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Cadre organisationnel : encadrement juridique et processus balisé

4.2 Monographie II : Elise, conseillère en emploi

4.3.1 Cadre organisationnel : encadrement juridique et processus balisé

Alain travaille dans une «unité de vie» où une douzaine de «jeunes adolescentes», c’est-à- dire des filles de 12 à «18 moins un jour», «placées par le tribunal», vivent pendant une courte période allant de 5 jours à deux mois. Cette unité de vie en est une parmi une dizaine d’autres dans le centre où Alain travaille, un «gros centre» composée d’«unités qu’on

appelle globalisantes donc il y a une structure qui est plus grande, un encadrement plus grand qu’en foyer de groupe encore, des jeunes qui vont à l’école à l’interne, il a une école dans le centre comme tel.» (p.3)

Le «milieu substitut» en question est «plus sécuritaire» que d’autres existant à l’intérieur des centres jeunesse tels les «foyers de groupe» ou les «appartements supervisés» par exemple. En fait, c’est un «milieu fermé» où les portes sont «barrées», ce qu’Alain justifie par le fait que les jeunes qui y viennent sont particulièrement «à risque».

On parle parfois d’environnement intensif, de jeunes qui sont dans une période où ils sont plus à risque, que ce soit au niveau de la violence, au niveau de l’agressivité, au niveau du passage à l’acte suicidaire, au niveau de la toxicomanie tout ça. Fait que moi, je travaille dans cette unité-là mais qui la semaine dernière a changé de statut et est devenue une unité plus sécuritaire (… ) Disons qu’il y a des jeunes dans d’autres unités, ils vont vraiment pas bien dans le milieu de vie, ils vont venir chez nous en stabilisation. Ce qu’on appelle une période où on essaie de mobiliser le jeune sur… Bon, qu’est-ce qui se passe? Pourquoi est-ce que ça dégringole depuis un certain temps? Travailler des objectifs précis avec ces jeunes-là. Et on nous demande aussi de recevoir les jeunes qui sont dans ce qu’on appelle en urgence sociale. Les jeunes qui vont être retirés de leur milieu (…) Donc on est présentement multi rôles, multi dynamiques, multi… un espèce de package plein de jeunes différents. (p.3)

Le travail d’Alain consiste à la fois en suivre «les filles» dans l’accomplissement des tâches de «routine», à animer des «activités cliniques» de groupe et à «faire des accompagnements

individuels». Il décrit comme suit son travail le jour même de l’entretien:

Mon rôle à moi, si je commence comme ce matin, je commence à 7 heures c’est de réveiller les filles, c’est de bon de les inciter à faire leur chambre, la routine une routine normale que souvent ces jeunes-là ont pas ou ont perdu ou ne sont plus

mobilisées. Bon, animer un moment de déjeuner, un moment de repas, tu vois, ce matin on faisait une activité qu’on appelle «net speaking». (p.5)

Parfois, Alain fait aussi des activités sportives avec les jeunes, comme jouer au badminton. L’éventail d’activités possibles semble large et l’éducateur peut en proposer et créer des activités cliniques de groupe. La «programmation», c’est-à-dire l’ensemble d’activités prévues, est néanmoins claire et le respect des horaires exigé: «c’est toujours dans un

horaire qui est fixe que les filles ont à leur chambre, elles savent exactement ce qu’elles ont à faire, à tel moment qu’est-ce que c’est la programmation tout ça, puis il y a beaucoup d’animation» (p.5)

La plupart des jeunes qui arrivent à l’«unité» où travaille Alain sont encadrées par la Loi de

Protection de la jeunesse. Le processus est déclenché soit par une intervention policière,

soit par une «référence» de la part du CSSS (Centre de Santé et de Services Sociaux), de l’école ou même des parents à la DPJ (Direction de Protection de la Jeunesse). Si cette dernière évalue que la jeune est «en danger», elle va être retirée de «son milieu». S’il y a accord des parents, «les jeunes vont rentrer dans une mesure volontaire», alors que si les parents s’opposent, «il peut y avoir là un signalement et là que la DPJ va embarquer, puis

ça sera plus dur» (p.8). D’autres jeunes peuvent être encadrées par la Loi sur la justice pénale des adolescents. Le cadre organisationnel dans lequel les interventions d’Alain se

déroulent est structuré par des procédures juridiques précises et il doit appliquer les décisions du juge quant aux placements et collaborer avec la travailleuse sociale de la DPJ en charge de «la jeune».

