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CHAPITRE I : Introduction

CHAPITRE 2 : Revue de littérature

2.3 Groupes à risque

Certaines tranches de la population constituent des groupes à haut risque d’acquisition de l’infection en Afrique subsaharienne. Si certains groupes ont déjà été reconnus comme tels

(travailleuses du sexe, travailleurs migrants, etc.), de plus en plus d’évidences mettent en lumière la prévalence et l’incidence élevées du VIH d’autres groupes comme les utilisateurs de drogues injectables (UDI), les détenu(e)s et les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HARSAH) (ONUSIDA, 2006; UNAIDS and WHO, 2009). Ainsi, des études récentes menées en Afrique subsaharienne ont révélé des taux d’infection au VIH plus élevés chez les HARSAH que ceux retrouvés dans la population générale ainsi que des comportements à risque et des liens avec des réseaux hétérosexuels (Smith, Tapsoba et al., 2009). De même, plus d’un dixième des UDI seraient séropositifs en Afrique subsaharienne, une proportion estimée à partir de données très fragmentaires vu le nombre limité d’études portant sur cette population (Dolan, Kite et al., 2007; Mathers, Degenhardt et al., 2008).

Les femmes TS constituent une des populations le plus à risque d’infection au VIH en Afrique subsaharienne et en Afrique de l’Ouest en particulier, car elles cumulent plusieurs des facteurs de risque énumérés plus tôt : elles sont souvent jeunes, peu éduquées, ont un grand nombre de partenaires sexuels, souffrent fréquemment d’IST et sont stigmatisées. Il ne s’agit cependant pas d’une population homogène puisque la provenance des femmes et leurs conditions d’exercice du commerce du sexe peuvent largement différer (Mantoura, Fournier et al., 2003). Ainsi, la prostitution étant mal perçue et les femmes TS souvent stigmatisées par la population générale, certaines femmes TS préfèrent pratiquer clandestinement et ne pas s’auto-identifier comme travailleuses du sexe. Si ces femmes TS clandestines ont moins de clients que celles qui sont affichées, elles utilisent également moins le préservatif et souffrent plus souvent d’IST curables (The World Bank, 2008).

On évalue à 0,4 à 4,3% la proportion de femmes qui exercent le travail du sexe dans les zones urbaines voire plus à l’échelle nationale selon différentes études menées en Afrique de l’Ouest (The World Bank, 2008). La prévalence médiane de l’infection au VIH chez les femmes TS d’Afrique subsaharienne est de 19%, une prévalence jusqu’à vingt fois

supérieure à celle de la population féminine générale dans certains pays comme le Mali, le Niger ou le Sénégal (The World Bank, 2008; UNAIDS and WHO, 2009). C’est également le cas au Ghana et en Guinée où la prévalence du VIH chez les femmes travailleuses du sexe est plus de vingt fois supérieure à celle de la population générale qui se situe entre 1,5% et 2% (Gouws, Mishra et al., 2008; UNAIDS and WHO, 2009).

Par ailleurs, on estime qu’en moyenne 10 à 15% des hommes en Afrique subsaharienne ont recours aux services d’une femme TS, une prévalence sans doute sous-estimée à cause du type d’échantillonnage utilisé pour ce genre d’enquête et à cause de la désirabilité sociale (Carael, Slaymaker et al., 2006; The World Bank, 2008). Les partenaires sexuels des TS peuvent être des partenaires clients ou non, réguliers ou occasionnels. Plusieurs études ont démontré que si l’utilisation du préservatif avec les partenaires payants avoisinait 100% dans plusieurs contextes, elle était beaucoup plus faible avec les partenaires réguliers non payants en oscillant entre 3 et 20% (Alary, Mukenge-Tshibaka et al., 2002; Wong, Lubek et al., 2003; Lowndes, Alary et al., 2007; Wang, Hawes et al., 2007). Le fait que ces partenaires réguliers non payants aient à la fois une prévalence élevée du VIH et plusieurs partenaires TS avec qui ils utilisent peu le condom contribue à alimenter l’incidence de l’infection chez les femmes TS (The World Bank, 2008). Plusieurs études ont démontré que la prévalence du VIH chez les partenaires réguliers des femmes TS est supérieure à celle de la population masculine générale (The World Bank, 2008). De plus, les petits amis des femmes TS ont d’autres partenaires sexuelles dans 82% des cas selon l’étude de Godin et al. (2008) menée dans trois pays ouest-africains. Les hommes ayant à la fois des partenaires sexuelles TS et non-TS constituent un pont entre ces groupes à risque et la population générale.

