut déjà observer en listant les interventions possibles que maintes altérations du corps visent à camoufler le gras, les poils, les rides et les diverses « imperfections » du corps. Certaines pratiques comme la dépigmentation de la peau ou le défrisage des cheveux sont même nommées « chirurgies ethniques » par David Le Breton (Le Breton, 2010). Ces interventions ne visent pas nécessairement la correspondance avec l’idéal occidental (comme la chirurgie des paupières qui débrident les yeux des asiatiques), mais plutôt le retrait de ce qui est considéré comme ingrat, ou laid. Cela dit, pourquoi trouve-t-on culturellement qu’un nez fin, des yeux ronds et un visage pâle sont plus beaux ou plus harmonieux ? On pourrait probablement en retracer les racines historiques dans chaque culture.

Le Breton s’est intéressé dans son parcours à la signification des pratiques corporelles à risque en lien avec les critères de beauté féminine: « Repousser des modèles si attractifs et si aisés à reproduire est une faute morale car ils incarnent un devoir-être, une faute non seulement envers soi mais envers les autres » (Le Breton, 2009 : 4). Véritable « procès d’esthétisation » selon lui, les nouvelles normes de beauté impliqueraient une transformation corporelle continuelle « à travers laquelle la surface du corps de la femme ne correspond plus physiquement à son âge chronologique » (Bordo 2003, dans Le Breton, 2010 : 18). Nous pourrions ajouter qu’elle ne correspond plus toujours à son origine ethnique !

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La société reconnaît même à certaines leur dévouement aux normes en les consacrant « reines de beauté » ou « top-modèle » et en valorisant de façon générale les vertus associées au travail et au maintien de cette beauté. Mais par rapport aux altérations esthétiques des cultures plus traditionnelles, qui visent souvent l’acquisition d’un statut social à l’intérieur d’un groupe, la « beauté consacrée » des cultes et des spiritualités de la beauté occidentale ne mènent pas bien loin si elle n’est pas accompagnée d’un autre statut. Figée dans la jeunesse, elle implique inévitablement un non sens et une lutte farouche perdue d’avance contre le temps.

2.4 L’anorexie et le culte de la minceur

Concernant l’anorexie, que Le Breton associe au concept de blancheur ou d’effacement (Le Breton, 2007) dans son approche des conduites à risque féminines, elle est une problématique révélatrice et paradoxale quant à notre sujet, car la norme esthétique actuelle encourage la minceur mais condamne (en général) la maigreur. L’esthétisme y trouve par ailleurs un statut ambigu : « l’abstinence alimentaire est le fondement de l’anorexie, la perte de poids et la maigreur en sont la conséquence. La recherche de minceur, souvent évoquée comme étant à l’origine du trouble, traduit seulement la flexibilité d’un malaise identitaire qui trouve l’une de ses possibilités d’expression dans l’ambiance sociale du moment » (Le Breton, 2007 : 121). Souvent en lien avec une emprise maternelle sur l’alimentation, l’anorexie est un refus du corps féminin perçu comme souillé, étrangé, appartenant à la mère. Il y a aussi un sentiment de maîtrise qui est décrit par les anorexiques, impliquant une sorte d’extase liée à la faim et au pouvoir que donne le contrôle de l’alimentation. Pourtant, si l’on se réfère à la définition du sentiment de féminité évoquée plus haut, la société « désigne » la minceur comme un critère de féminité et de beauté, ce qui n’est pas sans jeter le trouble sur des adolescentes à qui l’on dit que tous les corps se valent et qu’il faut simplement « être soi-même » pour être belle. Qu’en est-il alors de toutes ces femmes et ces filles qui sont dans la quête de minceur, qui coupent leurs portions sans pour autant être diagnostiquées anorexiques ? Certains auteurs, comme Mona Chollet, évoquent un interdit pesant sur toutes formes de généralisation quant aux liens entre l’anorexie et la quête de minceur (2012). Il y a certes une hypocrisie sociale (comme face à l’hypersexualisation), qui fait que les anorexiques ou les adolescentes hypersexualisées servent parfois de boucs émissaires, alors que la mode sexy et le culte de minceur sont partout valorisés.

