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Un grand commis de l’Etat s’intéresse au labour : François de Neufchâteau

II. Innovation agronomique et diffusion du progrès en Lorraine avant les années 1820

B. L’intérêt pour le labour et les instruments de travail du sol

2. Un grand commis de l’Etat s’intéresse au labour : François de Neufchâteau

Nicolas Louis François de Neufchâteau (1750-1828), né à Saffres dans le diocèse de Toul231, fils d’un régent d’école, poète précoce232, homme politique de premier plan, juriste et agronome, est beaucoup mieux connu depuis la parution récente de la biographie que lui a

consacrée Dominique Margairaz233. Elle s’est donné pour objet l’analyse de l’œuvre de

François de Neufchâteau et son ouvrage peut être considéré comme une référence en ce qui concerne la connaissance que l’on a de l’illustre lorrain. C’est pourquoi nous nous référerons fréquemment à son ouvrage. Louis Sadoul précise que le jeune poète, devenu avocat, « est un

diseur remarquable »234. Lieutenant général au baillage de Mirecourt, François de

Neufchâteau achète la charge de procureur général du conseil supérieur du Cap à Saint-Domingue, où il exerce de 1783 au 20 juin 1787. A son retour, il devient cultivateur à Vicherey dans les Vosges et s’adonne à l’agriculture « pour laquelle il avait une passion égale à celle des lettres »235. François de Neufchâteau devient ensuite un homme public amené à

exercer les plus hautes charges. Député suppléant aux Etats Généraux236, il siège à la

Législative, et en devient président. En retrait sous la Convention, il devient ensuite ministre de l’Intérieur du 16 juillet 1797 au 14 septembre de la même année. A ce moment il devient

231

P. Delbarre, « François de Neufchâteau (1750-1828) », Les contemporains, Paris, s. d.

232

Son œuvre poétique est classique, répondant aux critères de son temps. Son originalité réside dans la précocité de l’auteur, publiant ses premiers textes et courtisé par les Académies dès sa quatorzième année. Voltaire lui aurait même écrit : « Il faut bien que l’on me succède. Et j’aime en vous mon héritier ». G. Hottenger, François de Neufchâteau et le Journal de Nancy, Nancy, 1931, p. 114. Cf. aussi D. Margairaz,

François de Neufchâteau. Biographie intellectuelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2005, p. 36, p. 40-53 et p. 69.

233

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit..

234

L. Sadoul, « François de Neufchâteau en ménage », Le Pays Lorrains, janvier 1926, p. 483-494 et décembre 1926, p. 545-558. Il est reçu docteur en droit à Reims.

235

P. Delbarre, op. cit., p. 7.

236

Le modèle de cahier de doléances qu’il a rédigé à Vicherey à été repris par de nombreux villages vosgiens. Cf. D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 82 et p. 215.

Directeur pendant dix mois puis, à nouveau, ministre de l’Intérieur du 17 juin 1798 au 22 juin

1799237. Après le 18 brumaire, François de Neufchâteau est nommé Sénateur238, sous

l’Empire il est président du Sénat et devient académicien. Durant cette longue carrière, ce grand commis d’Etat n’a de cesse de versifier mais aussi de se préoccuper d’agriculture. Il n’est guère nécessaire de développer davantage sa biographie : nous ne retenons que les aspects qui intéressent notre sujet, soit sa promotion du perfectionnement des instruments aratoires (il est à l’initiative, dans les premières années du XIXe siècle d’un concours de perfectionnement de charrues, mis en place sous l’égide de la Société d’agriculture de la Seine) et, dans le chapitre suivant, son projet d’école d’agriculture.

Peu après son retour de Saint-Domingue, François de Neufchâteau décide de pratiquer l’agriculture à Vicherey et il s’en explique dans une lettre adressée à la Société d’agriculture de la Seine : « dans l’habitat champêtre où je me suis retiré, je voudrais rendre mes terroirs et mes amusements utiles aux progrès de l’agriculture. J’ai le dessein de faire des expériences comparatives exactes sur les diverses plantes qui peuvent former des prairies artificielles. Je veux prendre pour base de ces essais ceux que Hallen a faits lui-même en Suisse et qu’il a publiés dans les Nouveaux Mémoires latins de la Société Royale des Sciences de Göttingen. Je crois devoir vous donner une idée du mémoire. Je vous exposerai ensuite les difficultés qui m’arrêtent »239. Grâce au carnet manuscrit tenu par François de Neufchâteau, entre 1789 et 1793240, il est possible de connaître la réalité de sa pratique agricole effective et d’évaluer s’il atteint les objectifs annoncés dans sa lettre, notamment sur le plan expérimental. Ce carnet, rédigé dans les deux sens, est un document disparate où voisinent de multiples notations sur les cultures effectuées à Vicherey241 et d’autres sur l’histoire romaine, le « remède de la goutte »242, des notes littéraires comme la liste des « poètes du siècle d’Auguste » ou, enfin, des extraits de textes juridiques (certainement rédigés à Saint-Domingue). L’exploitation de Vicherey est avant tout un « grand jardin » où le sol est travaillé à la bêche243, les expériences sur le blé et les prairies artificielles sont donc menées sur de petites surfaces et non en plein

