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CHAPITRE IV : L’AFRIQUE CENTRALE COMME TEMOIN COMME TEMOIN

C- La guerre de Bakassi

Le conflit de Bakassi est une guerre qui oppose une milice nigériane et l’armée républicaine camerounaise. Ce conflit est une guerre frontalière pour déterminer l’appartenance de l’île de Bakassa, située entre le Cameroun et le Nigéria. L’île est située dans la région sud-ouest du Cameroun et au Nord de la baie de Biafra au cœur de l’Estuaire du Rio del Rey. Le conflit de Bakassi est l’une des nombreuses guerres issues du problème des frontières héritées de la colonisation. Ce territoire est convoité par les deux pays en raison des ressources minières, énergétiques et halieutiques qu’il renferme173.

1-Présentation

La péninsule de Bakassi, où le groupe rebelle camerounais « Bakassi Freedom Fighters » affirme détenir 10 otages dont six français, a été officiellement rétrocédée au Cameroun par le Nigeria le 14 août 2006 après 15 ans de différend frontalier hérité de l’ère coloniale. Réputée riche en pétrole, en gaz et en poissons, la presqu’île de Bakassi est un territoire d’environ 1.000 km2 de mangroves dans le golfe de Guinée, où pullulent de nombreux groupes armés. L’armée nigériane envahit l’ile en 1993. Plusieurs incidents ont opposé les forces camerounaises à des groupes armés dans la péninsule. Les « Bakassi Freedom Fighters » sont un groupe rebelle membre du « Niger Delta défende » (NDDSC) auteurs de plusieurs attentats dans la région.

Le conflit de Bakassi remonte à 1885, date à laquelle la Grande-Bretagne et l’Allemagne étaient les puissances titulaires de ces deux États. Le tracé des frontières entre le Nigeria, alors colonie britannique, et le « Kamerun » s’était toujours perdu dans les eaux propres de cette presqu’île. Sous la colonisation, le tracé de la frontière a été modifié à plusieurs reprises.

173 - Affaire frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, Cour international de justice, Octobre 2002.

165 Après l’indépendance du Nigeria en 1960, un plébiscite organisé auprès de la population locale sous l’égide de l’ONU, détermine une nouvelle frontière favorable au Nigeria. Mais le différend resurgit donc en décembre 1993, parce que le Cameroun et le Nigeria s’accusent d’effectuer des incursions sur « leur » territoire et d’y masser des troupes. Des affrontements armés ont lieu en 1994, puis en 1996.

I.1.1.7. 2-Déroulement du Conflit

En 1994, après l’occupation de certains villages par l’armée nigériane, le Cameroun saisit la Cour internationale de justice (CIJ), affirmant que le Nigeria lui avait octroyé en 1975 la péninsule de Bakassi en remerciements pour sa neutralité lors de la guerre du Biafra entre 1967 et 1970. Or cet accord n’avait pas été ratifié par le conseil militaire suprême, au pouvoir à cette époque au Nigeria. Dans un arrêt d’octobre 2002, la CIJ tranche en faveur du Cameroun, soulignant que l’accord germano-britannique du 11 mars 1913, qui délimitait la frontière entre les deux pays en faveur du Cameroun, reste légal en dépit de toutes les objections de Lagos. Après un nouveau regain de tensions à mi-2005, le processus diplomatique débouche sur l’accord de Greentree, banlieue de New-York, du 12 juin 2006 entre les présidents nigérian et camerounais sous l’égide de l’ONU. Le 14 août 2006, le Nigeria commence la rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun174.

Les observateurs étaient très peu nombreux en 2002 à ne pas jubiler à la lecture du verdict de la Cour internationale de Justice sur le conflit de Bakassi. La CIJ avait certes reconnu la ‘’camerounité’’ de la presqu’île, mais les initiés savaient que le verdict était inapplicable sur le terrain. Le verdict de la CIJ ne fixait aucun délai pour le retrait des troupes nigérianes, pas plus qu’il ne prévoyait des voies de recours en cas de non-respect du verdict par la partie nigériane.

166 Or les avocats et les experts camerounais s’attendaient à une reparation plus importante, sous le contrôle du Conseil de sécurité de l’ONU du préjudice subi par le Cameroun du fait de l'occupation d'une partie du territoire camerounais par le Nigeria. Les ressources pétrolières et halieutiques de la presqu’île sont exploitées depuis par des multinationales, pour le compte du Nigeria qui en est devenu le premier producteur d’Afrique noire et un des ténors de l’Opep alors que le Cameroun menace dangereusement d’être rayé de la carte des pays producteurs de pétrole.

En l’espace de deux semaines, les troupes nigérianes ont perpétré deux attaques contre les installations militaires camerounaises à Bakassi. Cette fois, l’affaire n’est plus du ressort de la Cour internationale de Justice. Une commission d’enquête ad hoc devra être constituée pour établir les responsabilités et pour apprécier si on devra s’en tenir à la Convention de Genève ou, à défaut, au droit de la Guerre. Nous sommes en plein dans une affaire différente du conflit frontalier sur Bakassi175.