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2.5. Le bal des finissant(e)s

Puisque notre époque sépare l’arrivée de la fertilité du fait de se définir comme femme (notamment par l’union libre et le prolongement des études), il sera important de se demander quels rituels balisent cet accès à la féminité sociale. Le bal des finissants semble canaliser une partie du rite de passage, par une mise en scène de certains des attributs du rite du mariage et une emphase mise sur l’esthétisme. Mais entre-t-on pour autant dans la féminité ? Y était-on déjà ? Si l’adolescente incarne un certain état de marge entre l’état de fille et l’état de femme, n’est-ce pas un hasard alors que le marketing publicitaire utilise la figure de la lolita à outrance ? Sachant que le bal, et surtout l’après-bal, est considéré pour plusieurs comme un moment où beaucoup de « premières fois » se passent, il est clair qu’il joue un grand rôle dans la formation identitaire des jeunes filles. Quelles altérations du corps les filles pratiquent-elles ? Se demandent-elles si elles vont adopter aussi des attitudes corporelles plus dévergondées ? Si pour certaines ce moment est la première fois où elles vont par exemple porter du maquillage ou des talons hauts, qu’est-ce que cela signifie pour elles et comment cela affecte-t-il leur sentiment de féminité ?

3) Hypothèses de recherche

Les cultes et les spiritualités de la beauté sont des systèmes symboliques religieux qui puisent à la fois aux sources judéo-chrétiennes (purification, sacrifice…), au nouvel-âge (réappropriation du corps…) et à une idéologie technoscientifique (performance, santé, obsolescence…).

• Dans ce culte, le sentiment de féminité se définit beaucoup autour du maintien de l’apparence de jeunesse, de la minceur, de la blancheur et du sex-appeal.

• Certains critères de beauté véhiculés par des symboles (magazines…), des mythes (de la découverte…) et des rites (concours de beauté, défilés, émissions de téléréalité…) incitent à des pratiques esthétiques parfois risquées pour la santé.

• Les rites de féminisation, qui flattent un certain sentiment de féminité tout en embellissant le corps dans le sens souhaité, expliqueraient en partie le « sacrifice » pour la santé qu’impliquent certaines pratiques esthétiques douloureuses ou risquées.

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4) Méthodologie

A

u niveau méthodologique, les approches de Geertz et de Le Breton sont issues de souches semblables, soit le culturalisme « réformé » et l’interactionnisme symbolique, qui sont respectivement une école d’anthropologie et de sociologie américaine. Elles dérivent d’un courant plus pragmatique et constructiviste qui a émergé dans les années 1930 et qui en est venu à éliminer complètement les déterminismes biologiques dans la création du sens. Ce sont les interactions sociales et individuelles (communication verbale et non-verbale) qui déterminent le sens que les individus accordent au monde et à leurs propres états mentaux.

Pour Geertz, c’est la force d’impact des systèmes religieux sur les systèmes sociaux (et les individus) qui empêche de définir la religion adéquatement : « ne reste plus que des évaluations, des estimations et des diagnostics particuliers sur des cas particuliers » (Geertz, 1972 : 42). Ce n’est donc pas en cherchant à définir moralement, ou en termes fonctionnels, que nous pourrons comprendre la religion, mais en analysant l’action symbolique en jeu dans tel ou tel cadre particulier (1972 : 44). Il s’agira surtout de voir, dans sa perspective, s’il y a, dans les cultes et les spiritualités de la beauté, quête d’une référence transcendantale ou source d’autorité (voire un moule) proposant un cadre d’idées générales sur l’existence. Il propose une méthode en deux phases pour l’étude anthropologique de la religion de laquelle nous nous inspirons :

1. l’analyse du système de significations incarné dans les symboles qui constituent la religion proprement dite (la description des représentations sociales de la féminité/beauté…).