237

P. Delbarre, op. cit. ; J. F. Michel, article « François de Neufchâteau » in A. Ronsin (dir.), Les vosgiens célèbres, dictionnaire biographique illustré, 1990, p. 151. François de Neufchâteau est aussi l’auteur d’une « réécriture » de la Marseillaise à l’occasion de la fête de l’agriculture. Cf. M. Vovelle, « La Marseillaise », dans P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire, t. 1, p. 85-136, p. 101.

238

Il obtient la sénatorerie de Dijon.

239

A. N. 27 AP 2. D. Margairaz estime que cette lettre, non datée, a été rédigée au printemps 1788. D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 182.

240

B. M. N. Ms 1520.

241

Ibid., François de Neufchâteau titre le f°11 « agenda de jardinage ». D’autres notations de travaux de jardinage sont relevées dans ses agendas. Cf. aussi A. N. 27 AP 17, cité par D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 482, note 25.

242

Ibid., f° 15.

243

champ244. Seules quelques parcelles (les plus grandes) sont travaillées à la charrue. Bien que lecteur de Duhamel du Monceau245, François de Neufchâteau n’applique pas l’ensemble des règles de l’agriculture nouvelle et sa pratique agricole s’apparente plus à de l’horticulture : à Vicherey, François de Neufchâteau est davantage horticulteur qu’agronome246. Il pratique un

« jardinage expérimental »247. Mais, même si le jardin peut être un laboratoire

d’innovations248, l’extension au champ des pratiques expérimentées s’avère une étape cruciale de la démarche agronomique, qui n’est pas mise en œuvre sur les terres de Vicherey249.

La culture agronomique de François de Neufchâteau est plus livresque que pratique250 et c’est, en fait, un agriculteur de cabinet obstiné par la culture des céréales, envisageant ses travaux « agronomiques » comme une contribution au « bonheur de la société ». D. Margairaz précise qu’il agit, comme tous ceux qui font métier d’agronome, « dans un souci proprement agronomique de propagande en faveur des cultures susceptibles d’accroître les subsistances et

d’éloigner le spectre des disettes »251. Bien qu’instigateur d’un concours pour le

perfectionnement de la charrue en 1801252, François de Neufchâteau n’a pas mené

d’expérience dans ce sens. A Vicherey, il ne fait que quelques essais dérobés sur une parcelle de jardin : « j’ai fait bêcher au bout du terrein, pour comparer les produits à la bêche et à la charrue. Comme le terrein était dur et plein de chiendent, il faudra peut être

recommencer »253. Sur le plan de l’élaboration d’instrument de labour perfectionné, il

demande en 1790, à un charron strasbourgeois de construire une « charrue légère à une seule

244

A. D. V., JPL 726-1 (1793) et D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 495 et p. 499 : « il n’a jamais tenté lui-même de passer d’une pratique d’expérimentation en petit à des essais en grand ».

245

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 185. Il ignore, en revanche, les physiocrates, p. 186 et 227.

246

Sur les spécificités de l’horticulture cf. A. Jacobsohn, « L’horticulture dans l’oeuvre de Mathieu de Dombasle », Actes du colloque Mathieu de Dombasle, 127e Congrès CTHS, Nancy, 15-20 avril 2002, Annales de l’Est, p. 93-102.

247

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 498.

248

J. M. Boehler, « routine ou innovations agraires ? Les pays de « petite culture » au XVIIIe siècle », G. Béaur

et al. (dir.), Les sociétés rurales en Allemagne et en France (XVIIIe-XIXe siècles), Actes du colloque de Göttingen (23-25 nov. 2000), Rennes, Association d’histoire des sociétés rurales, 2004, coll. « Bibliothèque d’histoire rurale, n°8 », p. 83-101, en particulier p. 91.

