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Partie II Construction de la catégorie des voyageurs hors et dans l’école

Encadré 3. Extrait du site Eduscol

4.2 L’échec scolaire

4.2.2 Handicap socio-culturel ou impuissance de la forme scolaire ?

Afin de ne pas remettre en question l’institution elle-même (de sa construction et dans son évolution), la notion d’échec scolaire, très utilisée depuis les années quatre-vingts dix, va s’agencer, s’expliquer autour « des concepts d’inadaptation scolaire, d’anormalité, voire de débilité mentale légère que se forge la notion d’échec scolaire. » (Best, 1996 : 7). Ces analyses, mélangées aux concepts venus du milieu de « l’enfance inadaptée », vont faire de l’échec scolaire un handicap socioculturel.

« Les milieux sociaux populaires sont taxés de déficit culturel, engendrant un nouveau type de handicap chez leurs enfants. Le milieu social défavorisé souffre d’un mal endémique, le manque de « culture cultivée » qui semble irrémédiable. A moins de faire des écoles spéciales pour ce nouveau genre d’inadaptation (!), on ne voit pas comment on pourrait porter remède à ce soi-disant handicap. » (op. cit. : 11) »

Jusque dans les années soixante, la culture commune défendait l’idée qu’étant donné que l’école est la même pour tous, la difficulté plus grande des enfants de milieux populaires à s’approprier le savoir scolaire pouvait s’expliquer par leur manque de ressources culturelles indispensables (ils étaient moins doués, ils avaient moins d’aptitudes). La critique de la théorie du don a bien montré que ceux qui ne réussissaient pas étaient ceux qui n’avaient pas reçu le même capital culturel que les autres dans leur famille. Cette vision des inégalités scolaires a été intégrée à la pensée commune. Cependant il a été, par la suite, moins question d’utiliser les ressources de types biologiques, naturalistes comme facteur de création d’inégalités scolaires, l’argumentaire institutionnel s’est déplacé et s’est emparé de l’idée même que tous, au sein de leurs familles, ne recevaient pas le même capital culturel. Ce glissement est ce qui constitue la théorie du handicap socio-culturel. Jean-Pierre Terrail note que « cette thèse justifierait l’échec massif chez les jeunes d’origine populaire, cela voudrait dire qu’une partie des jeunes qui arrivent à l’école ne sont pas éducables »137. L’école va alors orienter les élèves en difficulté, en particulier les enfants d’origine populaire, vers des

137 Transcription de propos de Jean-Pierre Terrail sur une vidéo datant de 2003 et portant sur la sociologie, à l’épreuve des inégalités scolaires https://www.canalu.tv/video/canal_socio/a_l_epreuve_des_inégalites_scolaires

voies courtes, que ce soit vers l’enseignement professionnel ou des classes d’enseignements spécialisés, constituant des parcours dévalorisés du système éducatif. Concernant les enfants considérés comme Enfants du voyage ou EFIV par l’institution scolaire et, par corrélation, par le corps enseignant, les orientations se font dès le plus jeune âge. Les circulaires138 spécifiques aux EFIV prévoient leur orientation dans des voies (très) courtes et vont donc les amener vers des parcours dévalorisés, marginalisés, du système éducatif, (nous y reviendrons bien plus longuement dans la suite de la thèse). Or, ces orientations seraient inadéquates, car pour Jean-Pierre Terrail, à partir du moment où l’on parle, les performances intellectuelles que transmettent les pratiques du langage oral permettent d’accéder à des capacités de raisonnement logique ainsi qu’aux capacités d’abstraction dont l’école a besoin. Partant de là, il considère que le milieu social, la pauvreté économique ou la supposée pauvreté culturelle ne peut pas expliquer l’échec scolaire mais qu’il faut regarder le fonctionnement de l’institution scolaire elle-même.

Stéphane Bonnéry observe que les apprentissages par les supports écrits vont, depuis les années quatre-vingts, de plus en plus départager

« […] d'un côté l’élève connivent qui saura opérer les sauts intellectuels et suivre le cheminement intellectuel sans avoir besoin d’être trop cadré car il entend ce qui n’est pas demandé formellement du fait de sa socialisation familiale ; de l'autre, l'élève qui n'entendra pas ce qui n'est pas dit clairement, qui ne suivra pas spontanément le raisonnement attendu. Cette dernière définition sociale correspond à l’élève dont on parle souvent dans le milieu scolaire en termes de « manques », de « handicap socio- culturel » : il ne fait pas ce qui est attendu pour apprendre. (Bonnéry, 2011 : 74).

