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Chapitre 2-Symboles culturels de beauté féminine

2) Corps et beauté

« Liberté, égalité, beauté » (Yves Rocher)

Si le visage et la tête sont l’objet d’interventions esthétiques multiples, le beau corps féminin, qu’il soit pensé comme un tout ou morcelé en ses parties, est souvent esthétisé en référence à certains symboles. Au fond, la même logique du visage s’applique ailleurs : on lutte contre les imperfections de la peau (vergetures, cellulite) et les effets du temps.

2.1 Chronos (temps) /

éternité

Prévenance : « premier soin anti-temps »

Prévenir et anticiper les effets du temps est le but de beaucoup d’interventions esthétiques. C’est comme si en ne faisant rien, la décrépitude nous atteignait plus sûrement. Le temps est le grand ennemi, en même temps qu’il est une obsession de la modernité. Mais le fantasme d’immortalité est bien ancré, il évoque en fait un désir bien légitime, dans ce monde individualiste où chacun souhaite laisser sa trace. Dans la plupart des traditions religieuses, les fêtes, les orgies rituelles et tout ce qui procure l’extase visent à sortir du temps pour une durée déterminée, mais « cette échappée ne peut se réaliser que dans l’intensité d’une vie intérieure et non dans un prolongement indéfini de la durée » (Chevalier et Gheertbrant, 1982 : 938). Le non sens d’une quête d’immortalité physique est pourtant au cœur de notre culture.

2.2 Fontaine de Jouvence

Mythologie du rajeunissement, de la longévité ou de l’immortalité, la Fontaine de Jouvence (la source d’eau vive) est liée aux symboles du jardin d’Éden et de l’Arbre de vie (Chevalier et Gheerbrant, 1982 : 453). Référant plutôt à un état de l’âme, on évoque souvent dans les avantages des produits de beauté un état juvénile donnant accès à la santé, à une vie conjugale réussie, etc. Il est intéressant de noter l’engouement de la société occidentale pour les personnages de vampires, éternellement beaux et jeunes, mais pour qui la soif d’immortalité se paie d’une souffrance intérieure dévorante.

2.3 Midi/Minuit

Le midi marque une sorte d’instant sacré : « la lumière dans sa plénitude » (Chevelier et Gheerbrant, 1982 : 631). On évoque parfois les âges de la vie en référant aux heures de la journée. Le midi, c’est la jeunesse, la fleur de l’âge. L’expression « midinette » est intéressante à ce propos : ce sont ces femmes françaises qui envahissent les plages du midi de la France lors des vacances estivales et qui s’y préparent plusieurs mois d’avance (en suivant à la lettre les conseils des magazines). Minuit est plutôt l’heure des sorcières ou des femmes de mauvaise vie. Ici, nous avons une intéressante reprise de ces deux symboles dans deux publicités qui mettent en scène la jeune sorcière-héroïne d’Harry Potter : Emma Watson. Maquillage le jour, parfum la nuit. Si la sorcière incarne l’anti-séduction, celle-ci semble être rentrée dans les rang…

2.4 Le haut/le bas (verticalité/horizontalité)

« Y’a rien à faire, ça tombe » (femme aux seins nus sur la plage, dans Kaufmann, 1995).

La verticalité est un symbole d’ascension et de progrès (la station verticale caractérise l’humain). Pour le philosophe Gaston Bachelard, la hauteur est d’emblée « physiquement morale » (Chevalier et Gheerbrant, 1982 : 495). La jeunesse, en elle-même, implique que la personne continue jusqu’à un certain point de grandir, tandis que la vieillesse évoque un mouvement vers le bas, éventuellement un retour à l’horizontalité ultime. Plusieurs interventions esthétiques visent ainsi à remonter et à rehausser ce qui naturellement s’affaisse et perd ses formes ou son volume. On peut gonfler les lèvres qui s’amincissent avec l’âge, allonger les cils, s’offrir un lift mammaire ou un lifting du visage. Les talons hauts et certains sous-vêtements féminins ont aussi comme fonction d’allonger la silhouette ou de redonner du tonus à certaines parties du corps. Kaufmann note que la hantise des ballotements de la chair pourrait être liée à une peur héritée du judéo-christianisme envers les « mouvements mammaires », qui réfèrent à l’animalité (Kaufmann, 1995 : 159). L’enquête de terrain a d’ailleurs bien montré que le sein

ballottant (qu’il soit gros ou petit) dérange parce qu’il attire l’attention. Les femmes en général pratiquent donc les seins nus à l’horizontale. Lorsque certaines s’aventurent à marcher sur la plage, elles doivent avoir de beaux seins ou être très à l’aise dans leur corps.