249

Sur l’extension des résultats d’une expérience du laboratoire (« expérimentation-recherhe ») au champ ou au milieu naturel (« expérimentation-contrôle ») : S. Hénin, De la méthode en agronomie, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 137. Voir aussi M. Sebillotte, « Logiques de l’agir et construction des objets de connaissance. L’invention de nouveaux dispositifs de recherche », T. Gaudin, A. Hatchuel (dir.), Les nouvelles raisons du savoir, Colloque de Cerisy, Prospective d’un siècle à l’autre, Paris, Editions de l’Aube, 2002, p. 93-115, p. 95.

250

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 174. « A son bureau, mais aussi de son lit ou de son fauteuil lorsque la maladie le tient reclus, l’agronome peut ainsi poursuivre sa quête d’informations dans l’immense réservoir documentaire dont il dispose. » Ibid., p. 486. N’est-ce pas là la description de l’agronome de cabinet ?

251

Ibid., p. 176-177 et aussi p. 173 et 217.

252

François de Neufchâteau, Rapport sur le perfectionnement des charrues fait à la société libre d’agriculture du département de la Seine, Paris, Impr. Mme Huzard, an IX.

253

roue » afin de labourer une parcelle plantée d’arbres fruitiers254. Son action en la matière est donc très limitée255. A part de rares exceptions, comme dans le second volume de l’Art de multiplier les grains256, où après 390 pages consacrées aux expériences des autres, François de Neufchâteau rend compte de ses propres expériences, l’agronome lorrain évoque surtout les expérimentations de ses contemporains257. Au moment où il s’éloigne de Vicherey, peu après les débuts de la Révolution, pour honorer ses mandats politiques, il est indéniable que sa réflexion « agronomique » et son œuvre « agronomique » sont donc davantage travail d’érudit, à partir des textes agronomiques existants, surtout les Anciens, qu’une réelle démarche d’expérimentation au champ258.

Ministre de l’Intérieur, François de Neufchâteau a réorganisé la Société centrale d’agriculture ou Académie d’agriculture du département de la Seine. Il en devient président peu après et porte ce titre ou celui de vice-président pendant quinze ans. C’est à la tribune de cette société qu’il présente ses principales réflexions sur l’agriculture, notamment sa

proposition de concours pour le perfectionnement de la charrue259, pour lequel une

commission, composée de Chaptal, Lasteyrie et François de Neufchâteau, est créée pour « connaître les meilleures charrues existantes, et [pour] perfectionner généralement la construction et l’usage de ce premier des instrumens agricoles »260. Lorsqu’il lit son rapport, lors de la séance du 14 messidor an IX, François de Neufchâteau expose une sorte d’utopie qui consisterait à concevoir la charrue universelle261, instrument aratoire adapté à tout type de sol et d’un usage systématique, une sorte de panacée qui résoudrait les difficultés techniques de l’agriculture traditionnelle : « je vais parler de la charrue, c’est-à-dire, de celle de toutes les machines qui a le plus contribué au bonheur de l’espèce humaine, et qui peut devenir encore plus utile au monde »262. Ensuite, en bon rhéteur, il se réfère à Caton : « quel est le premier principe de la bonne culture ? C’est de bien labourer. Quel est le second ? C’est de labourer

254

François de Neufchâteau, Rapport sur le perfectionnement des charrues…, op. cit., p. 38-39.

255

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 186.

256

François de Neufchâteau, l’Art de multiplier les grains, Paris, Mme Huzard, 1809, 2 vol.

257

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 486 et p. 495.

258

« S’il sacrifie à la proclamation rituelle de sa croyance en la force démonstrative de l’expérience, qui prédomine alors dans les institutions savantes, ses mémoires n’en suivent pas moins le plus souvent les règles de l’érudition et du débat dialectique, qui le guide dans sa navigation conjecturale à travers l’énorme corpus d’une littérature probable, à l’assise intuitive. » D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 191. Il quitte définitivement Vicherey à partir de 1797. Ibid., p 487 et p. 495.

259

François de Neufchâteau, Rapport sur le perfectionnement des charrues…, op. cit. et François de Neufchâteau, Rapport fait à la société d’agriculture du département de la Seine sur le concours pour le perfectionnement de la charrue, Mme Huzard, 1810.

260

François de Neufchâteau, Rapport sur le perfectionnement des charrues…, op. cit., p. 8.

261

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 463-464.

