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Partie I De la théorie au terrain

Chapitre 2. Présentation du terrain

2.3 La classe CNED-EFIV vue par ses encadrantes

2.3.6 L’encadrement pédagogique de la classe

Deux éléments sont principalement à prendre en compte concernant l’encadrement pédagogique : l’encadrement éducatif et pédagogique des élèves et les outils pédagogiques. Les outils pédagogiques sont divers dans la classe CNED-EFIV et cela pour deux raisons principales. La première concerne le CNED en générale : les niveaux CNED sont hétérogènes78 et les cours ne sont, généralement, pas envoyés en temps et en heure (les EFIV reçoivent souvent les cours à partir de novembre). La deuxième concerne plus particulièrement la classe CNED-EFIV du collège du Bordage car elle accueille des jeunes non-inscrits au CNED. Pour les élèves inscrits au CNED, les cours sont perçus comme inadaptés79 par l’équipe encadrante. En outre, ils sont envoyés avec retard, ce qui constitue un handicap car les élèves ont moins de temps pour effectuer tous les devoirs sur l’année :

78 Pour Julie ces niveaux hétérogènes représente effectivement un problème : « les familles pour leur expliquer que les gamins vont intégrer le collège (.) mais en terme de NIVEAU parce que j’pense qu’en fait y’a deux (.) y’a ces deux problèmes là (.) c’est le problème de niveau et nous quand même les trois quart des élèves ont un niveau (.) qui (.) qui est équivalent à TROIS classes en-dessous de leur âge (.) euh: et encore quand j’dis trois classes (.) hein uh:/ c’est c’est/ à la base quand on les accueille c’est ça hein », extrait d’une interaction avec Anne de décembre 2014.

79 Extrait du bilan 2016-2017 de Clémence et Anne : « Tout d'abord, nous avons rencontré certaines difficultés avec le CNED. Nous constatons chaque année que les cours ne sont pas adaptés à nos élèves. Certains élèves, d’un bon niveau, sont orientés dans des cours d’un niveau supérieur, où ils n’arrivent pas à suivre vu la densité et le rythme des devoirs. »

Extrait du bilan 2015-2016 rédigé par Anne et Clémence :

« Comme chaque année, les séances ont débuté début octobre et les élèves inscrits au CNED n’avaient pour la plupart à cette date pas reçu leurs cours. »

Extrait du bilan 2016-2017 rédigé par Anne et Clémence :

« Suite à une restructuration de certains cours de CNED, quelques élèves ont reçu leur cours fin octobre, date tardive pour une rentrée des classes. Une deuxième série de devoir fut envoyée cet hiver avec encore plusieurs mois de retard. Pour exemple, une élève a reçu début mai (au lieu de mars) 6 séries de devoirs dans 8 matières. Ayant ressenti une pression du CNED pour renvoyer les devoirs en temps et en heure, il nous paraît complexe d’accompagner au mieux ces élèves, vue l’importance de la contrainte du temps. Cela provoque chez nos élèves une obsession totale de renvoyer les devoirs au plus vite, au détriment de la qualité du travail, et ne leur permet pas de s’investir dans d’autres projets formateurs que nous leur proposons. »

Dans le bilan 2015-2016, Clémence et Anne notent le retard des cours envoyés par le CNED sans y ajouter de commentaires, ce qui est certainement dû au fait que ce soit leur première année dans le dispositif. L’année suivante, elles donnent plus de détails (« Pour exemple, une élève a reçu début mai (au lieu de mars) »). Elles ont plus d’expérience et peuvent donner des éléments concernant les effets que ces retards vont avoir sur l’accompagnement éducatif (« il nous paraît complexe d’accompagner au mieux ces élèves ») et la posture des élèves (« Cela provoque chez nos élèves une obsession totale de renvoyer les devoirs au plus vite »). Ces retards signifient également qu’il faut « occuper » pédagogiquement les élèves présents en classe car ils n’ont pas encore les supports CNED.