Il est des signes qui ne trompent pas. Les troupes nigérianes et camerounaises sont à nouveau sur le pied de guerre à Bakassi. En fait de guerre, malgré les visites de courtoisie que les deux parties multiplient et les interminables sessions des commissions mixtes, la poudre a continué à parler au front. Malgré les bons offices de Kofi Anan, les Nigérians ont adopté la position du j’y suis, j’y reste. Un formidable pied de nez à la communauté internationale et à la Cour internationale de Justice. La partie nigériane a multiplié des subterfuges depuis l’arrêt de la Haye, arguant un coup qu’elle était impuissante face au refus de ses ressortissants résidant dans la péninsule de se retrouver sous administration camerounaise. Pour bien marquer le coup, alors qu’on s’attendait à un retrait des troupes fédérales du territoire camerounais, OlusegunObasandjo a plutôt choisi de multiplier des divisions lourdement armées le long de la frontière. Ceux qui avaient triomphé à l’annonce du verdict de la Haye avaient jubilé trop tôt. Les acteurs avisés se faisaient un autre avis sur la question. Aucune clause de l’arrêt ne contraignait le Nigeria à céder Bakassi. En cas de refus, le Nigeria

175-« Conflits pour les ressources naturelles de la péninsule de Bakassi : Global ou Local », Revue – Ecologie et Politique, N° 34, Presse de Sciences Politiques, 2007, pp 93-103.

167 n’encourt aucune sanction de la communauté internationale. Il ne reste plus que l’alternative d'une guerre dont le Cameroun n’a pas Les moyens176.

I.1.1.8.

3-Résolution du conflit

En dépit des accords de coopération militaire en le Cameroun et la France, le scepticisme est permis. En 1993, des troupes françaises avaient dû être dépêchées à Bakassi pour sauver l’armée camerounaise d’une belle déroute. Il n’est pas certain que la France aille plus loin que cette étape. C’est connu, entre les nations, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. Et intérêts pour intérêts, le Cameroun pèse cent fois moins que le Nigeria pour les intérêts économiques de la France. Avec cent millions d’habitants, la première puissance pétrolière d’Afrique noire ne manque pas d’arguments. Le Cameroun n’a que l’avantage d’une position stratégique dans le pré-carré francophone d’Afrique centrale. Le Nigeria représente à lui seul quatre fois la population de l’Afrique centrale francophone. Au moment où l’Union africaine se déploie pour gagner une place au conseil de sécurité, trois noms circulent: Nigeria, Egypte, Afrique du Sud. Les stratèges français ne commettront pas l’erreur de tourner le dos au Nigeria177.

Depuis des années, après la fermeture de la chaîne de montage Peugeot au Nigeria, les majors français du pétrole ont vite pris le relais. Elf et Total sont parmi les plus grosses

176- T. Abenga, G. Madiba, ommunication au Cameroun : les objets, les pratiques, Archives contemporaines, 2012, p 98.

177- C-A. Menanteau, « Bakassi : pas touche à mon pétrole », Ring Outremonde, 2004.

168 compagnies pétrolières opérant au Nigeria. Détail supplémentaire : le pétrole exploité à Bakassi profite aux compagnies françaises installées sur la péninsule.

La France se retrouve ainsi dans une situation cornélienne. Entre le Cameroun et le Nigeria, le choix sera douloureux. Le malheur du Cameroun est de ne pouvoir compter que sur la France, il devra payer le prix d’une diplomatie molle. Une autre erreur supplémentaire de la diplomatie camerounaise aura certainement consisté à boycotter le sommet de l’Union Africaine qui se tient justement à Abuja et qui verra Olusegun Obasanjo prendre le flambeau de l’organisation panafricaine pendant une bonne année. L’occasion pour lui de resserrer des liens qu’il sait cultiver. Dans la bataille de Bakassi, le Nigeria s’est déjà gagné un allié inattendu, la petite Guinée Equatoriale, qui tire le plus gros de son pétrole d’un puits foré dans la zone de no man‘s land convenue en 1974 entre les présidents Ahidjo et Gowon. Le Nigeria n’avait pas donc l’intention de lâcher la péninsule riche en pétrole.178

Des informations inquiétantes font état de ce qu’une résistance farouche s’organise sur le terrain, à Bakassi, pour empêcher l’application des dispositions de l’accord paraphé à Greentree, près de New-York, le 12 juin 2006. Accord par lequel le Nigeria s’est engagé à retirer ses troupes dans la péninsule de Bakassi, dans un délai de 60 jours, à compter de la date de sa signature. Ce délai arrive à expiration, samedi, 12 août 2006. Ces derniers jours, des populations nigérianes, établies dans la zone concernée, ont exprimé ouvertement leurs mécontentements. Elles ne veulent pas que les troupes nigérianes se retirent comme convenu. Menaçant même de proclamer leur “ indépendance ”, à travers un drapeau déjà confectionné et prêt à être définitivement hissé dans la zone, ces ressortissants nigérians entendent résister, jusqu’au bout, au processus de mise en œuvre de l’arrêt de la Cour internationale de justice (Cij) du 10 octobre 2002. Ce n’est pas par hasard que le mouvement de colère survient à quelques jours de l’exploitation du délai prévu pour le retrait des forces armées nigérianes de ladite presqu’île.179

178- Le Nouvel Observateur, Hebdomadaire français d’information du 03-11-2008.