262

François de Neufchâteau, Rapport sur le perfectionnement des charrues…, op. cit., p. 5 (première phrase du rapport).

encore. Quel est le troisième ? C’est de fumer »263. Il note encore qu’« il n’y a presque pas un département où l’on n’ait essayé d’améliorer les charrues en usage »264. D’où la nécessité d’un concours visant à l’amélioration de l’engin de labour. Le prix proposé s’élève à 6000 F après une offre du ministre Chaptal265. Toutefois le concours ne rencontre pas de succès. En 1807, seulement, Guillaume, « sous officier du Génie, qui voue sa retraite aux progrès de l’agriculture »266 est lauréat du concours, avec sa charrue à avant-train (et bisocs dans sa

seconde version)267. Seuls quatre candidats ont participé aux concours. Parmi eux « M.

Salme, professeur au lycée de Nancy [qui] a présenté (…) une charrue toute en fer [et] ses recherches se sont également portées sur le placement de la ligne de tirage, sur la direction parallèle des forces de l’avant-train… »268. Il est récompensé par une médaille d’or de la Société d’Agriculture de la Seine269. Guillaume, dont la charrue a été essayée par Yvart270, remporte un prix, moindre que l’offre de Chaptal, de 3000 F. Le 15 juillet 1810, du fait du peu d’intérêt porté à ce concours, celui-ci est suspendu271. Conscient des limites du principe du concours, François de Neufchâteau insiste sur l’éducation des plus jeunes puisqu’il a « exigé des professeurs (…) dans les recommandations [qu’il a] faites pour l’instruction publique, comme Ministre de l’intérieur (…) qu’ils [fassent] décrire, dessiner et même essayer [la charrue] par les jeunes élèves »272. Bien évidemment, ces recommandations ont un effet des plus limités, quasi nul, sur les masses paysannes qui n’ont accès qu’à un enseignement primaire très peu technique.

Dans son rapport de 1801 (an IX), François de Neufchâteau ne manque pas de se référer à Duhamel du Monceau afin de légitimer son propos en l’inscrivant dans le courant majeur de l’agronomie273. Après avoir évoqué les réflexions de Genneté et précisé que ce

263

« Quid est agrum benè colere ? primum benè arare. Quid secundum ? arare. Quid tertium ? strecorare » Cité dans François de Neufchâteau, Rapport sur le perfectionnement des charrues…, op. cit., p. 6. « La mobilisation des auteurs de l’Antiquité (…) remplit une fonction ornementale » revendiquée et assumée par François de Neufchâteau. D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 487.

264

François de Neufchâteau, Rapport fait à la société d’agriculture du département de la Seine sur le concours pour le perfectionnement de la charrue, Mme Huzard, 1810, p. 26.

265

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 461.

266

Ibid., p. 466.

267

François de Neufchâteau, Rapport fait à la société d’agriculture du département de la Seine sur le concours pour le perfectionnement de la charrue, Mme Huzard, 1810, p. 12-14.

268

Ibid., p. 7-8.

269

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 467.

270

Rapport Yvart sur la « charrue Guillaume » du 17 mars 1819, citépar Mathieu de Dombasle, « Mémoire sur la charrue considérée principalement sous le rapport de la présence ou de l’absence de l’avant-train », extrait des

Mémoires de la Société Royale et Centrale d’agriculture, Paris, Mme Huzard, 1821, p. 113.

271

D. Margairaz, François de Neufchâteau…, op. cit., p. 467.

272

François de Neufchâteau, Rapport fait à la société d’agriculture du département de la Seine sur le concours pour le perfectionnement de la charrue, Mme Huzard, 1810, p. 66.

