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LA HIERARCHIE DES SALAIRES ET LES SALAIRES INDIVIDUELS DANS LES MARCHES INTERNES

/ (1) Cette thèse a été développée pour la première fois par Thurow et

5. LA HIERARCHIE DES SALAIRES ET LES SALAIRES INDIVIDUELS DANS LES MARCHES INTERNES

5.1. Evaluations de postes et enquêtes de salaires

Le problème est de définir les différentiels de salaires vertica- lement et horizontalement. Les outils formels de la gestion des salaires sont les enquêtes locales, l'évaluation de postes, les normes de production (standards) .

Un ensemble de caractéristiques est d'abord sélectionné. Ce sont par exemple : la qualification requise, les conditions de travail, la respon- sabilité du matériel et à l'égard des ouvriers, et d'autres caractéristiques individuelles. Un nombre maximum de points est attribué à chacune d'entre elles et des pondérations sont choisies. Certains postes servent de référence. L'évaluation de poste consiste à établir des totaux de points qui, en liaison avec l'évaluation des postes de référence, permettent d'établir une hiérarchie des salaires. La structure ordinale donnée par les évaluations de postes est transformée en une structure cardinale par les enquêtes de salaires.

Les enquêtes de salaires sont des procédures plus ou moins formelles et systématiques par lesquelles les firmes apprécient l'adéquation de leur hiérarchie des salaires par rapport aux concurrents. Les firmes les plus importantes et les plus visibles jouent naturellement le rÔle de "leaders".

La différenciation horizontale des salaires est fonction du mérite ou du rendement. Si la rémunération dépend du mérite une fourchette de rémunération remplace alors le salaire unique afférant à un grade. Avec la rémunération au rendement, les différences de salaires dépendent des perfor- mances individuelles.

Les enquêtes de salaires paraissent constituer la principale courroie de transmission des forces du marché. Elles favorisent une interprétation compétitive de la détermination des salaires •

La réconciliation des struct~es de salaires internes et externes nécessite d'ailleurs des ajustements permanents car leurs facteurs d'évolution ne sont pas les mêmes. Mais il ne faut pas exagérer l'importance des données externes. La priorité est souvent donnée à la cohérence interne des salaires. Théoriquement l'évaluation de postes est prépondérante. Pratiquement il est possible que certaines entreprises utilisent l'évaluation pour légitimer la hiérarchie interne existante. Mais, dans tous les cas, l'attention est portée sur la hiérarchie interne.

Le relativement faible effort fait pour maintenir la parité des salaires internes et externes, le caractère "sacré" de la hiérarchie interne,

le caractère approximatif des enquêtes ou comparaisons de salaires,. ne parais- sent pas légitimer une interprétation compétitive de la détermination des salaires, sauf aans certaines limites qui sont maintenant examinées.

5.2. La contrainte "concurrentielle"

L'hypothèse compétitive est que les salaires se correspondent d'une entreprise à l'autre. De plus, le salaire est théoriquement égal à la produc- tivité marginale du travail. Mais l'analyse concurrentielle repose sur

l'absence de coGts fixes de l'emploi, sur la nature temporaire de la relation d'emploi et sur l'interchangeabilité des employés.

Mais en réalité, des coGts fixes du travail reflètent l'existence d'instruments autres que les salaires grâce auxquels la firme peut s'ajuster au marché externe. Ces coGts sont ceux de la formation plus ou moins spéci- fique. Leur prise en compte rompt l'égalité du salaire à la productivité marginale du marché concurrentiel. Ces coGts fixes constituent un investis- sement de l'employeur. Ils donnent à l'employé un pouvoir de négociation car

le partage des coGts et de leurs gains est contractuel. Pour ces raisons, les forces du marché s'exercent principalement sur les points d'entrée dans les marchés internes .

Dans un marché concurrentiel, la structure des salaires fait l'objet de multiples décisions indépendantes et individuelles. Mais la stabilité de l'emploi requiert en fait que la structure des salaires elle- même fasse l'objet d'une décision.

Théoriquement les salaires sont payés aux employés. Pratiquement, les salaires sont liés aux postes.