Ces manques, définis dans les discours éducatifs comme handicaps, vont pathologiser l’échec scolaire. En effet, l’utilisation des termes handicaps sociaux ou socioculturels vont suggérer un lien entre les handicaps (moteurs, psychique…) et les formes de culture. Cela va également induire que les difficultés d'apprentissage rencontrées seront systématiquement rapportées aux incapacités cognitives des élèves, qui vont s’en trouver immédiatement stigmatisés. Dans son ouvrage, Sandrine Garcia (2013) s’est penchée sur la multiplication des diagnostiques de dyslexie comme étant un élément de cette pathologisation de l’échec scolaire. Suite à son étude, qui a porté sur un échantillon de plus de 600 élèves, elle observe que la médicalisation des troubles scolaires amenait à une naturalisation de l’échec scolaire.

Garcia part de l’observation de la production des inégalités sociales d’accès aux savoirs scolaires propre à l’école française depuis une vingtaine d’années, particulièrement

dans le domaine de l’écrit. Elle constate que les prérequis demandés en déchiffrage et compréhension auxquels les enseignants confrontent leurs élèves à partir des années quatre-vingts, ont évolué et vont accentuer la mise en échec des élèves. Ainsi, les prescriptions lectorales « font apparaître certains élèves comme d’autant plus handicapés par leur milieu ou leurs propres déficiences, qu’elles valorisent en fait des prérequis culturels » (Garcia, 2013 : 265). Dans son étude, elle met en lumière le fait que l’échec ne va pas remettre en cause les pratiques pédagogiques mais être attribué à la « pathologie de la lecture » que représente la dyslexie139. Il est important de noter que la dyslexie appartient depuis la loi de 2005140, au champ du handicap, avec tous les risques de stigmatisation qui peuvent y être associés. Garcia fait une lecture politique du phénomène de multiplication des cas de dyslexie et questionne très justement les rouages et intérêts de la prolifération de ces diagnostiques dans la prise en charge et l’orientation des élèves vers des dispositifs spécialisés, comme les RASED (Réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté) ou classes adaptées (SEGPA, ULIS…) qui vont mettre à l’écart et stigmatiser les élèves concernés141. Le handicap scolaire des élèves sera dans le même temps ouvertement médicalisé par un recours très fréquent à un orthophoniste. Lorsque je travaillais à l’ALI j’ai eu l’occasion de suivre scolairement de nombreux enfants qui étaient dirigés vers un orthophoniste, et ce majoritairement sur des temps de classe. Les rendez-vous orthophoniste et les prises en charge en classe adaptée les amenaient à sortir de la classe régulièrement. Face aux difficultés d’apprentissage de certains élèves, identifiés dans l’école comme Voyageurs, les enseignants orientaient les parents vers un professionnel des troubles de l’élocution et du langage. Généralement tous les enfants (ou presque) d’une fratrie y allaient. Les discours de formation des enseignants corroborent cette orientation. Dans un séminaire sur la scolarisation des enfants tsiganes, Repaire, note que « Nombreux [cela désigne les enseignants] sont ceux qui expriment le besoin de connaître les méthodes et les pratiques pour stimuler et motiver ces enfants : quels sont les objectifs à poursuivre avec les enfants de passage, quelles sont les attentes des jeunes et comment y

139 On retrouve d’ailleurs la description du même processus dans les analyses de Terrail et de Garcia.

140 Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et le citoyenneté des personnes handicapées.

141 « Le passage par le RASED, parfois apprécié des parents, est plus souvent encore critiqué du fait du stigmate que l’enfant ressent vis-à-vis du reste du groupe, puisqu’il est amené à sortir de la classe régulièrement. Certains parents considèrent même ce passage comme une “dérive”, dans la mesure où il prive l’enfant de certains enseignements réservés à tous. D’autres estiment qu’il met l’enfant encore plus en difficulté. Dans le contexte de difficultés non résolues par le système scolaire, le recours à la catégorie du handicap apparait dans l’ensemble des questionnaires comme une manière de résister à une disqualification exercée par le système scolaire te de défendre les qualités de l’enfant contre le verdict des enseignants. » (Garcia, 2013 : 148)

répondre au mieux et comment détecter des problèmes comme la dyslexie ou la psychomotricité pour une orientation précoce » ? (Repaire, 2002 : 13)

Si l’aide d’un orthophoniste a pu, pour certains, soutenir les efforts en apprentissage de la lecture, il est nécessaire de se demander si « la dyslexie existe, ou [s’il faut] distinguer “vrais” ou “faux” dyslexiques, mais vraiment d’analyser le plus finement possible comment l’élève passe de la difficulté ponctuelle au handicap. » (Garcia, 2013 : 295)

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