D’autres élèves n’ont aucun support pédagogique car ils sont accueillis en classe CNED-EFIV sans pour autant être inscrits au CNED. Sur la période 2010-2014, ils sont appelés « élèves fantômes » par le principal du collège80 (muté en 2015). Julie explique :

Ju2014_Extrait7

15ju alors LA où monsieur M. a rectifié le tir (.) c’est qu’il

a:: (.) fin rectifier le tir/ (.) officiellement euh: pour qu’on soit dans les clous euh::: mmm (.) il a (.) tu sais bien qu’on a un débat là-dessus (.) moi quand on m’a expliqué la situation parce qu’au début (.) j’avais rien compris moi j’avais pas été embauchée pour ça/ j’avais même pas (0.3) euh:: j’comprenais même pas c’qui se passait (.)

80 À ce propos, je note dans mon carnet de terrain du 21 septembre 2015, suite à une conversation téléphonique avec M. Marquel : « juste 50% des élèves inscrits au CNED et les autres sont "fantômes", en accord avec l’académie, M. Marquel dit avoir toujours été transparent. Il inscrivait les autres enfants sans CNED (parce que pas de carnet de circulation) dans des classes (6ème A ou B, etc.) mais autorisait à les mettre dans la structure CNED et c’est parce qu’ils étaient dans la structure CNED qu’ils pouvaient passer le CFG, qu’ils avaient un pied dans le collège. »

j’comprenais même pas q’on puisse accueillir des élèves qu’étaient inscrits nul part enfin bon (.) uhh

[...]

donc euh: (.) ON fait une faille on les laisse (.) venir on les oblige pas à aller en classe (.) par contre on les inscrit au collège (.) donc ils étaient tous inscrits/ (.) c’est c’que monsieur M. a appelé ses élèves fantômes (.) puisqu’ils étaient tous inscrits au collège

Après 2014 je n’ai plus entendu l’expression « élèves fantômes », et cela même si nombre d’entre eux étaient dans la même situation. En effet, Clémence et Anne indiquent sur leurs bilans 2015-16 et 2016-17, qu’une dizaine d’élèves sont sans inscription CNED. Cela fait écho à l’extrait où j’analyserai la formation du 21 avril 2016 :

DA F1 extrait 4

138An nous ces élèves là on les a dans le dispositif CNED/ (.)

mais ils n’ont pas le CNED

139D /attention (.) nous avons ici une dér (.) ((à

l’enregistreur)) COMMENT ça s’coupe ça//

Ici Anne, qui participe à la formation EFIV animée par Daniel, aborde ce sujet avec lui, car il est le référent institutionnel de l’organisation de la classe CNED-EFIV. Daniel souhaite alors interrompre l’enregistrement, preuve qu’en 2016, il y a toujours un malaise sur cette question. Les élèves qui sont dans le dispositif CNED sans pourtant profiter du CNED, sont inscrits comme s’ils étaient en classe ordinaire alors qu’ils sont présents trois ou six heures par semaine sur l’établissement dans une classe spécifique. De plus ces mêmes élèves ont, comme supports pédagogiques, des « fichiers » constitués par les Assistantes d’éducation. Ils sont donc à la fois en marge des apprentissages dispensés dans les classes ordinaires du collège ainsi qu’en marge des apprentissages proposés par le CNED pour les EFIV.

Un peu plus loin, toujours lors de mon entretien avec elle, Julie me parle du fait qu’elle a dû créer des supports pédagogiques alors qu’elle n’en avait pas la compétence :

Ju2014_Extrait8

207rl mais par rapport au cadre scolaire (.) euh:::::: du coup SI

(.) trois quart n’étaient pas inscrits au CNED et on est même pas sur des histoires de légalité d’inscriptions

etcetera (.) ahhh eu::::: (.) QUELS/ (.) cours avaient-ils// (.) ET sur quoi travaillaient-ils/

208ju en fait au moment où TU dis ça j’me demande euh:::/ (.) et:: peut-être que j’ai eu tort (.) je me demande ce qui se