M@me dans les points d'entrée, l'approche compétitive serait

difficilement acceptable. Les décisions d'emploi et de salaires s'appliquent

à des groupes d'employés et non pas à des individus. Elles dépendent de la valeur attendue du groupe, de sorte que les meilleurs employés subventionnent

les autres. Les liens salaires-performances peuvent réduire ces effets mais ne peuvent les éliminer.

5.3. Les contraintes institutionnelles et individuelles

négociations collectives

La cohérence de la structure interne des salaires doit d'abord être préservée. La cohérence de la hiérarchie salariale n'est pas toujours facile à définir. Lorsque les mouvements internes sont imposés aux intéres- sés, il suffit de coordonner mouvements et salaires. Mais lorsque les mouvements sont volontaires, il faut mettre en place une structure incita- tive des salaires consistente avec les changements souhaités.

La structure salariale peut être utilisée comme un instrument d'action pour induire des changements dans la structure allocative de la firme. Cohérente avec les séquences de promotion désirées, elle pourra ne plus l'être avec les mouvements réels. Il n'est donc pas exclu que certaines inconsistences apparentes soient en fait délibérées.

Il est en général plus facile de changer la structure des salaires que celle des postes. Cette dernière est plutôt une contrainte pour la hiérarchie des salaires qui réduit la flexibilité des ajustements aux mar- chés externes. La marge de manoeuvre sur le salaire d'un poste est limitée

par les salaires des postes immédiatement inférieurs et supérieurs. Elle est aussi fonction des salaires demandés par les sources alternatives de main-d'oeuvre externp..

Les salaires d'un poste varient avec l'employé qui l'occupe. La forme des réseaux de mobilité affecte le nombre de candidats à un poste et la variabilité des salaires. Lorsque les candidats sont peu nombreux par rapport aux vacances, les différences de salaires reflètent leurs pré-

férences et peuvent varier avec chaque vacance. Il faut alors éviter des ajustements continuels de la hiérarchie des salaires que cette variabilité peut provoquer. Un moyen consiste à maintenir une différenciation verticale d'une ampleur suffisante.

La faible volatilité des hiérarchies de salaires traduit l'existence de coUts d'ajustement. Ces coUts sont ceux de la négociation avec les

employés.

Lorsque la compétition diminue d'intensité, comme c'est le cas dans les marchés internes, la négociation joue un rOle de plus en plus important. Mais la négociation comporte aussi des coUts : ceux du processus lui-même et les coOts consécutifs à un échec: (la grève).

Or, les marchés internes sont un lieu de prédilection pour les négociations. Le nombre de candidats pour un poste donné est limité : les règles d'avancement à l'ancienneté produisent une situation de pur monopole bilatéral. La firme offre un poste, face à l'employé unique qui a priorité pour la promotion.

A chaque vacance, un entrepreneur rationnel peut théoriquement- comparer les coOts de recrutement externes à ceux de la promotion interne. Si le recrutement externe est trop coUteux, il préfère- fixer des diffé- rentiels de salaire d'un poste à l'autre suffisamment élevés pour éviter que les employés prioritaires ne rejettent les promotions •

Le pouvoir de négociation des employés est encore accru par la

nature du processus de formation. La formation sur le tas dépend des employés. La spécificité des emplois confèrent aux employés un monopole du savoir-faire et le pouvoir de perturber le processus de formation (rétention de l'infor- mation, attitudes de retrait).

Les procédures d'établissement des salaires qui évitent la négo- ciation, et n'incitent donc pas les employés à exercer leur pouvoir de négociation, sont avantageuses pour l'entreprise. Ces procédures sont celles des instruments formels et régulés. Mais des procédures excessivement for- melles peuvent être antagonistes avec les impératifs économiques.

5.4. Les déterminants sociaux des salaires : une solution .institutionne11e au problème de l'établissement des

salaires

5.4.1. La coOtume

Toute procédure de fixation des salaires mise en oeuvre peut devenir coOtumière et difficile à modifier. La coOtume a tendance à se former autour des hiérarchies de salaires existantes, davantage qu'à propos de salaires spécifiques et individuels. Elle produit une rigidité de la hiérarchie interne, que n'exclue cependant pas tout ajustement. Ce sont en fait les ambiguïtés des règles pratiques qui permettent ces éventuels ajus- tements. La variété des circonstances permet ainsi de modifier les règles en usage. Les divergences entre le classement interne des postes et le classement externe obtenu par les enquêtes de salaires constituent également une source d'ambigutté.