2.5 Ventre, grotte et antres

« Soin ventre-taille qui vous feront paraître plus ferme » (Biotherm)

Dans la revue Vita, « qui célèbre les femmes de 40 ans et plus », on présente un sondage sur l’appréciation qu’ont des québécoises de leur corps. Résultat : 62% des femmes n’aiment pas leur ventre; c’est de loin l’aspect de leur physique qui les rend le plus anxieuses (Matteau, 2010). Surtout après la maternité, le ventre n’a souvent plus son tonus d’antan ! Mais il est intéressant de constater que le moindre gras à cet endroit semble signifier pour plusieurs un excès de plaisir, de nourriture, un relâchement dans l’exercice physique, etc. Qu’est-ce qu’il y a dans le ventre pendouillant qui nous dégoûte autant ? Le ventre mou évoque entre autres des abdominaux faibles, et donc une posture plutôt affaissée rappelant la sorcière ou la vieille femme. Il est aussi le siège des appétits dévorants que la raison contrôle mal. Le symbolisme du ventre est lié à celui de la mère nourricière, mais aussi de la mère dévoratrice et castratrice. C’est la même chose pour le symbole de la caverne, qui évoque l’inconscient et ses dangers inattendus. Pour Platon, la caverne est le lieu de l’illusion : « la montée vers le haut et la contemplation de ce qu’il y a en haut représentent la route de l’âme pour monter vers le lieu intelligible » (Chevalier et Gheerbrant, 1983 : 180).

2.6 Santé/vitalité

« La santé est belle » (Vichy) Peau douce, cheveux soyeux, minceur, propreté, maintien, etc., tous ces signes physiques réfèrent au concept de santé qui a acquis un statut moral important dans le dernier tiers du XXe siècle (Hubert, 2012). Forcément, des milliers de produits et d’interventions esthétiques visent donc l’apparence de santé, si ce n’est la santé réelle. Bien qu’effectivement une bonne alimentation et l’exercice physique soient liés à une peau plus en santé, l’inverse n’est pas vrai : une vieille peau, des cheveux blancs et un dos courbé ne signifient pas que la personne n’est pas en santé, mais simplement qu’elle a pris de l’âge. La corrélation jeunesse/santé et vieillesse/maladie trouve dans les critères de beauté son apogée. Étrangement, certains traits

associés à la maladie et au manque d’énergie (maigreur, teint pâle, joues creuses) sont visibles chez une majorité de top-modèles. Certaines sont littéralement mortes de faim (parfois en plein défilé) suite à des épisodes d’anorexie : Luisel Ramos (2006), Ana Carolina Reston (2006),

Brittany Wallace (2012), Isabelle Caro (2010), Hila Elmalich (2007)7. Tous ces décès depuis passent plutôt inaperçus, mais ils montrent que le tandem santé/beauté ne tient souvent pas la route. Le maquillage et l’esthétisation (et les logiciels comme Photoshop) permettent de camoufler l’état parfois critique des corps de rêve qui nous sont présentés comme symbole de vitalité et de santé.

2.7 Nourritures, soins et cures

Inovacure, « La protéine qui nourrit votre peau » Innéov, « Redensifiant cutané par voie nutritionnelle » (pilule contre les rides)

La plupart des marques insistent sur leurs effets nourriciers ou protecteurs, sur les soins, les traitements, les cures, comme si le corps avait constamment besoin d’être nettoyé, purifié, traité, réparé, arrangé… Parfois, l’on dit de telle technique qu’elle reproduit ou amplifie un mécanisme naturel ou l’action d’une molécule du corps. Le terme « esthétique paramédicale » et la notion d’ « opération » qui a glissé de l’univers médical au domaine esthétique sont des exemples du lien très fort qui s’est établi entre santé et beauté. Les concepts généralement liés au traitement des maladies (cure, traitement, soin) sont ainsi transformés en nourriture pour le corps, en séance d’entretien, en cadeau que l’on se fait. Le Breton ironise à peine en disant qu’à défaut de nourrir le corps (culte de la minceur), on nourrit symboliquement la peau de substance sucrée et onctueuse (miel, lait, crème) qui évoquent comme nous l’avons noté l’ivresse et l’immortalité (Le Breton, 2010 : 15). Cette consommation valorisante est largement encouragée et justifiée par la valeur morale associée à la santé. Paradoxalement, le corps est ainsi posé comme un objet détaché du reste de la personne, comme un alter-ego dont il faut assurer l’entretien.