Des procédures d’intervention tout aussi précises et balisées sont un autre élément du cadre organisationnel. Tout d’abord, une «évaluation de 30 jours» a lieu, où les «dynamiques» tant de la jeune que de ses parents sont explorées. Ensuite, un «plan d’intervention» est élaboré avec des «échelons» de temps précis et signé par la jeune et d’autres agents impliqués, par exemple le professeur, les parents ou le travailleur social. Le plan peut être révisé si une des parties ne «s’implique pas». Selon Alain, ces procédures, désignées sous l’expression «processus clinique intégré» et qui vont de l’évaluation aux «mécanismes de

dernière révision» sont des «outils de travail» présents dans tous les centres jeunesse. Tout

le processus est documenté par écrit et suivi de près par le chef de service.

Tout est consigné tout doit être écrit, tout doit être autorisé par le chef de service, tout doit être autorisé par le directeur d’établissement. Les balises sont

excessivement précises, on est tellement sur la sellette qu’on n’a pas le choix de faire pour que ce soit le plus transparent possible, on a pris telle décision pour telle X raison c’est ça qui a été choisi, on y va toujours quand la jeune se met en danger, met les autres en danger (…) C'est normal aussi, à chaque fin de journée j’ai des chronologies à écrire et je vais écrire ce qui s’est passé dans cette journée, la jeune, je vais écrire la chronologie du groupe mais c’est correct, ça donne juste une suite si une jeune dit à un moment donné : dans ma tête il s’est passé ça, moi à telle date non c'est pas ça qui s’est passé ok? Tu appelles une intervenante comme témoin ok? Ce n’est pas ça, il faut se protéger aussi. (p.21)

Ce cadre formel «excessivement précis» n’est pas perçu par Alain comme une contrainte, mais plutôt comme une sécurité pour l’intervenant qui se doit d’être transparent et de partager les responsabilités au niveau de la prise de décisions. Étant donné la place importante de la mission de «protection» et la gravité des «dynamiques» rencontrées dans l’«unité» où travaille Alain, il considère la présence prégnante du «cadre» importante et indispensable.

Si le «cadre» est très précis et clair en ce qui concerne le processus de prise en charge, l’équipe d’éducateurs a une certaine marge de manœuvre concernant «la programmation» des activités, l’approche à adopter dans l’intervention et la gestion quotidienne de questions d’ordre pratique. Alain témoigne d’un changement au fil des ans dans son unité.

En termes d’intervention, on bâtit ensemble des procédures, comment on veut agir avec les jeunes, qu’est-ce qu’on veut comme programmation (...) de notre structure, comment on agit avec les jeunes, c'est quoi notre mode d’intervention. Ben c'est avec notre chef, on se rencontre, on s’assoit, on a une journée d’étude, puis bon telle chose comme au début quand j’ai commencé à travailler on était très, très strict, très sévère, ça s’est beaucoup assoupli, travaillé fort pendant un an pour dire : ça, ça a pas de sens, on n’est pas dans l’armée, les jeunes ont besoin d’aide, on n’est pas ici… puis beaucoup de gens étaient très insécures parce qu’ils ne vivaient que par la structure. (p.19)

Si dans les autres unités ce sont les approches «behavioriste» et «cognitive

comportementaliste» qui prédominent, étant donné que dans l’unité d’Alain l’intervention

est toujours à «court terme» et qu’il n’y a pas de «groupe stable», l’équipe adopte une approche qu’il appelle «psycho éducative»: «On a pas une approche théorique reliée à…

parce que c'est trop changeant, parce que nous notre approche est vraiment plus une approche l’équipe individuelle par rapport à des situations précises mais on est vraiment une approche structurante, encadrante» (p.17-18)

L’importance et la prégnance du cadre organisationnel sont présentes dans le témoignage d’Alain. Le récit d’une expérience difficile vécue dans son travail aidera à mieux comprendre pourquoi Alain situe la formalité du cadre comme un moyen de se protéger.