serait passé si au moment où/ (.) je me suis rendue compte de ça/ (.) c’est-à-dire au moment où je me suis rendue compte que c’était plus quatre mais cinq mais six mais huit (.) tu vois ça aurait pu être la deuxième année (.) SI j’avais dit bah (0.3) ok bah si vous ne trouvez pas de solutions je ne les accueille pas (.) fin si j’avais appelé monsieur M. uhhh:: après je pense que monsieur M. aurait embauché quelqu’un d’autre (.) fin je sais pas (.) PEUT-ETRE PAS (.) peut-être que ça aurait remué là-haut (.) je je ne sais pas effectivement\ (.) effectivement je ne sais pas/ (.) en tous les CAS j’ai pas fait ça et euh:: (.) je me suis retrouvée avec des gamins avec pas de cours du CNED OK (.) monsieur M. me disant julie on compte sur vous/ (0.3) quoique vous fassiez ça sera bien (.) ET BAH DU coup bêtement euh: tu fais le job (.) et du coup moi je j’ai essayé de voir euh:: sans être prof/ XX de niveaux (.) j’ai vu que y’en avait pas un pareil (.) bon du coup j’ai été sur internet (.) j’ai été sur des spi (.) des sites de prof (.) des sites d’instit euh: et j’ai euh::: fabriqué des fichiers (.) en fait adaptés et/ réellement adapté à chaque gamin (.) des fichiers euh::: et en plus/ au déBUT/ si tu veux l’idée elle était (0.3) ça partait de l’idée que j’avais envie qu’ils se sentent bien/ (.) c’est à dire que j’avais envie qu’ils aient pas juste des polycopiés:::/ euh parce qu’on avait rien d’autre à leur donner (.) l’idée des fichiers elle a démarré comme ça (.) c’est que je voyais bien que pour eux/ ceux qu’avaient les cours du CNED (.) voilà ils avaient des trucs (.) ils faisaient (.) il y avait une suite logique:: (.) il y avait un:: c’était des élèves tu vois (.) c’est ça c’est le début du truc \(.) c’était des élèves (.) ALORS au début j’ai fait une gentil petit fichier (.) mais j’avais jamais imaginé que ça prendrai une ampleur:: là

quand je suis partie (.) mais les fichiers81 euh:: j’ai

jamais imaginé que ça prendrait une ampleur comme ça (.) et en plus j’estime pas être compétente pour ça

Julie, en répondant à ma question, à un retour réflexif sur ce qu’elle a fait durant ces dernières années, et montre que les missions du poste qu’elle a occupé n’étaient pas bien définies (« je me suis rendue compte que c’était plus quatre mais cinq mais six mais huit ») ainsi que sur la bonne volonté de la personne recrutée (« monsieur M. me disant julie on compte sur vous/(0.3) quoique vous fassiez ça sera bien (.) ET BAH DU coup bêtement euh : tu fais le job »). Par rapport à d’autres situations de classe EDV ou EFIV que j’ai pu rencontrer, la situation de la classe du Bordage a profité du fait que Julie a une quarantaine d’années au moment de son embauche, qu’elle a eu plusieurs expériences professionnelles avant de prendre ce travail et qu’elle a le désir de faire avancer les élèves. On retrouve cette même volonté de faire

81 Les « fichiers » élaborés par Julie ont été transmis aux équipes suivantes, lesquelles les ont alimentés au fur et à mesure.

« fonctionner le dispositif » chez Clémence et Anne. Cependant, comme Julie le précise bien, elle n’est « pas prof » et n’a pas « les compétences » pour créer des cours pour des élèves. Tout comme Clémence, elle n’a pas cette formation.

La circulaire de 2012 précise qu’un des objectifs est « de disposer d’un accompagnement au sein d’une structure scolaire par des personnes qualifiées lors de leur stationnement sur un territoire ». Or, comme nous l’avons vu, Clémence qui est en charge du dispositif a un statut d’AED, ce qui ne fait pas d’elle une « personne qualifiée » sur la gestion d’une classe ou sur les programmations pédagogiques de séances82, d’autant que les niveaux sont très hétérogènes dans la classe. Elle est secondée par Anne qui, elle, est enseignante, mais n’est, d’une part pas présente sur toutes les heures de cours et n’est, d’autre part, pas compétente sur d’autres domaines que ceux de ses disciplines (latin/grec/français). Ainsi, pour exemple, nous avons souvent discuté du fait qu’elle avait de grandes difficultés à suivre le programme de mathématiques de Kim (qui est en inscription troisième au CNED). Anne a très envie d’aider Kim, elle essaie donc de trouver des réponses à lui apporter : elle regarde de son côté des livres de maths ou demande à un collègue en mathématiques de lui expliquer certains exercices (ce dernier lui a d’ailleurs dit que certains exercices CNED étaient de niveau seconde).

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