2.8. Ascèse/purification

Kate Moss, « Nothing tastes as good as skinny feels »8 La référence à ces symboles est particulièrement présente dans le culte de la minceur, où la privation et le contrôle sont érigés en règle, où il faut brûler les mauvaises graisses par l’exercice physique et les régimes. On parle plus généralement du « travail de la beauté », du fait que celle- ci est acquise à travers des efforts constant et une discipline de fer. La jeune actrice et mannequin Portia de Rossi, anorexique avouée, relate dans son autobiographie que beaucoup de femmes deviennent complices des privations alimentaires; récompensant le refus de manger, affirmant qu’elles ne sont pas aussi disciplinées, etc. (Chollet, 2012 : 118). Désir de vivre dans un corps pur, léger, sans trace de vieillesse ni de laideur, il est difficile de ne pas y voir un certain idéal de décorporation, de libération du corps au sens où celui-ci n’est plus limité à l’incarnation terrestre. Héritiers d’une culture de tradition judéo-chrétienne qui, en plus d’opposer l’âme au corps, affirme la fondamentale imperfection du corps féminin, notre lien à celui-ci est peut-être d’autant plus teinté de cette idéologie maintenant que le salut de l’âme n’importe plus trop. Adulé, le corps est en même temps érigé en ennemi d’un l’individualisme triomphant.

2.9 Ascension/extase/volupté

« Sublimement vous » (France Laure) « It’s beautiful up here » (Chanel) L’ascension sociale d’une star est souvent liée à la quête d’immortalité. Proche du symbolisme des ailes, de l’envol, d’un mouvement vers la sainteté, l’ascension évoque l’idée de transcender les conditions matérielles de l’existence. Effectivement, la richesse que procure la célébrité permet une émancipation des conditions normales de la vie matérielle. À l’inverse, la déchéance physique ou sociale évoquent une chute, un repli ou un recul. Les produits et les techniques de beauté réfèrent abondamment à ces symboles qui sont liés aux concepts d’ascèse et de purification. Littéralement, celles qui pratiquent l’ascèse de la beauté, qui se privent de nourriture et soumettent leur corps à certaines mortifications corporelles, ont plus de chance de s’élever dans la hiérarchie sociale de certains milieux.

2.10 Raffinement/élégance

« Elegance is an attitude » (Kate Winslet, pour les montres Longiness)

S’il est vrai que l’élégance ou la grâce sont des attitudes, elles ne sont pas moins définies par la culture et acquises par l’éducation. Plus généralement, le raffinement et l’élégance sont du côté du luxe (parce qu’ils impliquent l’accès à des objets rares et onéreux) et le style est du côté du talent personnel à anticiper les tendances de la mode. Particulièrement utilisés dans la mise en marché des accessoires destinés à une clientèle aisée, ces termes servent parfois à simplement mousser le branding d’un produit de beauté de bon marché. Leur symbolisme évoque les conditions de vie des hautes classes sociales, où le bonheur et la liberté apparaissent comme garantis. Porter un vêtement sophistiqué, une paire de souliers ou un sac griffé, c’est comme faire partie de cette classe. Puisque la mode fonctionne par imitation des classes bourgeoises (Monneyon, 2010 : 35), relier un produit ou une technique à un univers privilégié, luxueux et raffiné, c’est s’assurer qu’une majorité de consommatrices vont vouloir s’y associer. La corrélation entre le prix et la qualité du service étant symbolique, on cherchera parfois à payer plus afin de faire partie de « ceux qui peuvent se payer cela ». Le bronzage à cet égard est, pour plusieurs, un impératif lié à la représentation sociale qui y est associée : être classée comme belle, mais aussi comme quelqu’un qui se paie des vacances (Kaufmann, 1995).

2.11 Perfection, unité et performance

« N’a-t-il jamais été aussi agréable de traiter les imperfections ? » (St-Yves)

Les libellés des produits cosmétiques insistent sur les effets lissant, unifiant et uniformisant des crèmes, comme si le visage devait toujours offrir son côté performant et harmonieux. La beauté parfaite est ainsi celle qui reflèterait des proportions quasi-mathématiques du corps humain, souvent basées sur des théories moyenâgeuses (comme la physiognomonie) 9 : distance entre les yeux, entre les seins, etc. Nous pourrions aussi nous demander si le concept de poids- santé n’est pas biaisé par les mêmes idées concernant l’harmonie des formes corporelles. Les concepts de perfection et de pureté se répondent parfaitement dans les cultes et les spiritualités de la beauté, car ils réfèrent à un modèle idéalisé.

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