2. la mise en relation de ce système avec les processus socio-structurels et psychologiques (1972 : 44).

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Chapitre 2-Symboles culturels de beauté féminine

Nous tentons maintenant d’identifier dans la société occidentale quelques symboles culturels de beauté féminine, afin de définir, dans la perspective de Geertz, un système de symboles cohérents et à caractère religieux.

1) Visage et beauté

« Les yeux sont le miroir de l’âme. Conservez l’intensité de votre regard » (produits France Laure).

« Fraîche. Supérieure. Naturellement » (produits St-Yves).

Les signes du temps et les états intérieurs passent et s’enracinent parfois sur le visage : «Lieu le plus humain de l’homme […] peut-être d’où naît le sentiment du sacré » (Le Breton, 2003 :14). Tout minuscule changement d’un de ses éléments en modifie l’ensemble. C’est pourquoi la chirurgie du nez, par exemple, peut avoir des conséquences importantes pour l’identité (cette intervention vise parfois à briser symboliquement une filiation familiale ou ethnique). Quand à la rhinoplastie à l’occidentale, elle est fréquemment demandée par des patientes qui souhaitent avoir un « nez de star ». Le Beverly Hill Institut for Plastic Surgery publie d’ailleurs chaque année un palmarès des atouts les plus populaires des stars5.

Afin de nous orienter vers certains symboles, nous avons d’abord extrait un champ lexical lié à la beauté, principalement puisé dans les dépliants de cosmétiques et des revues féminines. Il est étonnant de constater la grande quantité de mots issus de l’univers de la pharma-cosmétologie concernant les différentes impuretés de la peau du visage : flétrissures, rides et ridules, stries, sillons, couperose, points noirs, acné, cellules mortes, cernes, impuretés, taches pigmentaires, rosacée, comédons, kystes sébacés, pores dilatées, mélanine noire, éruptions. La « condition cutanée » ou la « situation épidermique » est ainsi érigée en principe de vie. Il est question d’épiderme affligé, de relief cutané inégal, de peau mixte ou grasse, sèche, mature ou déshydratée ou qui manque d’élasticité. La peau (surtout celle du visage) est un attribut de beauté fondamental et son apparence « saine et jeune » est le motif de bien des interventions :

Acte (verbe) : exfolier, désincruster, hydrater, éblouir, illuminer, redensifier, rafermir, lisser, affiner, raviver, nettoyer, repulper, expandre, perfectionner, intensifier, définir, activer, rajeunir,

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soigner, transmuter, purifier, concentrer, créer, texturer, traiter, assainir, régénérer, restructurer, renforcir, décongestionner, mousser, relaxer, revitaliser, oxygéner, énergiser, tonifier, ioniser, lifter, drainer, maquiller, épiler, envelopper, masser, remodeler, électrocoaguler, gommer, corriger, bronzer, alléger, arranger, matifier, brûler, réparer.

Propriété (adjectif) : anti-âge, anti-imperfections, antioxydant, éclaircissant, gorgée de vie et de jeunesse, concentrée, fraîche, radieuse, éclatante, nourrie, pétillante, splendide, raffinée, souple, douce, riche, luxueux, tendre, gracieuse, surpuissante, supérieure, performant, intensificateur de jeunesse, impeccable, immortelle, naturellement net, veloutée, formule méga-multipliante, cils maximisés, définis, doublement fournis, brillance, optimale, exclusive, fluide, visible et durable, aspect jeune et sain, sublime, anti-pollution, ultime, synergique, efficace, charmant, actif.

