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Le genre et le «milieu substitut» comme systèmes sociaux d’appartenance

4.2 Monographie II : Elise, conseillère en emploi

4.3.5 Le genre et le «milieu substitut» comme systèmes sociaux d’appartenance

L’inscription de la pratique d’intervention dans la société est mise en évidence, selon nous, par ses références aux systèmes sociaux d’appartenance. Dans le cas d’Alain, l’appartenance de ses «clientes» au genre féminin semble avoir des retombées sur la pratique. Si les jeunes encadrés par la Loi de Protection de la jeunesse vont être considérés comme ayant besoin de protection et vont voir leurs «dynamiques» considérés comme des troubles de comportement, ceux encadrés par la Loi sur la justice pénale des adolescents vont être pris en charge dans une autre optique. Or, les filles étant en majorité encadrées par la première et les garçons par la seconde, Alain remarque un traitement différencié selon le

genre qui va fortement influencer l’intervention.

Les dynamiques des jeunes comme je te dis ça peut être abus souvent pour des filles, la plupart c’est au niveau sexuel, abus sexuel, les jeunes qui vont venir parce qu’elles ont fait de l’escorte, les jeunes de gang qui fréquentent les gangs de rue, c'est très au niveau sexuel les filles ce qui ressort souvent. Il y a les troubles de comportement évidemment qui sont pour les adolescentes dans le système québécois, elles passent souvent même si elles ont fait un vol, même celle qui a eu une situation où des relations physiques, elles vont passer dans une rubrique de la Loi de la protection de la jeunesse qui s’appelle troubles de comportement. Alors que les garçons souvent, vont passer tout de suite sur la Loi ce n’est plus la Loi sur les jeunes contrevenants

maintenant ça s’appelle la Loi sur la justice pénale adolescents. Donc les garçons vont passer plus majoritairement là-dessus que les filles. Les filles qui viennent sur cette mesure-là sont très rares, pourquoi ? On a une société plus maternante envers les filles que envers les garçons, même dans la pratique c’est très visible aussi. On est beaucoup plus porté à protéger les filles, de faire un espèce de cocon autour, de tout gérer alors que chez les garçons ce que je considère beaucoup plus pour travailler les compétences, travailler l’autonomie (…) c’est vraiment sociétal je pense aussi. (p.8)

Il nous semble que le milieu substitut en lui-même peut être considéré comme un système social d’appartenance dans le sens où c’est dans ce lieu qu’une tentative de transformations des rapports des jeunes au monde s’effectue. Ce lieu fonctionne ainsi comme une

microsociété où l’ensemble de la vie quotidienne est pris en charge et contrôlé.

L’intervention va viser des activités les plus intimes comme les soins d’hygiène, jusqu’aux états affectifs et à la fréquentation à l’interne d’agencements institutionnels tels l’école. La prégnance du lieu en tant qu’espace de prise en charge totale, annonce une sociologie implicite spécifique.

4.3.6 Sociologie implicite : la socialisation aux normes

Le cadre organisationnel a une importance fondamentale dans l’intervention d’Alain, que ce soit en termes de processus, de relation, d’approche et de conception des problématiques. Cette référence fréquente au cadre peut être comprise en prenant en compte ses multiples facettes ou aspects. Tout d’abord, il y a la dimension formelle du cadre en tant qu’institution étatique avec une mission de protection de mineurs, encadrée par des lois, ce qui rend l’aspect «sécuritaire» non négligeable. Il y a par ailleurs les dimensions relationnelle et éducationnelle explorées plus haut.

La prégnance du cadre, incarné dans le lieu, annonce, selon nous, une conception particulière du social et de l’intervention. La société est considérée comme ensemble de normes de conduite que l’individu doit intérioriser afin de mieux vivre en son sein. Dans ce sens, l’intervention a pour fonction la socialisation des individus à ces normes. L’individu

inadapté et qui souffre serait celui ayant vécu une socialisation défectueuse, c’est-à-dire

pour qui d’autres agencements institutionnels, tels la famille et/ou l’école n’ont pas joué positivement leur rôle de socialisation. Il pourra remédier à cela par un apprentissage

ultérieur des normes. L’intervention permettrait ainsi aux jeunes d’avoir accès à d’autres normes de conduite, plus «adéquates».

L’apprentissage des normes se fait dans des dispositifs d’intervention où le lieu semble jouer un rôle essentiel, et ce, pour deux intervenants pratiquant dans des organismes fort différents : une Maison de jeunes et un Centre jeunesse. L’intervention ne se fait pas uniquement dans un rapport de face-à-face entre intervenant et sujet de l’intervention mais s’actualise pendant toute la période où le/la jeune est présent dans l’organisation. En fait, les dispositifs prévoient aussi des activités de groupe où l’intervenant a un rôle d’animateur, par exemple un repas. Dans ces moments, par leurs attitudes, les intervenants feraient figure de «modèles» pour les jeunes qui sont tenus de respecter le cadre et les normes de convivialité.

Cette sociologie implicite que nous appelons normative se retrouve donc aussi dans le récit de Yannick, intervenant en Maison de Jeunes. Bien que les contextes de pratique de Yannick et d’Alain soient fort différents, un étant communautaire et l’autre institutionnel, la prégnance du cadre et des normes et la fonction éducative de l’intervenant nous permettent de tisser des ponts entre leurs perspectives. Il est vrai que tous les deux interviennent auprès d’adolescents, de mineurs. Peut-être cette spécificité de la «clientèle» incite l’intervenant à occuper une position d’autorité, d’adulte qui a le devoir de les éduquer. Étant donné le nombre restreint d’entrevues, cette considération reste, comme toutes les autres d’ailleurs, hypothétique.

La sociologie implicite clinique traverse, elle aussi, la conception du social d’Alain. Ce dernier situe ainsi son rôle d’intervenant dans cette double fonction de socialisation aux normes et de soutien humain, à travers laquelle adéquation sociale et transformation personnelle sont favorisées.

4.4 Les idéaux-types de sociologie implicite: systémique, informationnel, normatif et