179- ABDOURAMAN. H, Le conflit frontalier Cameroun-Nigeria dans le Lac Tchad : Enjeux de l’île Darek, disputée et partagée, pp 14-19.

169 C’est probablement un moyen de retarder, comme par le passé, ce retrait très mal perçu par une bonne partie de la communauté nigériane. A en croire certains observateurs avertis, le Nigeria poursuit, à sa manière, une guerre d’usure. Avec des manœuvres dilatoires, visant toujours à gagner du temps et à exploiter toutes les possibilités offertes par le droit ou la conjoncture. D’aucuns pensent, peut-être à raison, que le Nigeria voudrait bénéficier de la rallonge de temps prévue par le même accord de Greentree. En effet, l’article 2 dudit accord dispose que « (…) Si des circonstances exceptionnelles l’exigent, le secrétaire général des Nations Unies peut prolonger ce délai autant que nécessaire, mais pour une période ni excédant pas trente jours ».

Le Cameroun, qui a toujours fait confiance et s’est armé de patience jusqu’à l’aboutissement de ce délicat dossier, doit rester vigilant. Il ne doit pas se laisser berner par des agissements devenus un rituel. Il doit attirer rapidement l’attention des quatre Etats témoins de l’accord de Greentree : les Etats-Unis qui ont abrité le sommet ayant débouché sur l’accord, la France, l’Allemagne et le Royaume uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord. Le Cameroun doit également s’en référer aux autorités onusiennes, membres de la commission de suivi, au cas où l’agitation des populations nigérianes vivant à Bakassi a pour effet de retarder le retrait de l’ensemble des forces armées du Nigeria présent dans la zone. En tenant compte du passé et de l’urgence de recouvrer ses droits de souveraineté sur la zone concernée, le Cameroun doit cesser de dormir ou de rêver que les choses avanceront facilement. La seule présence des grandes puissances dans la commission chargée du suivi de la mise en œuvre de l’accord ne suffit pas pour croire l’affaire réglée. Plus que jamais, et mieux que par le passé, il faut faire preuve d’une hardiesse diplomatique.

L’ONU a joué un grand rôle dans la résolution du conflit de Bakassi. En effet, le Cameroun avait saisis la Cour International de Justice en 1994. Le 11 juin 1998, après avoir étudié les arguments de deux camps, la CIJ donne raison au Cameroun. En 2002, selon les résolutions de l’ONU et la CIJ, le territoire de Bakassi revient au Cameroun 180après une

180- Le Monde, le Monde Afrique, Le Nigeria rétrocède la péninsule de Bakassi, zone riche en poisson et en pétrole au Cameroun, 2008. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2008/08/15/le-nigeria-retrocede-la-peninsule-de-bakassi-zone-riche-en-poisson-et-en-petrole-au-cameroun_1084108_3212.html

170 longue bataille dans la plaidoirie entre Kofi Annan et les présidents de deux pays : Obasanjo et Biya. 181

181- Koning Ruben et Mbaga Jean, « Conflits pour les ressources naturelles de la péninsule de Bakassi : du globalau local », Ecologie et politique 2007, numéro 34, pp. 93-103.

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Conclusion

Les trois pays qui ont connu des conflits armés en Afrique centrale, présentent chacun une caractéristique différente. En effet, le conflit congolais en RDC, plus long dans le temps, a fait ressortir plusieurs facettes dans le déterminisme de la guerre. Un temps, il a était un simple conflit d’indépendance avant 1960, après les séparatistes katangais ont pris la main, s’ensuit une guerre civile qui s’est internationalisée.

La guerre de la République du Congo, moins longue que celle de la RDC est à la base un conflit tribalo-politique qui a d’abord embrassé la ville de Brazzaville avant de s’étendre dans tout le pays et par la suite s’internationalisé avec l’intervention des troupes armées étrangères, notamment angolaises et aussi gabonaises.

Le conflit de Bakassi qui a mis en opposition le Cameroun et le Nigeria est purement un conflit international mais de basse intensité. Le conflit s’est déroulé dans une zone presque pas habitée, et les incidences n’ont pas été aussi importantes qu’en RDC et en République du Congo.

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CHAPITRE V : L’ACTION DU CICR EN