Objet (nom): lait, miel, fruits, algues, oligo-éléments, fleur, cire, enzyme, poudre, cure, lotion, crème, gel, élixir, sérum, plante, eau thermal, plancton, brevet, labos, jardin, oasis, arbre de vie, Éden, collagène, élastine, résultats, pourcentages d’efficacité, ingrédients actifs, pharma-cosmétologie, industrie, institut, fontaine, soins, succès, environnement, expérience, concentration, promesses tenues, vitamines, minéraux, éléments biologiques, traitement, centre, boisson, renouvellement cellulaire, émulsion, équilibre, actifs à dispersion ultrafine…

Les signes du vieillissement sont surtout visibles sur le visage, qui est exposé en permanence; il n’est donc pas étonnant que les cosmétiques et le maquillage s’y attardent majoritairement. On vend l’idée de retrouver son visage d’antan, son authenticité, son naturel, sa « vraie beauté » (Le Breton, 2003 : 230). Ce rapport entre le naturel et l’artificiel est intéressant, car la beauté est plutôt socialement présentée comme quelque chose qui se cultive et se construit par les efforts que l’on y met : on la met en valeur, on la rehausse, on l’entretient. Le « vrai » naturel est rarement recherché. En associant un produit ou une technique à la révélation de sa beauté naturelle, on prône en fait un « refoulement du corps » (Le Breton, 2003 : 230), car c’est un naturel « purifié » et une authenticité qui passe souvent par le scalpel.

Le maquillage, à l’image d’un « vêtement facial », s’intègre à l’identité, au point que certaines femmes se sentent nues et vulnérables sans lui (Le Breton, 2003 : 226). Il fait aussi partie d’un rituel quotidien où l’on compose, devant son miroir, un visage rêvé. Bien qu’il y ait indéniablement un côté ludique et créatif à l’art du maquillage, le discours social qui l’entoure tourne plutôt autour de l’impératif de cacher les signes du vieillissement.

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1.1 Élixir/soma/ambroisie/nectar

Ces termes sont omniprésents dans les produits cosmétiques. On évoque souvent les avancées spectaculaires et « bouleversantes » dans les produits anti-âges, référant à la quête de l’élixir de longue vie (Elixir Vitae) évoquée par l’alchimie comme un breuvage d’immortalité (or potable) : « L’Alchimie n’est en rien une préchimie, mais une opération symbolique » (Chevalier et Gheerbrant, 1982 : 21). L’or est en fait la transmutation de l’individualité en immortalité, il ne s’agit pas d’une immortalité physique. Boissons des dieux, ces termes évoquent l’ivresse et la pureté (comme le lait et le miel), mais réfèrent aussi au savoir scientifique moderne.

1.2 Métamorphose

Le symbole de la métamorphose est fondamental dans les cultes de la beauté. Présenté comme une possibilité du monde moderne à laquelle il serait idiot de résister, le symbole est souvent réduit à une métamorphose physique garante d’un bonheur global. Dans les rites de passage des sociétés plus traditionnelles, les marquages corporels ont pour but de changer le statut social de l’initié. Dépendamment du contexte, les interventions esthétiques modernes peuvent parfois jouer le même rôle. Nous analyserons aussi dans le chapitre quatre comment ce symbole est relié au mythe de l’auto-engendrement, caractéristique de la culture occidental.

1.3 Fruits, fleurs et racines

Réversa, « avec eau végétale de racine de lotus »

Principe passif, la fleur est l’attribut de la jeunesse et du printemps, mais symbolise aussi l’instabilité de la créature vouée à l’évolution perpétuelle et le caractère fugitif de la beauté (Chevalier et Gheerbrant, 1982 : 447). Quand au fruit, il symbolise l’abondance, la fécondité, voire l’immortalité (1982 : 470). La référence aux symboles issus du règne végétal et minéral est manifeste dans les produits de beauté : métaux précieux (pour leur fermeté éternelle), pierres, soie, satin, mousses et crèmes évoquent la sensualité et l’organicité. Alliés aux symboles de la science (couleur vert hôpital, brevet, scientifiques) et de la société de consommation (performance, efficacité, rareté) dans les cosmétiques, ils évoquent pourtant autre chose qu’une nature à l’état brute. Ils sont comme un mariage parfait entre nature et culture.

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