Avec leurs partenaires sexuels, et en particulier les partenaires sexuels payants, les femmes TS ont joué un rôle important dans l’épidémie en Afrique subsaharienne. Ainsi, les femmes TS, leurs clients et les partenaires sexuels de ces derniers représentaient 10% des infections

incidentes du VIH en Ouganda en 2008 tandis qu’au Rwanda, les femmes TS et leurs clients comptaient pour 18 à 57% des infections incidentes au cours de la même année (UNAIDS and WHO, 2009). Une étude menée au Ghana a estimé que 84% des cas de VIH prévalents dans la population masculine de 15 à 59 ans d’Accra, la capitale, étaient attribuables au commerce du sexe (Cote, Sobela et al., 2004).

Il faut cependant noter qu’à mesure que les épidémies maturent dans des contextes hyper endémiques comme l’Afrique septentrionale et l’Afrique australe, la fraction de nouvelles infections attribuables au commerce du sexe diminue comparativement à celles qui adviennent de la population générale à prévalence élevée. En effet, lorsque l’infection passe des groupes à haut risque à la population générale, la capacité de l’épidémie à s’autoalimenter dans la population générale dépend du taux de reproduction de base qui est, lui, fonction de la probabilité de transmission du virus dans cette population (qui augmente avec la présence d’IST, le faible taux de circoncision, etc.), de la durée d’infectiosité et du taux de changement de partenaires des personnes susceptibles d’être infectées (degré d’exposition) (The World Bank, 2008). Dans les régions qui cumulent ces facteurs, la prévalence de l’infection devient avec le temps plus élevée dans la population générale que chez les femmes TS, réduisant ainsi la fraction des nouvelles infections au VIH attribuable au commerce du sexe dans la population générale.

Étant donné le nombre élevé de partenaires sexuels des femmes TS ainsi que la forte prévalence du VIH dans ces groupes, une stratégie efficace de contrôle de l’épidémie du VIH populationnelle devrait accorder une attention particulière aux femmes TS et à leurs partenaires sexuels puisqu’ils peuvent, comme nous l’avons exposé plus haut, contribuer de façon significative à l’occurrence de nouveaux cas dans des populations où la prévalence générale est faible comme c’est le cas dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Plummer, Nagelkerke et al., 1991; Lowndes, Alary et al., 2002). Plusieurs interventions préventives visant à accroître l’utilisation du condom et à réduire les IST ont ainsi été menées chez les

femmes TS et leurs clients et ont contribué à une réduction de l’incidence du VIH dans ces populations (Laga, Alary et al., 1994; Ma, Dukers et al., 2002; Lowndes, Alary et al., 2007; Shahmanesh, Patel et al., 2008). Par ailleurs, dans des contextes où la transmission est essentiellement hétérosexuelle, les interventions ciblant les femmes TS offrent un excellent rapport coût-efficacité malgré le fait que le faible statut social, économique et éducationnel constitue une barrière importante au succès de la prévention offerte dans ce groupe (Jha, Nagelkerke et al., 2001; UNAIDS and WHO, 2009). Un rapport récent d’ONUSIDA souligne cependant le fait que les ressources investies pour les programmes de prévention ciblant ces groupes demeurent faibles, et ce, même dans les épidémies concentrées chez ces groupes à haut risque (UNAIDS and WHO, 2009). Nous présenterons dans la section les principales stratégies préventives qui ont été mises en œuvre pour les femmes pratiquant le travail du sexe en Afrique subsaharienne.