273

dernier employait le modèle de charrue présenté dans le Journal oeconomique, en septembre 1765, « dans les environs de Nancy »274, il s’attarde sur les améliorations à envisager pour perfectionner la charrue. Il évoque l’avant-train et, se rangeant à l’avis de Duhamel du Monceau, considère que cette pièce est utile à son fonctionnement. Limiter le nombre des animaux de trait, donc réduire la force de traction est un des objectifs à atteindre pour prétendre améliorer l’instrument aratoire275. Cependant, pour François de Neufchâteau, ce n’est pas le retrait de l’avant-train qui est la solution pour diminuer la résistance à la traction. Toutefois, il n’ignore pas la charrue swing-plough d’Arthur Young, utilisée, en France, par La Rochefoucault-Liancourt dans son domaine de l’Oise et dans la ferme de Mesly près de Créteil276. Ensuite, c’est la charrue de Norfolk qui est décrite et pour laquelle François de Neufchâteau tient à préciser que « jamais on n’y attèle plus de deux chevaux. Le même homme la conduit, chasse les chevaux et tient les rênes »277. Après des développements sur la charrue de Small278, il cite en exemple la charrue de lord Somerville : two furrow swing plough, c’est-à-dire une charrue sans avant-train possédant deux socs. Il n’échappe pas à l’anglomanie des agronomes et appuie son propos sur l’exemple anglais où se pratiquent, depuis la fin du XVIIIe siècle, des concours de charrues. Non pas des concours académiques comme celui que propose ici François de Neufchâteau mais des rencontres ponctuelles sur de grandes exploitations, comme dans le Suffolk le 21 novembre 1797, où les valets de charrue rivalisent d’habileté afin de réaliser les meilleurs labours. Ce jour là, c’est la charrue d’A. Young, que « Thomas Baylet (…) conduisait seul avec deux bœufs »279, qui est victorieuse. Les progrès nécessaires comme la réduction de l’attelage, la conduite du train de labour par un seul homme, un labour régulier, de profondeur uniforme (le fameux « labour propre »), effectué le plus rapidement possible, sont listés et annoncés mais François de Neufchâteau n’est guère prolixe sur les modifications concrètes à apporter à la charrue pour, qu’une fois modifiée, elle permette toutes ces avancées.

Toutes les questions relatives aux modalités du labour et aux améliorations techniques à apporter à la charrue sont posées au cours du XVIIIe siècle, mais bien souvent ce ne sont que des idées ou des propositions qui ne débouchent sur aucune réalisation concrète ou sur des réalisations partielles, toutes étapes dans un processus lent et, plus ou moins, cumulatif. De Camus, « gentilhomme lorrain », dans son Traité des forces mouvantes de 1722 indique 274 Ibid., p. 17. 275 Ibid., p. 22-23 et p. 27. 276 Ibid., p. 50-51. 277 Ibid., p. 42. 278

Ibid., p. 54-55. Sur cette charrue cf. chapitre précédent.

279

déjà l’intérêt que représente la « construction d’une charuë, avec laquelle on peut faire plus d’ouvrage, que l’on n’en fait avec les charuës ordinaires, où les chevaux fatigueront moins »280. De son côté, François de Neufchâteau rapporte la réponse faite par M. Doxat de

Lausanne à la question posée par la Société économique de Berne en 1761281. Celui-ci

« invite les mathématiciens les plus exercés dans la mécaniques, à étudier la charrue et à porter cet instrument au point de perfection dont il est susceptible »282. En 1774, l’Essai sur l’amélioration de l’agriculture dans les pays montueux (paru à Chambéry de la plume d’un auteur anonyme semble-t-il) reprend toutes ces idées, comprises, telle une synecdoque, comme l’ensemble des actions nécessaires pour améliorer les charrues, donc les labours… Donc l’agriculture de manière globale : « une des principales maladies de notre agriculture ce sont nos charrues. C’est une chose révoltante qu’on soit venu, en Savoie, à un tel point de stupidité sur cet objet, qu’en certains lieux on ne laboure qu’avec huit bœufs (…) Le Piémont est tout d’argile. On y ménage cependant les terrains de manière qu’un seul homme et deux bœufs font là le double de ce qu’en Savoie quatre bœufs, deux laboureurs et trois ou quatre manœuvres ont de la peine à faire (…) En perfectionnant la charrue, un homme fait l’ouvrage de deux, et le fait mieux (…) La moitié des bestiaux de labourage peut être changée en bestiaux de rapport… »283. Il est donc courant de disserter sur la charrue et les remèdes proposés pour son amélioration sont souvent proches mais l’unanimité n’existe pas quant au choix du matériel et à la manière de l’utiliser pour réaliser un labour dans les meilleures conditions. François de Neufchâteau l’a bien perçu et conclut qu’ « il a été un tems où chaque nouvel écrivain sur l’agriculture se piquait d’inventer une charrue extraordinaire, ou d’en préconiser une connue, à l’exclusion de toutes les autres. Il serait difficile de concilier ces auteurs entre eux »284.

Certains grands exploitants sont donc sensibles aux doctrines agronomiques tandis que celles-ci ne se diffusent guère chez les exploitants plus modestes même si ceux-ci font preuve d’ingéniosité et réussissent parfois à améliorer leurs techniques de culture : la « somme des

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