5.4.2. Le statut social

Le revenu est souvent associé au statut. Or, le statut social est un facteur de la performance et ne peut être négligé dans la fixation du salaire. La hiérarchie des salaires est en partie dictée par le statut

afférant aux emplois. Inversement, le revenu détermine le statut. De manière analogue, les firmes utilisent les enquêtes de salaires pour s'assurer que les rémunérations qu'elles offrent maintiennent leur propre statut local

5.4.3. Les préférences individuelles

Les comportements indlvidue1s doivent être étudiés dans le cadre des groupes auxquels les individus appartiennent. L'insertion dans le groupe donne lieu à des coQtumes et à des comportements d'imitation. Ainsi l'utilité du revenu pour un individu dépend des revenus des membres du groupe avec lesquels il est fréquemment en contact, et réciproquement les préférences individuelles déterminent celles du groupe. Les employés s'habituent aussi aux niveaux relatifs des rémunérations dans le groupe. La parité des rela- tions de salaires est d'autant plus nécessaire que les membres du groupe sont proches les uns des autres. Pour cette seule raison, les postes qui impliquent des interactions fréquentes avec d'autres employés ont une impor- tance stratégique pour la détermination des salaires.

Enfin, les rapports de la firme avec les communautés locales sont analogues. Le maintien de la parité des rémunérations internes et externes résulte de l'interdépendance de la firme avec son environnement. Les firmes les plus importantes tendent à dominer les mouvements de salair!s dans la communauté à travers ces effets de démonstration.

6. CONCLUSION

Les théories de la segmentation permettent de situer les apports du capital humain et de la sélection dans le cadre de l'entreprise. A plusieurs égards elles paraissent simultanément exclusives et complémen- taires de ces approches.

Au capital humain, elles empruntent le concept-clé de formation spécifique en tant que facteurs d'émergence des marchés internes. A la sélection elles empruntent l'insistance sur les caractéristiques superfi- cielles et visibles des employés au moment de l'insertion dans l'entreprise ou dans les filières de progressions. Quoiquemoins explicites sur les autres

aspects des modèles de sélection, d'autres complémentarités ne sont pas exclues. L'auto-sélection des employés face aux contraintes d'encadrement, les difficultés d'évaluations des qualifications requises et des perfor- mances, et les croyances imparfaites des employeurs ne sont pas exclues. au sein des marchés intern2s. Il est toutefois opportun de remarquer ici que les marchés internes sont des marchés de l'information plus parfaits que le marché externe traditionnel.

En revanche, plusieurs oppositions sont faciles à identifier. La segmentation repose sur une prépondérance des éléments spécifiques de

la formation et de l'expérience. Le rôle des comportements individuels et les compétences générales auxquels le capital humain s!attache sont donc réduits d'autant. La formation et sa spécificité conditionnent les perfor- mances individuelles , ce qui implique un rejet, au moins partiel, de la prédilection pour les aptitudes inaltérables des modèles du Ufiltre".

La dimension sociale apparatt et revêt une importance

déterminante dans la segmentation, alors que ni l'économie de la formation, ni la sélectio~ ne s'attachent à ces aspects. Et ce n'est pas la moindre· contribution de ces analyses d'avoir souligné les imbrications des facteurs économiques et sociaux.

Sur ce plan. la segmentation s'écarte résolument des approches orthodoxes et insiste sur leur caractère partiel. L'analyse économique traditionnelle paratt déboucher fréquemment sur des indéterminations levées par la coutume ou la négociation si souvent évoquées dans les marchés

internes.

Enfin la présentation détaillée effectuée dans ce chapitre est d'autant plus importante dans le cadre d'une étude

q~

débouche sur une analyse appliquée dans une grande entreprise. Il est clair qu~ ce chapitre rappel~e les principaux traits qu'il faut s'attendre à retrouver dans l'étude empirique des déterminants des carrières effectuées à la troisième partie.

L'étude de la discrimination. abordée maintenant. complète cette revue. Prolongement naturel de la segmentation par le rôle explicite accordé aux entreprises. elle entretient aussi des rapports étroits avec l'étude ~e

la formation. de la sélection ou du fonctionnement des marchés internes •