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Chapitre 2-Symboles culturels de beauté féminine

4) Conclusion

4.1 Beauté, art et liberté

« Une nouvelle déclaration de féminité. De la femme contemporaine qui écrit sa propre histoire » (Yves St-Laurent, Manifesto.)

On réfère souvent dans les slogans au « talent de la beauté » ou à la « passion de la beauté», ceux-ci étant, comme la science ou l’éducation, une vocation comme une autre. Effectivement, les humains ont besoin de beauté, d’harmonie et d’art. Je ne parle pas ici de mode vestimentaire ou de maquillage théâtrale (qui sont, comme la littérature pour l’industrie du livre, l’aura des industries de la beauté), mais d’enlever des poils, de camoufler des « défauts », d’amincir des corps par la chirurgie et d’ériger ceci en démarche artistique. Les liens entre la mode, le cinéma, la musique et l’industrie de la beauté sont parfois si consanguins qu’il est parfois impossible d’en tracer les limites.

Une autre association fréquente est celle entre beauté et égalité qui érige l’esthétisation du corps en symbole de la libération de la femme. Il est certain que la femme québécoise est aujourd’hui beaucoup plus libre dans son expression esthétique que sa grand-mère ou même sa mère, mais pourrions-nous dire que l’exposition de la graisse, du poil et des rides sont désormais des offenses à la pudeur (ou à la bienséance), tout comme la nudité le fut à une autre époque ? Comme le dit si bien Kaufmann, lorsqu’il parle des femmes dans la quarantaine qui exhibent leurs seins comme une preuve qu’elles n’ont pas encore sombré dans l’invisibilité esthétique :

En se montrant, le beau sein attire sur lui des regards qui incitent la femme à se présenter passivement, instrument traditionnel du désir masculin auquel elle voudrait refuser d’être réduite : piégé entre l’invisibilité et l’exhibition comme objet d’admiration ou d’excitation, le sein féministe ne parvient plus à trouver le sens de son action (Kaufmann, 1995 : 161).

En fondant socialement l’estime de soi des femmes sur leur beauté (bien qu’à une époque et dans certains contextes il fut libérateur pour elles d’exhiber leur corps et de l’esthétiser de façon outrancière), on nous les encourage à dépendre du regard approbateur des autres pour exister.

4.2 Un système symbolique

Pour terminer, demandons-nous comment le système de symboles que nous avons énumérés ici peut générer des dispositions et des motivations puissantes, profondes et durables. Une disposition, selon Geertz, est une tendance ou une habitude qui donne « un caractère de chronicité au déroulement de son activité et à la qualité de son expérience » (Geertz, 1972 : 24). Une motivation, c’est une tendance persistante, une « inclination chronique à accomplir certaines sortes d’actes, à éprouver certaines sortes de sentiment, dans certaines sortes de situations » (1972 : 24). Ainsi, une personne « motivée » par la religion aura tendance à éprouver des sentiments de type « révérenciel, « solennel » ou « pieux ». Une personne motivée par le culte de la beauté aura peut-être tendance à ponctuer ses journées et ses semaines en ce sens, à accomplir certains types d’actes (se regarder dans le miroir, chercher les défauts physiques, se priver de manger, acheter des cosmétiques, etc.) et à éprouver certains sentiments (angoisse de vieillir, admiration pour le travail de la beauté, foi dans les produits de rajeunissement, etc.).

Geertz note bien que ces sentiments et ces motivations apparaissent comme rationnels lorsqu’ils sont liés à un mode de vie que justifie une conception du monde. La consommation est-

elle devenue notre principale conception du monde en Occident ? Vieillir en achetant la beauté et la jeunesse que l’on ne peut incarner éternellement requiert des moyens financiers qui apportent, en plus de la beauté, la preuve de sa capacité de le faire. L’élégance, particulièrement (surtout celle des stars), est liée à la quantité de temps et d’argent qu’une femme peut consacrer à sa parure. En faisant de la beauté leur métier, les stars font non seulement des salaires bien supérieurs à tous les autres métiers traditionnellement féminins (enseignantes, éducatrices, etc.), mais elles peuvent y consacrer, en toute légitimité, la majorité de leur temps.

Cette beauté ostentatoire est si liée à une conception du monde de la haute et moyenne bourgeoisie, où l’argent permet de consommer sans souci ce que les plus pauvres produisent à la sueur de leur front, qu’on arrive à oublier qu’elle ne reflète pas la réalité de la majorité de gens. Intrinsèquement liée au mythe du self made man, cette vision bourgeoise de la réalité opère de plus une négation totale des conséquences liées à cette consommation à outrance. L’extrait de fleurs de merisier du sud-est japonais prélevé à coup de tonnes, qui ira ensuite s’étendre sur les peaux vieillissantes des bourgeoises américaines (sans parler des conditions de travail des gens qui œuvrent dans ces industries, du transport et des conséquences environnementales) n’est-il pas le signe d’une fiction planétaire qui n’a rien de rationnel ? Comment, socialement, justifie-t-on une telle absurdité ? Par une conception du monde basée sur l’économie, la consommation et le profit individuel. C’est pourquoi la démocratisation des produits et des techniques de beauté est si appréciée du public. Les femmes peuvent ainsi se procurer de tout à un prix relativement bas, mais la réalité est que le « vrai » sac Louis Vuitton reste l’emblème du succès (dans certain milieu), et que comme dans tout, il n’est jamais certain que le chirurgien du coin qui vous défait les rides pour pas cher ne mélangera pas son silicone avec je ne sais quoi. En somme, on fait dans le cheap (et donc souvent dans le plus nocif) pour accommoder les classes économiques moins favorisés, mais socialement, on vise toujours un mode de vie où l’accès aux produits de haute gamme et aux techniques de beauté est une promesse de bonheur éternel. Les motivations et les sentiments que génèrent les symboles et les modèles de beauté féminine apparaissent donc rationnels en regard d’une conception du monde inspirée de l’idéologie capitaliste que justifie un mode de vie basé sur la consommation et la croissance économique.

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